Actualité de Victor HUGO (1802-1885) : La fonction du poète-penseur dans la société par Louis SAISI

Actualité de Victor HUGO (1802-1885) : La fonction du poète-penseur dans la société

par Louis SAISI

 

On nous l’a assez justement rappelé récemment, à l’occasion du triste et sinistre incendie de la cathédrale Notre Dame, Victor HUGO (1802-1885) fut l’écrivain qui immortalisa Notre Dame de Paris, en 1831, dans son roman éponyme.

Si Victor HUGO est également connu pour être l’auteur des Châtiments (1852) des Contemplations (1856) et des Misérables (1862), en revanche, il l’est moins pour être l’auteur du recueil de poésie Les Rayons et les Ombres (1840) dans lequel il aborde, entre autres, le rôle de la poésie dans le mouvement des idées et s’affirme comme le poète engagé de son époque, se démarquant notamment du courant parnassien de « l’art pour l’art » (Théophile GAUTIER) qui voulait ainsi « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » (Stéphane MALLARME). La poésie du Parnasse, réservée à un cénacle d’initiés, faisait l’éloge du travail et de la forme au détriment du lyrisme et de l’engagement social de certains poètes romantiques stigmatisés par ce courant.

I/ la mission du poète-penseur : un éveilleur des consciences et un guide

A/ LES RAYONS ET LES OMBRES (1840)

En 1840,  Victor HUGO publie Les Rayons et les Ombres qui est un recueil de 45 poèmes écrits après 1830.

Le titre du Recueil est très évocateur… La vie est à la fois lumière (« rayons ») et ombre

Ainsi Les Rayons (cf. le poème « Nuits de juin ») et leur trajectoire nous conduisent vers la beauté, les belles saisons, et la joie qui épousent alors le rythme exubérant de la nature en fête et nous renvoient à nos souvenirs, souvent nostalgiques, des jours heureux.

À l’opposé, Les Ombres (cf. le poème Océano Nox) expriment le chagrin, la mélancolie, les déchirures, les morts, les rois oubliés, les héros déchus.

Parfois, dans le même poème, comme dans « Le monde et le siècle », la lumière et les rayons s’opposent aux ombres et à la noirceur de l’homme ou de la foule…

Mais si Les Rayons, de même que la lumière, sont interprétés comme un symbole de la connaissance (d’où la mission de guide du poète), à l’inverse, Les Ombres sont perçues comme un symbole de l’ignorance, et c’est la raison pour laquelle le poète a la mission de guider les gens, en éclairant les Ombres….

Ainsi le titre que Victor HUGO a donné à son recueil, Les Rayons et les Ombres, était très significatif de sa volonté de mettre sa pensée au service d’une « œuvre civilisatrice », qui apparaît notamment dans la dernière strophe du poème « Le monde et le siècle » dans lequel le poète, devant une « humanité, morne et manquant de prophètes », exhorte Dieu d’intervenir pour « rallumer la  flamme » des hommes et leur donner « une âme ».

Plus largement, l’ambition de son Recueil était de ramener la poésie – trop souvent considérée comme un exercice artificiel d’initiés – au plus près des hommes. Il s’agissait, pour HUGO, à travers la poésie, de mobiliser les hommes vers la voie de la fraternité et des idéaux universels, au-dessus des luttes stériles et fratricides conduites par des factions partisanes dénoncées ainsi dans « Le monde et le siècle » :

« Si c’est pour que ce temps fasse, en son morne ennui, De l’opprimé d’hier l’oppresseur d’aujourd’hui ;
Pour que l’on s’entre-déchire à propos de cent rêves ; Pour que le peuple, foule où dorment tant de sèves,
Aussi bien que les rois, — grave et haute leçon ! — Ait la brutalité pour dernière raison,
Et réponde, troupeau qu’on tue ou qui lapide, À l’aveugle boulet par le pavé stupide !
Si c’est pour que l’émeute ébranle la cité ! Pour que tout soit tyran, même la liberté !
Si c’est pour que l’honneur des anciens gentilshommes, Aux projets des partis s’attelle tristement ;
Si c’est pour qu’à sa haine on ajoute un serment Comme à son vieux poignard on remet une lame ».

(Victor Hugo : « Le monde et le siècle ») (extraits)

B/ La FONCTION du poète (II)
(Extrait du Recueil Les Rayons et les Ombres, 1840)


Parmi les poèmes du Recueil Les Rayons et les Ombres figure ci-dessous la Fonction du poète (II) qui remplit exactement son rôle, celui de s’apparenter à une nouvelle défense et illustration du poète-penseur pour mieux le situer dans toute l’étendue de son activité qui est une sorte de magistère social et éthique.

 

 

 

Dieu le veut, dans les temps contraires,

Chacun travaille et chacun sert.

Malheur à qui dit à ses frères :

Je retourne dans le désert !

Malheur à qui prend ses sandales

Quand les haines et les scandales

Tourmentent le peuple agité !

Honte au penseur qui se mutile

Et s’en va, chanteur inutile,

Par la porte de la cité !

Le poète en des jours impies

Vient préparer des jours meilleurs.

ll est l’homme des utopies,

Les pieds ici, les yeux ailleurs.

C’est lui qui sur toutes les têtes,

En tout temps, pareil aux prophètes,

Dans sa main, où tout peut tenir,

Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,

Comme une torche qu’il secoue,

Faire flamboyer l’avenir !

Il voit, quand les peuples végètent !

Ses rêves, toujours pleins d’amour,

Sont faits des ombres que lui jettent

Les choses qui seront un jour.

On le raille. Qu’importe ! Il pense.

Plus d’une âme inscrit en silence

Ce que la foule n’entend pas.

Il plaint ses contempteurs frivoles ;

Et maint faux sage à ses paroles

Rit tout haut et songe tout bas !

Peuples ! Écoutez le poète !

Écoutez le rêveur sacré !

Dans votre nuit, sans lui complète,

Lui seul a le front éclairé.

Des temps futurs perçant les ombres,

Lui seul distingue en leurs flancs sombres

Le germe qui n’est pas éclos.

Homme, il est doux comme une femme.

Dieu parle à voix basse à son âme

Comme aux forêts et comme aux flots.

C’est lui qui, malgré les épines,

L’envie et la dérision,

Marche, courbé dans vos ruines,

Ramassant la tradition.

De la tradition féconde

Sort tout ce qui couvre le monde,

Tout ce que le ciel peut bénir.

Toute idée, humaine ou divine,

Qui prend le passé pour racine,

A pour feuillage l’avenir.

Il rayonne ! Il jette sa flamme

Sur l’éternelle vérité !

Il la fait resplendir pour l’âme

D’une merveilleuse clarté.

Il inonde de sa lumière

Ville et désert, Louvre et chaumière,

Et les plaines et les hauteurs 

À tous d’en haut il la dévoile ;

Car la poésie est l’étoile

Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

Dans son poème Fonction du poète II  ci-dessus, HUGO rejette la poésie conçue seulement comme un art ou un exercice de forme et de mots assemblés harmonieusement ! Il n’est pas question, pour lui, d’être un « penseur qui se mutile » (vers 8) ni un « chanteur inutile » (vers 9) en se coupant de ses semblables.

La poésie purement esthétique, enfermée sur elle-même, est ici stigmatisée. À sa place, HUGO lui substitue une « poésie-discours » qui donne libre cours à une sorte de réflexion d’ordre intellectuel. Il assigne au poète la mission très noble d’inventer des « utopies » (vers 13) ce qui, jusqu’alors, était davantage l’univers des philosophes que celui des poètes. Il doit en effet développer sa vision prophétique (vers 16) car, insensible aux insultes comme aux louanges (vers 18), il est porteur d’un avenir flamboyant (vers 20).

HUGO dénonce la faiblesse d’une humanité incapable de faire face aux difficultés de la séquence historique : « temps contraires » (vers 1), «  jours impies » (vers 11). La faiblesse des hommes est également fustigée à plusieurs reprises : « peuple agité » (vers.7), « peuples végètent » (vers 21), « la foule n’entend pas » (vers 27).

Le poète, au contraire, est d’abord décrit par sa lucidité : « il voit » (vers 21). Mais il est aussi capable de projeter ses « rêves, toujours pleins d’amour » (v. 22) sur « les choses qui seront un jour » (v. 24). Il est celui qui « pense (vers 24) et qui contraint même « ses contempteurs frivoles » (vers 28) à réfléchir (vers 30) car « Lui seul a le front éclairé » (vers 34), « Lui seul distingue en leurs flans sombres » (vers 36).

Les allusions bibliques sont fréquentes : assimilation du poète aux prophètes (vers 16) ; « Dieu parle à voix basse à son âme » (vers 39) » ; comparaison du sacerdoce du poète au calvaire du Christ (vers 40-43).

Ainsi « La Fonction du poète » est un poème qui bien que didactique, possède néanmoins une puissance évocatrice et lyrique mise au service de l’action du poète-penseur dans la cité.
HUGO met en avant la communion du poète avec les autres et leurs souffrances, leurs problèmes. Il lui assigne la mission d’orienter l’histoire, de guider vers la lumière, le progrès par son rôle d’éveilleur des consciences pour le bien de tous, ce qui conduit à la reconnaissance de son rôle politique dans la cité.

II/ La praxis du poète ou les multiples combats de Victor HUGO

Les combats de Victor HUGO lui-même furent nombreux : converti au républicanisme à partir de 1849, il se battra contre Napoléon III depuis son long exil, à partir du 11 décembre 1851.

A/ Victor HUGO, UN homme identifié à son siècle

Victor HUGO  fut parfois identifié à son siècle, le 19ème siècle, puisque biologiquement, déjà, par sa longévité, il en fit le tour en inaugurant son commencement (1802) et en l’accompagnant presque à sa fin  (1885), mais surtout parce qu’il en épousa les tensions, les problèmes et même les révolutions à telle enseigne que, dans le « portrait » qu’il fit de lui, en 1988, pour la revue Romantisme, Henri MESCHONNIC le qualifia  d' »homme siècle » [1]. Un peu après, en 2002, Jean-Paul SCOT et Henri PENA-RUIZ, dans leur ouvrage Un poète en politique – Les combats de Victor HUGO [2] montrèrent, à leur tour, combien le poète des Contemplations s’impliqua dans une série de combats qui sont loin d’être clos. Enfin, plus récemment, Michel WINOCK, en 2018, dans son ouvrage Le monde selon Victor HUGO [3] conforta cette vision du rôle immense que joua l’écrivain dans toutes les questions et disputes  de son siècle.

1/ En effet, Victor HUGO aura été le témoin de pas moins de deux révolutions nationales

Il s’agit des deux révolutions de la première moitié du 19ème siècle.

La première de ces révolutions renversa  la « monarchie légitimiste » ; la seconde s’attaqua à la « monarchie orléaniste« .

– La révolution républicaine des 27, 28, 29 juillet 1830 voulut stopper la tentative de CHARLES X de restaurer la monarchie absolue.

 – La révolution républicaine des 22 au 25 février 1848 ébranla la monarchie dite « orléaniste » du Roi LOUIS PHILIPPE.

A ces deux révolutions, il ne faut pas oublier d’ajouter d’autres insurrections populaires qui marquèrent la seconde moitié du 19ème siècle avec le développement du machinisme et de l’industrie qui engendrèrent la naissance de nouvelles classes sociales laborieuses qui cherchaient à accéder à la citoyenneté économique – droit de cité complet avec l’accès au travail – dans la République.

2/ Tout d’abord il y eut l’insurrection ouvrière de juin 1848 

Après le vote, les 19 et 20 juin 1848, de la dissolution des ateliers nationaux par l’Assemblée nationale conservatrice et leur suppression effective le 21 juin, en raison de leur coût, l’agitation ouvrière se propage les 22 et 23 juin 1848 avec l’érection des premières barricades. L’insurrection sera durement réprimée par le général CAVAIGNAC – appelé à la rescousse par les républicains modérés – jusqu’à la chute, le 26 juin, de la dernière barricade du faubourg Saint-Antoine.

3/ Ensuite, Il y a lieu également de rappeler la journée d’émeutes parisiennes du 4 septembre 1870.

Cette journée d’émeutes renversa le second Empire après la défaite de la France contre la Prusse et la capitulation de NAPOLÉON II, suite au désastre militaire de Sedan, suivi de la constitution d’un gouvernement de défense nationale qui s’installa à l’hôtel de ville de Paris, officiellement pour poursuivre la guerre contre les États allemands, dont les troupes occupaient le nord du pays.

4/ Enfin, à partir du 18 mars 1871, la Commune de Paris….

Dans un contexte de suspicion et de fièvres avivées par la volonté de THIERS de désarmer les gardes nationales parisiennes, l’insurrection communarde va se développer sur un peu plus de 2 mois, du 18 mars au 28 mai 1871.

La Commune de Paris fut provoquée par les conséquences négatives de la guerre [4] et AUSSI par la volonté de THIERS de désarmer les gardes nationales parisiennes de Montmartre et Belleville.

La Commune de Paris devait être anéantie, après la « Semaine sanglante » (21 au 28 mai), par THIERS et le gouvernement versaillais.

C’est dire que depuis son âge mature, et pendant toute sa vie qui épouse le cours du 19ème siècle, Victor HUGO a baigné dans une série d’évènements politiques et sociaux très conflictuels qui furent parfois même très sanglants.

  

B/ L’identification du POETE à une période : celle de la lutte contre le second Empire honni

Selon l’historien Maurice AGULHON :

« […] on ne peut pas relater le Second Empire sans mettre en scène le plus illustre des proscrits. Victor Hugo en face de Napoléon III, c’est la République en face de l’Empire. On pourrait ne rien dire de plus de ces dix-huit années, tout est dans cette antithèse » (cf. « Hugo dans le débat politique et social », dans Pierre GEORGEL (sous la direction) : La Gloire de Victor Hugo, Ed. Réunion des Musées Nationaux, Paris, 1985, 815 pages, notamment p. 206).

En effet, à la suite du coup d’État du 2 décembre 1851, perpétré par Louis-Napoléon Bonaparte, et son bannissement par le décret du 9 janvier 1852, Victor HUGO devra s’exiler du 11 décembre 1851 au 5 septembre 1871, d’abord un court moment en Belgique (11 décembre 1851-1er août 1852), ensuite à Jersey (du 5 août 1852 au 31 octobre 1855) puis à Guernesey (du 31 octobre 1855 au 15 août 1870).

C’est durant cette période qu’il publia certaines de ses œuvres majeures, parmi lesquelles Napoléon- le-Petit, livre pamphlétaire, écrit par Victor HUGO en 1852, à Bruxelles, à la suite du coup d’État du 2 décembre 1851 du Prince-président Louis Napoléon Bonaparte (qui le contraindra à quitter la Belgique), Les Châtiments (1852), recueil de poèmes satiriques dirigés contre Napoléon III.

Comme l’a justement souligné Maurice AGULHON cité plus haut, le poète devint le symbole de la lutte de la République contre l’Empire, prenant position en toute occasion, par voie de presse et dans ses œuvres en faveur d’une meilleure justice sociale, pour la paix et la liberté des peuples opprimés, contre la peine de mort, etc.

De retour en France au lendemain de la chute de l’Empire (4 septembre 1870), il poursuivit ses combats. Député de Paris à l’Assemblée nationale de Bordeaux, il en démissionna après les mesures adoptées contre le peuple de Paris. Il dénonça les atrocités de la répression versaillaise (L’Année terrible) contre la Commune. Au Sénat, où il siégea à partir de 1876, il ne cessa de réclamer l’amnistie pleine et entière des communards qu’il n’obtiendra qu’en 1880.

C/ La lutte contre la peine de mort

Le premier de tous les combats politiques de Victor Hugo, le plus long et le plus constant, est sans aucun doute celui qu’il mène pour l’abolition de la peine de mort.

Il va mettre le feu de toute son éloquence au service de cette cause dans tous ses écrits : romans, poèmes, témoignages devant les tribunaux, plaidoiries, discours et votes à la Chambre des pairs, à l’Assemblée puis au Sénat, ainsi que dans des articles publiés dans la presse européenne et à l’occasion de lettres d’intervention en faveur de condamnés.

1/ Les débuts de son combat

Tout commença, en 1829, avec la publication de son ouvrage Le Dernier Jour d’un condamné (publication alors anonyme), à propos duquel HUGO, dans la préface de l’édition de 1832, devait expliquer ainsi son dessein (https://beq.ebooksgratuits.com/vents/hugo-claude.pdf) : 

«  Comme on le voit, à l’époque où ce livre fut publié, l’auteur ne jugea pas à propos de dire dès lors toute sa pensée. Il aima mieux attendre qu’elle fût comprise et voir si elle le serait. Elle l’a été. L’auteur aujourd’hui peut démasquer l’idée politique, l’idée sociale, qu’il avait voulu populariser sous cette innocente et candide forme littéraire. Il déclare donc, ou plutôt il avoue hautement que Le Dernier Jour d’un Condamné n’est autre chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort. Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son œuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; c’est cette suprême fin de non-recevoir, abhorrescere a sanguine, construite à tout jamais en avant de tous les procès criminels ; c’est la sombre et fatale question qui palpite obscurément au fond de toutes les causes capitales sous les triples épaisseurs de pathos dont l’enveloppe la rhétorique sanglante des gens du roi ; c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau.

Voilà ce qu’il a voulu faire. Si l’avenir lui décernait un jour la gloire de l’avoir fait, ce qu’il n’ose espérer, il ne voudrait pas d’autre couronne. »

HUGO confesse ensuite que :

« Le lendemain de l’exécution d’Ulbach, il se mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été commis, sa conscience lui a dit qu’il n’en était plus solidaire ; et il n’a plus senti à son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la communauté sociale. »

Mais il ne s’en tint pas là…

2/ Le plaidoyer du 15 septembre 1848

Élu à la Constituante de 1848, c’est lors de son discours du 15 septembre 1848 qu’il prononça son plus vibrant réquisitoire contre la peine de mort.

Il commença d’abord par affirmer « l’inviolabilité de la vie humaine » :

(http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/victor-hugo-15-septembre-1848)

Il définit ensuite la peine de mort qui y contrevient :

(http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/victor-hugo-15-septembre-1848)

« Qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. Ce sont là des faits incontestables. »

Il nota, pour s’en réjouir, la tendance forte de la pénalité vers l’adoucissement : 

(http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/victor-hugo-15-septembre-1848) 

« L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le 18° siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le 19° abolira certainement la peine de mort.

Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, vous l’abolirez ou vos successeurs l’aboliront demain ! »

Il fustigea ensuite l’exemplarité de la peine :

(https://fr.wikisource.org/wiki/Plaidoyer_contre_la_peine_de_mort_-_Victor_Hugo).

« Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l’exemple. Pourquoi ? Pour ce qu’il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu’il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu’il ne faut pas tuer ? En tuant.

….

….

« De deux choses l’une : ou l’exemple donné par la peine de mort est moral, ou il est immoral. S’il est moral, pourquoi le cachez-vous ? S’il est immoral, pourquoi le faites-vous ?

« Pour que l’exemple soit l’exemple, il faut qu’il soit grand ; s’il est petit, il ne fait pas frémir, il fait vomir. D’efficace il devient inutile, d’enrayant, misérable. Il ressemble à une lâcheté. Il en est une. La peine de mort furtive et secrète n’est plus que le guet-apens de la société sur l’individu. »

 

Mais allant encore plus loin, ce qui est moins souvent souligné, il s’attacha ensuite à montrer que la peine de mort servait surtout à réprimer la misère et l’ignorance : ( https://fr.wikisource.org/wiki/Plaidoyer_contre_la_peine_de_mort_-_Victor_Hugo).

« Savez-vous ce qui est triste ? C’est que c’est sur le peuple que pèse la peine de mort. Vous y avez été obligés, dites-vous. Il y avait dans un plateau de la balance l’ignorance et la misère, il fallait un contrepoids dans l’autre plateau, vous y avez mis la peine de mort. Eh bien ! Ôtez la peine de mort, vous voilà forcés, forcés, entendez-vous ? d’ôter aussi l’ignorance et la misère. Vous êtes condamnés à toutes ces améliorations à la fois. Vous parlez souvent de nécessité, je mets la nécessité du côté du progrès, en vous contraignant d’y courir, par un peu de danger au besoin.

« Ah ! Vous n’avez plus la peine de mort pour vous protéger. Ah ! Vous avez là devant vous, face à face, l’ignorance et la misère, ces pourvoyeuses de l’échafaud, et vous n’avez plus l’échafaud ! Qu’allez-vous faire ? Pardieu, combattre ! Détruire l’ignorance, détruire la misère ! C’est ce que je veux. »

La peine de mort fut abolie en France par la loi du 9 octobre 1981.

Le lien de la peine de mort avec la misère l’incitera à combattre avec une égale vigueur celle-ci.

D/ Le combat contre la misère : de 1849 aux Misérables (1862)

1/ De 1849 à 1851

Il livra également un combat contre la misère : « Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère » s’exclamera-t-il lors du Discours à l’Assemblée nationale du 9 juillet 1849. Il faisait le lien entre la délinquance et le manque d’instruction et d’éducation et exprimait sa conviction que crimes et délits sont commis par de « pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités d’une société marâtre […] ; infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles » (préface de 1832 du Dernier Jour d’un condamné) : c’est dire qu’il réclamait déjà un enseignement et un travail pour tous.

En 1848, l’économiste Jérôme-Adolphe BLANQUI, frère du célèbre révolutionnaire Auguste Blanqui, avait réalisé une terrible enquête faite sur les classes ouvrières qui se révéla accablante pour les manufactures textiles du nord quant aux conditions de logement de ces classes sociales. En février 1851 à la demande et sous la conduite l’économiste précité, et accompagné de médecins et de quelques autres « autorités », HUGO se rendit à Lille, afin de constater sur place les conditions de logement des ouvriers de l’industrie textile, décrites par BLANQUI dans son rapport. Après la visite des caves de Lille où les familles vivaient dans des conditions épouvantables, entassées dans des caves insalubres, dans un discours rédigé pour l’Assemblée mais non prononcé, HUGO relatait « les premiers faits venus, ceux que le hasard nous a donnés dans une visite qui n’a duré que quelques heures. Ces faits ont au plus haut degré tout le caractère d’une moyenne. Ils sont horribles ». Et il s’indignait ainsi : « Je vous dénonce la misère, qui est le fléau d’une classe et le péril de toutes ! Je vous dénonce la misère qui n’est pas seulement la souffrance de l’individu, qui est la ruine de la société, la misère qui a fait les jacqueries […] ». Il s’inspira, un peu plus tard, en exil, de cette expérience vécue dans un poème des Châtiments (Livre III, 9) « Joyeuse vie II » (cf. Annexe I ci-dessous).

2/ La fresque sociale des Misérables (1862)

L’on retrouve dans son roman historique, social, réaliste et philosophique Les Misérables (1862) les traces de cette préoccupation constante chez lui. L’action se déroule en France, à Paris et en province, au cours du premier tiers du XIXe siècle, entre la bataille de Waterloo (1815) et les émeutes de juin 1832. On y suit, sur cinq tomes, la vie de Jean Valjean, de sa sortie du bagne jusqu’à sa mort. Autour de lui gravitent des personnages marquants, dont certains vont donner leur nom aux différents tomes du roman.

Ils sont tous les vivantes incarnations et témoins de la misère du siècle pour les classes sociales laborieuses : « misérables » eux-mêmes ou proches de la misère. Ce sont tour à tour Fantine, Cosette, Marius, mais aussi les Thénardier (dont Éponine, Azelma et l’irrésistible et attachant Gavroche) ainsi que le représentant de la loi, le commissaire Javert. Dans ce roman, Victor HUGO décrit les situations sociales et les tensions politiques et économiques de la France de cette époque. Comme dans le reste de son œuvre, les événements historiques l’ont beaucoup influencé. “Les Misérables” présentent une réflexion critique sur la pauvreté, la misère et les luttes pour obtenir des droits fondamentaux :

« Il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action. » (Victor Hugo, Les Misérables).

Son propos est d’une troublante actualité, aujourd’hui, avec le mouvement des « Gilets jaunes »…

E/ Son combat pour l’éducation : l’instruction primaire obligatoire et gratuite et la séparation de l’Église et de l’État
1/ La nécessité d’une instruction primaire gratuite obligatoire

HUGO combattit avec force ce qui devait devenir la loi Falloux (juillet 1850) en développant un violent réquisitoire contre le parti clérical car il était convaincu de l’utilité sociale et des bienfaits de l’instruction primaire gratuite et obligatoire pour tous, sous la surveillance exclusive de l’État :

« Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant qui, ne vous trompez pas est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de 1’État » s’exclamait-il le 15 janvier 1850 dans son intervention à l’Assemblée nationale dans lors de la discussion du projet de loi sur l’enseignement.

2/ La liberté de l’enseignement et la séparation de l’Église et de l’État laïque

Toujours au cours de cette même intervention, il poursuivit en développant l’idée que la liberté de l’enseignement ne peut se concevoir que dans un État laïque, et il n’hésite pas à réclamer déjà la séparation de l’Église et de l’État :

« À ce point de vue restreint, mais pratique, de la situation actuelle je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement ; mais je veux la surveillance de l’État, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’État laïque, purement laïque, exclusivement laïque. L’honorable M. Guizot l’a dit avant moi, en matière d’enseignement, l’État n’est pas et, ne peut pas être autre chose que laïque.

« Je veux, dis-je, la liberté de l’enseignement sous la surveillance de l’État, et je n’admets, pour personnifier l’État dans cette surveillance si délicate et si difficile, qui exige le concours de toutes les forces vives du pays, que des hommes appartenant sans doute aux carrières les plus graves mais n’ayant aucun intérêt, soit de conscience, soit de politique, distinct de l’unité nationale. C’est vous dire que je n’introduis, soit dans le conseil supérieur de surveillance, ni évêques, ni délégués d’évêques. J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État, qui était la sagesse de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État. » 

3/ Le droit de l’enfant à l’instruction, condition de son devenir d’homme

Dans Choses vues (1887-1890), il écrira : « Le droit de l’enfant, c’est d’être un homme : ce qui fait l’homme, c’est la lumière ; ce qui fait la lumière c’est l’instruction. »

L’on connaît également son apostrophe célèbre : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ».

F/ Sa lutte contre l’esclavage

Sa lutte contre l’esclavage et l’indignation que cet état de servitude provoquait chez lui est résumée dans cette phrase écrite en 1862 alors que l’esclavage subsistait encore aux États-Unis :

« Un seul esclave sur la Terre suffit pour déshonorer la liberté de tous les hommes » (V. HUGO, journal La Gironde, 17 janvier 1862).

1/ Les débuts d’une prise de conscience précoce

Très tôt, conscient que l’esclavage était encore pratiqué dans la plupart des colonies françaises au 19ème siècle, le jeune HUGO, dès 1820, exprima ses préoccupations humanistes sous la forme d’un conte paru dans Le Conservateur littéraire. Il publiera plus tard ce conte sous la forme d’un roman plus étoffé en 1826. Dans la préface de l’édition de 1832 de ce roman, HUGO dira qu’il l’avait écrit d’abord sous la forme d’un conte dès 1818. Ce conte originel fut écrit en quinze jours, alors qu’il n’avait que seize ans, à la suite d’un pari de collégien prodige. La figure centrale de ce roman – qui traite de la révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue en 1791 – est Pierrot, l’esclave noir, dit Bug JARGAL, qui lutte pour l’affranchissement de ses frères. Cette fresque romancée, sur fond de vérité historique, constituait déjà un jalon de l’identité politique du jeune HUGO qui se confirma éloquemment dans ses engagements futurs. L’écrivain dira, en effet, très explicitement plus tard, que le rapport de domination maître-esclave est inadmissible au regard de la liberté elle-même unique, indivisible et universelle et ne supporte « Aucun compromis. Aucune concession. Aucune diminution ».

2/ La réalisation de l’abolition de l’esclavage en 1848

 

À l’avènement de la seconde République, en 1848, HUGO sera partisan de l’abolition de l’esclavage qui fut acquise, dans toutes les colonies et possessions françaises le 17 avril 1848, grâce à l’action de son ami Victor SCHOELCHER, aux côtés de qui il avait lutté pour réaliser l’idéal de fraternité auquel il était fondamentalement attaché. Célébrant, enthousiaste, l’évènement, il prophétisait qu’ « avant la fin du siècle, l’esclavage aura disparu de la Terre. La liberté est la loi humaine ».

3/ Vers la réalisation de sa prophétie aux États-Unis d’Amérique

La prophétie de Victor HUGO devait se réaliser moins de vingt ans plus tard, en 1865, aux États-Unis qui furent confrontés au problème de l’esclavage. Avant la guerre de sécession, le recensement américain de 1860 avait dénombré quatre millions d’esclaves dans le pays. L’esclavage occupait une position centrale dans l’organisation sociale et économique du Sud des États-Unis. Les esclaves étaient utilisés comme domestiques mais aussi, dans le secteur agricole, en particulier dans les plantations de tabac puis de coton, comme une main d’œuvre quasi gratuite. La pratique esclavagiste du sud[ devait engendrer une guerre civile (civil war) entre le Nord, abolitionniste et le sud, esclavagiste et sécessionniste (guerre de sécession). Il fallut, à l’issue de la guerre de sécession (1861-1865), la victoire du nord et aussi toute la détermination du Président Abraham LINCOLN pour mettre fin à l’esclavage dans les États du sud. Dès le 8 avril 1864, le Sénat avait voté le texte du futur 13ème amendement, qui devait étendre et pérenniser l’abolition de l’esclavage mais il n’était pas encore possible de l’inscrire dans la Constitution, faute d’une majorité suffisante à la Chambre des Représentants.

Le 31 janvier 1865, tandis que la victoire se précisait de plus en plus et que le Sud, ruiné et défait, n’était plus en état de négocier quoi que ce soit, LINCOLN put enfin le présenter au vote de la Chambre des Représentants. Il obtint la majorité requise des deux tiers au terme d’une intense bataille parlementaire. C’est ainsi que le treizième amendement à la Constitution des États-Unis prit effet le 18 décembre 1865 : « Ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction ».

G/ Sa lutte pour la liberté

Victor HUGO était un farouche partisan de la liberté sous toutes ses formes, ne supportant aucune censure. Il refusa ainsi l’augmentation de pension que lui proposa Charles X en dédommagement de la censure de sa pièce Marion Delorme en 1829. De la même manière, en 1832, il protesta vigoureusement contre les abus de la censure devant le tribunal de commerce, après l’interdiction du Roi s’amuse. Il était fondamentalement hostile à toutes les formes d’oppression et de répression. Ainsi, lors de l’insurrection de juin 1848 – qu’il n’avait pourtant pas approuvée et dont il sera d’ailleurs un témoin oculaire dans Choses vues-1848/Les journées de juin -, il se dressa contre la répression brutale du général Cavaignac mandaté par les républicains eux-mêmes, et il s’opposa, le 2 septembre, à la prolongation de l’état de siège. En 1871, la répression versaillaise contre les communards lui parut tout aussi intolérable et abjecte, bien qu’il ait condamné les excès de la Commune de Paris. L’année 1871 – défaite de la France contre la Prusse et guerre civile avec la Commune de Paris – va constituer la trame de L’Année terrible (1872), recueil de poèmes nés des atrocités de la guerre et de la Semaine sanglante (21 au 28 mai 1871).

Citation illustrée ci-dessus : Lettre écrite par Victor HUGO aux membres du Congrès international

pour l’avancement des sciences sociales à Bruxelles le 22 septembre 1862

H/ La lutte pour les droits civiques des femmes

Dans son combat pour l’émancipation du genre humain, HUGO avait pris conscience du sort peu enviable et subalterne des femmes et, dans son exil, il n’oublia pas leur combat contre leur statut inférieur. Le poète se montra sensible au sort des femmes proscrites et, rendant hommage à leur combat, il réclama pour elles des droits civiques égaux à ceux des hommes.

L’on connaît sa phrase célèbre qui dit tout et va à l’essentiel : « Une moitié de l’espèce humaine est hors de l’égalité, il faut l’y faire rentrer : donner pour contrepoids au droit de l’homme le droit de la femme. » (Extrait du journal « Actes et paroles », 1875-1876)

 

I/ L’appel à la paix et à la fraternité entre les peuples : le Congrès de la paix de 1849 

(https://www.taurillon.org/Victor-Hugo-au-Congres-de-la-Paix-de-1849-son-discours,02448)

Les appels d’HUGO en faveur de la paix au Congrès de la Paix des 21 au 24 août 1849 – qu’il présida – découlèrent de son combat pour le respect des droits de l’homme. Il s’agissait de proscrire la guerre, d’abandonner l’armement militaire des nations et de rechercher le règlement pacifique des conflits :

« Il résulte des statistiques et des budgets comparés que les nations européennes dépensent tous les ans, pour l’entretien de leurs armées, une somme qui n’est pas moindre de deux milliards, et qui, si l’on y ajoute l’entretien du matériel des établissements de guerre, s’élève à trois milliards. Ajoutez-y encore le produit perdu des journées de travail de plus de deux millions d’hommes, les plus sains, les plus vigoureux, les plus jeunes, l’élite des populations, produit que vous ne pouvez pas évaluer à moins d’un milliard, et vous arrivez à ceci que les armées permanentes coûtent annuellement à l’Europe quatre milliards. Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre !»

Pour HUGO, il est clair que ces dépenses seraient plus utiles et bénéfiques si elles étaient consacrées à construire des œuvres de paix et de progrès qui supprimeraient la misère :

« Donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat. Si, depuis trente-deux ans, cette gigantesque somme de cent vingt-huit milliards avait été dépensée de cette façon, l’Amérique, de son côté, aidant l’Europe, savez-vous ce qui serait arrivé ? La face du monde serait changée ! les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du globe aurait centuplé, et il n’y aurait plus nulle part ni landes, ni jachères, ni marais ; on bâtirait des villes là où il n’y a encore que des écueils ; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ; la richesse jaillirait de toutes parts de toutes les veines du globe sous le travail de tous les hommes, et la misère s’évanouirait ! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions. (Bravos prolongés.) Oui, la face du monde serait changée ! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie ! »

Le but que Victor HUGO assigne à la politique, « grande » et « vraie », est la reconnaissance de la souveraineté des peuples, gage de progrès et de paix :

« Désormais, le but de la politique grande, de la politique vraie, le voici : faire reconnaître toutes les nationalités, restaurer l’unité historique des peuples et rallier cette unité à la civilisation par la paix, élargir sans cesse le groupe civilisé, donner le bon exemple aux peuples encore barbares, substituer les arbitrages aux batailles ; enfin, et ceci résume tout, faire prononcer par la justice le dernier mot que l’ancien monde faisait prononcer par la force. »

HUGO y prôna certes, comme cela est souvent souligné, la constitution d’États-Unis d’Europe. Mais c’était aussi à partir des nations qui la constituent et sans que, comme il le dit d’ailleurs très explicitement, celles-ci perdent leurs « qualités distinctes » et leur « glorieuse individualité » :

« Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. »

C’est dire que ce discours doit toujours être resitué dans son contexte et dans sa finalité originelle : la recherche de la paix et de la concorde universelle.

En guise de conclusion…

Et surtout, en toute modestie, et à supposer qu’il soit possible de « conclure » sur l’oeuvre, ici à peine et bien imparfaitement évoquée, d’un tel génie de notre littérature et aussi sur une telle personnalité engagée, aussi forte, puissante, magnétique…

L’on peut dire de Victor HUGO qu’il fut autant un homme politique de son temps qu’un écrivain, un penseur, un poète.

Quels que soient les domaines explorés (romans, pensées, poésie, discours politiques, etc.), il était toujours prolixe, généreux et inspiré, avec ce souci constant d’intervenir dans les grandes questions de son époque et les débats de société qui la parcouraient parfois de manière sanglante.

Avec, aussi, cette éthique d’une rare exigence qui était la sienne lui faisant comme une obligation de se sentir toujours concerné et interpellé par son environnement politique, culturel, social, familial, proche ou lointain.

C’était un homme d’idéal et de lumière, un ardent combattant du verbe (en tant que député) et de la plume (en tant qu’écrivain et poète), toujours prêt et disponible pour lutter pour le triomphe de ce qu’il croyait VRAI et JUSTE.

C’était un poète parmi les hommes, ses semblables, mais que, contrairement au poète de Charles BAUDELAIRE, comparé à l’Albatros,  ses « ailes de géant » n’empêchaient pas de marcher et de cheminer au milieu d’eux, toujours fraternel et conscient que, comme il le clamait lui-même dans son fameux poème des Châtiments : « ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent » (cf. ci-dessous l’Annexe II).

Et nul, mieux qu’à lui ne s’adresse son magnifique poème

« Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent »

qui est aussi une étincelante et lumineuse leçon de vie et de création permanente…

Louis SAISI

Paris, le 4 mai 2019

NOTES :

[1] MESCHONNIC (Henri) : « Portrait de Victor Hugo », revue Romantisme, Année 1988/60/, pp. 57-70.

[2] SCOT (Jean-Paul), PENA-RUIZ (Henri) : Un poète en politique – Les combats de Victor Hugo, Ed. Flammarion, Paris, 2002, 448 pages.

[3] WINOCK (Michel) : Le monde de Victor Hugo, Ed. Tallandier, Paris, 2018, 320 pages.

[4] La guerre de 1870 avait, en effet, profondément marqué la ville, qui avait subi un siège très dur et dont la population avait souffert de la faim. Or L’armistice de janvier 1871, avec la perte de l’Alsace et de la Moselle, paraissait insupportable aux Parisiens qui avaient résisté à l’ennemi pendant près de quatre mois. C’est dire que les insurgés de la Commune de Paris étaient inspirés par un patriotisme de gauche et ne s’étaient pas résolus à accepter la honte de la défaite qui les exaspérait.

Après les élections législatives – hâtives et mal préparées – du 8 février 1871 qui envoyèrent à la chambre une majorité conservatrice et monarchiste, l’attitude de l’Assemblée, royaliste et pacifiste, qualifiée d’« assemblée de ruraux » par les Parisiens, fit monter la tension, à la suite du transfert, le 10 mars 1871, de son siège à Versailles car elle redoutait une insurrection du peuple de Paris composé des professions manuelles et artisanales qui avaient été les forces vives de la sans-culotterie de 1792-1794 : ébénistes, tanneurs, cordonniers, tailleurs, maçons, charpentiers, etc. Par ailleurs, une loi du même jour avait abrogé le moratoire sur les effets de commerce, acculant ainsi à la faillite des milliers d’artisans et de commerçants, en même temps que cette même loi supprimait la solde d’un franc cinquante par jour payée aux gardes nationaux.

 

ANNEXE I : HUGO : « Joyeuse vie – II »

Les Châtiments – Livre III, 9

                                         I

Bien ! pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances !
Attablez-vous en hâte autour des jouissances !
Accourez ! place à tous !
Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide.
Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide,
Tout ce peuple est à vous !
Vendez l’état ! coupez les bois ! coupez les bourses !
Videz les réservoirs et tarissez les sources !
Les temps sont arrivés.
Prenez le dernier sou ! prenez, gais et faciles,
Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes !
Prenez, riez, vivez !

Bombance ! allez ! c’est bien ! vivez ! faites ripaille !
La famille du pauvre expire sur la paille,
Sans porte ni volet.
Le père en frémissant va mendier dans l’ombre ;
La mère n’ayant plus de pain, dénuement sombre,
L’enfant n’a plus de lait.

                                       II

Millions ! millions ! châteaux ! liste civile !
Un jour je descendis dans les caves de Lille
Je vis ce morne enfer.
Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,
Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres
Dans son poignet de fer.
Sous ces voûtes on souffre, et l’air semble un toxique
L’aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique
L’eau coule à longs ruisseaux ;
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S’infiltrer dans ses os.

Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;
L’oeil en ces souterrains où le malheur s’acharne
Sur vous, ô travailleurs,
Près du rouet qui tourne et du fil qu’on dévide,
Voit des larves errer dans la lueur livide
Du soupirail en pleurs.

Misère ! l’homme songe en regardant la femme.
Le père, autour de lui sentant l’angoisse infâme
Etreindre la vertu,
Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte,
Et n’ose, l’oeil fixé sur le pain qu’elle apporte,
Lui dire : D’où viens-tu ?

Là dort le désespoir sur son haillon sordide ;
Là, l’avril de la vie, ailleurs tiède et splendide,
Ressemble au sombre hiver ;
La vierge, rose au jour, dans l’ombre est violette ;
Là, rampent dans l’horreur la maigreur du squelette,
La nudité du ver ;

Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues,
Familles de la vie et du jour disparues,
Des groupes grelottants ;
Là, quand j’entrai, farouche, aux méduses pareille,
Une petite fille à figure vieille
Me dit : J’ai dix-huit ans !

Là, n’ayant pas de lit, la mère malheureuse
Met ses petits enfants dans un trou qu’elle creuse,
Tremblants comme l’oiseau ;
Hélas ! ces innocents aux regards de colombe
Trouvent en arrivant sur la terre une tombe
En place d’un berceau !

Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre !
J’ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière,
Râler l’aïeul flétri,
La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,
Et l’enfant spectre au sein de la mère statue !
Ô Dante Alighieri !

C’est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Princes ! ces dénuements nourrissent vos largesses,
Ô vainqueurs ! conquérants !
Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes
Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes,
Du cœur de ces mourants.

Sous ce rouage affreux qu’on nomme tyrannie,
Sous cette vis que meut le fisc, hideux génie,
De l’aube jusqu’au soir,
Sans trêve, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes
Ainsi que des raisins on écrase des hommes,
Et l’or sort du pressoir.

C’est de cette détresse et de ces agonies,
De cette ombre, où jamais, dans les âmes ternies,
Espoir, tu ne vibras,
C’est de ces bouges noirs pleins d’angoisses amères,
C’est de ce sombre amas de pères et de mères
Qui se tordent les bras,

Oui, c’est de ce monceau d’indigences terribles
Que les lourds millions, étincelants, horribles,
Semant l’or en chemin,
Rampant vers les palais et les apothéoses,
Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses,
Et teints de sang humain !

                                            III

Ô paradis ! splendeurs ! versez à boire aux maîtres !
L’orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres,
La table éclate et luit ;
L’ombre est là sous leurs pieds ! les portes sont fermées
La prostitution des vierges affamées
Pleure dans cette nuit !

Vous tous qui partagez ces hideuses délices,
Soldats payés, tribuns vendus, juges complices,
Evêques effrontés,
La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes !
C’est de fièvre et de faim et de mort que sont faites
Toutes vos voluptés !

A Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites,
Quand s’ébat sous les fleurs l’essaim des favorites,
Bras nus et gorge au vent,
Dans le festin qu’égaie un lustre à mille branches,
Chacune, en souriant, dans ses belles dents blanches
Mange un enfant vivant !
Mais qu’importe ! riez ! Se plaindra-t-on sans cesse ?
Serait-on empereur, prélat, prince et princesse,
Pour ne pas s’amuser ?
Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire,
Doit être satisfait puisqu’il vous entend rire
Et qu’il vous voit danser !
Qu’importe ! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche.
Chantez, le verre en main, Trop  long, Sibour, Baroche !
Ce tableau nous manquait.
Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre,
Et faites, au -dessus de l’immense misère,
Un immense banquet !

                                          IV

Ils marchent sur toi, peuple ! Ô barricade sombre,
Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre
Ton front de sang lavé,
Sous la roue emportée, étincelante et folle,
De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole,
Tu redeviens pavé !

A César ton argent, peuple ; à toi la famine.
N’es-tu pas le chien vil qu’on bat et qui chemine
Derrière son seigneur ?
A lui la pourpre ; à toi la hotte et les guenilles.
Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles,
A toi leur déshonneur !

                                         V

Ah ! quelqu’un parlera. La muse, c’est l’histoire.
Quelqu’un élèvera la voix dans la nuit noire.
Riez, bourreaux bouffons !
Quelqu’un te vengera, pauvre France abattue,
Ma mère ! et l’on verra la parole qui tue
Sortir des cieux profonds !

Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races,
Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces,
Sans pitié, sans merci,
Vils, n’ayant pas de cœur, mais ayant deux visages,
Disent : – Bah ! le poète ! il est dans les nuages ! –
Soit. Le tonnerre aussi.

19 janvier 1853

Victor HUGO
Les Châtiments – Livre III, 9.

Annexe II : Victor HUGO : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent« 

Livre IV, 9 Châtiments

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C’est le prophète saint prosterné devant l’arche,
C’est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d’être en ne pensant pas.
Ils s’appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
N’a jamais de figure et n’a jamais de nom ;
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
Ils sont les passants froids sans but, sans nœud, sans âge ;
Le bas du genre humain qui s’écroule en nuage ;
Ceux qu’on ne connaît pas, ceux qu’on ne compte pas,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
L’ombre obscure autour d’eux se prolonge et recule ;
Ils n’ont du plein midi qu’un lointain crépuscule,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

Quoi ! Ne point aimer ! Suivre une morne carrière
Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l’on va,
Rire de Jupiter sans croire à Jehova,
Regarder sans respect l’astre, la fleur, la femme,
Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l’âme,
Pour de vains résultats faire de vains efforts,
N’attendre rien d’en haut ! Ciel ! Oublier les morts !
Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
Fiers, puissants, ou cachés dans d’immondes repaires,
Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
Et j’aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
Tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts, races déchues,
Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues !

 Paris, décembre 1848
Victor HUGO, Livre IV, 9 Châtiments

 

 

 

Répondre à FABIENNE Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 commentaires sur “Actualité de Victor HUGO (1802-1885) : La fonction du poète-penseur dans la société par Louis SAISI”

error: Contenu protégé !