La Corrida : la raison du plus fort doit-elle entraîner la mort du vaincu ou du plus faible ? par Louis SAISI

La Corrida : la raison du plus fort doit-elle entraîner la mort du vaincu ou du plus faible ?

par Louis SAISI

Le débat sur l’interdiction des corridas en France n’est pas nouveau mais récurrent car il pose la question de la souffrance animale au centre d’un spectacle divertissant, mais aussi mercantile que macabre et cruel.

« Chaque année, plus de 250 000 taureaux sont publiquement mis à mort dans le monde après avoir enduré souvent plus de deux heures de mutilations et de souffrances au nom des traditions, ou de l’histoire. En 2021, la torture ne peut plus être un divertissement, comme la coutume ne peut plus justifier l’impunité d’une telle cruauté. » [1]  pouvait-on lire dans l’exposé des motifs de la proposition de loi nº 3802 enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 janvier 2021 visant à interdire les corridas, déposée par Mesdames et Messieurs Éric PAUGET, Ian BOUCARD, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, Bernard BROCHAND, Rémi DELATTE, Julien DIVE, Bernard PERRUT, Nathalie PORTE, Vincent ROLLAND, députés.

Peu de temps après, en août 2021, 35 députés et sénateurs français – dont deux députés d’Occitanie – publiaient dans le Journal du Dimanche une tribune réclamant l’abolition de la corrida. Leur texte qualifiait la corrida de « pratique barbare qui n’est pas digne du pays civilisé » qu’est la France. Les élus y dénonçaient l’aspect « tabou » de la corrida dans le pays, alors que, selon eux, « il n’est pas de démonstration plus évidente de maltraitances exercées sur des animaux que le spectacle donné dans les arènes, mettant en scène la persécution d’un taureau désorienté et sa mise à mort, après capitulation, sans étourdissement préalable ». En conséquence, les élus signataires réclamaient « l’interdiction immédiate de l’accès des mineurs aux arènes », qu’ils soient spectateurs ou bien participants, à l’instar des jeunes élèves formés dans les écoles taurines.

Une année après les tentatives infructueuses de ces élus de tous bords politiques, une proposition de loi portée par Aymeric CARON (LFI-NUPES) vise à interdire les corridas dans les lieux de tradition taurine où elles sont encore aujourd’hui autorisées.

La proposition de loi a été déposée le 20 septembre 2022 et devrait être débattue le 24 novembre prochain.

Pour la repousser – ou, pire, la stigmatiser a priori -, on invoque la tradition, le « particularisme local », la personnalité discutable du porteur du projet [2], le « parisianisme »[3].

« En quoi Paris est-il capable de comprendre et de traiter un sujet aussi complexe et unique que la corrida ? » s’émeut L’Eudiant Libre du 4 novembre 2022.

On connaît l’artificialisme et la mauvaise foi d’une telle question – Paris contre la province – développés par certains depuis de nombreuses années, avec les banderilles plantées régulièrement contre « Paris », son centralisme, son « intellectualisme » pour glorifier la province, son « bon sens », l’odeur du terroir, la qualité et la douceur de ses mœurs et la sanctification de pratiques réputées « populaires », etc.

On nous fait, depuis de trop nombreuses années, le coup du procès permanent du centralisme démocratique, celui de la détestation de la loi qui va avec, et de l’éloge du pragmatisme excluant la pensée organisatrice et la réflexion au profit du vertueux « nez sur le guidon »…

Ces vieux plats nous sont régulièrement servis et resservis comme si l’Assemblée nationale – parce qu’elle a son siège à Paris – n’était constituée que de députés parisiens… (alors qu’ils ne sont qu’une vingtaine sur 577) [4] .

En l’occurrence, on oublie de rappeler, comme nous le verrons ci-dessous, que précisément l’opinion publique « de France et de Navarre » compte 8 Français sur 10 opposés à la corrida.

Certains essaient aussitôt de minimiser les résultats de ce sondage en invoquant le fait que les Français qui ont répondu ne sauraient pas ce qu’est une corrida [5]…

Voilà que les journalistes emboîtent maintenant le pas au pouvoir politique pour dire que les Français pensent mal ou n’y comprennent rien… Comme si c’était si compliqué que ça de comprendre que c’est une bien curieuse fête au cours de laquelle l’on ne peut s’empêcher de mettre à mort un taureau qui n’a pas demandé d’être là…

Le regretté Jacques BREL, dans sa chanson « Les toros » va plus loin que nous et n’hésite pas, au moment de leur trépas,  à leur prêter un désir vengeur :

« […]

Les toros s’ennuient le dimanche
Quand il s’agit de souffrir pour nous
Mais voici les picadors et la foule se venge
Voici les toreros, la foule est à genoux
Et c’est l’heure où les épiciers se prennent pour Garcia Lorca
C’est l’heure où les Anglaises se prennent pour la Carmencita

Les toros s’ennuient le dimanche
Quand il s’agit de mourir pour nous
Mais l’épée va plonger et la foule se penche
Mais l’épée a plongé et la foule est debout
C’est l’instant de triomphe où les épiciers se prennent pour Néron
C’est l’instant de triomphe où les Anglaises se prennent pour Wellington
Ah!
Est-ce qu’en tombant à terre
Les toros rêvent d’un enfer
Où brûleraient hommes et toreros défunts
Ah!
Ou bien à l’heure du trépas
Ne nous pardonneraient-ils pas
En pensant à Carthage, Waterloo et Verdun
Verdun »

Et pourtant L’Étudiant Libre rappelle justement lui-même l’état du droit existant, mais sans en tirer, semble-t-il, la moindre conséquence critique :

« La corrida est interdite en France depuis plusieurs décennies. Cependant, certains départements profitent d’un alinéa inséré dans notre Code pénal en 1951. Cette modification a créé une exception pour les courses de taureaux et les combats de coqs « lorsqu’une tradition locale ininterrompue » peut être évoquée. Le combat entre l’homme et le taureau, impliquant la mise à mort de ce dernier, est autorisé dans une soixantaine de villes du sud de la France. »[6]

Il y a lieu de rappeler que, fort heureusement, depuis 2015, la corrida ne fait plus partie du patrimoine culurel immatériel (PCI) de la France.

A l’opposé, ci-contre, l’on peut donner l’exemple de l’inscription, au PCI, de « l’équitation de tradition française », en tant que pratique fondée sur l’harmonie des relations homme-cheval, la légèreté et l’absence de contraintes.

Elle est le seul PCI concernant l’ensemble de la France, avec le Repas gastronomique des Français.

Ce patrimoine vivant découle de la Convention Unesco de 2003 pour la sauvegarde du PCI, ratifiée par la France en 2006 et mise en œuvre par le ministère de la Culture.

Le PCI recouvre les expressions et traditions orales, les pratiques sociales, les rituels, les événements festifs, les savoirs et pratiques relevant des arts, du spectacle, les savoir-faire artisanaux ou encore les connaissances en lien avec la nature et l’univers. L’implication des personnes ou groupes porteurs de ces pratiques culturelles immatérielles est la condition première de la sauvegarde de ce type de patrimoine. Patrimoine vivant témoin de la diversité culturelle, le PCI fait le lien entre patrimoine matériel et naturel, et contribue au développement durable.

En 2015, cela faisait quatre ans que, assez curieusement, la pratique de la corrida était considérée comme faisant partie du patrimoine culturel immatériel de la France, une inscription réalisée par une commission du Ministère de la Culture dans l’opacité la plus totale. Ceci explique qu’en 2013, Frédéric MITERRAND, dans son livre de mémoires intitulé La récréation, révélait les conditions dans lesquelles s’était faite cette inscription, alors qu’il était le ministre en charge de ce portefeuille.

« Stupéfaction ! Une obscure commission du ministère dont je ne soupçonnais même pas l’existence vient d’inscrire la tauromachie au patrimoine immatériel de la France, au même titre que les chants de bergers basques ou la tarte Tatin. Mais la tauromachie n’est pas une tradition innocente et j’imagine le forcing auquel ont dû se livrer une poignée de fonctionnaires à consigner cette inscription […] C’est une faute de lui attribuer ce genre de label officiel qui laisse croire en plus qu’elle pourrait monter encore d’un échelon et être proposée au patrimoine de l’UNESCO. » (Frédéric Mitterrand – extrait du livre La récréation).
Saisie dès l’automne 2011 par la Fondation Franz WEBER et l’ONG française Robin des Bois, puis par le CRAC (= Comité Radicalement Anti-Corrida) et enfin l’association Droits des Animaux (DDA), la justice a constaté que la décision d’inscription de la corrida à l’inventaire du PCI devait être considérée comme abrogée. L’audience en appel eut lieu le 18 mai 2015. Le rapporteur public avait demandé l’annulation de l’inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel de la France en s’appuyant sur la disparition de cette inscription sur le site officiel du ministère de la Culture.

Cet argument fut entendu par la Cour d’appel de PARIS qui conclut, le 1er juin 2015, par un non-lieu à statuer : « La décision d’inscription de la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France doit être regardée comme ayant été abrogée ». Du fait de la disparition de cette inscription sur le site du ministère en mai 2011, la plainte du CRAC Europe et de DDA s’éteint d’elle-même. Depuis 2015, la tauromachie est donc officiellement retirée de notre patrimoine culturel immatériel [7], et l’on ne peut que s’en réjouir.

S’agissant de l’interdiction de la corrida, pour la première fois, une proposition de loi devrait, en principe, être débattue dans l’hémicycle ce jeudi 24 novembre 2022 pour tenter de faire enfin abolir cette pratique justement considérée comme cruelle. C’est dire qu’aujourd’hui la course de taureau, avec mise à mort, vieille de plusieurs siècles, est devenue anachronique et barbare par rapport à l’état des consciences sur la condition animale, comme le montre d’ailleurs ci-dessous l’évolution de l’opinion des Français majoritairement opposés à la corrida.

I/ Les Français et la corrida : un désamour certain de plus en plus affirmé

Force est de constater que le pseudo attachement à la tauromachie allégué par certains au nom d’une chorégraphie esthétique qualifiée parfois abusivement d’artistique ou/et culturelle, loin d’être l’expression du sentiment de la majorité des Français, ressemble plus à un mythe entretenu auprès d’une minorité d’aficionados par ceux qui en retirent une manne matérielle non négligeable plutôt que le reflet de la réalité et surtout de l’opinion des Français.

En effet, selon une enquête réalisée en 2021 pour l’alliance « Anticorrida » par IFOPopinion auprès d’un échantillon de 1019 personnes, la corrida est largement désapprouvée et même réprouvée. L’échantillon retenu en l’occurrence était significatif de la population française âgée de 18 ans et plus, et sa représentativité était assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération [8].

Les interviews furent réalisées par un questionnaire auto-administré en ligne du 24 au 25 août 2021.

Les questions posées et les réponses apportées étaient les suivantes :

Êtes-vous favorable ou opposé aux corridas avec mise à mort du taureau ?

  • Favorables : 19 %
  • Opposés : 81 %

Il y a lieu de rappeler qu’en 2015 le pourcentage des opposants aux corridas, avec mise à mort du taureau, était de 73 %, soit, en 2021, un accroissement de 8 points.

Pour les enfants de moins de quatorze ans, approuveriez-vous une interdiction d’accéder aux corridas avec mise à mort ?

  • Approuvent : 80 %
  • Désapprouvent : 20 %

Ainsi 4 Français sur 5 considèrent que les corridas ne sont pas des spectacles pour les enfants.

Seriez-vous favorable ou opposé à un remplacement des corridas avec mise à mort par des courses camarguaises ou landaises (spectacles considérés, à tort ou à raison, comme exempts de souffrance pour l’animal, mais en tout cas sans effusion du sang des animaux concernés) ?

  • Favorables : 76 %
  • Opposés : 24 %

Ainsi l’enquête fait apparaître que 76 % des personnes interrogées souhaitent une alternative à la corrida qui soit sans effusion de sang et exempte de souffrance animale.

Or une telle alternative existe déjà puisque la course camarguaise du 19 août 2021 à Nîmes (« jeudis de Nîmes ») a connu un vif succès. Cette course à la cocarde, toujours très spectaculaire, a rencontré son public avec plus de 5000 entrées.

Selon l’Alliance « Anticorrida », certains maires ont déjà mis en œuvre une telle alternative, notamment dans les communes de SAINT SEVER (Landes), PALAVAS (Hérault) ou LE GRAU DU ROI (Gard).

Mais ce pis-aller – qui a le mérite d’épargner la souffrance du taureau et sa mort – ne signifie pas pour autant que de telles courses soient elles-mêmes exemptes de toute critique quant au bien-être animal.

Parallèlement, toujours selon « Anticorrida », la désaffection du public pour les corridas est de plus en plus forte : « Les corridas sont à l’agonie (400 spectateurs à Alès, 800 à Saint Gilles et à peine un quart d’arènes à Arles), quand elles ne sont pas tout bonnement annulées. »

II/ Une exception au droit de la protection animale anachronique et malsaine

A/ L’Homme et l’animal : distinction et proximité

1/ La distinction de l’Homme et de l’animal ou leur proximité : une vieille controverse

Il existe aujourd’hui un « droit de la protection animale » -, comme il existe une Déclaration des droits l’Homme et du Citoyen – qui honore nos sociétés quant à la place faite aux animaux en son sein.

Ce souci se rattache au mouvement humaniste du milieu du 18ème siècle et notamment à l’essai philosophique de l’abbé de CONDILLAC paru en 1755 sous le titre Traité des animaux et, à la même époque, au mouvement scientifique naturaliste portant un intérêt croissant aux espèces végétales et surtout animales avec ce que sera plus tard, au siècle suivant, le rattachement de l’Homme, au terme d’un processus évolutif, aux vertébrés supérieurs. Le traité de CONDILLAC était d’ailleurs sous-titré « Où, après avoir fait des observations critiques sur le sentiment de René DESCARTES, et sur celui de M. de BUFFON, on entreprend d’expliquer leurs principales facultés ».

Partant du thème philosophique de la sensibilité et de l’intelligence des animaux – qui étaient très discutées au milieu du 18eme siècle – CONDILLAC prolongeait, dans son essai précité, la réflexion de DESCARTES et commentait l’Histoire naturelle de BUFFON (publiée à partir de 1749).

Dans sa Lettre au Marquis de Newcastle du 23 novembre 1646, DESCARTES (ci-contre) revient sur sa théorie de l’animal-machine déjà présentée dans la cinquième partie du Discours de la méthode.

La théorie de l’animal-machine permettait à DESCARTES et aux philosophes de son époque de débarrasser la dissection d’animaux de toute question déontologique (même si l’animal était déjà très peu considéré à l’époque) : si les animaux n’ont pas de conscience, ils ne souffrent pas, et il devient possible de les « examiner » sans s’imposer la moindre norme éthique. Cette idée facilitait donc le développement de l’anatomie, en plein essor au XVIIe siècle.

La célèbre thèse de DESCARTES est donc que les animaux sont dépourvus de conscience. Ils se réduisent à de simples automates. DESCARTES commence par affirmer que, chez l’animal comme chez l’homme, les mouvements corporels sont déterminés de façon purement mécanique, c’est-à-dire indépendamment de la conscience. Mais il s’attache à montrer ensuite qu’il n’existe qu’un seul indice permettant de conclure à la présence d’une conscience dans un organisme donné, à savoir la parole, définie en un sens précis. Or comme l’animal ne parle pas, DESCARTES en déduit que les animaux sont dépourvus de conscience. Ils se réduisent à de simples automates. C’est donc seulement la capacité de produire des signes pertinents et indépendants du contexte immédiat qui prouve l’existence de la conscience, car une telle capacité est irréductible au mécanisme corporel : elle requiert nécessairement l’intervention d’un sujet pensant. La répétition mécanique et l’expression passionnelle, en revanche, sont réductibles à la causalité mécanique et ne constituent donc pas des preuves suffisantes de l’existence d’une conscience dans l’organisme étudié.

Sans être établie sur les mêmes fondements, la pensée de DESCARTES rejoignait ici la pensée biblique établie dans La Genèse dans laquelle la Bible plaçait l’homme à part, comme étant supérieur aux animaux.

Mais, contrairement à la Genèse, DESCARTES considérait que les animaux pouvaient parfois être supérieurs à l’Homme : ils sautent plus haut, ils courent plus vite, ils peuvent même ruser contre l’homme, etc. Mais cette supériorité de l’animal n’existe que dans le domaine des actions qui sont indépendantes de la pensée. Et pour l’auteur du Discours de la méthode, l’homme est donc supérieur à l’animal dans tout ce qui dépend de la conscience.

À l’opposé, CONDILLAC, qui admettait l’intelligence et la sensibilité des animaux, se rattachait à l’un des courants philosophiques grecs qu’il est nécessaire de rappeler brièvement ci-dessous.

2/ L’apport de l’Antiquité grecque : les « animaux politiques » autres que les hommes et la sensation

La pensée de DESCARTES, en 1637/1646, s’éloignait de celle des philosophes grecs, notamment aussi illustres que PLATON et surtout ARISTOTE.

En effet, ni PLATON ni ARISTOTE n’hésitaient à employer le terme « politikon » pour désigner d’autres animaux que l’homme (Phédon, 82 b ; HA, I, 1, 488 a 1-10 ; VIII, 1, 589 a 1-2), d’où le fait qu’à l’évidence un zôion politikon n’était pas nécessairement un homme. C’est ainsi que PLATON tenait la ruche pour un modèle d’organisation politique.

Quant à ARISTOTE (ci-contre), il rapportait volontiers l’énoncé d’ANAXAGORE [9] : « Quand un homme (Anaxagore) vint dire qu’il y a dans la Nature, comme chez les animaux, une Intelligence, cause de l’ordre et de l’arrangement universel, il apparut comme le seul en son bon sens en face des divagations de ses prédécesseurs » (Métaphysique, A, 3, 984 b 15-18). Ainsi, relève ARISTOTE, l’Intelligence organisatrice du monde est « comme celle des animaux », ce qui sous-entend de toute évidence que selon ANAXAGORE, relu et peut-être corrigé par ARISTOTE, que ces derniers en étaient dotés et que ce philosophe précité se servait de cela pour rendre compte de l’ordre et de l’arrangement du monde. Ainsi l’arrangement de la nature ne saurait être dû au hasard, pas plus que les conduites animales. Mais, ensuite, ARISTOTE se démarquait d’ANAXAGORE lorsqu’il précisait lui-même ailleurs : « À plusieurs reprises ANAXAGORE appelle « intellect » (noûs) la cause du bien et de l’ordre, ailleurs il identifie celui-ci à l’âme : l’intellect est attribué en effet à tous les animaux, grands et petits, supérieurs et inférieurs. Mais il ne semble pas que l’intellect entendu au sens de prudence (phronêsis) appartienne au même degré (homoiôs) à tous les animaux, ni même à tous les hommes » (De l’âme, I, 2, 404 b 1-7).

Ainsi la très grande majorité des philosophes grecs estimaient, contrairement à DESCARTES, qu’être privé de logos, de langage, de discours ou de raison, état qui est celui des autres animaux (que les hommes) n’impliquait pas nécessairement d’être tenu pour inintelligent. Autrement dit, on pouvait fort bien considérer les animaux comme des êtres irrationnels sans pour autant les considérer comme étant privés de toute forme d’intelligence, à commencer par cette forme d’intelligence que les Grecs appelaient « mêtis » – intelligence pratique et astucieuse – sur laquelle Marcel DÉTIENNE et Jean-Pierre VERNANT (1974) ont si bien insisté dans leur ouvrage ci-contre intitulé Les ruses de l’intelligence – La mètis des grecs [10].

Dans le monde animal la « mètis » est la qualité même du renard, du poulpe, de la seiche qui ne cessent d’être insaisissables et ne peuvent être ni liés ni encerclés (métaphore de la chasse et de la pêche). Il existe d’autres animaux à « mètis », comme le phoque et le crabe, qui, par leurs traits conceptuels, ressemblent, dans la mythologie grecque, aux Telchines qui, doués d’aptitudes créatrices et techniques, étaient des divinités inférieures rattachées à l’île de Rhodes. Ici encore, ARISTOTE nous donne les raisons de cette forme d’intelligence pratique chez les autres animaux que l’homme  : « D’ordinaire on considère la pensée (to noein) et l’intelligence (to phronein) comme une sorte de sensation (dans les deux cas, en effet, l’âme juge et connaît une réalité quelconque). Les Anciens, pour leur part, identifient intelligence et sensation » (De l’âme, III, 3, 427 a 19-22). Tout dépend, en effet, de ce qui est entendu par « sensation », aisthêsis, terme qui peut aussi désigner la perception, voire le jugement. Tout animal, qu’il soit humain ou non humain, dispose de la sensation. Sur ce point tous s’entendent et tous admettent également que la sensation est une forme de connaissance. Mais de quoi cette connaissance est-elle la connaissance ? Jusqu’où s’étend-elle exactement et quelles autres facultés implique-t-elle ? C’est sur ces questions que les auteurs divergent car on peut étendre l’acception de la sensation jusqu’au point où elle recouvre une certaine forme d’opinion, doxa, position qui est celle de PLATON d’une certaine manière ; mais on peut aussi la réduire à la seule connaissance des objets appréhensibles par les sens, point de vue qui fut celui d’ARISTOTE et qui le conduisit à distinguer fermement la pensée de la sensation.

L’on pourrait qualifier de « scientifique » l’intérêt porté aux animaux par ARISTOTE expliquant que le Stagirite ait pu soutenir que « seul l’homme possède le logos » tout en étant celui des philosophes grecs qui, en dehors de tout souci polémique, a très certainement estimé, au plus haut degré, les capacités de ceux qu’il appelait, comme on l’a déjà souligné plus haut, « les autres animaux » (que les hommes). En effet, si Aristote réserve le logos aux humains, s’il restreint la portée cognitive de la sensation et refuse de l’identifier à quelque forme de pensée ou d’intelligence, c’est en fait pour bien distinguer la raison humaine de l’intelligence pratique qu’il accorde à certains animaux (mais pas à tous) et qu’il met en relation avec la mémoire et avec l’imagination que certains de ces animaux posséderaient en plus de la sensation (Méta., A, 1 ; APo, II, 19). Parce que ceux-là ont la sensation du temps passé et sont capables de retenir en eux des « images », ils détiennent une certaine capacité de prévoyance – dû à ce savoir stocké en images – quant à ce qui est bon pour eux. C’est cette capacité qui définit la phronêsis, ou intelligence pratique, que l’on peut leur attribuer (EN, VI, 7, 1141 a 25-28). Mieux : que l’on est obligé de leur reconnaître, car les en priver serait parler contre les faits, ainsi que le montrent les livres VIII et IX de l’Histoire des animaux. Ces livres prouvent aussi que la notion d’intelligence animale n’a pour Aristote rien de métaphorique, mais qu’elle renvoie aux capacités mentales propres aux autres animaux, même si les mots manquent pour décrire ces capacités de façon non anthropomorphique, obligeant parfois à affirmer que les animaux agissent « comme s’ils raisonnaient » alors même que l’on soutient fermement qu’ils ne raisonnent ni ne délibèrent faute de posséder le logos.

Au cours de notre ère moderne, l’intérêt scientifique qui fut porté par ARISTOTE aux animaux devait être au cœur de la grande enquête et réflexion de Charles DARWIN (1809-1882).

3/ Le moment de la science établissant une proximité existentielle entre les animaux et les hommes : l’évolution biologique de Charles DARWIN

Comme on l’a vu, dans la pensée occidentale post-aristotélicienne, L’Homme fut tout d’abord totalement exclu du règne animal pour des raisons religieuses, sans fondement scientifique.

Puis vint Charles DARWIN (ci-contre) qui développa la théorie de l’évolution biologique – avec son maître ouvrage L’origine des espèces [11] dans lequel il soulignait que les espèces avaient une origine commune et descendaient les unes des autres, puis évoluaient selon les lois de la sélection naturelle –  laquelle s’est progressivement imposée.

L’Homme possède de nombreux caractères dérivés apparus à différents moments de l’histoire de la vie, les innovations apparues récemment sont partagées par un nombre réduit d’espèces et les innovations apparues il y a très longtemps sont partagées par un grand nombre d’espèces. L’étude de ces innovations a classé l’homme comme un eucaryote, un vertébré, un tétrapode, un amniote, un mammifère, un primate, et a montré que les primates les plus proches de l’homme sont les chimpanzés.

Il est vrai qu’au fil du temps long de l’Humanité la séparation entre l’homme et l’animal s’est accrue, notamment avec l’évolution, d’une part physiquement (caractères liés à la bipédie, volume endocrânien, denture…) et d’autre part, psychiquement, avec le développement permanent des facultés intellectuelles de l’Homme lui permettant d’assurer la survie de son espèce et d’agir sur son environnement, d’ailleurs de manière parfois discutable au point de modifier, voire de compromettre, comme on en a pris conscience aujourd’hui, les données relatives aux conditions de sa propre existence terrestre (climat, pollutions, etc.).

Aujourd’hui, cette proximité de l’Homme avec le milieu animal ainsi que le retour vers la protection de l’environnement et de la biodiversité ont permis de poser le problème de la sensibilité animale et de la souffrance animale dans un contexte renouvelé.

La persistance à vouloir sortir la corrida des textes relatifs à la protection animale est aujourd’hui anachronique car ces textes n’ont cessé de croître depuis le milieu du 19ème siècle [12].

Le taureau ne serait-il pas un animal ?

La corrida est un spectacle nous rétorque-t-on. Et alors ? Cela efface-t-il la souffrance et l’ignoble agonie du taureau ?

Et un tel spectacle change-t-il la condition animale, en tant que devant être protégée contre toute forme de souffrance et de maltraitance ?

B/ Cet autre regard de la fin du 20ème siècle sur l’animal devrait-il exclure le taureau ?

Depuis la loi du 10 juillet 1976 (article 9) relative à la protection de la nature « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».

Pendant longtemps l’animal fut considéré comme un « bien », une « chose » appartenant à son propriétaire et les atteintes à son intégrité physique étaient considérées comme des atteintes à des biens n’emportant, de ce fait, aucune conséquence sur la quiétude du propriétaire.

Mais dès 1994, lors de la réforme du Code pénal, la plupart des infractions à l’encontre des animaux furent placées en dehors de la catégorie des infractions contre les biens. Les infractions à l’encontre des animaux trouvaient ainsi leur place dans le Livre Cinquième du Code pénal « Des autres crimes et délits » et non pas dans le Livre Troisième « Des crimes et délits contre les biens ».

Est-ce qu’en vouant le taureau, être sensible, à une mort certaine et minutieusement programmée et mise en scène dans une arène en délire, son propriétaire le place ainsi dans des « conditions biologiques compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » selon les prescriptions de la loi du 10 juillet 1976 précitée ?

Pourtant, depuis la loi du 16 février 2015 « relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures », à son tour, le Code civil ne considère plus l’animal ni comme un bien, ni comme une chose, mais comme un « être vivant doué de sensibilité », même s’il continue à être soumis au régime des biens, sous réserve  des lois qui le protègent (nouvel art. 515-14 du Code civil), ce qui confère ainsi à l’animal un statut particulier ?

Et c’est cet être vivant sensible qui est ainsi condamné à périr dans un cirque au nom d’un spectacle s’appuyant sur une tradition pseudo culturelle venant d’autres temps barbares condamnés par les progrès de l’esprit humain.

Pourquoi, la prohibition de la maltraitance animale, admise depuis 1959 [13], ne s’appliquerait-elle pas aux taureaux, et à tous les taureaux, quelle que soit l’identité des territoires où on les fait courir pour mourir ?

En effet, le délit d’actes de cruauté contre les animaux est reconnu depuis 1963 [14] par l’article 521-1 du Code pénal. Mais, ensuite, la première phrase du 9ème alinéa de ce même article (depuis 2021) exclut l’application de ces dispositions aux courses de taureaux dans les cas où une « tradition locale ininterrompue » peut être invoquée.

Pourquoi ce délit de cruauté n’est-il pas étendu également aux corridas ? Planter des piques et des banderilles sur le dos d’un taureau pour en faire gicler le sang, le fatiguer pour mieux le mettre à mort, n’est-il pas un acte de cruauté gratuit ? Peut-on invoquer le plaisir des spectateurs et la beauté de la mise en scène pour justifier, au nom d’une « tradition locale », la barbare mise à mort d’un animal noble et innocent ? Et pourquoi exonérer leurs auteurs des peines d’emprisonnement et d’amende qui frappent les autres actes de cruauté exercés contre les autres animaux ?

C/ La tendance générale à l’interdiction de l’exploitation animale à l’occasion de spectacles devrait-elle continuer à exclure les corridas ?

De nombreux spectacles utilisant et exploitant les animaux sont déjà interdits ou vont l’être, à plus ou moins brève échéance, conformément aux dispositions de la loi N° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes (JORF du 1er décembre 2021).

Sont interdits :

  • les « manèges à poneys » ;
  • d’ici 2028 la détention et le spectacle d’animaux sauvages dans les cirques itinérants (et d’ici 2023 l’acquisition et la reproduction de ces animaux) ;
  • les spectacles de dauphins ou d’orques seront interdits à partir de 2026. Il sera mis fin à leurs détention et reproduction en captivité, sauf dans le cadre de programmes de recherches scientifiques ou dans des « refuges ou sanctuaires pour animaux sauvages captifs », dont le statut est précisé ;
  • les spectacles avec des animaux qui sont prohibés dans les discothèques ou fêtes privées ;
  • à partir de 2023, il ne pourra plus y avoir d’animaux sauvages dans les émissions de variétés ou de jeux à la télévision ;
  • À la même date, l’activité des montreurs d’ours et de loups sera interdite ;
  • il est mis fin aux élevages de visons d’Amérique et d’autres espèces sauvages pour leur fourrure.
 D/ La prise en charge de la sensibilité animale au niveau européen

La survivance des corridas est d’autant plus anachronique que la tendance à la protection de la condition animale ne cesse de se développer et de s’étendre faisant des corridas un pré-carré dérogatoire de plus en plus mal assuré. Il ne s’agira donc ici que de donner une idée de cette tendance lourde condamnant la maltraitance animale.

Déjà, en 1987, la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie visait, de façon générale, à promouvoir et assurer le bien-être des animaux domestiques.

Dix ans plus tard, un protocole annexé au Traité d’Amsterdam (1997) décrit l’animal comme un être sensible et affirme que la mise en œuvre de la politique communautaire dans les domaines de l’agriculture, des transports, du marché intérieur et de la recherche doit prendre en compte ses exigences de bien-être. Des exigences qui entrent d’ailleurs parfois en conflit avec la libre circulation des prestations et marchandises au sein de l’Union.

1/ Dans le domaine de l’expérimentation scientifique

Depuis 2010, la directive 2010/63/UE  du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques a défini le cadre des expérimentations sur des animaux.

Pour des raisons éthiques, l’expérimentation sur les grands singes (gorilles, chimpanzés et orangs-outans) n’est autorisée dans l’UE qu’en cas de recherches visant à la préservation des grands singes ou bien lorsque « des actions concernant une affection potentiellement mortelle ou invalidante frappant l’homme s’imposent » et qu’il n’existe aucune autre méthode alternative. C’est donc la nécessité du progrès scientifique et l’absence d’une autre alternative qui doivent seules justifier le sacrifice ou la maltraitance d’animaux pris comme des objets expérimentaux.

Le 11 mars 2013, la Commission européenne a interdit l’expérimentation animale dans l’UE pour les cosmétiques, déjà partiellement interdite depuis 2004. Selon le Parlement européen, 80% des pays dans le monde autorisent encore de telles expérimentations. Le 3 mai 2018, les députés européens ont voté en faveur d’une interdiction mondiale de l’expérimentation animale pour les cosmétiques d’ici 2023, et font appel à une convention internationale sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU).

2/ Vers une prohibition de l’élevage en cage

L’élevage en cage est un phénomène agricole très répandu au sein de l’UE où il concerne chaque année plus de 370 millions d’animaux. Ceci explique qu’une telle situation soit régulièrement dénoncée par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi, en septembre 2018, pas moins de 170 ONG ont lancé une initiative citoyenne européenne baptisée End the Cage Age (Pour une nouvelle ère sans cage), qui a recueilli 1,4 million de signatures. Le 30 juin 2021, la Commission européenne a annoncé sa volonté d’interdire l’élevage en cage d’ici 2027. Elle devrait présenter une proposition législative en ce sens d’ici la fin 2023.

Pour en revenir aux corridas et souligner leur anachronisme contemporain, il n’y a pas de quoi s’en étonner car l’art et les jeux, est-il besoin de le rappeler, sont le reflet des sociétés qui les ont vus naître.

Il n’y a plus, aujourd’hui, cette proximité originelle du peuple avec les corridas car nos sociétés ne sont plus à dominante rurale populaire ni encore moins aristocratique pour justifier la corrida à cheval.

III/ Des origines à la mise en cause contemporaine des corridas

A/ La naissance des corridas en Espagne et leurs deux formes aristocratique et populaire

Si l’Espagne fut le berceau de la tauromachie, on ignore de manière suffisamment précise la date de son apparition dans ce pays.

1/ La forme aristocratique de la corrida

L’une des formes de la corrida est née dans la société aristocratique espagnole du 9ème siècle.

L’on trouve des traces de fêtes tauromachiques royales dès 815 en Espagne, mais avec des cavaliers qui, du haut de leurs chevaux, affrontaient avec une lance, ou rejón,  un taureau de combat voué à être tué.

Plus tard, au xvie siècle, c’est toujours en Espagne qu’apparaît la tauromachie codifiée – ancêtre de la corrida de rejón (à cheval) – et celle-ci a bien été l’apanage d’une noblesse cavalière, les « caballeros en plaza » qui la pratiquaient surtout dans les belles provinces d’Andalousie et de Navarre.

C’est vers 1434, que fut rédigé le premier traité de tauromachie équestre qui en constitue sa codification.

Ensuite, de nombreux traités furent écrits sur ce que devait être le comportement du caballero qui devait tuer l’animal à la lance, ou à pied avec l’épée.

2/ La corrida populaire

Dans la région des Pyrénées, côté sud et côté nord, zone de prédilection du taureau sauvage, la tauromachie semble être née, bien avant d’être le privilège de la noblesse espagnole à cheval, comme un sport populaire au sein d’une jeunesse qui, en milieu paysan, éprouvait du plaisir à défier, à pied, les taureaux sauvages.

Dès 1469, sur le versant Nord des Pyrénées, c’est à MOUMOUR (dans l’actuel département des Pyrénées-Atlantiques) que l’on trouve la trace d’une course de vaches. Un peu plus tard, il est rapporté qu’entre 1530 et 1570, un capitaine de VENTABREN n’hésitait pas à attaquer les taureaux furieux de CAMARGUE. La tauromachie à pied, en France, se développa, à partir du 18e siècle, sous la forme de jeux essentiellement athlétiques, et elle resta toujours aux mains du peuple.

En Espagne, dès le 18e siècle le « mata toros », homme issu du peuple et du nord des Pyrénées, devint vite le personnage central d’une nouvelle forme de tauromachie – la corrida à pied – qui allait supplanter la corrida de rejón (corrida à cheval).

Cette tauromachie, qui est une pratique essentiellement populaire, correspond, selon François ZUMBIEHL, à une prise de pouvoir par le peuple [15].

 B/ L’état de la question des corridas aujourd’hui dans le monde

En Amérique latine, la tauromachie avait été importée par les conquistadors espagnols avec l’introduction de taureaux navarrais et de la région de Salamanque. Entre 1529 et 1567, les jeux taurins s’étaient implantés successivement au MEXIQUE (1529), au PÉROU (1538), en COLOMBIE (1543), au VENEZUELA (1567).

1/ La suppression de la corrida dans certains pays de culture hispanique d’Amérique du sud

Comme le rappelait la proposition de loi précitée, dans un certain nombre d’États d’Amérique du Sud – CHILI, ARGENTINE, URUGUAYcomme à CUBA également, « la pratique cruelle des corridas a totalement disparu de ces pays. »

À Mexico, plus récemment, à la suite du dépôt d’une plainte contre les spectacles taurins par l’association Justicia Justa, la justice avait, dans un premier temps, suspendu provisoirement le 27 mai 2022 les corridas pendant plusieurs jours dans la capitale mexicaine, le temps d’écouter les arguments des uns et des autres.

Ainsi, selon Mariana RUIZ, avocate et membre l’association Justicia Justa, « La limite des droits et libertés de ceux qui organisent les corridas s’arrête lorsqu’elle se confronte à d’autres droitsDans ce cas, il s’agit du droit environnemental. »

En effet, c’est sur la base d’un article de la Constitution locale de Mexico qui garantit le « droit à un environnement sain » pour les animaux, qu’un peu plus tard, le 10 juin 2022, le tribunal collégial de Mexico a confirmé la suspension sine die des corridas dans les arènes de Mexico, les plus grandes au monde (capacité de 50.000 places en gradins à la Plaza de Toros).

L’un des juges qui s’était prononcée en faveur de l’interdiction des corridas avait rappelé que « La société demande que soit respectée l’intégrité physique et émotionnelle de tous les animaux, taureaux compris. »

Les partisans de la tauromachie peuvent faire appel de cette décision qui frappe la place de Mexico, et les milieux taurins ont affirmé qu’ils poursuivraient leur « défense légale » des « coutumes et traditions mexicaines ».

Mais il y a lieu de rappeler que la Cour suprême mexicaine a décidé le 15 juin du caractère inconstitutionnel de l’inscription de la corrida comme faisant partie du patrimoine culturel du pays, car aucune activité fondée sur la souffrance animale ne saurait être protégée par la Constitution en étant érigé à la hauteur d’un droit culturel. C’est dire qu’à terme cette décision de la juridiction suprême risque de remettre en cause la législation de ceux des États fédérés mexicains qui n’avaient pas hésité à investir la sphère culturelle pour défendre la tauromachie.

Le débat juridique dissimule souvent des préoccupations économiques car au Mexique la corrida génère une industrie florissante de plus de 320 millions d’euros chaque année, avec 30 000 emplois directs et indirects créés par La Plaza de Toros de Mexico.

2/ L’interdiction des corridas en Catalogne contrecarrée  par le pouvoir central espagnol

Même en Espagne, pays où est née la tauromachie, la CATALOGNE n’a pas hésité à interdire la corrida dès juillet 2010, « faisant de ce territoire le premier défenseur de la vie animale en Espagne ».

Mais, par un coup de théâtre hélas prévisible, le 20 octobre 2016, le tribunal constitutionnel espagnol (TC) a annulé cette interdiction – votée en juillet 2010 par le Parlement régional catalan – au motif que si la Catalogne dispose bien de compétences juridiques pour réguler les fêtes taurines, en revanche, elle ne dispose pas de la compétence d’interdire les corridas qui ont été déclarées « patrimoine culturel » en 2013.

Cette décision du TC espagnol a été prise par une majorité de magistrats conservateurs favorables aux corridas. Mais elle n’a pas convaincu le gouvernement catalan qui a aussitôt répliqué par la voix de Josep RULL, conseiller du territoire, lequel a déclaré : « Les corridas ne reviendront pas en Catalogne, quoi qu’en dise le TC » en dénonçant une décision qui va « à l’encontre de la volonté du peuple catalan », l’interdiction des corridas ayant été, en effet, votée à la suite de la présentation d’une initiative législative populaire, forte de 180 000 signatures.

Pourtant, entre 2010 et 2018, les arènes espagnoles ont perdu pas moins de 850 000 spectateurs, selon les données du Ministère espagnol de la Culture. Cela a comme conséquence directe une réduction de 16% des spectacles taurins en 4 ans.

« Aujourd’hui, 95% des Espagnols disent ne pas ou plus vouloir assister à une corrida, rappelle Roger LAHANA. A ce désintérêt, on peut ajouter une ringardisation de la pratique, notamment chez les jeunes. Cette tendance se note notamment dans les régions les plus tauromachiques comme l’Andalousie. Un tel désamour du public fait que plusieurs petites villes retirent leurs subventions car cela coûte trop cher. Il y a un rejet profond qui à terme sera fatal à la corrida. »

3/ Le complexe désaveu des corridas par le Parlement de l’Union européenne mais le maintien des subventions de la PAC aux élevages taurins destinés au combat [16]

La situation est doublement complexe.

En effet, d’une part, selon l’eurodéputé Younous OMARJEE, « L’UE ne peut pas interdire la corrida, il n’y a pas de voies légales possibles, c’est une compétence de l’État. Mais on peut compliquer la tâche de ses acteurs en interrompant les financements européens » (déclaration de l’eurodéputé précité, du groupe de la Gauche unie (GUE/NGL) en première ligne sur ce dossier, à EURACTIV France).

D’autre part, même une fois votée la suppression des subventions de la PAC aux élevages taurins destinés à la tauromachie, la mesure est régulièrement censurée par certains États membres au sein du Conseil de l’Union européenne (Espagne, France, Portugal).

Déjà, en 2015, un amendement au budget interdisait que les ressources de la PAC puissent bénéficier à des activités dont la finalité était « la mort du taureau ».

Par ailleurs, selon la députée Michèle STRIFFLER (PPE) « Un tel financement ne correspond absolument pas aux objectifs de la PAC tels que définis par l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (déclaration de l’intéressée en 2014, pour défendre l’amendement). En effet, le traité précise que la PAC vise à fournir « une alimentation de qualité » aux Européens.

Or, si l’Observatoire National des Cultures Taurines rétorque que la viande de taureaux de combat est commercialisée [17], il n’en demeure pas moins que, comme le reconnaît d’ailleurs elle-même cette institution, elle est peu consommée et doit l’être rapidement [18].

En 2020, le Parlement européen (ci-contre) avait voté à la majorité un amendement déposé par le groupe Les Verts/ALE visant à supprimer les aides de la PAC destinées aux élevages alimentant la tauromachie.

Mais si le Parlement européen a soutenu par deux fois l’arrêt des subventions accordées aux éleveurs de taureaux de combat, ses amendements ont à chaque fois été rejetés par les trois États membres précités au sein du Conseil de l’Union européenne.

Selon l’eurodéputé Younous OMARJEE déjà cité, « Nous ne sommes toujours pas parvenus à triompher lors des différents triloguesL’UE a un temps d’avance avec le Parlement, mais l’Espagne, le Portugal et la France font bloc au Conseil. »

La balle est donc dans le camp de chacun des États européens.

IV/ L’argument de la tradition contre la reconnaissance de l’existence d’actes de cruauté animale et leur sanction [19]

L’article 521-1 du code pénal punit la cruauté exercée contre les animaux en ces termes :

« Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

Mais ce même article prévoit aussitôt, dans un alinéa plus éloigné que devient légale la corrida en France dans les villes qui ont une tradition ancienne de spectacles tauromachiques, ce qui a pour effet de faire échapper leurs auteurs aux sanctions précitées de l’article 521-1, alinéa 1er du Code pénal.

En effet, l’alinéa 9 de l’article 521-1 du Code pénal dispose :

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. »

Cela ne légalise pas toutes les corridas mais exclusivement celles se déroulant dans les villes pouvant se prévaloir d’une « tradition locale ininterrompue ».

Cela montre bien implicitement que le spectacle de la corrida est un « acte de cruauté » contre un animal domestique et que le fait qu’elle ne soit pas sanctionnée dans les villes de tradition taurine ne lui ôte pas son caractère de cruauté…

Que penser de cette exception ? L’on peut déjà regretter l’assimilation des courses de taureaux à la corrida qui se termine par une mise à mort barbare. Claire VIAL a ainsi mis l’accent sur le fait que “la corrida est la seule forme de tauromachie véritablement mise en cause du fait de sa cruauté intrinsèque” et “qu’il faut cesser de viser les courses de taureaux dans l’ensemble mais, au contraire, isoler davantage la corrida (…)”. Cf. Claire Vial : « La corrida aux abois », Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2016 p. 99 et s. https://idedh.edu.umontpellier.fr/files/2015/03/RSDA_2_2016.pdf.

A/ Les sources antiques de la tauromachie

1/ Les acrobates crétois confrontés au taureau dans un jeu initiatique

Dans l’Antiquité, en Crète méditerranéenne, où la figure du taureau est centrale, le culte qu’on lui rend passe par l’émergence de protagonistes du taureau à travers l’existence de sortes d’acrobates, adeptes du « saut de taureau » (bull-leaping), qui osent affronter la charge de l’animal et exécuter au-dessus de lui une sorte de cabriole en prenant appui sur ses cornes. Les historiens antiquistes virent là une forme d’initiation, réservée à la classe aristocratique. Par cette épreuve qualifiante, le jeune homme entrait dans la caste des guerriers. Mais, surtout, une telle acrobatie, à l’instar du judo, devait composer avec la force brute du taureau et par suite elle se transformait en une sorte de danse. De là naissait ce qui était considéré comme une forme de beauté et de légèreté, là où au départ, il n’y avait qu’une charge brutale.

2/ La légende du Minautore ou l’ordre dans les deux espaces : celui du cosmos et de l’espace intérieur

Mais, comme on le sait, la Crète est aussi le berceau d’une autre figure mythique du taureau avec sa légende du Minotaure.

Dans les recoins d’un labyrinthe crétois vivait un Minotaure, un monstre mi-homme, mi-taureau. Emprisonné là par son beau-père Minos, roi légendaire de Crète, il se nourrissait de chair humaine envoyée par la cité d’Athènes. Tous les neuf ans, Minos ordonnait à Athènes d’envoyer quatorze jeunes gens pour y être sacrifiés. Ce sinistre rite s’est poursuivi jusqu’à ce que le héros athénien Thésée se porte volontaire, entre dans le labyrinthe et tue cette bête tant redoutée.

Avec lui, nous explorons une autre face du mythe intériorisant le combat avec le taureau. En allant au centre du labyrinthe de Cnossos, THÉSÉE (ci-contre) affronte le Minotaure et le tue.

La dimension psychanalytique de ce combat a été maintes fois soulignée par le double fait que d’une part, le Minotaure est un être hybride, mi-homme, mi-taureau ; d’autre part, par sa parenté avec Thésée, par Poséidon interposé (celui-ci étant le vrai père de Thésée, Égée n’étant que son père putatif). Quant au taureau blanc, père du Minotaure, au terme de son union avec Pasiphaé, il appartient également à Poséidon. C’est dire que pour Thésée, tuer le Minotaure, c’est tuer la bête qui est en lui, c’est-à-dire sa part d’ombre, en pénétrant au centre de son labyrinthe intérieur, au risque d’y être englouti par ces forces obscures.

Du fait de sa stature de combattant, Thésée met en ordre l’espace du monde en même temps que son espace intérieur. Bientôt, il sera prêt pour fédérer les tribus qui donneront Athènes dont il deviendra roi.

Du point de vue de ses sources mythologiques grecques, la corrida tournerait donc autour de ces deux séquences d’affrontement de l’Homme et du taureau que sont l’acrobatie suivie de la mise à mort.

3/ Le culte de Mithra à Rome

La Rome antique devait également apporter une forte contribution au culte du taureau, mais dans un sens tout à fait différent, notamment avec le culte de Mithra.

En effet, déjà connue chez les Perses (cultures indo-iraniennes de l’âge du Bronze), le culte de Mithra – dont la figure centrale est le dieu Mithra – est introduit dans l’Empire romain dans des conditions indéterminées, mais dont le point d’entrée le plus probable, et le plus souvent reconnu, est l’Anatolie où ce dieu était vénéré dans plusieurs régions à l’époque hellénistique. Ce culte se développe ensuite à ROME à partir du Ier s. av. J.-C, jusqu’à la fin du 4ème siècle, pour devenir l’objet d’un véritable engouement et d’une fervente pratique au sein des armées romaines. Si le Taureau est choisi c’est en tant qu’il est un être fabuleux portant en lui les forces nécessaires à la régénération finale du cosmos. Mithra doit donc l’abattre pour récupérer sa puissance et la transmettre à la nature. Le moment fondateur de ce culte montre MITHRA sacrifiant le taureau dont le sang féconde le sol et le régénère. Malgré les attaques de l’esprit du mal contre le taureau moribond, la lune recueille la semence de l’animal mort. Cet acte de régénération associe le héros sacrificateur et l’animal sacrifié, ce qui est rappelé dans la commémoration du mystère sacrificiel. Ainsi dans le culte de Mithra la mort apparente du taureau ouvre la voie à une vie éternelle où la création est liée à la mort du taureau.

Ici le sacrifice du taureau est un acte nécessaire de régénération.

Comme on le voit, ces différentes sources mythiques (grecques et romaines), pour aussi intéressantes et passionnantes qu’elles soient quant à la compréhension des sociétés antiques, sont bien éloignées de la place actuelle du taureau dans nos sociétés occidentales.

B/ L’élément de transmission à la source de la tradition

L’alinéa 9 de l’article 521-1 du code pénal pose l’exigence d’une « tradition locale ininterrompue » pour l’admission de la dérogation à l’interdiction des corridas comme des combats de coqs.

La tradition vient du latin traditio, qui signifie l’action de transmettre.

La tradition se définit, dans le langage courant, comme la transmission de doctrines, de procédés, de coutumes, de faits historiques, etc., qui se fait de génération en génération, spécialement par la parole et par l’exemple.

C’est aussi une manière d’agir ou de penser transmise depuis des générations à l’intérieur d’un groupe : ex : une fête constituant une tradition régionale.

Au sein de la religion catholique, c’est la transmission du contenu de la vérité révélée à partir de l’Écriture, par les pères de l’Église, les conciles, les écrits des docteurs de l’Église, la liturgie et les documents pontificaux dans la fidélité à l’action du Saint-Esprit.

À l’opposé, les protestants, à l’inverse des catholiques, rejettent l’autorité de la Tradition comme magistère doctrinal et préconisent le retour à la Bible, pour eux seule source de foi.

C/ L’objet de la tradition

C’est la répétition constante dans le temps d’une manière ininterrompue qui donne sa validité et sa légitimité à la tradition.

Seul le caractère ininterrompu de la corrida marque la force du consensus local sur cette pratique.

La tradition est un objet appréhendé par le droit, qui lui donne un certain contenu variant selon les contextes juridiques et les cultures constitutionnelles ; également couramment invoquée à l’appui de l’argumentation juridique – judiciaire ou savante -, elle entre en relation avec une pensée du changement ou de la modernité.

Une journée d’études destinée aux jeunes chercheurs organisée au Centre de théorie et analyse du droit (UMR 7074) de l’Université Paris Ouest Nanterre – La Défense, s’est intéressée aux usages que le droit fait du concept de tradition.

L’ouvrage qui a été publié [20] à l’issue de cette journée d’études est ordonné autour de quatre axes de recherches.

Premièrement, les traditions peuvent entrer en opposition avec le droit et fonder des discriminations que le droit s’efforce d’effacer. Deuxièmement, les traditions peuvent se constituer en autant de sources du droit et se juridiciser en donnant lieu à des coutumes. Troisièmement, les traditions et les coutumes peuvent être utilisées par les juristes, à la fois juges et acteurs institutionnels, dans les interprétations du droit positif. Quatrièmement, les traditions peuvent constituer des objets protégés par le droit, notamment lorsqu’elles deviennent des parties intégrantes du patrimoine culturel.

Par rapport à la réflexion sur l’usage que fait le droit du concept de tradition, eu égard aux 4 hypothèses ci-dessus évoquées, nous sommes ici avec les corridas dans l’hypothèse première où la tradition entre en contradiction avec le droit et la question est de savoir si celui-ci peut effacer la tradition qui résiste au changement social d’éthique en faveur de la protection animale qui constitue une tendance lourde de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle.

En effet, la tradition n’est pas seulement une transmission de manières de faire, de comportements, de règles, elle est aussi transmission de valeurs culturelles. Ce qui est transmis doit être normalement considéré comme digne de l’être. On retrouve ici l’origine de la tradition qui se trouve dans le « sacré ». Certes nous ne sommes plus comme dans les sociétés primitives où le respect de la tradition se basait sur le respect dû aux ancêtres, eux-mêmes intermédiaires avec les Dieux.

Mais de tout ceci il subsiste que l’attachement au passé qu’implique la tradition comporte une forte charge affective qui explique que les oppositions aux réformes du droit au nom de la tradition sont émotionnellement fortes et souvent irrationnelles.

Dès lors, la meilleure manière de trouver une issue consensuelle à cette contradiction est de mesurer si la tradition correspond toujours à un consensus certain et suffisamment fort car il n’y a aucune raison que la tradition soit mieux traitée qu’une loi écrite qui, dans une démocratie, se fait et se défait au gré des changements sociaux et des mutations qui parcourent le corps social.

Le seul critère permettant de lever le blocage né du conflit entre le droit changeant et la tradition immuable est celui de la vérification du consentement à la tradition qui doit être identique à celui du consentement à la loi dans les régimes reposant sur la théorie démocratique de la souveraineté du peuple.

Nos révolutionnaires de 1789 l’avaient bien compris à propos de l’évolution du droit écrit car ils considéraient que les futures générations ne devaient pas être prisonnières des textes passés, et c’est sous l’angle de ce principe qu’ils envisagèrent les modalités de révision de leur Constitution.

C’est ainsi que dans leur première constitution, celle des 3/14 septembre 1791, ils affirmaient qu’un tel droit était « imprescriptible » au profit de la Nation (titre VII intitulé « De la révision des décrets constitutionnels »).

La constitution montagnarde du 24 juin 1793 énonçait dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui la précédait, notamment dans son article 28 : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. »

L’on ne voit pas au nom de quoi la tradition aurait une pérennité éternelle par rapport aux textes écrits et pourquoi elle s’imposerait mécaniquement par une sorte de « sacralisation » du passé, lors d’une contradiction avec un nouveau texte écrit.

En d’autres termes, il convient d’appliquer aux traditions les principes s’appliquant aux règles coutumières. Ceci nous conduit à examiner la condition relative à l’élément « répétition » dans le temps.

D/ La répétition dans le temps

Selon le Code pénal, c’est la répétition constante dans le temps d’une manière ininterrompue qui donnerait sa validité et sa légitimité à la tradition.

Seul le caractère ininterrompu de la corrida marque la force du consensus local sur cette pratique.

Cette exigence rapproche la tradition de la force de la coutume dans notre droit.

Dans un sens large, la coutume désigne les règles de droit qui se dégagent des faits et des pratiques dans un milieu social donné. On oppose alors la coutume à la loi. La seconde serait l’archétype du droit écrit, la première incarnerait le droit non écrit.

En d’autres termes, pour être assimilé à une coutume, un usage doit répondre à deux critères cumulatifs :

  • L’élément matériel, c’est-à-dire la répétition d’un comportement dans le temps – « une fois n’est pas coutume » –  et qui soit largement connu par ceux qu’il concerne.
  • L’élément psychologique, la règle coutumière doit avoir été considérée comme obligatoire.

En fait la coutume doit reposer sur un certain consensus du groupe auquel elle s’applique et qui connaît et reconnaît celle-ci.

Le fait de l’existence d’une pratique ininterrompue de la corrida vise l’élément matériel de répétition.

Il n’est pas sûr qu’il couvre également dans le temps l’élément psychologique car, contrairement à la coutume, la tradition de la corrida ne couvre pas une véritable « obligation » à la charge des autorités locales, de même qu’elle n’atteste pas forcément la permanence de l’adhésion du groupe social à la pratique de la corrida.

Ici, comme on l’a vu, c’est le législateur qui a donné l’autorisation de la dérogation. En fait nous sommes en présence de la ratification d’une pratique par le législateur en vue de la faire échapper à la répression pénale.

E/ La validation de l’exception d’immunité pénale des corridas pour la commission de sévices graves et d’acte de cruauté envers un animal domestique

Cette dérogation a été consacrée et légitimée par la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012 (Association Comité radicalement anti-corrida Europe et autre) dans laquelle le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la validité constitutionnelle des corridas en validant l’immunité pénale en matière de courses de taureaux.

Paraphrasant les dispositions de l’article 521-1 du Code pénal, le Conseil constitutionnel considère « qu’en procédant à une exonération restreinte de la responsabilité pénale, le législateur a entendu que les dispositions du premier alinéa de l’article 521 1 du code pénal ne puissent pas conduire à remettre en cause certaines pratiques traditionnelles qui ne portent atteinte à aucun droit constitutionnellement garanti ; que l’exclusion de responsabilité pénale instituée par les dispositions contestées n’est applicable que dans les parties du territoire national où l’existence d’une telle tradition ininterrompue est établie et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition ; que, par suite, la différence de traitement instaurée par le législateur entre agissements de même nature accomplis dans des zones géographiques différentes est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; qu’en outre, s’il appartient aux juridictions compétentes d’apprécier les situations de fait répondant à la tradition locale ininterrompue, cette notion, qui ne revêt pas un caractère équivoque, est suffisamment précise pour garantir contre le risque d’arbitraire. » (5ème considérant)

Par suite, il estime que « le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être rejeté ; que la première phrase du septième alinéa de l’article 521-1 du code pénal (devenu 9ème alinéa depuis 2021), qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution ».

Quelques rapides considérations critiques sur cette décision

1/ L’on peut s’étonner, devant l’importance d’une telle question, que la décision du Conseil constitutionnel tienne seulement en 6 considérants dont par ailleurs seulement 3 (les considérants 4, 5 et 6) examinent la question de constitutionnalité, les trois autres, en amont, se bornant soit à un simple rappel des textes soit à l’exposé des arguments des associations requérantes.

2/ Dans une question de constitutionnalité aussi sensible portant sur l’examen du bien-fondé d’une tradition, l’on peut regretter que le Conseil se soit abstenu de se pencher sur le contenu culturel d’une telle tradition et sur les modalités de sa transmission dès l’instant qu’elle contrevient à la loi, même si, comme on l’a vu, c’est la loi elle-même qui autorise une telle contrariété. Aucun éclairage n’est apporté sur la valeur et la légitimité d’une telle tradition contra legem. L’on ne peut s’empêcher de constater avec regret combien notre Conseil constitutionnel est timide et même juridiquement inconsistant par rapport à son homologue qu’est la Cour suprême mexicaine. Celle-ci, comme on l’a vu, n’a pas hésité à décider, le 15 juin 2022, du caractère inconstitutionnel de l’inscription de la corrida comme faisant partie du patrimoine culturel du pays, car, selon elle, aucune activité fondée sur la souffrance animale ne saurait être protégée par la Constitution en étant érigé à la hauteur d’un droit culturel.

3/ Dans leur requête, les auteurs de la saisine contestaient que pour les courses de taureaux la répression pénale instituée par le premier alinéa de l’article 521-1 du code pénal, ait pu être écartée dans le « septième alinéa » (aujourd’hui devenu 9ème alinéa) du même article qui introduit ainsi une exception pénale portant atteinte au principe d’égalité devant la loi.

Cela a permis trop facilement au Conseil constitutionnel d’affirmer que l’exclusion de la responsabilité pénale – mise en cause par les requérants – n’était pas générale mais ne portait que sur certaines parties du territoire national dans lesquelles « cette tradition ininterrompue est établie et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition ». 

Il est regrettable que n’ait pas été invoqué par les requérants le droit de la protection animale qui pouvait et même devrait être érigé au rang d’un principe ou d’un objectif de valeur constitutionnelle. Contrairement aux affirmations du Conseil consitutionnel, c’est à ce principe de valeur constitutionnelle que portent atteinte « les pratiques traditionnelles » qui mettent en échec toutes les règles pourtant convergentes en faveur de la protection animale – que nous avons recensées nous-mêmes (cf. supra, II, B et C) –  desquelles on peut dégager, en application du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, un principe fondamental reconnu par les lois de la République, celui de la protection de la sensibilité animale, ce principe étant à la base des dispositions générales de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (et notamment son article 9 reconnaissant à un animal sa qualité d' »être sensible » et contraignant son propriétaire  à le placer « dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Il ne s’agissait donc, ici, que de reprendre la jurisprudence de la décision du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 relative à la liberté d’association. A défaut d’un tel classement, l’on aurait pu consacrer la solution alternative constitutionnelle en érigeant la protection de la sensiblité animale au rang d’un objectif de valeur constitutionnelle [21]. La notion d’objectif de valeur constitutionnelle a été forgée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 82-141 DC, 27 juill. 1982, relative à la communication audiovisuelle (Rec. p. 48, cons. 5). C’est cette décision qui constitue la décision « fondatrice » des objectifs à valeur constitutionnelle car elle les consacre très explicitement. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel affirmait en effet : « il appartient au législateur de concilier [···] l’exercice de la liberté de communication telle qu’elle résulte de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme, avec [···] les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels ». C’est dire que le débat sur la constitutionnalité de l’article 521-1, alinéa 9 du Code pénal ne pouvait être éludé comme l’a fait le Conseil constitutionnel.

Sans vouloir verser ici dans une forme d’anthropomorphisme, c’est également en regard du droit de la protection animale qu’aurait pu être posé, sinon le principe d’égalité – car le principe d’égalité devant la loi a été conçu en 1789 pour s’appliquer aux hommes et aux citoyens -, au moins le principe de non-discrimination entre les animaux car le taureau, en matière de corrida, n’est manifestement pas considéré comme tous les autres animaux qui sont protégés contre les sévices et toutes les formes de maltraitance, alors qu’au nom de la tradition des corridas – qui met en avant le principe festif contre le respect de la sensibilité animale – le taureau n’est plus protégé par le droit animal (droits des animaux à être protégés contre toutes les formes de sévices et maltraitance) qui s’est développé, comme on l’a vu, dans la deuxième partie du 20ème siècle et au début du 21ème siècle.

Or ces questions de constitutionnalité que nous soulevons ici auraient mérité de l’être par le Conseil constitutionnel lui-même au cours d’une analyse juridictionnelle plus sérieuse et solide, au lieu de la simple paraphrase du dispositif légal auquel s’est livré le Conseil constitutionnel, car cettte manière de raisonner en reprenant la loi pour la valider de manière déclaratoire n’apporte rien à notre droit constitutionnel, sans parler, comme nous l’avons déjà évoqué, du problème de la validité et de la légitimité de la tradition par rapport au nouveau contexte juridique concernant la protection des animaux doués d’une sensibilité et exposés à la souffrance au cours d’un spectacle barbare qui n’est pas sans rappeler les jeux de cirque romains.

CONCLUSIONS 

1/ Comme il vient d’être dit plus haut, l’on ne peut que déplorer que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 septembre 2012, rendue sur QPC, n’ait pas censuré l’extraordinaire et exorbitante exception de responsabilité pénale organisée par la loi au sein de l’article 521-1 du Code pénal au profit des corridas reposant sur une « tradition locale ininterrompue ». A l’inverse, tout récemment, la Cour suprême de Mexico nous a montré la voie, constitutionnellement étayée et moralement courageuse, consistant à n’admettre qu’aucune activité fondée sur la souffrance animale puisse être protégée par la Constitution en étant érigé à la hauteur d’un droit culturel.

2/ Quant au législateur lui-même, en exonérant les organisateurs de corridas des sanctions contre l’atteinte à l’intégrité physique et émotionnelle des taureaux, il nous met en présence d’une anomalie d’autant plus contestable et insoutenable qu’elle engendre une situation de plus en plus anachronique au regard de l’ensemble de la législation s’efforçant, aujourd’hui, de reconnaître la sensibilité animale en la protégeant contre les sévices et actes de cruauté et maltraitance. Le législateur ne peut s’appuyer sur des visions antagonistes de l’ordre social et culturel en faisant le choix d’une protection de la condition animale à géométrie variable selon les diverses catégories d’animaux, et notamment entre les autres animaux et les taureaux et les coqs voués au combat pour satisfaire un plaisir aussi cruel que frivole d’une faible partie de la population fréquentant de telles fêtes assurément malsaines dont la transmission ne saurait être encouragée au nom de la « tradition ».

3/ Les jeux et fêtes collectives ne peuvent être que le reflet des valeurs que porte une société. Or la cruauté ne constitue sûrement pas une valeur pérenne dans les sociétés où le fait civilisationnel a déjà atteint un haut degré de développement. En effet, les composantes économiques, culturelles et sociales de la société française contemporaine ne sont plus, depuis très longtemps, celles qui virent la naissance des corridas, et le maintien de traditions ancestrales n’a de sens et de légitimité que s’il s’appuie sur leur utilité pour le maintien du lien social, ce qui suppose un consensus suffisamment évident et fort car aucune règle portant sur les conditions du « vivre ensemble » n’a vocation à être éternelle et à s’imposer indéfiniment à la chaîne des générations, sans bénéfice d’inventaire. Ce qui était acceptable, voire bon, hier, ne l’est pas forcément aujourd’hui car la règle de droit, écrite, coutumière ou résultant de la tradition, doit reposer sur le consensus social. Et très majoritairement, aujourd’hui, comme on l’a vu, nos concitoyens, pour 8 d’entre eux sur 10, sont opposé aux corridas.

4/ Il n’y a plus, aujourd’hui, de raisons de stigmatiser le taureau qui ne saurait être assimilé à une forme de danger pour l’Homme lequel est devenu bien plus puissant que lui et qui n’est plus confronté à cet animal pour affirmer son droit à l’existence physiologique (comme au temps du paléolithique). La régénération de l’Humanité ne passe pas davantage par le culte montherlantien de Mithra et le sacrifice du taureau (cf. Les bestiaires, de Montherlant, 1926) – emprunté à l’Antiquité romaine -, mais plutôt par la protection de toutes les espèces à travers le respect de la biodiversité végétale et animale qui constitue la chaîne des écosystèmes nécessaires à l’Homme dans le lien naturel d’interdépendance qui le relie aux autres espèces vivantes. Ce constat d’interdépendance – qui, joint au souci de protection de la Nature et de l’Environnement, nous appelle à construire des modèles politiques et économiques de développement durable – ne peut qu’inciter l’Homme à porter un autre regard, éclairé, lucide et bienveillant, sur son environnement, immédiat ou même plus lointain, dont lui-même fait partie afin de le protéger et le pérenniser.

Et, sous cet angle global, le combat contre la corrida s’insère naturellement et logiquement dans cette nouvelle éthique de vie.

Louis SAISI

Paris, le 23 novembre 2022

I/ SIGLES ET ABREVIATIONS

contra legem = contre la loi, contraire à la loi ; elle s’emploie pour caractériser l’arrêt, l’interprétation législative, la coutume, l’usage, la pratique que l’on estime contraire à la loi écrite ;

CRAC = Comité Radicalement Anti-Corrida ;

DDA = Association Droits des Animaux ;

JDD = Journal du Dimanche ;

LFI-NUPES = La France Insoumise – Nouvelle Union populaire écologique et sociale ;

PAC = Politique agricole Commune (mise en oeuvre, aujourd’hui, au niveau de l’Union européenne) ;

PCI = Patrimoine culurel immatériel (de la France) ;

ONG = Organisation non gouvernementale ;

PPE / EPP = Parti populaire européen regroupant, à l’échelle du continent, un ensemble de partis du centre, de centre droit et de droite d’inspiration démocrate chrétienne et libérale-conservatrice, disposant d’un groupe au Parlement européen et à l’ Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;

QPC = Question prioritaire de constitutionnalité ;

TC = Tribunal constitutionnel (espagnol) ;

UE = Union européenne ;

UMR = Unité mixte de recherche (Université + CNRS, ou un autre orgnisme de recherche) ;

UNESCO = United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la Culture) ;

Verts/ALE = Verts/Alliance libre européenne. Il s’agit d’un groupe politique du Parlement européen.

 NOTES

[1] Exposé des motifs de la proposition de loi nº 3802 enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 janvier 2021 visant à interdire les corridas, déposée par Mesdames et Messieurs Éric PAUGET, Ian BOUCARD, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, Bernard BROCHAND, Rémi DELATTE, Julien DIVE, Bernard PERRUT, Nathalie PORTE, Vincent ROLLAND, députés.

[2] Cf le JDD du 4 novembre 2022 qui rappelle qu’Aymeric CARON est un ancien chroniqueur de l’émission « On n’est pas couché ».

[3] Cf. le JDD et L’Étudiant libre du 4 novembre 2022

[4] 21 exactement, soit moins de 4%.

[5] L’Étudiant Libre précité du 4 novembre 2022

[6] L’Étudiant Libre précité du 4 novembre 2022

[7] Voir ConsoGlobe du 24 juin 2015 : « La corrida a été retirée du patrimoine culturel immatériel de France »

[8] Voir ce sondage effectué pour l’alliance « Anticorrida » Sondage : Quatre Français sur cinq sont opposés aux corridas – Alliance Anticorrida, publié sur son site, le 26 août 2021.

[9] ANAXAGORE (en grec ancien : Ἀναξαγόρας / Anaxagóras), dit « de Clazomènes » en Ionie (près de Smyrne, en Asie Mineure), est un philosophe présocratique grec, né vers 500 et mort en 428 av. J.-C. à Lampsaque. Selon WIKIPEDIA, ANAXAGORE est « considéré comme « le plus grand penseur du milieu du ve siècle av. J.-C.». Il s’est entièrement consacré à la recherche savante et à l’explication rationnelle des phénomènes naturels […]. C’est ainsi que dans son traité De la Nature, il décrit les étapes de la formation de l’univers, selon un processus cosmogonique d’où sont bannies toute naissance et toute destruction : puisque rien ne saurait naître du néant, ni non plus y retourner […] Pour la première fois, le principe qui régit le monde est conçu à l’image de l’intelligence humaine : l’Esprit universel, le Noûs cosmique, a pénétré la totalité de la matière originelle mêlée et y a introduit ordre et raison en lui imprimant un mouvement tourbillonnaire. À l’intérieur de ce monde, tout se combine et se transforme dans un processus qui préfigure le principe physico-chimique de LAVOISIER. Un tel univers régi par l’Esprit ne laissait guère de place aux dieux traditionnels, et suscita contre ANAXAGORE un procès pour impiété. Son apport essentiel dans l’histoire de la philosophie tient à cette cosmologie finaliste régie par l’action d’un Esprit omniprésent mais dont les impulsions annoncent les conceptions mécanistes de l’univers.»

[10] Marcel DÉTIENNE et Jean-Pierre VERNANT :  Les ruses de l’intelligence, la métis chez les Grecs, Ed. Flammarion, Paris, 1974, 317 pp.

[11] Charles DARWIN : L’Origine des espèces (On the Origin of Species) fut publié le 24 novembre 1859 pour sa première édition anglaise sous le titre L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la survie. Cet ouvrage  scientifique de Charles DARWIN est considéré comme le texte fondateur de la théorie de l’évolution. Il fut précédé par l’ouvrage Esquisse au crayon de ma théorie des espèces (Essai de 1842).

[12] La première loi fut votée à l’initiative du général Jacques Delmas de GRAMMONT. Celui-ci, également député, sensible au sort des chevaux de guerre et, révolté par les scènes tristement banales de maltraitance dans les rues parisiennes, voulut faire punir toutes les formes de cruauté exercées envers les animaux, aussi bien chez les particuliers que sur la voie publique. Mais La Loi du 2 juillet 1850 finalement adoptée – dite « loi GRAMMONT » – fut moins ambitieuse car se bornant uniquement aux cruautés publiques et non chez les particuliers. Elle punit d’une amende de cinq à quinze francs, et d’un jour à cinq jours de prison « ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ».

[13] Décret n°59-1559 du 28 décembre 1959 relatif à la protection sanitaire des animaux et des végétaux, au contrôle de la salubrité des eaux et des denrées d’origine animale et végétale – décret dit MICHELET, du nom d’Edmond MICHELET, alors ministre de la justice du Général de Gaulle. Ce décret élargissait également cette protection pénale aux animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. En revanche, les animaux sauvages libres n’étaient pas concernés.

[14] En 1963 le délit d’actes de cruauté envers les animaux fut créé dans l’article 521-1 du Code pénal exposant désormais les auteurs à des peines nettement plus sévères allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Cet article dispose : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de nature sexuelle ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende ». Mais ce même dispositif a été aggravé par la loi du loi N° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes (JORF du 1er décembre 2021) dont l’article 26 a modifié l’article 521-1 précité du Code pénal en portant la peine à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.

[15] ZUMBIEHL F., NGUYEN-NGA : La tauromachie, art et littérature, Ed. L’Harmattan, Paris, 1985, 152 pp.

[16] Corrida : l’UE verse plusieurs millions d’euros par an aux élevages de taureaux de combat (source : EURACTIVE (Hugo STRUNA), 22 novembre 2022.

[17] Après le combat, le taureau est traîné et traité dans un abattoir, mais les détails de ce processus varient d’une ville à l’autre. À Pampelune, un attelage de chevaux traîne le taureau mort et, sur une place à l’extérieur des arènes, l’animal est saigné dans un seau puis conduit à un abattoir.

[18] La viande de taureau de combat a une odeur intense, ainsi qu’une couleur plus foncée que les autres bœufs. Cela est dû à la fois à la génétique de l’animal, ainsi qu’au bon niveau d’exercice qu’il effectue et à l’alimentation naturelle qu’il consomme au quotidien. C’est une viande très foncée (rouge intense) et forte. Fibres fines et pourcentage de matières grasses inférieur à 2 %. En raison de son caractère unique, la viande des bovins de tauromachie est difficile à conserver et doit être consommée rapidement.

[19] Roger GRANGER : « La tradition en tant que limite aux réformes du droit »,  Revue internationale de droit comparé  Année 1979  31-1  pp. 37-125.

[20] Cf. l’ouvrage Les usages de la tradition dans le droit (sous la direction de Guillaume RICHARD, Manon ALTWEGG-BOUSSAC, Antoine CORRE-BASSET), Éditeur : Mare & Martin, 01/2016, 238 pages.

[21] Pierre de MONTALIVET – Maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) : « Les objectifs de valeur constitutionnelle », CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 20 – JUIN 2006.

 

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