« Température de notre corps : 49.3 à l’ombre » par Céline De-Saër

Chers amis,

À l’heure d’un printemps troublé par les soubresauts de la réforme des retraites, nous avons l’honneur et le grand plaisir d’accueillir sur notre site un poème inédit de notre amie Céline De-Saër intitulé « Température de notre corps 49.3 à l’ombre ».

Diplômée en Lettres Modernes, ainsi qu’en Français Langue Étrangère à la Sorbonne Nouvelle, Céline De-Saër est accompagnante littéraire, animatrice d’ateliers d’écriture, formatrice. Elle poursuit actuellement son riche parcours en Médiation Artistique. En tant qu’auteur, elle s’inscrit dans le champ de la poésie, du fragment, de la prose poétique, de la photographie. Également lectrice à voix haute, de ses propres textes et invitée à lire ceux des autres, elle participe parallèlement à des scènes ouvertes et des projets artistiques.

Avec son poème, le 49-3 ne reste plus cantonné au domaine juridique pour constitutionnaliste averti de la joute formaliste académique. Aujourd’hui, avec le beau texte qu’avec talent et émotion elle nous livre ci-dessous, Céline De-Saër a le mérite de briser le tabou du monopole des juristes sur le 49-3 pour faire de cette question – concernant également notre peuple – un objet formidablement poétique.

Et nous l’en remercions bien chaleureusement ici.

Louis SAISI

 

À celles et ceux qui en sont, de la rue.
À celles et ceux qui en sont : à la rue.

Ce soir, à l’heure d’été, à l’heure de printemps
a reculé de deux
a reculé à l’heure : d’hiver.
Ce soir est sans un mot.
Ce soir, encadré de noir
cadran un peu funèbre.

Écrire blanc dans noir
qu’en France, l’isolement est grand
qu’en France, c’est aujourd’hui pot de rocaille contre pot de racaille.

Écrire blanc flotte comme un îlot parmi les temps qui sombrent. Le P de peuple s’y dresse comme
une proposition, et avec ses deux points suspendus à nos poings levés, il dit :
« La France sombre. »
Et que tourner le dos au peuple laissé sur le rivage,
Et que tourner le dos au peuple délaissé de l’autre côté de la rue, sur l’autre rive,
ça n’est pas le pire naufrage

Le bateau qui coule est celui qui se croit le plus abrité de la côte.
Son arrogance, dans l’œil du cyclone, est moulé de vert mépris, de vert moulu, de

Une petite dépendance qui n’a rien de sa superbe.
Une dépendance misérable, pire que la misère qu’elle ne connaît pas. Pire : ignorante.

Sombre, blanc, rouge est le drapeau qui flotte un peu au large.
un peu…

Pot de racaille sombre. Dans notre bleu sang :
bleu est la couleur de notre sang hématome,
bleu est la couleur de notre colère qui se cumulus et s’accumule,
circonscrite de circonstances, notre révolte
du sang d’un peuple mouché dans un tissu de poche, au coude-à-coude.

Et que dans « président », il y a « méprisant »,
Et que dans « résident », il y a « méprisé »
Bleu torche pétrole. Bleu pouvoir fait flamber – sans repriser le tissu.
Dans notre langue, « tissu » signifie, veut dire, crie : « textile », « texte », « peau » : la nôtre, peuple
de couleurs.

La liaison est coupée. Nos lésions le sont aussi. Coupées :
à même la racaille, notre rocaille.
Elle cerne. Elle découpe le flanc. Elle fait la peau.
petit à petit peuple…

Le pouvoir aux mains du peuple
La cage dorée, vert tendre qui s’assèche
L’écrin de velours et la cuillère d’argent dans la bouche
mettre les bouchées doubles, et les bouchées à la reine : l’en gaver.

« Gaver » vient du gave, de la gorge :
de ce qui coule de source,
de ce qui coule en nous,
de ce qui
De ceux qui en sont, du gouffre.

Gouffre : qui ne peut pas sombrer.
Gouffre : abîme, abîmée, abîmé.
Gouffre : fosse commune.
Gouffre : peuple qui ne veut pas sombrer.

Gouffre de rocaille contre gouffre de racaille
C’est bien connu : parachutes dorés sur vert un peu trop tendre…
Le visage pâle, pauvre façade.

Ça racle, ça gratte misérable, de l’autre côté de la dérive, de l’autre côté de la rue
Ça s’fissure
Ça s’précipice
Ça
vire sur vert sur bleu, profond.
Profond est le peuple, oui.

« Gouffre » : qui ne peut pas sombrer.
« Gouffre » : pont levier.

Jeudi 6 avril 2023 : Température de l’eau de notre corps : 49.3 à l’ombre.
Lundi 1er mai 2023 : Température de nous aux feux rouges en feu : de bleu
le bleu.

Paris, le 4 mai 2023

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