Chers amis,
Au moment où le « va-t-en-guerre » Premier Ministre israélien, Benyamin NETANYAHOU, a annoncé son intention d’engager son pays dans une guerre d’occupation totale de Gaza – dont la mise en œuvre a été examinée par son cabinet de sécurité réuni jeudi dernier -, il nous a semblé opportun de publier ci-dessous l’excellente chronique de notre amie Alice BSÉRÉNI, animatrice d’ateliers d’écriture, à propos du livre du journaliste francophone gazaoui, Rami Abou JAMOUS, intitulé « GAZA, VIE », relatant l’histoire d’un père et de son fils à travers le quotidien de la vie à Gaza, à savoir « celle de la vie contre la mort, celle d’un peuple persécuté par un ennemi devenu meurtrier ».
C’est qu’en effet la situation à Gaza est de plus en plus, du point de vue humanitaire, véritablement catastrophique et demande un véritable sursaut de la communauté internationale édictant enfin des sanctions – diplomatiques et économiques – contre Israël pour que cessent enfin les exactions de l’État hébreu contre le peuple palestinien condamnées régulièrement par les juridictions internationales comme la CIJ [1] ou la CPI [2], les diverses instances de l’ONU [3] et les ONG humanitaires.
Selon l’ONU, c’est la « famine généralisée » qui guette les habitants de Gaza, 22 mois après le début de la guerre.
Malgré ce « processus de déshumanisation » et ce « calvaire enduré depuis bientôt deux ans » par la population de GAZA, c’est avec raison et justice qu’Alice BSÉRÉNI nous invite, avec Rami Abou JAMOUS, à « clamer la puissance de la vie ».
Nous la remercions ici chaleureusement pour cette très belle chronique.
Louis SAISI
Paris, le 12 août 2025
GAZA, VIE, de Rami Abou JAMOUS,
Libertalia, 29 novembre 2024,
Chronique d’Alice BSÉRÉNI
Animatrice d’ateliers d’écriture
Ci-dessous, Rami Abou JAMOUS, journaliste palestinien francophone
Ici avec son fils Walid, lui-même très présent dans ses reportages
On connait déjà Rami Abou JAMOUS, journaliste gazaoui par les infos, documentaires, articles, interviews diffusés en direct sur les ondes françaises, mais aussi par son « Journal de bord de Gaza » publié fin novembre 2024 [4]. Cette fois, c’est au cœur de sa vie personnelle, familiale, professionnelle, citoyenne qu’il livre son quotidien par le menu au lecteur médusé. Même si désormais on sait, on ne peut toujours pas imaginer ! Partager le quotidien infernal d’une famille gazaouie est à la fois un privilège et un cauchemar. De cela, on doit remercier le journaliste mais aussi l’homme qui partage et dévoile son intimité la plus secrète, la plus sacrée, ravagée par une guerre innommable. Il ne reste plus rien de la société dans laquelle nous vivions. Nous sommes totalement mis à nu. Privés d’intimité, privés d’hygiène, privés de sécurité, privés de nourriture, privés d’eau. Nus dans une jungle où nous sommes poursuivis par un prédateur. Nous courons pour nous mettre en sécurité, mais c’est impossible…
De ce terrible constat, dans ce contexte atroce s’écrit l’une des plus belles histoires d’amour et d’humanité que l’on puisse imaginer. Celle d’un père et de son tout jeune fils, celle d’un homme avec une femme, celle de la vie contre la mort, celle d’un peuple persécuté par un ennemi devenu meurtrier. Car il s’agit de cela : mettre à mort un peuple entier, l’exterminer, en éradiquer l’existence et la mémoire, le déshumaniser au point de le qualifie d’animaux humains. Et les traiter comme tel.
Ce livre témoignage n’est pas sans rappeler le film fabuleux de Bellini, « La vie est belle » : inventer les leurres qui font croire à l’enfant si jeune que cette guerre est un jeu, que c’est pour de rire, le protéger du pire, en maintenir intacte la joie de vivre et la candeur. Aussi ce père et ce fils applaudissent ils de concert à chaque bombe et chaque feu d’artifice dans le ciel, à l’irruption d’un drone, à l’éclair d’un missile, au fracas d’une implosion, à l’effondrement d’un immeuble voisin. Aussi cuisine-t-on des succédanés de chips en grillant des pâtes ou du vermicel sur un brasero de fortune, l’enfant en adore le goût, aussi invente-t-on des friandises à base de cire à épiler au miel, l’enfant en apprécie la douceur. Il doit rester joyeux et sain, aussi a-t-on baptisé la tente cernée de milliers d’abris de fortune, dressée en bordure de mer, aux franges de la cité pulvérisée « La Villa ». Une seule pièce de quelques mètres carrés abrite six personnes. C’est dire à quel point le quotidien se voit dévasté, et qu’une lutte de tous les instants s’efforce de conjurer les forces d’anéantissement à l’œuvre dans l’enclave torturée.
Une lutte sur tous les fronts s’efforce de restaurer la dignité que les humiliations conjuguées veulent anéantir. Ce thème majeur court tel un fil rouge tout au long du récit. Outre la destruction physique et matérielle de l’enclave ghettoïsée, l’hécatombe des morts, la destruction systématique du cadre de vie, de la cité, de ses organes vitaux, hôpitaux, écoles, centres d’aide et de soins, lieux de culte et de culture, voies de circulation, terres comme cité… cette guerre vise l’humain au cœur en instrumentalisant sa déchéance : famine, transhumances forcées, injonctions contradictoires, privation de toute intimité, propagation des maladies et des épidémies, amputations, traques et courses poursuites, emprise de la mort sous toutes ses ruses, dépossession de soi et de ses biens, déchéance programmée, organisée… Bertrand Badie, politologue de Sciences Po, place ces processus de deshumanisation au cœur des conflits engendrés par la mondialisation, et moteurs de leur stratégie. Le récit par le menu de chaque geste de résistance, d’esquive et de conjuration du pire fait de ce livre un témoignage implacable sur le calvaire enduré depuis bientôt deux ans, et une leçon de dignité qui veut contresigner la défaite de l’agresseur et en démontrer le sinistre projet. C’est pourtant dans cette épreuve surhumaine qu’advient le talent d’un écrivain, puis la naissance d’un nouvel enfant, comme acte de résistance suprême. Double enfantement, celui d’un écrivain par le livre et d’un enfant par l’auteur, qui veut clamer la puissance de la vie et conjurer les forces maléfiques à l’œuvre en Palestine occupée depuis près de soixante-quinze ans.
Alice BSÉRÉNI,
Animatrice d’ateliers d’écriture
Paris, juillet 2025
NOTES
[1] CIJ = Cour Internationale de Justice, principal organe judiciaire des Nations Unies. Dans un premier jugement, en janvier 2024, concernant la plainte déposée par l’Afrique du Sud pour risque de génocide, la Cour a ordonné à Israël de restreindre ses attaques à Gaza (voir notre article intitulé « La décision du 26 janvier 2024 de la Cour Internationale de Justice statuant sur la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide à l’encontre de la population palestinienne de GAZA », 5 septembre 2024, https://ideesaisies.deploie.com/la-decision-du-2…on-palestinienne/
Un peu plus tard, en mai 2024, la CIJ a ordonné à Israël de mettre immédiatement fin à son offensive militaire dans la ville de Rafah, au sud de Gaza. La Cour internationale de Justice a également déclaré le 17 juillet 2024 que l’occupation par Israël de la Cisjordanie, de Gaza, et de Jérusalem-Est, ainsi que ses colonies, violaient le droit international.
[2] CPI = La Cour pénale internationale est une juridiction internationale reconnue par 124 États parties. Elle est compétente pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. Ces crimes doivent être commis par un ressortissant d’un État partie ou sur le territoire d’un État partie (ou d’un État qui a accepté la compétence de la Cour). Le 21 novembre 2024, à la suite d’une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d’arrêt contre deux hauts responsables israéliens, Benjamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, et Yoav Gallant, l’ancien ministre de la Défense d’Israël du cabinet de guerre israélien, retenant leur responsabilité dans le crime de guerre de famine comme méthode de guerre et les crimes contre l’humanité de meurtre, de persécution et d’autres actes inhumains pendant la guerre à Gaza.
[3] Voir le compte rendu de la dernière réunion du Conseil de sécurité du dimanche 10 août 2025 à 16h (heure française) sur le site de l’ONU, sous le titre : « Le dernier plan israélien d’occupation de Gaza provoque une levée de boucliers parmi l’écrasante majorité des membres du Conseil de sécurité »
[4] Rami Abou JAMOUS : Journal de bord de Gaza, Éditions Libertalia, Collection Orient XXI, 29 novembre 2024, préfacé par Leila SHAHID et présenté par Pierre PRIER, 272 pages. En octobre 2024, il a obtenu pour cet ouvrage le prix Bayeux des correspondants de guerre dans la catégorie presse écrite, ainsi que le prix Ouest-France.