Le Conseil d’Etat et les mesures de confinement
le droit au respect de la vie, liberté fondamentale
par Louis SAISI
La liberté d’aller et de venir est une composante essentielle de la liberté individuelle résultant des articles 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Elle constitue une liberté fondamentale au sens de l’article 521-2 du Code de Justice administrative. Le droit à la vie peut-il dès lors justifier que la liberté d’aller et de venir, liberté fondamentale, puisse être limitée en période de crise sanitaire? Et si oui, quel doit être le rapport de proportionnalité entre une telle limitation et le caractère plus ou moins aigu de la menace sanitaire? En d’autres termes, le droit au respect de la vie est-il une liberté aussi fondamentale que la liberté d’aller et de venir pouvant ainsi justifier de telles limitations?
La tension entre ces deux pôles de nos libertés fondamentales ne relève pas d’un exercice théorique et académique mais est bien réelle et palpable aujourd’hui. Depuis l’épidémie du covid-19 sévissant en France, le Gouvernement est pris en tenailles entre d’une part son souci de ne pas porter atteinte à la liberté d’aller et venir (limitations des déplacements de la population) d’une manière disproportionnée et excessive par rapport au risque sanitaire encouru (propagation de l’épidémie) ; d’autre part, la demande de confinement total réclamée par certains organismes médicaux, et notamment le Syndicat Jeunes Médecins, l’InterSyndicale nationale des internes (« l’ISNI »), le Conseil national de l’Ordre des médecins estimant que les mesures de confinement prises – dans le cadre du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 – sont très insuffisantes.
Ces trois organismes professionnels de santé avaient saisi le 19 mars 2020 par référé-liberté le Conseil d’Etat aux fins de lui demander d’ordonner au Premier Ministre et au Ministre des Solidarités et de la Santé de prendre une série de mesures plus radicales que celles en cours.
Création de la loi du 30 juin 2000 [1], le référé-liberté, résultant de l’article 6 de la loi précitée, est une procédure d’urgence permettant de mettre fin à une mesure administrative portant « une atteinte grave et manifestement illégale » à une « liberté fondamentale ».
Ces organismes corporatifs de santé demandaient au Conseil d’Etat d’enjoindre le Premier Ministre et le Ministre des Solidarités et de la Santé de prononcer un confinement total de la population par la mise en place de mesures visant à :
– l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical ;
– l’arrêt des transports en commun ;
– l’arrêt des activités professionnelles non vitales (alimentaire, eau et énergie, domaines régaliens) ;
– l’instauration d’un ravitaillement de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement ;
Ils demandaient aussi au Premier Ministre et au Ministre des Solidarités et de la Santé de prendre les mesures propres à assurer la production à échelle industrielle de tests de dépistage et de prendre les mesures réglementaires propres à assurer le dépistage des personnels médicaux.
De son côté, le Ministre des solidarités et de la Santé concluait au rejet de la requête. Il contestait l’existence d’une carence de la part de l’autorité publique qui aurait constitué une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que les autorités administratives et sanitaires, tant nationales que locales, avaient pris et continuaient à prendre les mesures appropriées et utiles, compte tenu des connaissances et des projections scientifiques disponibles, pour éviter une saturation du système de santé et protéger les professionnels de santé comme l’ensemble de la population.
I/ La validité des mesures de confinement déjà prises par le Gouvernement
Dans son ordonnance du 22 mars 2020 n° 439674 Syndicat Jeunes Médecins [2], avant même d’examiner la requête des demandeurs, le Conseil d’Etat valide dans un premier temps les mesures déjà prises par le Gouvernement (A) et s’efforce, dans un second temps, de donner aux mesures privatives de liberté un fondement légal (B)
A/ La validation juridictionnelle des mesures déjà prises
Le Conseil d’Etat considère que les mesures de confinement déjà prises par le Gouvernement s’appuient sur un double fondement.
– D’une part, le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres (pouvoir réglementaire qu’il détient de l’article 21 de la Constitution), édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de covid-19 que connaît actuellement la France ;
– D’autre part, aux termes de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population./Le ministre peut habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. (…). »
Ce sont sur ces fondements qu’avait été pris, le 16 mars 2020 un décret portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 [3] et à partir du 4 mars 2020 plusieurs arrêtés du ministre de la santé. Enfin, le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local.
Par ailleurs, le Parlement a été saisi d’un projet de loi pour faire face à l’épidémie de covid-19 permettant l’instauration d’un état d’urgence sanitaire.
Le Conseil d’Etat considère que dans le contexte épidémique actuel, il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.
B/ Le fondement légal des mesures privatives de liberté
1/ Le Conseil d’Etat et l’article L. 521-2 du code de justice administrative
Le Conseil d’Etat s’appuie sur l’article L. 512-2 du Code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
2/ La qualification du droit au respect de la vie par le Conseil d’Etat : une liberté fondamentale
Dans le référé-liberté, la notion de liberté fondamentale fait l’objet d’une interprétation relativement large. Parmi les libertés fondamentales retenues par le Conseil d’Etat figure le droit au respect de la vie (CE, sect., 16 novembre 2011, Ville de Paris et Société d’économie mixte PariSeine, N°s 353172-353173).
Pour le Conseil d’Etat, il ne fait aucun doute que « Le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. »
La conséquence qui en découle est que dès lors que « l’action ou la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par cet article, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette action ou de cette carence. Toutefois, ce juge ne peut, au titre de cette procédure particulière, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises. »
II/ L’examen de la demande d’un confinement total par le Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat commence d’abord par analyser le contenu des mesures déjà prises de confinement.
A/ Les mesures de confinement déjà prises
Selon lui, il résulte de l’instruction comme des échanges entre les parties, que le ministre de la santé a, par plusieurs arrêtés successifs, notamment interdit les rassemblements de plus de cent personnes, décidé la fermeture, sauf exceptions, des établissements recevant du public ainsi que des établissements d’accueil des enfants et des établissements d’enseignement scolaire et supérieur.
De son côté, le Premier ministre a, par le décret en date du 16 mars 2020, interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitatives, tenant à diverses nécessités de la vie quotidienne, ainsi que tout regroupement avec la possibilité, pour le représentant de l’État dans le département d’adopter des mesures plus strictes si des circonstances locales l’exigent.
Ce dispositif, régulièrement modifié, est susceptible d’être à nouveau adapté en fonction des circonstances, notamment, ainsi qu’il résulte des déclarations faites à l’audience, en fonction de l’avis que le conseil scientifique mis en place par le Gouvernement doit rendre lundi 23 mars sur la durée et l’étendue du confinement et pour la mise en œuvre des dispositions législatives issues du projet de loi mentionné précédemment évoqué.
B/ Le rejet par le Conseil d’Etat d’un confinement total au plan national
Le syndicat Jeunes Médecins demandait au juge des référés du Conseil d’Etat d’enjoindre au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé de prononcer un confinement total de la population par la mise en place de mesures visant à l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, et en même temps d’instaurer un ravitaillement de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement. Il soutenait que le confinement total de la population était justifié face à la pandémie du Covid-19 dès lors que cette mesure constituait, en l’état de la lutte contre le virus, une stratégie thérapeutique qui fonctionne.
Dans son mémoire en intervention puis un nouveau mémoire produit un peu plus tard, l’InterSyndicale nationale des internes (« l’ISNI ») concluait à ce qu’il soit fait droit à la requête du syndicat des Jeunes Médecins en invoquant le fait que les mesures prévues par le décret du 16 mars 2020 étaient insuffisantes et portaient une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie. Par suite, il lui paraissait nécessaire d’aplatir la courbe des personnes contaminées, d’une part, afin d’éviter de devoir recourir à la priorisation dans la délivrance des soins et, d’autre part, compte tenu de la pénurie de matériel.
Le Conseil d’Etat admet d’abord qu’un « confinement total de la population dans certaines zones » puisse être envisagé.
En revanche, « les mesures demandées au plan national ne peuvent, s’agissant en premier lieu du ravitaillement à domicile de la population, être adoptées, et organisées sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont l’administration dispose, sauf à risquer de graves ruptures d’approvisionnement qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la protection de la vie et à retarder l’acheminement des matériels indispensables à cette protection. En outre, l’activité indispensable des personnels de santé ou aidants, des services de sécurité de l’exploitation des réseaux, ou encore des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation rend nécessaire le maintien en fonctionnement, avec des cadences adaptées, des transports en commun, dont l’utilisation est restreinte aux occurrences énumérées par le décret du 16 mars 2020. Par ailleurs, la poursuite de ces diverses activités vitales dans des conditions de fonctionnement optimales est elle-même tributaire de l’activité d’autres secteurs ou professionnels qui directement ou indirectement leur sont indispensables, qu’il n’apparaît ainsi pas possible d’interrompre totalement. Par suite, il n’apparait pas que le Premier ministre ait fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total de la population sur l’ensemble du territoire selon les modalités demandées par le syndicat requérant. »
III/ Le renforcement de certaines mesures
Le Conseil d’Etat relève que si ne peut être reprochée à l’autorité administrative une carence générale, compte tenu de « l’économie générale des arrêtés ministériels et du décret du 16 mars 2020 », en revanche « celle-ci est toutefois susceptible d’être caractérisée » dès lors que les dispositions réglementaires prises par le Ministre de la Santé et le Premier Ministre « sont inexactement interprétées et … leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné. »
Ainsi en va-t-il notamment de la portée de certaines dispositions prises « au regard en particulier de la teneur des messages d’alerte diffusés à la population » qui font apparaitre une certaine « ambiguïté » :
– « déplacements pour motif de santé » sans que leur degré d’urgence ne soit suffisamment précisé ;
– « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie » : la portée de ce 4ème paragraphe est large comme le montre la pratique de certaines activités sportives individuelles telles que le « jogging » ;
– « fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale ».
Par ailleurs, des mesures d’organisation et de déploiement des forces de sécurité doivent être mises en place pour permettre de sanctionner sur l’ensemble du territoire les contrevenants aux arrêtés ministériels et au décret du 16 mars 2020. C’est ainsi qu’au cours des débats il est apparu que des dispositions pénales plus sévères, pouvant aller jusqu’à des peines délictuelles, sembleraient être en cours d’adoption. S’agissant des lieux recevant du public où continue de s’exercer une activité, le contrôle du respect des « gestes barrière » doit être assuré de même que la prise de mesures d’organisation indispensables. Le Conseil d’Etat préconise enfin une meilleure et plus régulière information de la population sur le contenu des mesures prises et leur sanction en cas de non observation de celles-ci.
A/ Les mesures renforcées
Au terme de son analyse constatant un certain nombre d’insuffisances dans les mesures de confinement déjà prises, le Conseil d’Etat décide donc qu’« il y a lieu d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de la santé, de prendre dans les quarante-huit heures les mesures suivantes :
– préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
– réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
– évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation. »
B/ La position du Conseil d’Etat par rapport au dépistage
Les requérants demandaient au Conseil d’Etat d’enjoindre le Gouvernement d’opérer des tests de dépistage en les présentant comme une « mesure nécessaire afin de dépister le plus grand nombre de citoyens et de limiter la propagation du virus. »
Le Conseil d’Etat constate d’une part que les autorités ont pris, avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger, la décision d’augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais ; d’autre part que la limitation actuelle des tests aux seuls personnels de santé présentant des symptômes du virus résulte d’une insuffisante disponibilité des matériels.
Par suite, sur ce point, les conclusions de la demande sont rejetées.
CONCLUSIONS
Le positionnement des acteurs et protagonistes
La situation actuelle est assez inédite en France et les rôles sont inversés quant aux protagonistes en cause : le Gouvernement considéré comme le garant de l’ordre public (ici sanitaire), la justice administrative (en l’occurrence le Conseil d’Etat, notre plus Haute juridiction administrative, gardienne des libertés publiques) et les acteurs de la vie sociale (ici les médecins requérants).
Habituellement, c’est le Gouvernement qui est le plus souvent mis en cause dès lors qu’il est suspecté d’attenter aux libertés fondamentales. Or ici il lui est reproché, au contraire, une certaine timidité dans l’arsenal des mesures mises en place pour limiter la liberté d’aller et de venir des citoyens.
1/ Quant aux acteurs de la vie sociale et du monde associatif et professionnel (ici les médecins)
Habituellement, ils s’insurgent contre toute mesure portant atteinte aux libertés. Ici c’est l’inverse qui s’est produit car les organisations de médecins requérantes reprochent au Gouvernement de ne pas avoir décrété un confinement total, ce qui aurait nécessité, en premier lieu, la nécessaire mise en place de mesures de ravitaillement de la population dont le Conseil d’Etat, comme cela a déjà été analysé, s’est efforcé de souligner les nombreux inconvénients.
2/ S’agissant du Conseil d’Etat
Il est, en principe, dans notre droit, le défenseur du principe de légalité et le juge protecteur des libertés et constitue le socle solide de nos grands principes républicains.
Si, comme il vient d’être dit, il n’a pas accepté d’enjoindre au Gouvernement la prescription d’un confinement total, en revanche il a accepté, à la demande des requérants, d’exiger du Gouvernement qu’il durcisse quelques règles de confinement.
3/ Quant au Gouvernement
Si, après l’ordonnance de référé du 22 mars 2020 du Conseil d’Etat, le Gouvernement a accepté de revoir certaines dispositions du décret du 16 mars 2020, il s’est néanmoins borné seulement à réaménager son dispositif originel sans le remettre en cause dans le sens d’un confinement plus radical et draconien.
Ainsi les deux décrets – n° 2020-279 du 19 mars 2020 modifiant le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JORF n°0069 du 20 mars 2020, texte n° 27) et n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (JORF du 24 mars 2020, texte 7 ) – ont restreint les conditions de déplacements liés à certaines situations.
Ainsi :
1/ les déplacements liés à l’exercice d’une activité professionnelle sont désormais subordonnés à l’impossibilité d’organiser le télétravail ; en revanche ceux des déplacements professionnels ne pouvant être différés sont toujours autorisés comme le prévoyait déjà le décret originel du 16 mars 2020 ;
2/ les déplacements « pour motif de santé » ne sont plus aussi largement autorisés car ils excluent ceux motivés par des consultations pouvant être assurées à distance et celles pouvant être différés. En revanche, les consultations et soins des patients atteints d’une affection de longue durée sont autorisées ;
3/ les déplacements brefs à proximité du domicile liés à l’activité physique individuelle des personnes sont limités à « une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile », à l’exclusion de toute proximité avec d’autres personnes.
4/ les déplacements, liés « soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie » sont autorisés.
En revanche, deux nouvelles catégories de déplacements sont autorisées
- ceux répondant à une « convocation judiciaire ou administrative » ;
- ceux correspondant à une « participation à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative ».
L’urgence sanitaire a créé une nouvelle catégorie de délinquance liée au virus : il s’agit de prévenir le mal contagieux, de punir le non-respect du confinement, le marché noir des appareils médicaux, etc. Ainsi la justice devient l’alliée des pouvoirs médicaux, ce que Michel FOUCAULT décrivait comme le « bio-pouvoir » [4]. FOUCAULT distinguait dans l’émergence de ce « bio-pouvoir » le signe d’une transformation du pouvoir lorsque la vie se mettait à entrer dans ses préoccupations, notamment à partir du XVIIIe siècle. Il appelait « bio-pouvoir » les techniques spécifiques du pouvoir s’exerçant sur les corps individuels et les populations, avec les mécanismes juridico-politiques appropriés du pouvoir souverain. Dans nos sociétés modernes, les autorités incarnant le savoir médical et le pouvoir traditionnel régalien sont ainsi conduites à collaborer. Les autorités politiques de l’Etat, le pouvoir médical et le pouvoir judiciaire coopèrent ainsi, chacun à sa place, pour construire un Etat que certains ont déjà qualifié de « biopolitique » [5] fondé sur la notion de risque sanitaire.
Louis SAISI
Paris, le 11 avril 2020
NOTES
[1] LOI n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JORF n°151 du 1er juillet 2000 page 9948, texte n° 3).
[2] Cf. Conseil d’Etat, ordonnance du 22 mars 2020 n° 439674 Syndicat Jeunes Médecins, https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-22-mars-2020-demande-de-confinement-total.
[3] Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JORF n°0066 du 17 mars 2020, texte n° 2). Ce décret a lui-même été remplacé depuis le 23 mars 2020 par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (JORF n° 0072 du 24 mars 2020, texte n° 7).
[4] FOUCAULT (Michel) : Histoire de la sexualité (chapitre 3 la volonté de savoir, tome 1), 3 tomes, Ed. Gallimard, Paris, 1976 et 1984.
[5] SALAS (Denis) : La foule innocente, Ed. Desclée de Brouwer, Paris, 2018 ; voir également L’Obs N° 2891, du 2 au 8 avril 2020, pp. 28-31.