Un banc sur la falaise d’Etienne TARRIDE, compte rendu par Louis Saisi

Un banc sur la falaise, Etienne TARRIDE

(Ed. L’Harmattan, Paris, 24 juillet 2020, 205p)

par Louis SAISI

Il s’agit ici d’un compte rendu mais aussi, conformément au roman lui-même, d’une analyse factuelle des représentations sociales des acteurs face à l’enjeu politique de la transformation d’une ville.

Observations liminaires à l’attention de nos lecteurs,

Certains – qu’ils nous pardonnent ! – pourront trouver ce résumé trop abondant, mais ils voudront sûrement bien nous accorder leur indulgence. Car, à notre décharge, il y a lieu de préciser que c’est aussi un commentaire et que bien d’autres, sur des auteurs illustres passés, nous ont largement précédé dans le genre. Ainsi qu’on se souvienne seulement que l’essai d’explication, par l’universitaire Gustave COHEN, du célèbre poème du Cimetière marin de quelque 144 vers de Paul VALÉRY fit l’objet d’un ouvrage de pas moins de 120 pages dans la nouvelle édition Gallimard de 1933. Cet « essai » fut d’ailleurs largement battu, au moins quantitativement, par celui de Paul PIELTAIN qui, dans un ouvrage, sur le même sujet, développa, en 1975, sa propre explication sur quelque 324 pages…

——

Le roman

             Etienne TARRIDE

Etienne TARRIDE qui a déjà publié plusieurs romans, nous convie implicitement, avec son nouveau roman Un banc sur la falaise, à une intéressante réflexion sur la ville et ses mutations.

Aujourd’hui, une ville, grande, moyenne ou petite, peut-elle échapper à sa transformation ? Dans la négative, jusqu’où? Et qui est légitime pour y pourvoir?

Telle est la question centrale posée, de manière sous-jacente certes, dans le roman d’Etienne TARRIDE qui prend naissance dans la petite ville imaginaire de FLORAVILLE-EN-CAUX – gros village de 4000 habitants l’hiver et de 6000 en été – située près de Dieppe sur la Côte d’Albâtre normande. Mais, surgit comme question annexe, une interrogation inévitable sur le rôle des acteurs dans une telle transformation. Quel est le poids respectif des habitants des villes et des politiques, que ces derniers s’expriment au niveau local (maire, député du coin) ou central comme autorités de tutelle (Préfet) ou, aujourd’hui, dans le cadre de l’aménagement du territoire (Ministre) ?

Ci-dessous, carte du Pays de CAU

             sur la Côte d’Albâtre

En effet, dans ce roman, la question centrale qui divise les habitants de la ville de FLORAVILLE-EN-CAUX, est l’annonce d’un grand projet de centre commercial : grands magasins « TARMAC », avec leur enseigne rouge lumineuse perchée sur un immeuble de quinze étages devant être construit au centre de SUPER-FLORAVILLE, le nouveau quartier administratif et commercial juché sur les hauteurs de la ville faisant face à la montée de la falaise surplombant la mer. Dans les trois ans qui suivraient devrait s’élever un hôtel sous la forme d’un gratte-ciel de douze étages au pied duquel deux restaurants devraient voir le jour. Le premier, le plus grand, serait un restaurant à bon marché ; le second, de taille réduite, serait un restaurant gastronomique. En sous-sol, une piscine chauffée remplacerait avantageusement la mer, surtout les jours où elle est démontée. Diverses petites boutiques (tailleurs, bottiers, alimentation, vente de souvenirs, librairies, magasins de luxe) et des succursales de banques nationales seraient ouvertes dans de petits immeubles adjacents. Côté social, vingt immeubles de six étages à loyer modéré, une garderie d’enfants et un dispensaire devaient être disposés en résidence d’habitat dans laquelle l’installation de deux médecins généralistes pouvant assurer les urgences était prévue par les pouvoirs publics préfectoraux. Un autre immeuble de quatre étages devrait être consacré à une maison administrative rassemblant les difficultés rencontrées par les habitants avec l’Administration, et notamment le Fisc et la Sécurité sociale.

Les diverses autorités publiques locales et nationale se sont concertées pour la construction d’un théâtre réservé aux élèves du conservatoire régional ainsi qu’aux troupes nationales ; l’ouverture de nouvelles lignes de transport, par car, pour assurer la desserte des villes environnantes englobant les villes normandes de Rouen et du Havre, mais aussi, bien au-delà, de Paris, Reims, Amiens et Lille.

Le thème socio politique du roman tourne donc autour de la modernisation d’une ville par le biais de projets architecturaux visant à lui donner un autre rythme, plus moderne, une autre âme, ce qui mobilise les partisans favorables au projet qui y voient un salutaire renouveau pour leur ville, mais dérange et en inquiète d’autres, notamment tous ceux qui sont attachés à leur ville telle qu’elle est, et qui voient dans le projet urbain une dénaturation de leur cadre de vie au profit de promoteurs immobiliers avides de gains, peu scrupuleux ni encore moins respectueux des équilibres socio urbains.

Parmi les personnages, Albert CONQUÉRANT, ex journaliste et exilé parisien, et son épouse Corinne, qui fut, à Paris, médecin des pauvres ; leur fils GASPARD (Conquérant), étudiant ; Adrien CLAPPIER, ami d’Albert et maire de FLORAVILLE et promoteur du projet de restructuration de la ville ;  FERNAND, l’incontournable patron du Bistrot du Parc, flanqué  de ses deux  employés, GUILLAUMETTE et VALENTIN ; John SÉVÈRE, le menuisier de FLORAVILLE dont l’atelier est à Dieppe et qui, accessoirement, loue sa chambre d’hôte depuis que sa femme l’a quitté…

Rentrée d’un bateau dans le port de

                       DIEPPE

Témoin muet de la bataille de la mutation de FLORAVILLE, un banc de bois posé au sommet de la falaise d’où l’on voit la mer et le ciel à perte de vue et qui symbolise un univers figé, immuable, bien planté dans le sol. De la hauteur des trente mètres de cette falaise, Albert CONQUERANT se plaît à contempler, le soir, l’arrivée des bateaux lumineux venant d’Angleterre pour rentrer dans le port de DIEPPE. Mais la pérennité de ce beau spectacle du soir couchant est menacée par la fermeture des lignes maritimes qui ne sont plus rentables avec la percée puis le développement du tunnel sous la Manche mettant Londres à quelques heures de Paris.

La famille CONQUÉRANT, dans sa trinité soudée père-mère-fils, occupe une place centrale dans le roman. C’est par leur implication et leur réflexion que la narration avance en effet.

              Journalistes et journaux et

               leur distribution publique

Albert CONQUÉRANT, le personnage central (œil et jugement de journaliste obligent…) est comme une institution dans la ville. Il est l’ami du maire dont il soutient le projet dans ses grandes lignes (désenclavement de FLORAVILLE), mais, surtout, il bénéficie d’une solide réputation d’homme intègre acquise dans le cadre de son métier de journaliste exercé pendant trente ans, à Paris, au cours duquel il avait développé une lutte pour la transparence, combattu les puissants, aidé les opprimés de tous bords : laissés pour compte de la société, immigrants exploités, etc. Albert avait aimé Paris où il avait vécu durant sa carrière professionnelle, surtout le Paris des quartiers populaires de l’est parisien.

Mais lorsque son journal les avait désertés pour aller s’installer boulevard Saint-Germain, cela éveilla en lui l’idée d’un retour possible chez lui, à FLORAVILLE-EN CAUX, qui devint si nécessaire et impérieuse qu’il avança de deux ans son départ à la retraite. Ainsi lorsqu’il se promenait dans « FLORAVILLE LE VIEUX », au sein de la cité Braque construite quelques années plus tôt pour y loger le contingent de migrants, certains de ceux-ci lui adressaient des signes amicaux depuis leurs fenêtres. Il avait été chargé par un journal du département d’être le lien avec eux à partir du moment de leur installation et de se faire l’écho de leur état d’esprit, de leurs doléances et leurs besoins. Dans ses articles, il s’était efforcé de faire connaître aux vieux Normands ces migrants, venus de mystérieux ailleurs, des gens certes différents, mais respectables et reconnaissants.

Dans sa nouvelle tâche, Albert CONQUERANT poursuivait ainsi sa trajectoire, toujours aussi droite, au service des plus humbles et des déshérités. Pourtant, aujourd’hui, il doute du projet qu’il avait soutenu car certains habitants propriétaires de la rue Debussy et des autres rues du VIEUX FLORAVILLE, ses amis d’enfance parfois, ne lui manifestent plus la même sympathie. Ils se sont sentis trahis par lui et le boudent depuis un certain temps car n’étant guère favorables au projet du maire, ils sont même prêts à fuir la nouvelle horde migratoire pour aller s’établir dans les villes normandes environnantes. Tous ses discours sur le « progrès » et la « marche de l’Histoire » ne les ont pas convaincus et ont même parfois décuplé l’hostilité radicale de certains d’entre eux. Pour lui, si le projet échoue, FLORAVILLE sera confinée au rôle peu enviable d’une cité dortoir et à un club de vacances pour les bobos de Rouen, de Paris, de Lille, sans parler même de Londres.

Et CONQUERANT ne pouvait dès lors s’empêcher d’établir un parallèle avec la construction réussie de la cité du Parc qui, même si elle avait privé les enfants d’un terrain de jeu, vaste, sûr et tranquille (par rapport aux dangers de la Falaise), avait été réalisée quelques années auparavant pour y accueillir une majorité d’agriculteurs bretons chassés de leur terre par la grande sécheresse de 2011. Il en avait été l’un des partisans, au nom d’une certaine solidarité, même s’il s’était heurté alors au scepticisme d’une partie de la population et à ses persiflages.

Jeune-femme énergique et déterminée,

               à l’image de CORINNE… 

Son épouse, CORINNE, ancien médecin à Paris, est plus nuancée dans l’appréciation du projet. Côté positif, elle voit surtout dans celui-ci son aspect social et culturel : nouvel habitat avec des loyers modérés, une garderie d’enfants, un dispensaire, un cabinet médical, le théâtre. Ce « théâtre » qui, aux dernières nouvelles, devrait toutefois se réduire à une salle de spectacle confiée à un présentateur populaire de télévision en vogue, protégé par le Président de Région dont il était un ancien condisciple de lycée. En revanche, elle est caustique sur l’utilité du centre commercial et l’emprise de « Tarmac distribution » sur le projet. Sans le remettre en cause, elle veut le voir amendé.

 

 

 

       Atmosphère universitaire doctorale…

GASPARD, le fils d’Albert et Corinne CONQUERANT, étudiant en lettres à l’université de Rouen, incarne la jeune génération, non seulement au sein du couple, mais par les liens qu’il entretient avec ses amis étudiants de son âge et le milieu étudiant rouennais en général. Il n’est pas en rupture de ban avec ses parents mais bien qu’affectueux à leur endroit, il a sa propre vision du projet qui est bien plus radicale, dans la critique, que celle de ses parents, même si, face à ceux-ci, il est volontairement discret et conciliant. Il est néanmoins opposé au projet qui dénature le cadre de vie de FLORAVILLE au profit de raisons spéculatives pour le profit de quelques-uns et sans bénéfice vraiment tangible et convaincant pour ses habitants. Il fréquente son copain Abdallah AZIZ, étudiant en droit, appartenant au quartier des migrants de la cité Braque de FLORAVILLE-EN-CAUX et lié à Lucie, étudiante en médecine. GASPARD l’a rencontré dans le car qui les conduit régulièrement à l’université de Rouen. Le même GASPARD entretient, à Rouen, une liaison plus sensuelle qu’affective avec Marie-Françoise, étudiante en médecine. Mais il constate vite, amèrement, que, non seulement elle est assez indifférente au sort des habitants de FLORAVILLE, mais elle s’exprime aussi, face à ses trois amis interloqués, de manière quasi provocatrice. Instruite par l’expérience de son père – apparemment entrepreneur et dont la fibre sociale est loin d’être le fort -, elle estime, sur un ton péremptoire, que malgré l’opposition de Gaspard, d’Abdallah et de sa copine Lucie ainsi que des habituels râleurs et des enquiquineurs de tous poils des causes perdues d’avance, le projet de SUPER FLORAVILLE se fera même contre eux. GASPARD, déçu mais aussi outré d’une telle sortie de la part de son amie Marie-Françoise – trahissant à la fois l’arrogance de sa caste bourgeoise et une attitude agressive, outrancière et méprisante – décide de rompre sur le champ. C’est qu’il se veut, en effet, cohérent avec lui-même. Voilà déjà un certain temps qu’il milite à Rouen au sein du groupe « Peuple et libertés » regroupant une centaine d’étudiants progressistes bien décidés à dire leur propre mot sur la transformation de leur environnement et dont Marie-Françoise, manifestement, est à mille lieux de leur culture sociale…

Ci-dessous, un maire,  jeune et dynamique,

avec plein de projets communaux en tête…

Face à la sympathique famille CONQUÉRANT, le maire Adrien CLAPPIER (maire d’opposition), armateur de bateaux de pêche qui a été réélu aisément à l’issue de ses deux mandats. C’est lors du premier, qu’il avait ravi la mairie à BOURRIN, le boulanger, qui avait traîné les pieds pour la réalisation de la résidence du Parc au profit des agriculteurs de la région en butte aux difficultés de la grande sécheresse. Il était vite devenu l’ami d’Alber CONQUERANT – qui refusa néanmoins d’être son premier adjoint – en même temps qu’il avait su séduire, par ses « belles manières » et ses propos rassembleurs, les plus modestes de ses électeurs. Se définissant comme un réformateur, il pousse, aujourd’hui, de toute son énergie, avec l’appui exigeant d’Albert CONQUERANT et surtout du député du cru, Max OREILLE (député de la majorité), le projet de transformation de Floraville-en-Caux.

 

Ci-dessous, « Deux amis », à la manière de la

Nouvelle de Guy de MAUPASSANT (1883)

CLAPPIER et CONQUÉRANT s’apprécient mutuellement et parlent souvent ensemble de l’état d’avancement du projet qui leur tient tant à cœur à tous les deux, bien qu’à des niveaux de responsabilité différents. Le maire organise des réunions d’information au cours desquelles il expose clairement l’état du dossier sans dissimuler les difficultés encore pendantes au fur et à mesure de son avancement tout en s’efforçant de rechercher l’adhésion de ses concitoyens. Cela le conduit à des allers et retours à Paris, place Beauvau, pour négocier les derniers arbitrages avec le cabinet du Ministre et les responsables de la société « Tarmac distribution » dont il rend compte ensuite à ses administrés, certains l’écoutant sans réserve, d’autres de manière plus incrédule quant à son rôle dans une telle occurrence…

En filigrane d’autres personnages, plus ou moins mystérieux, bien que moins présents car n’habitant pas la ville, se meuvent sur cette toile de fond parfois quasi clochemerlesque.

  Un militant révolutionnaire

« guérillero » d’Amérique latine

Ainsi PACO FLEURY, personnage extérieur à FLORAVILLE, vient un jour loger chez l’habitant et élit domicile chez John SEVERE. Il ne doit pas dévoiler sa véritable identité car il est envoyé en mission par le groupe « Peuple et libertés » de Paris pour établir des contacts avec celui de Rouen dans lequel militait GASPARD CONQUERANT. Il s’agit, comme il a été dit plus haut, de militants progressistes constitués en dehors des partis politiques traditionnels et composés d’étudiants s’efforçant de recruter dans les milieux ouvriers et paysans travaillant à un changement de société en France et dans le monde. Leur état-major se réunit à DUNKERQUE par peur du rejet, chez les ouvriers et les agriculteurs, du centralisme parisien. PACO, passager discret et sans bagages, ayant acquis une solide réputation d’un passé révolutionnaire conquis les armes à la main dans les luttes de libération nationale en Amérique du Sud, joue le rôle de commissaire politique prodiguant ses analyses et conseils quant à l’existence – ou pas – de conditions réunies pour se lancer à l’assaut de la citadelle bourgeoise capitaliste. Par son verbe, il méduse des jeunes comme GASPARD ou ranime la flamme chez ceux qui, trop tièdes, estiment que désormais il n’y a plus rien à faire en France. La colère des peuples, leur enseigne-t-il, est comme le mouvement des marées et il ne faut pas désespérer d’une toujours possible « déferlante » … Sa lointaine complice DESDÉMONE, ancienne comédienne tragédienne shakespearienne, lui avait rappelé par téléphone qu’au lieu de se contenter d’enregistrer l’état de mécontentement des gens de FLORAVILLE contre le projet, il était là pour appliquer les principes guidant les luttes révolutionnaires en s’adaptant aux circonstances, bref, il devait « déchainer ces bouseux » pour leur faire franchir la « ligne rouge ».

PACO expose donc à GASPARD que le groupe « « Peuple et libertés » a décidé de s’opposer au projet de « SUPER-FLORAVILLE » expression des intérêts capitalistes financiers contre les agriculteurs, les commerçants et les artisans pour en faire des oisifs ou des chômeurs. Après discussion et quelques molles objections, GASPARD se laisse convaincre de la nécessité de s’impliquer pour organiser une grande manifestation contre le projet.

« Monsieur le Ministre » qui, même sorti

du circuit politique, reste chez nous,

en France, toujours un peu « ministre »,

bref comme un ministre qui dort…

Ainsi réapparaît, en toile de fond et de manière passive, la figure de Firmin DORMEUR, homme politique et ancien Ministre autrefois, et aujourd’hui retiré de la vie publique. Il s’est reconverti dans une activité florissante de conseil aux entreprises de recyclage de déchets, suite à sa chute à laquelle avait contribué le journaliste Albert CONQUÉRANT qui passa sa vie active au service de causes justes et de croisades dénonçant toutes les formes de corruption. Pourtant, DORMEUR avait été mis hors de cause par le juge car il n’avait pas participé aux agissements frauduleux du PDG de la société mise en cause et il avait obtenu un non-lieu, ce qui ne l’avait pas empêché de se retirer volontairement de la vie politique dont il était las car fatigué de s’abstenir de dire ce qu’il pensait pour pratiquer la « langue de bois » ou, dans sa version plus pudique et indulgente, « les éléments de langage » dont il déploie un riche florilège pour illustrer son propos …

La rencontre, quelques années plus tard, d’Albert CONQUÉRANT avec lui, est des plus savoureuses et instructives… DORMEUR est devenu politiquement désabusé, voire cynique, car estimant que les protagonistes s’opposant à propos de la transformation de FLORAVILLE s’agitent beaucoup pour rien, tout étant déjà joué et décidé à l’avance par le « pouvoir » car lorsqu’un débat s’installe au sein de la société – souvent pour vite s’enflammer -, il a déjà été tranché par quelques « grosses têtes » car les braves gens qui militent et se battent de bonne foi pour obtenir gain de cause ne savent pas qu’en définitive ils n’auront, en guise de victoire, que la satisfaction d’obtenir des concessions qui étaient parfaitement prévues au départ.

Un avocat dans l’exercice de sa plaidoirie…

Quant à celui qui fut l’avocat de DORMEUR – Maître DOURTHE – qui avait efficacement aidé le Ministre lorsqu’il fut mis en cause devant le juge correctionnel, il s’était également reconverti pour passer du pénal – de la défense des truands, des braqueurs et meurtriers – au monde des affaires au sein d’un florissant cabinet d’avocat de l’avenue Victor Hugo dans le 16ème arrondissement. Il gagnait de l’argent, hantait les cocktails mondains. S’il avouait s’y emmerder, il avait trop pris goût à son confort douillet pour y renoncer car il avait perdu la « sève » pour retourner défendre ceux que la société embastillait.

C’est la manifestation, organisée par GASPARD et ses amis et complices politiques, qui va accélérer le rythme de ce truculent roman politique, pour le porter à son dénouement.

Au départ, il s’agit de rassembler au moins un bon millier de personnes dont 400 originaires de Normandie – dont 200 de FLORAVILLE et des villages environnants et 200 venant de Dieppe -, le reste venant d’ailleurs, notamment des trois villes de Rouen, Lille et Paris.

Des chaînes de télévision, intéressées par le mouvement social de protestation, ont été averties.

Les slogans de la « manif » doivent être bien visibles pour frapper les esprits. Ainsi GASPARD fait fabriquer une vingtaine de polos, avec l’inscription, en lettres rouge-vif, « FLORAVILLE VAINCRA », et en dessous, en bleu et plus petites lettres, « Non à Tarmac ». Une dizaine de banderoles géantes doivent être brandies avec les mêmes protestations. La seconde semonce « Non à Tarmac » est également destinée à susciter un élan d’empathie chez les petits commerçants de France et de Navarre lorsqu’ils verront l’image de la manif à la télé, le soir.

PACO, de son côté, s’est employé à convaincre les chaînes de télé de la nécessité de couvrir l’évènement, de même qu’il a mobilisé, sur certaines chaînes du Net, des amis qui sont déjà acquis à la mise en cause de « Tarmac Distribution ».

          Une manifestation joyeuse…

La date de la « manif » est arrêtée à un samedi, midi, avant l’été, et le lieu de rendez-vous des manifestants est le « Bistrot du Parc » de FERNAND. Et le jour dit, à midi, devant le Bistrot du Parc, ils sont près de 2000, à s’être rassemblés, enthousiastes, malgré une pluie fine battante, sous le regard de quatre gendarmes chargés d’assurer l’ordre républicain.

Le curé de la paroisse, en la personne du père EDMOND, a également fait le déplacement, mais sans sa soutane car, explique-t-il à GASPARD, son ancien catéchumène assidu, ici, il représente seulement l’homme qu’il est et non le serviteur de Dieu. Dans une liesse bon enfant, toute la communauté intergénérationnelle de FLORAVILLE est, bien sûr, présente, des adolescents aux adultes. Les enfants de quinze à vingt ans, pris en charge par VALENTIN et GUILLAUMETTE, exhibent fièrement leurs polos imprimés des slogans arrêtés pour la circonstance sous le regard sourcilleux du directeur de l’école communale veillant à ce qu’on ne s’affranchisse pas du bon usage de la langue française  ; la sociologie habituelle de la contestation est respectée : les manifestants sont, pour la plupart, issus des quartiers les plus modestes de FLORAVILLE et des villes avoisinantes, tandis que la bourgeoisie des beaux quartiers est absente. C’est le peuple contre le pouvoir, sans que pour autant les Floravillais ne reprennent à leur compte une tentative isolée, mais vite condamnée et avortée, d’Internationale avec sa promesse de « lutte finale ». La chanson révolutionnaire de la classe ouvrière est prestement remplacée, pour rythmer la marche du cortège, par un chant plus consensuel et viril de troufion encaserné qui parle joyeusement de « quille », de « gamelle » et de « bleus » …

Les locaux sont rejoints par des partisans de « Peuple et libertés » venus de Paris dans deux cars bondés pour grossir et animer le cortège, munis de force banderoles et caméras au poing…

Lors de son passage devant la cité BRAQUE – qui abrite des réfugiés politiques -, le défilé s’accroît d’une bonne cinquantaine de nouveaux manifestants, dont ABDALLAH, ami de GASPARD, avec ses père et mère en tête. Mais la population de FLORAVILLE est loin d’être homogène, et la présence de migrants parmi les autochtones, même pour la défense de la ville, fait l’objet de quelques réactions xénophobes et hostiles. Zeste de racisme populaire ou/et triste constat d’une pratique feutrée et inavouable « égaux mais séparés » ?

La manifestation a profondément divisé la famille CONQUERANT. Face à leur fils GASPARD, qui l’a organisée, ses père et mère, ALBERT et CORINNE, en contestent l’utilité en invoquant qu’elle risque, au contraire, d’être improductive et de dresser définitivement les autorités – le maire (Adrien CLAPPIER), le député (Max OREILLE) et madame le Préfet – contre les amendements et correctifs qui auraient pu encore être apportés au projet.

Outre cette pointe de xénophobie le jour de la manifestation, son lendemain, comme on l’apprend par la suite, n’a pas été paisible puisque cinq motards casqués ont tiré des coups de feu en direction du pavillon des bûcherons polonais qui devaient donner les premiers coups de pioche pour la transformation de FLORAVILLE. S’il n’y eu pas mort d’homme, le chien des polonais était mort et des tracts hostiles à ceux-ci sommant les « polacks » de rentrer en Pologne avaient été trouvés dans les boîtes aux lettres dont un collé sur celle de leur pavillon.

Un journaliste de radio rendant compte

                d’une manifestation…

Chacun fait son travail. La radio s’empare aussitôt de l’évènement faisant savoir que le maire et le député ont déclaré, à l’unisson, que les « fauteurs de trouble lors de cette manifestation », ne peuvent être que « des gens de l’extérieur » et non leurs paisibles administrés. Participant à l’émission radio, la comédienne DESDÉMONE, ici connu pour ses positions écologistes et progressistes, changeant de posture, se place du côté de l’ordre et de la Loi en condamnant avec force et véhémence l’attentat, considérant que les habitants passéistes de la commune, au moins complices d’un tel forfait, présentent comme âge d’or de leur ville cette époque qui n’avait été en fait que celle de l’exploitation féroce de l’homme par l’homme…

De leur côté, les pandores qui font leur devoir, avec rigueur et sévérité, enquêtent. Ainsi GASPARD, en tant qu’organisateur de la manifestation ayant abouti au dérapage des motards, est un moment mis en cause, et la maison familiale est même perquisitionnée au grand dam de sa mère, CORRINE, et de la population locale et des amis massés devant la maison…

FERNAND et GUILLAUMETTTE, les deux serveurs du bistrot du Parc, vont, eux aussi, être mis en cause et plus précisément soupçonnés d’avoir tiré sur le pavillon des polonais…

Casquette préfectorale, symbole

de l’autorité et de l’importance du

Haut fonctionnaire de la République

               qui la porte….

De son côté, mademoiselle la Préfète – Edith MARCEL -, personnage ferme et inflexible sortie de la botte de l’ENA, irritée par la réaction de la population à la suite de la perquisition chez les CONQUÉRANT, entend bien faire toute la lumière sur cette ténébreuse affaire, bien que sur le fond elle soit partagée sur le projet de « SUPER-FLORAVILLE » entre ces sentiments personnels – assez réservés sur le projet dénaturant le village avec l’ouverture d’un supermarché – et son rôle de Préfet qui est de défendre l’ordre et le projet voulus par le Ministre de l’Intérieur et le Gouvernement…

Le maire, Adrien CLAPPIER, a convoqué à la mairie une vingtaine de personnes représentant ses administrés pour faire le point avec monsieur le Député et madame la Préfète.

Madame la Préfète annonça les décisions suivantes : les auteurs de la fusillade contre le pavillon des polonais seront recherchés et punis avec la plus grande sévérité, et malheur aux habitants de FLORAVILLE qui seraient tentés de les imiter ; la Tour Tarmac sera construite et sa hauteur passe même de 15 à 18 étages, ce qui prendra un délai de 2 ans.

De son côté, le maire annonce, quant à lui, que le projet d’espace culturel est abandonné (le Centre Jean RENOIR de Dieppe ne l’ayant perçu d’un bon œil) : il n’y aura ni site de spectacle, ni théâtre à « SUPER-FLORAVILLE » confirme madame la Préfète, la mise en place d’un tel projet ayant été jugée trop onéreuse.

Le Député intervient à son tour pour annoncer qu’il avait convaincu le Ministre de s’opposer à l’ouverture de commerces de bouche dans la Tour Tarmac : ni boucherie, ni charcuterie, ni poissonnerie ou vente de crustacés.

De son côté, le militant et activiste PACO est satisfait. Si, explique-t-il à un GASPARD médusé, les coups de feu sur le pavillon des polonais avaient été tirés très haut, proches du toit, par des activistes de « Peuples et libertés », c’était non pour tuer mais seulement pour faire du bruit. Ainsi, sans effusion de sang, le cas de FLORAVILLLE est devenu un « fait de société » de même que le déploiement des « flics » transformant des « grognes » en « abcès révolutionnaire ».

FERNAND et GUILLAUMETTTE finissent par être remis en liberté.

GASPARD CONQUERANT, las de FLORAVILLE et en désamour pour la France, s’apprête à partir en Afrique dans une ONG humanitaire.

Albert CONQUERANT et sa femme Corinne, bien que sentant amèrement tout le poids de leur défaite, décident, malgré tout, de rester à FLORAVILLE car s’ils ont perdu ils se sont au moins battus conformément à leur idéal de vie et à leurs convictions.

ALBERT est quant à lui désabusé : il a le sentiment de s’être toujours battu toute sa vie pour des « hochets » car « On ne se bat pas contre la machine du pouvoir et de l’argent ».

Sans doute, selon CORINNE, parce qu’on leur a appris, dans leur éducation, à respecter les puissants.

Mais le « respect », poursuit-elle, a parfois du bon, comme le respect pour des gens qui, comme les Canadiens – honorés à FLORAVILLE –, sont tombés pour libérer la France.

Volteface de la Préfète qui, de manière fracassante annonce à une émission de télé qu’elle a démissionné de ses fonctions car malgré les félicitations du pouvoir politique saluant la manière dont elle avait réglé « l’affaire de FLORAVILLE-EN-CAUX », elle regrette d’avoir contribué à la destruction de cette petite ville, et elle est lasse d’avoir choisi un métier la contraignant toujours à se taire et obéir pour accomplir une mission consistant à « manipuler de braves gens ».

Projetant de mettre à profit un patrimoine qui lui vient de ses parents, elle envisage de s’installer à « FLORAVILLE-LE-VIEUX » pour continuer à y mener la bataille contre la destruction des bois et jardins de sa belle Normandie pour en faire des Luna Parks.

   Falaise du Pays de Caux…

Un an après tous ces évènements, suite aux travaux d’édification de la tour TARMAC, le banc de bois surplombant la falaise de FLORAVILLE tombe sur la grève, mobilisant à nouveau le Maire et son adjointe – qui n’est autre que l’ex préfète Edith MARCEL – ainsi que l’autorité préfectorale de Seine Maritime…

Les autorités sont toujours là, qui veillent et parlent…

Alors, que penser de ce livre ?

Ce livre, par sa trame bien agencée et limpide, sa progression alerte et bien rythmée, son style clair et souple, est d’une lecture plaisante et agréable. Une fois refermé, il se médite aussi tant les thèmes, nombreux, abordés ici recoupent l’actualité sociale et les multiples contradictions et tensions politiques de la société française d’aujourd’hui.

—–

Son auteur

                Ci-dessous,  Etienne TARRIDE,

                           Avocat honoraire

Etienne TARRIDE est né en 1946 à Paris. Diplômé d’études supérieures de Droit Privé et diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, il est, aujourd’hui, Avocat honoraire au Barreau de Paris. Il n’est pas un inconnu du monde politique ni des cénacles littéraires. En effet, outre ses nombreux essais politiques, il a déjà publié également plusieurs romans. Ceux-ci ont en commun – et cela ne nous étonnera pas – la caractéristique majeure de toujours s’adosser au contexte politique où la petite « histoire » côtoie la grande « Histoire » – qui s’est faite ou qui est en train de se faire – qui en constitue la toile de fond. C’est ainsi qu’Il est l’auteur d’une suite romanesque en trois tomes de la série Les Vingtcoeur (2006, 2007, 2008), la saga d’une famille d’avocats au XXe siècle (éditions FX de Guibert). En 2014, il a publié, autre roman politique, Selon notre dernier sondage (Éditions Persée).

Louis SAISI

Paris, le 22 décembre 2020

 

 

 

 

 

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Contenu protégé !