AUX SOURCES DE LA FRATERNITE, CONDITION DE L’EXISTENCE DE L’HOMME (II) par Louis SAISI

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AUX SOURCES DE LA FRATERNITE, CONDITION  DE  L’EXISTENCE DE L’HOMME (II) par Louis SAISI

 

Comme annoncé, nous poursuivons la publication ci-dessous de la seconde partie de notre article initial – intitulé Aux sources de la fraternité, condition de l’existence de l’Homme – qui fait suite à la première partie publiée le 11 mars 2019 sous le titre : « Essai d’appréhension de la fraternité : l’analyse du lien d’appartenance (union) et les différentes approches de la fraternité » (http://www.ideesaisies.org/aux-sources-de-l…stence-de-lhomme/)

2ème partie : Les moments forts de la fraternité dans l’histoire

Selon la linguiste Olga INKOVA, dans la devise républicaine française :

« La troisième valeur – la Fraternité – n’est pas la moins importante, mais probablement la plus floue. Le fait que dans les ouvrages iconographiques il n’y ait pas de figure allégorique correspondante (à la différence de la Justice, de la Liberté et même de l’Égalité) est très significatif de ce point de vue. « Relations entre frères, entre peuples » en latin classique, Fraternitas devient, dans les œuvres de pères de l’Église, « relations entre chrétiens ».

En retrouvant son sens premier, la notion de fraternité résume tous les devoirs des hommes à l’égard les uns des autres ; elle signifie : dévouement, abnégation, tolérance, bienveillance, indulgence, ce qui la rapproche de la notion de solidarité, par laquelle elle est d’ailleurs souvent remplacée. Dans la société moderne, la fraternité (ou la solidarité?) justifie la reconnaissance de droits économiques et sociaux qui viennent contenir ou contredire les injustices inéluctablement produites par la société marchande. » [1]

Cette remarque d’Olga INKOVA sur la fraternité nous rappelle fort opportunément que, comme la laïcité, la fraternité a une longue histoire et qu’elle est souvent venue corriger les injustices inhérentes à la société marchande générée par le libéralisme.

La contribution du 18ème siècle à l’histoire de la fraternité est importante car c’est un grand moment d’une première forme de laïcisation non seulement de la fraternité elle-même mais aussi de l’idéal de l’Etat moderne qui se dégage de ses sources judaïques et chrétiennes primitives, notamment avec la grande révolution française de 1789 (il avait été amorcé sous l’Ancien Régime avec la guerre livrée aux jésuites par les Parlements dont le point d’apnée fut, en 1763, la fermeture des collèges des jésuites [2]). Il faudra attendre 1905 pour qu’avec la loi de séparation des Églises et de l’Etat un puissant second mouvement de laïcisation de l’Etat s’opère, mais le processus avait été amorcé bien antérieurement, même s’il le fut imparfaitement sous la Révolution française au point que Napoléon, avec le Concordat de 1801/1802, put y revenir dessus sans trop de heurts et de résistances.

Si l’apport de la Révolution française à l’idée de fraternité, au moins dans ses grandes lignes, est généralement admis et connu, malgré l’absence d’une inscription formelle de la fraternité dans les textes constitutionnels et législatifs de cette période historique fondamentale, celui de la Franc-maçonnerie – qui, sous l’angle de la fraternité qui nous occupe ici, avec les Constitutions d’ANDERSON, se manifeste au tout début du 18ème siècle – l’est beaucoup moins, alors que l’on reconnaît, comme nous l’avons vu dans la première partie de notre étude, les sources religieuses plus anciennes de la fraternité.

Or, comme le montre dans son Mémoire Anne PIRAUX, « les mondes maçonnique et chrétien sont perméables l’un à l’autre, essentiellement dans les sociétés protestantes » [3]. Il est vrai que son analyse porte sur le XIXème siècle. Mais, incontestablement cette proximité était encore plus grande au 18ème siècle lors de l’émergence de la maçonnerie dite « spéculative » avec le pasteur James ANDERSON et le français Jean Théophile DÉSAGULIERS [4], prêtre anglican qui était lui-même fils d’un pasteur protestant exilé en Angleterre.

Rien d’étonnant, donc, que nous commencions cette seconde partie par l’examen de la fraternité maçonnique, au même titre d’ailleurs que nous avions examiné le legs religieux de la fraternité dans la première partie de notre réflexion. D’une part, parce que, comme nous le verrons, son existence est ancienne car datant du premier tiers du 18ème siècle. D’autre part, parce que – et ce second point est trop souvent insuffisamment souligné – la fraternité maçonnique a joué un rôle non négligeable dans la diffusion de la fraternité au sein de la société civile dans laquelle les maçons, y vivant au quotidien, essaiment normalement très naturellement, par leur rayonnement intérieur et leur exemplarité, les valeurs qui sont les leurs, acquises et développées dans leur « loge ». Enfin, parce que certaines obédiences maçonniques affirment elles-mêmes, aujourd’hui, vouloir travailler à l’avènement d’une humanité meilleure, ce qui implique une action sinon directe – certes toujours délicate mais pas impossible comme en témoigne l’action bien connue des francs-maçons sous la 3ème République – au moins une influence diffuse sur la société civile, comme l’a montré excellemment Pierre-Yves BEAUREPAIRE pour le 18ème siècle [5]. Et, sous cet angle, il n’est guère contestable que la pratique maçonnique de la fraternité est centrale.

I/ La fraternité, héritage de la Franc-maçonnerie au 18ème siècle   

Notre démarche s’appuie globalement, comme souligné ci-dessus, sur le courant de la Maçonnologie illustré notamment par l’ouvrage, écrit en 2003, par l’auteur précité  ‘Yves BEAUREPAIRE, ouvrage intitulé « L’espace des francs-maçons – Une sociabilité européenne au 18ème siècle » (Presses universitaires de Rennes, 231 pages)  et par bien d’autres ouvrages d’autres auteurs se proposant d’appliquer à la connaissance de la Franc-Maçonnerie les méthodes des sciences humaines et sociales (histoire, philosophie, littérature, sociologie, etc.) pour en explorer le contenu et la richesse et combler ainsi notre retard universitaire en la matière. C’est dans ce courant scientifique et d’idées que se placent les nombreux travaux de l’éminent et regretté chercheur Charles PORSET [6] qui, dans le cadre de ses recherches au sein du Centre d’Etude de la Langue et des Littératures Françaises (« CELLF des 17ème et 18ème siècles ») de l’Université Paris-Sorbonne et du CNRS, se consacra, passionnément et avec brio, à la connaissance du fait maçonnique, ce qui se traduisit par de nombreuses publications sous la forme d’ouvrages et d’articles très savants.  Parmi cette pépinière de chercheurs, Céline SALA [7] a lumineusement montré la manière dont la Franc-maçonnerie, à Perpignan, à l’époque des Lumières, s’est ajoutée aux diverses formes de sociabilité. Elle décrit comment s’y organise la République des idées, en nous invitant à bien cerner l’originalité de cette Franc-maçonnerie par rapport aux autres sociétés de culture. Elle observe également comment s’opère la circulation des idées depuis l’espace public vers la loge maçonnique et celle des francs-maçons vers l’espace public de la ville.

La franc-maçonnerie aurait ainsi contribué au développement d’une certaine forme de sociabilité :

« 29 – Le fruit des recherches en Roussillon conduit donc à revisiter la thèse de l’essai de Ran HALÉVI [8] qui attribue à la franc-maçonnerie la responsabilité d’une rupture dans le champ de la sociabilité d’Ancien Régime. Il apparaît qu’en Roussillon, au contraire, la loge permet une transition, une mutation de sociabilité, dont les francs-maçons sont les protagonistes, entre la confrérie héritée du Moyen Âge et le cercle bourgeois du XIXe siècle. La loge, de par ses traits distinctifs, permet justement d’éviter la rupture en réalisant la jonction. La démarche individuelle dans les mystères de l’Art Royal renvoie à la quête mystique recherchée dans les confréries.

30 – Cet engagement laïc, détaché de toute préoccupation religieuse, annonce plutôt les « cercles » bourgeois. Il se réalise de surcroît, dans une structure relativement indépendante à l’égard des Pouvoirs et qui autorise, une certaine participation à la politique – à la vie de la cité – par l’évolution de la bienfaisance chrétienne en philanthropie laïque. Leurs adhérents n’ont d’ailleurs pu qu’être sensibles à cette laïcisation ainsi qu’aux analogies structurelles. Il s’agit dans les deux cas de sociétés d’amis, qui se reconnaissent comme frères après une cooptation et un rituel de réception. »

Selon Céline SALA, la franc-maçonnerie aurait ainsi contribué au développement d’une certaine forme de sociabilité « 33 – … la franc-maçonnerie perpignanaise, au sein de cet « espace des Lumières » sert souvent de connexion entre ces différentes sociétés en même temps qu’elle profite de leur essor pour étoffer ses rangs. »

A/ D’où vient la place centrale de la fraternité en franc-maçonnerie ? Les constitutions d’ANDERSON et leurs commandements (1723)
1) Les Constitutions d’ANDERSON

L’on doit surtout au pasteur James ANDERSON, né vers 1678 à Aberdeen (Ecosse) et mort le 23 mai 1739 à Londres, la place centrale de la fraternité en Franc-maçonnerie. Pasteur presbytérien (calviniste), docteur en théologie, il fut l’infatigable compilateur de l’histoire légendaire de la Franc- maçonnerie.

En septembre 1721, il fut mandaté par la grande loge d’Angleterre pour écrire une histoire de la franc-maçonnerie. Si le document fut publié dans son intégralité à Londres, en 1723 sous le nom de The Constitutions of the Free-Masons (le nom d’ANDERSON n’apparaissant pas dans la page de garde, mais étant mentionné en appendice), il semble que les « Constitutions » furent approuvées par la Grande Loge et imprimées par ordre dans la première édition du Livre des Constitutions dès le 25 mars 1722.

Ces « Constitutions » furent éditées et réimprimées par Benjamin FRANKLIN à Philadelphie en 1734.

Une seconde édition, notablement augmentée, fut publiée en 1738. Elle fut traduite ensuite en plusieurs langues dont le néerlandais (1746), l’allemand (1741) et aussi le français (1742).

La traduction française (1742, selon la BNF) est attribuée au marquis Louis François de La TIERCE [9], lui-même franc-maçon, qui aurait également participé à la version de 1738 des Constitutions d’ANDERSON. Elle fut imprimée à Francfort-sur-le-Main chez Francis VARRENTRAPP.

S’agissant de leur contenu, les Constitutions d’ANDERSON elles-mêmes sont subdivisées en de nombreux chapitres (six) et le terme « frères » (au pluriel) et « frère » (au singulier ») est employé à partir du second chapitre intitulé « II Du MAGISTRAT CIVIL SUPRÊME et SUBORDONNÉ ». On retrouve ensuite, de plus en plus fréquemment, le terme « frère » ou « frères » dans les chapitres suivants : « III Des LOGES », « IV Des MAITRES, SURVEILLANTS, COMPAGNONS et APPRENTI ».

Le chapitre V. intitulé « De la DIRECTION du METIER pendant le TRAVAIL » fait obligation aux maçons de s’appeler entre eux « frère » ou « compagnon ».

Le chapitre VI. Intitulé « De la CONDUITE, savoir… » évoque la conduite que doivent tenir les « frères » dans différentes situations.

En 1723, les Constitutions d’ANDERSON devaient s’efforcer de rapprocher les différents courants philosophiques et religieux dans une perspective d’un idéal de fraternité, avec une injonction forte en ce sens : « … cultivez l’Amour fraternel, Fondement et clé de voûte, Ciment et Gloire de cette ancienne Fraternité… » (Chapitre VI précité).

2) Un exemple de l’amour fraternel dû à un frère venant d’un autre pays…

En 1777, alors que la France et la Grande-Bretagne sont en guerre aux Amériques, un Français est reçu franc-maçon outre-Manche. À cette occasion, l’orateur de la loge prononce un discours qui traduit bien l’état d’esprit des fondateurs de la République universelle des francs-maçons :

« Toi, notre frère, natif et sujet d’un autre royaume, puissant et éclairé, en entrant dans notre Ordre, tu viens de contracter des liens sacrés et amicaux avec des milliers de maçons dans cette nation et bien d’autres. Souviens-toi toujours que l’ordre dans lequel tu viens d’entrer exige de toi que tu considères le monde comme une grande république, dont toutes les nations constituent une seule famille, et dont tous les individus sont les enfants. C’est pourquoi, lorsque tu reviendras dans ton pays, prends garde à ce que le champ de tes amitiés ne se limite pas au cercle étroit de ta nation, ou de religions particulières, mais soit réellement universel et s’étende à toutes les branches de la race humaine » (« Address to a French gentleman », Robert TREWMAN, The Principles of freemasonry delineated, Exeter, 1777, p. 24).

3) L’apparition en France du terme « Fraternité » dans l’appellation d’une loge

Peu après sa création en 1773, le Grand Orient de France (GODF) vit en son sein la naissance, en 1792, d’une loge militaire portant le titre distinctif « Liberté, Égalité, Fraternité » qui fut installée le 4 mars 1793 par la RL « L’Amitié et Fraternité » à l’Orient de Dunkerque.

Cette obédience en fera, un peu moins d’un siècle plus tard, sa doctrine officielle dans la rédaction de sa Constitution de 1849 et l’introduira même dans son rituel en 1887.

En effet, la Constitution du GODF votée par l’Assemblée générale du 10 août 1849 énonce dans son article 1er :

« La Franc-Maçonnerie, institution philanthropique et progressive, a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ; elle a pour objet l’exercice de la bienfaisance, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et la pratique de toutes les vertus. Sa devise a été de tout temps : Liberté, Égalité, Fraternité. » [10]

4°) La fraternité maçonnique « adogmatique » en dehors de Dieu

Ci-dessous : Pasteur Frédéric DESMONS

                    (1832-1910)

L’on ne fait jamais le lien entre la fraternité et la naissance d’une Franc-Maçonnerie adogmatique, ce qui est regrettable. En effet, la fraternité de la devise républicaine reprise par le GODF – fondée sur l’appartenance des hommes à une commune humanité – doit impérativement réunir, sans discrimination et au nom de l’égalité, tous les frères qui croient en un principe divin supérieur à la condition des hommes, comme ceux qui n’y croient pas. Lors du Convent de septembre 1877, le pasteur Frédéric DESMONS est nommé rapporteur du vœu n° IX – émanant de la loge La Fraternité progressive de Villefranche-sur-Saône – visant la révision de l’article 1er de la constitution du Grand Orient de 1849 afin que celui-ci fût modifié dans ses dispositions relatives à la référence à Dieu et à l’immortalité de l’âme. Les dispositions antérieures furent supprimées, à une très large majorité, après l’intervention du Pasteur Frédéric DESMONS qui s’exprima ainsi  :

« (…) Nous demandons la suppression de cette formule parce que, embarrassante pour les vénérables et les loges, elle ne l’est pas moins pour bien des profanes qui, animés du sincère désir de faire partie de notre grande et belle Institution qu’on leur a dépeinte, à bon droit, comme une Institution large et progressive, se voient tout à coup arrêtés par cette barrière dogmatique que leur conscience ne leur permet pas de franchir.

 

«… Non. Laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes. Laissons aux Églises autoritaires le soin de formuler leur syllabus. – Mais que la Maçonnerie reste ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales (…) » [11].

C’est donc à partir de l’année 1877 que naquit, en France, une Franc-Maçonnerie dite « adogmatique », ce qui valut au GODF d’être rejeté et brocardé par la Franc-Maçonnerie orthodoxe anglo-saxonne, alors que l’on aurait pu attendre de celle-ci qu’elle suive plutôt l’exemple français. Un peu plus tard, en 1883, sous l’influence d’Antoine BLATIN (1841-1911), médecin à l’hôpital général de Clermont-Ferrand et figure marquante du GODF sous la 3ème République, le caractère « adogmatique » de la Franc-Maçonnerie française fut encore davantage affirmé par l’adjonction à l‘article 1er de la Constitution du GODF de la phrase suivante : « Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de ses membres, elle (la franc-maçonnerie) se refuse à toute affirmation dogmatique » [12].

B/ Le cosmopolitisme de la Franc-maçonnerie 

Rappelons, avant d’aborder le cosmopolitisme propre à la Franc-maçonnerie, que le cosmopolitisme est un concept très ancien puisqu’il fut créé par le philosophe cynique DIOGÈNE de SINOPE, à partir des mots grecs cosmos, l’univers, et polîtes, citoyen. Ce concept voulait exprimer l’idée qu’il est possible d’être natif d’un lieu et d’aspirer à l’universalité, mais sans toutefois renier sa particularité. Le cosmopolitisme devait être repris par la suite, mais surtout approfondi, puis diffusé dans l’ensemble du monde antique par les philosophes stoïciens (ZÉNON de CITION notamment). Et c’est à travers leurs textes qu’il nous est parvenu.

Durant la Renaissance, c’est la redécouverte des textes stoïciens qui mit à la mode ce concept, avec le développement des notions modernes de citoyen du monde et d’universalisme. Ceci explique que, plus tard, les jésuites, grands voyageurs, purent s’affirmer cosmopolites au cours du siècle des Lumières : ils s’adaptaient aisément aux coutumes et aux usages des pays qu’ils visitaient ou dans lesquels ils transitaient.

Plus globalement, le cosmopolitisme est la conscience d’appartenir à l’ensemble de l’Humanité et non pas à sa seule patrie d’origine. Il invite à se comporter comme un membre de la communauté mondiale et non comme le citoyen d’un État.

De la Renaissance aux Lumières, les gens de culture se voulaient volontiers cosmopolites, le plus souvent par fidélité à un héritage qui était celui d’une appartenance à une Europe intellectuelle et spirituelle les incitant à dépasser les frontières politiques ou linguistiques qui s’élevaient entre eux.

Au 18ème siècle le courant cosmopolite se renforça au gré des voyages et des échanges propices au développement d’une véritable « culture de la mobilité » (Daniel ROCHE) [13] qui devait nécessairement essaimer, c’est-à-dire déborder des limites de l’Europe pour s’ouvrir sur le Nouveau Monde, sur l’Orient et sur l’Afrique, voire la Russie qui troublait alors beaucoup les esprits. Pour autant, les tenants du patriotisme ne désarmèrent pas mais affrontèrent les partisans du cosmopolitisme [14]. L’on connaît la célèbre controverse entre VOLTAIRE et ROUSSEAU, le premier épousant la cause du cosmopolitisme, le second défendant la patrie.

Rien d’étonnant alors que la franc-maçonnerie, anglaise notamment, très perméable et sensible à la montée du courant cosmopolite ait opté franchement pour la prééminence de celui-ci sur le patriotisme.

1°) Une profession de foi cosmopolite

Dans la première édition de 1772 de son fameux ouvrage Illustrations of Masonry – qui connut un grand succès et fit l’objet de nombreuses rééditions par la suite – le célèbre franc-maçon anglais William PRESTON, écrivain écossais, éditeur et conférencier,  affirmait nettement : « l’Ordre maçonnique est par nature cosmopolite ».

On pourrait multiplier les références de ce type, car aussi bien chez SCHILLER, FICHTE, WIELAND ou LESSING, la profession de foi cosmopolite constituait une caractéristique assez forte de la littérature maçonnique du XVIIIe siècle.

Par ailleurs, en France, la puissante loge marseillaise Saint-Jean d’Ecosse – qui recrutait au XVIIIe siècle dans le milieu du grand négoce et rayonnait sur l’ensemble du bassin méditerranéen en créant de nombreuses loges filles jusque dans les colonies françaises – le rejoignit en affirmant que la franc-maçonnerie était « un Ordre moral, libre et cosmopolite ». Le contexte économique marseillais n’est sûrement pas étranger à cette prise de position [15]. En effet, Marseille était à l’époque l’un des principaux ports cosmopolites du monde dans lequel on trouvait de nombreux négociants étrangers, concurrents des génois, en particulier suisses, allemands, danois ou hollandais.

Pourtant, au sein même de la Franc-maçonnerie, entre le cosmopolitisme et le patriotisme, les facteurs de tensions ne manquaient pas. Ainsi, comment mettre en conformité les actes avec la profession de foi ? Comment concilier l’engagement dans un Ordre qui affirme transcender les frontières politiques, religieuses, linguistiques et sociales, et la volonté manifeste des frères d’être, conformément aux prescriptions des Constitutions d’Anderson, reconnus par les autorités étatiques de leur pays comme une pépinière de bons et loyaux sujets, fidèles et patriotes ? Comment s’intégrer dans une sphère plus large sans pour autant renoncer à son identité ? La fréquentation de l’autre, reconnu comme frère au sein du temple, entraîne-t-elle la disparition des stéréotypes a priori largement diffusés dans le monde profane, ou bien les francs-maçons doivent-ils, eux aussi, faire l’apprentissage de la différence et rester vigilants ? La République universelle des francs-maçons (l’expression est de Joseph de MAISTRE) serait-elle la concrétisation du roman d’anticipation, publié en 1771, par Louis-Sébastien MERCIER, L’an 2440. Rêve s’il en fut jamais, où l’on peut lire : « Les anciens préjugés sont tombés […] nous nous regardons comme frères. L’Indien et le Chinois seront nos compatriotes dès qu’ils mettront le pied sur notre sol » ?

2°) La construction du Temple fraternel (Temple de l’humanité

Si le cosmopolitisme est au cœur de la pensée maçonnique des Lumières, c’est que le mythe fondateur de la franc-maçonnerie spéculative est la construction du temple de l’humanité, à laquelle chaque franc-maçon doit apporter sa pierre.

L’idée est forte, immédiatement perceptible, grâce à l’image du temple qui est originellement un édifice imposant et sacré. Elle réunit d’une part la franc-maçonnerie opérative ouvrière des anciennes corporations des métiers dans leur art de bâtir les cathédrales et, d’autre part, la franc-maçonnerie dite spéculative par son invitation à s’élever par la pensée dans les domaines de la philosophie, des lettres, des arts et des sciences, dans une démarche englobante progressive et humaniste.

Cette édification ne peut être réalisée sans un esprit de fraternité à toute épreuve, sans le respect des différences, sans l’empathie nécessaire pratiquée vis-à-vis de l’autre, sans un sens aigu, pour le maçon, de ses responsabilités.

C’est en ce sens que le GODF affirme généreusement dans sa Constitution : « elle (la franc-maçonnerie) travaille à l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’Humanité. »

Si le corpus d’idées qui fondent la Franc-maçonnerie s’est essentiellement développé au 18ème siècle, à la même époque, mais à la fin du siècle, la Révolution française allait apporter, à son tour, sa puissante contribution à l’éclosion, au sein de la société civile, du concept de fraternité.

II/ Le legs de la Révolution française [16]

À l’instar du fameux débat entre les droits naturels de l’Homme [17] et la nécessité de se constituer en une Association dépassant l’individu et chargé d’exprimer le bien commun ou l’intérêt général, les révolutionnaires avaient également engagé une réflexion sur le ciment qui doit relier les individus au sein d’une communauté nationale.

1°) La fraternité à travers les œuvres utopistes sous la Révolution française : la philanthropie [18]

Dans les utopies des premières années de la Révolution, la fraternité est ainsi étroitement associée à l’amour d’une humanité qui se trouve en chaque homme : il peut être question d’une fraternité d’origine divine, comme dans les utopies de SAIGE ou de MOUTONNET de CLAIRFONS, ou d’une fraternité naturelle préexistant à la fondation des sociétés humaines et qu’il s’agit de retrouver.

Dans plusieurs œuvres datant des années 1790, le principe d’unité fraternelle dépasse le cadre de la société pour s’étendre à la « concorde » universelle. Cette expansion de la fraternité est particulièrement représentée dans l’œuvre de MOUTONNET de CLAIRFONS, Le véritable philanthrope ou l’Isle de la philanthropie (1790). Les Philanthropes se définissent de la manière suivante : « nous voulons être hommes simplement, en remplir exactement tous les devoirs, et servir nos semblables de tout notre pouvoir [19] ». Le lien fraternel s’établit en premier lieu au sein de la famille dans le mariage : les époux se choisissent librement et leur amour partagé crée une union respectueuse et durable. Les notions de famille et d’amour d’autrui sont alors étendues à la société philanthrope, maintes fois comparée à une grande famille. La fraternité est ainsi étendue au monde entier dans un désir de paix universelle dictée par Dieu ; à la fin du recueil des Maximes et sentences morales insérées dans le roman, l’auteur émet, dans une note, le souhait que tous les peuples apprennent ces lois morales : « Ce serait le seul moyen infaillible de faire naître et régner la paix, la concorde et la tranquillité parmi les différentes nations de l’univers entier, qui ne seraient plus alors qu’une même famille, sans distinction de couleur, d’usages, de mœurs, de gouvernement et de religion, c’est le vœu imperceptible de la nature et de son Auteur [20]  ». MOUTONNET de CLAIRFONS reprend alors, de manière lyrique, l’un des aphorismes philanthropiques qui caractérise, selon lui, la véritable Philanthropie :

« Elle fait disparaître les limites, les frontières ; elle détruit les noms de Royaumes, de Puissances, d’État : elle ne voit qu’une seule famille sur toute la surface de la terre ; elle n’envisage dans tous les hommes que des frères […]. Qu’il est consolant, qu’il est agréable de penser que tout l’univers est notre domaine et que chaque individu travaille au bonheur des autres. » [21].

Ce rêve d’une fraternité infinie apparaît fréquemment dans les utopies révolutionnaires précédant la période de la Terreur : dans la dernière partie de la trilogie de l’auteur dramaturge Louis-Benoît PICARD, Le Passé, Le Présent, L’Avenir (1792), « le monde ne fait plus qu’une seule patrie [22]  ». La fraternité devient alors synonyme de paix, comme le montrent les propos de Lucas : « Il vient ce jour heureux, ce jour où dans Paris/L’univers entier, les députés unis, /Vont se promettre amour et concorde éternelle/La Raison, proclamant la paix universelle/Et donnant le signal de la fraternité, /Du crime de la guerre absout l’humanité [23].

2°) La fraternité politique comme idéal  à travers la notion de patrie

Se distinguant à la fois de la fraternité religieuse – fondée sur la filiation entre Dieu et les hommes – et de la « fraternité philosophique » – reposant sur l’identité de nature entre tous les êtres humains -, la fraternité politique apparaît, sous la Révolution française, comme fondée sur l’appartenance à une même collectivité [24] ». En promulguant l’égalité de droits, la Révolution française permet l’instauration de ce principe de fraternité dans la société réelle à travers la notion de patrie. On comprend aisément que l’on s’éloigne à la fois de la fraternité chrétienne et maçonnique (d’essence plus cosmopolite, comme on l’a vu) ; selon la formule du serment prêté lors de la fête du 14 juillet 1790, tous les membres de la nation sont unis entre eux « par les liens indissolubles de la fraternité ». Michel BORGETTO établit entre le discours utopique et le discours patriotique une distinction intéressante qui repose essentiellement sur la nature du fondement de la fraternité : « Contrairement au discours utopiste qui ne concevait le plus souvent la liberté et l’égalité que comme la condition d’un retour à une fraternité originelle, extérieure au groupe et préexistant à l’établissement de la Cité idéale, le discours patriotique pose la liberté et l’égalité comme la condition nécessaire non pas tant à la reconquête d’une fraternité originelle censée être antérieure à la société qu’à l’avènement d’une fraternité nouvelle, secrétée par la Patrie et n’ayant d’autre origine que cette même patrie.

Les sans-culottes avaient fait de « Salut et fraternité ! » leur devise. Celle-ci trahissait un double désir : celui d’un dénouement heureux de l’histoire (« salut ! ») et celui de liens forts, capables à la fois d’appeler à l’existence et de rassembler sur des projets communs (« fraternité ! »).

Selon l‘historien Yannick BOSC, « … dans les courriers officiels la fraternité est distinguée dans la formule de politesse salut et fraternité. » [25]

3°) La fraternité de combat ou de rébellion

L’on trouve un excellent exemple de la mise en pratique de la fraternité de rébellion dès le Serment du jeu de Paume du 20 juin 1789 (image ci-contre) par lequel les 300 députés du Tiers Etat – auxquels s’associèrent certains députés de la Noblesse et du Clergé – jurèrent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France. Cette fraternité de rébellion a été incarnée par MIRABEAU qui, à l’injonction qui fut faite aux députés du Tiers de se disperser, répondit par la fameuse formule bien connue : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ».

Cette fraternité de rébellion, loin d’être refermée sur elle-même, était mise au service d’une France régénérée par un ordre politique nouveau qui devait, devait deux mois plus tard, être formalisé dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dont le caractère universel ne fait aucun doute.

Peut-être peut-on voir une légitimation et une consécration de cette fraternité de rébellion dans l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 qui reconnaît la « résistance à l’oppression » comme un « droit naturel et imprescriptible de l’Homme » aux côtés de la liberté, de la propriété, et de la sûreté.

3°) L’impasse des textes officiels fondamentaux sur la Fraternité

Contrairement aux termes Liberté et Égalité, le terme fraternité ne fut jamais admis dans les textes officiels.

En effet, l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui reconnaît la liberté et l’égalité en affirmant « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » est muet sur la fraternité, de même que les articles suivants.

En revanche, l’on trouve dans le titre Ier de la constitution des 3/14 septembre 1791 relatif aux « Dispositions fondamentales garanties par la Constitution » une timide mention du terme « fraternité » à propos des fêtes nationales établies « pour conserver la souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la Constitution, à la Patrie et aux lois ». Sans doute s’agit-il ici de confirmer et renouveler l’expression d’une fraternité festive telle qu’elle était apparue pour la première fois en 1790.

Il reste que pour Yannick BOSC [26], « si elle n’est pas la devise unique d’une période qui n’en connaît guère, la formule Liberté, Égalité, Fraternité est bien née pendant la révolution française, dans cet ordre – la liberté et la fraternité encadrant l’égalité – et a bien été proposée comme devise, mais pour les gardes nationales et non pas de la république – et ce près de deux ans avant la proclamation de cette dernière. »

4°) L’émergence d’une fraternité festive

La fraternité arriva officiellement le 14 juillet 1790, presqu’un an après la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Elle se manifesta alors sous une forme festive avec les drapeaux des fédérés lors de la Fête de la Fédération au Champ de Mars (image ci-contre).

C’est en effet la fraternité qui devait sous-tendre l’esprit de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, au cours de laquelle LA FAYETTE y fit explicitement référence lorsqu’il prêta serment : « Nous jurons de (…) demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité ».

Rendant compte de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, Camille DESMOULINS, dans son journal Les Révolutions de France et de Brabant, écrivait avec enthousiasme : « Les soldats citoyens se précipitaient dans les bras l’un de l’autre en se jurant liberté, égalité, fraternité ».

5°) Le projet de ROBESPIERRE [27]

C’est incontestablement ROBESPIERRE qui fut le premier à avoir proposé d’adjoindre officiellement le terme « fraternité » aux deux autres termes, liberté, égalité, en proposant, dans son Discours sur l‘organisation des gardes nationales, que le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » figure sur leur tenue.

Malheureusement ce discours qui fut imprimé mi-décembre 1790 et diffusé largement dans toute la France par les Sociétés populaires, ne fut jamais prononcé, ni le 5 décembre 1790, ni les 27 et 28 avril 1791, jours où l’Assemblée constituante discuta des gardes nationales.

L’article XVI du décret qui accompagnait le discours de ROBESPIERRE disposait :

« Elles (les gardes nationales) porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇAIS, et au-dessous : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation. »

Ce souci de fraternité, chez ROBESPIERRE, on le retrouve exprimé, un peu plus tard, sous la Convention, à l’occasion du débat constitutionnel du 24 avril 1793, à propos des devoirs du peuple français vis-à-vis des autres peuples. ROBESPIERRE n’hésite pas alors à proclamer que  » Les hommes de tous les pays sont FRERES et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir, comme les citoyens d’un même Etat. Celui qui opprime une nation se déclare ennemi de toutes. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles… » [28]. Une telle position était en tous points conformes au décret du 13 avril 1793, adopté quelques jours auparavant par la Convention, et aux termes duquel elle déclarait qu’elle « ne s’immiscera, en aucune manière, dans le gouvernement des autres puissances » [29]. Le 12 mai 1791, déjà, le terme « frère » apparaissait dans le discours prononcé par ROBESPIERRE à cette date à propos d’un projet de décret étendant la citoyenneté civile et politique aux hommes libres de couleur des colonies françaises : « Mais suivons dans leurs détails les objections de ce parti des Blancs. Sur quoi se fondent-ils pour vouloir dépouiller leurs concitoyens de leurs droits? Quel est le motif  de cette répugnance à partager avec leurs FRERES  l’exercice de leurs droits politiques?…  » [30]

Mais quant à la paternité de l’association des trois termes, selon Olga INKOVA [31], ce serait FENELON qui, le premier, à la fin du XVIIème siècle, en aurait eu l’idée…. Et, en effet, dans Les Aventures de Télémaque (1694), FENELON (1651–1715) nous dit que les habitants de sa cité idéale « s’aiment tous d’un amour fraternel (…) et sont tous libres et égaux » [32].

Le 21 juin 1793, le Maire de la commune de Paris [33], Jean-Nicolas PACHE, fit peindre sur les murs de la maison commune ainsi que sur tous les édifices publics de la ville et aussi sur des monuments aux morts, la formule « La République une et indivisible – Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort » [34].

Mais lors de la Fête de la loi, célébrée le 3 juin 1793, en l’honneur de SIMONEAU, maire d’Étampes, la devise mise en avant était : Liberté, Égalité, Propriété

La devise est progressivement abandonnée avec la fin de la Révolution, le Directoire de l’an V à l’an VII préconisant notamment le « serment de haine envers les monarchistes et les anarchistes », en lieu et place du « serment de fraternité ».

III/ La carrière de la Fraternité après la Révolution

A/ 1848, l’année phare de la devise républicaine…
1°) La fête de la Fraternité du 20 avril 1848

Lors de la Révolution de février 1848, ses acteurs avaient une fière conscience aigüe qu’ils étaient les héritiers d’un courant historique, fort et émancipateur, en droite ligne de 1789, 1792 et 1830. Dès lors, ils voulurent marquer leur attachement à la force des symboles révolutionnaires et prônèrent-ils, sous le nouveau gouvernement démocratique, la mise en place d’une politique festive. C’est ainsi que dans les départements furent organisés, dès mars 1848, de nombreux banquets républicains tandis que dans la capitale la Revue de la Garde nationale, dès le 27 février, et les funérailles en l’honneur des victimes de la révolution de février avaient pour vocation de renouer avec les grandes fêtes civiques ayant caractérisé la période 1789-1792. Un peu plus tard, le 20 avril 1848, eut lieu à l’Arc de Triomphe une « Fête de la Fraternité » pour célébrer l’instauration du suffrage universel. Alors que les tensions montaient, à l’approche des prochaines élections législatives, tous les ministres du Gouvernement provisoire (février à mai 1848), installés sur une estrade au pied de l’arc de triomphe de l’Etoile, assistèrent alors au défilé de tous les hommes armés de la région parisienne : Garde nationale, infanterie, cavalerie, artillerie, pompiers, etc. Cet événement fut immortalisé par le tableau qu’en fit le peintre aquarelliste Jean-Jacques CHAMPIN (1796-1860) et que conserve le Musée CARNAVALET (image ci-contre). Un peu après cet évènement, fut organisée le 20 mai 1848 une « fête de la Concorde » qui fut placée  sous l’égide de la République coiffée d’un bonnet phrygien, en hommage à la révolution populaire de février, et appuyée sur l’autel de la Patrie du Champ de Mars. Cette manifestation connut, à son tour, un grand succès.

2°) La Constitution républicaine du 4 novembre 1848 : une fraternité ayant vocation à être ancrée dans le Social (droit au travail et aux secours)

C’est dans la constitution républicaine du 4 novembre 1848 – issue de la Révolution populaire de février 1848 – que le terme « fraternité » apparût officiellement pour la première fois dans un texte constitutionnel à la même hauteur que les termes Liberté et Égalité. En effet, l’article IV du préambule de cette constitution disposait : « Elle (la République française) a pour principe : la liberté, l’égalité et la fraternité. » Dans l’article VIII du préambule de cette même constitution, la fraternité fondait le droit social : « … elle (la République) doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler » [35].

B/ La postérité de la devise républicaine de 1848

De 1851 à 1870, avec le retour de l’Empire, la triade républicaine est remise en question dans sa philosophie et sa portée.

Après le rétablissement de la République (4 septembre 1870), la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » sera absente des lois constitutionnelles de 1875 mais après 1879 avec l’accès des Républicains aux commandes de l’Etat, et à partir du 14 juillet 1880, le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » apparaît sur les frontons de toutes les institutions publiques et notamment des écoles publiques. Sous la IIIe République, la devise fut adoptée comme symbole officiel de la République malgré quelques résistances, y compris chez les partisans de la République. La solidarité était parfois préférée à l’égalité impliquant un nivellement social que craignaient certains républicains. Quant à la fraternité, sa connotation chrétienne l’empêchait de faire l’unanimité.

Après les sombres heures du régime dictatorial de VICHY (1940-1944) – qui remplaça le triptyque républicain par « Travail, famille, Patrie » -, le terme de fraternité va être consacré dans la Constitution du 27 octobre 1946.

Un peu plus tard, la notion de fraternité sera inscrite dans l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Comme pour sa devancière du 27 octobre 1946, la fraternité apparaît dans la Constitution du 4 octobre 1958 comme la troisième composante de la devise de la République sous le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité » (article 2, alinéa 4 de notre Constitution actuelle).

Dans son livre La guérison du monde (Fayard, 2012), le philosophe des religions Frédéric LENOIR proposait, après Régis DEBRAY, de faire une place plus importante à la fraternité en développant responsabilités individuelle et collective par la liaison entre liberté et fraternité.

A la veille d’une conférence à CABESTANY, il déclarait à la presse le 27 novembre 2015 :

« Enfin elle (= la philosophie) peut nous aider à comprendre que ces moments-là (il s’agit des tragiques attentats terroristes ayant frappé Paris le 13 novembre 2015) peuvent être des instants de communion et de fraternité. Profiter de ces drames pour resserrer des liens et on voit ce qui se passe au niveau de la nation, de la Marseillaise, de l’identité nationale. Comprendre que l’on a besoin de plus de fraternité dans un pays très individualiste. Cultivons-là sans attendre de nouveaux drames. » [36]

Après plus de deux siècles d’une discrète présence de ce concept dans notre histoire nationale, la Fraternité vient d’être fraîchement consacrée, en juillet 2018, par le Conseil constitutionnel comme un principe juridique de valeur constitutionnelle [37].

Actuellement, les manifestations des « Gilets jaunes » semblent avoir également réveillé cette belle endormie, conformément à la prophétie de Régis DEBRAY qui avait vu dans la fraternité, dès 2009, un « moteur de modernité » [38].

CONCLUSIONS

I/ Au moins au sein du GODF – qui a adopté le triptyque républicain depuis 1849 -, la fraternité est devenue plus large que la stricte fraternité maçonnique initiale dès lors que sa devise [39] épouse celle, profane et civique, de la République française sur laquelle elle se calque.

C’est dire qu’au moins au niveau des principes la communauté des frères – si elle passe inévitablement toujours par la communauté maçonnique – dépasse largement celle-ci [40] , même si notre République n’a jamais donné tout son sens à la notion de « fraternité » qui est restée trop longtemps nébuleuse, incertaine et bien théorique dans le « vivre ensemble » quotidien façonné par nos gouvernants et constitué à partir de la stricte notion politique de « citoyenneté » au point que la République radicale l’a remplacée par la solidarité et la doctrine du solidarisme qui devait lui donner un contenu substantiel et riche avec le frère Léon BOURGEOIS [41], sans toutefois revêtir la même résonance affective et propulsive que le terme fraternité, même si les deux concepts relèvent incontestablement du même registre de la sociabilité propre à l’homme.

L’adogmatisme du GODF est très marqué car il résulte de son convent de 1877 consacrant l’abandon de toute référence métaphysique divine qui élargit ainsi inévitablement la base sociologique, spirituelle et culturelle du recrutement des futurs frères – et aujourd’hui sœurs – en introduisant ainsi, bien avant 1905, une forme de laïcisation interne propre à cette obédience. Désormais les agnostiques au athées pourront côtoyer, au sein du GODF, des adeptes d’un ordre Divin ou d’un « Grand Architecte de l’Univers » (GADLU) et des diverses religions.

Si le multi confessionnalisme des loges était déjà contenu dans les Constitutions d’ANDERSON, depuis celles-ci, le concept d’adogmatisme s’est donc élargi : il se traduit, depuis la fin du XIXème siècle pour le GODF, par le refus d’imposer toute croyance.

Car obliger les francs-maçons à croire en un « Dieu » (déisme) ou au GADLU revenait à leur imposer une croyance, même si cela ne les contraignait pas à l’adoption d’une religion précise.

Ainsi l’athée, surtout, n’est plus stigmatisé, comme dans les Constitutions d’ANDERSON qui le traitaient de « stupide ».

2/ Comme nous l’avons souligné, la Franc-maçonnerie et la Révolution française naviguent de concert au 18ème siècle et s’interpénètrent largement, sans que, pour autant l’on ait pu établir de manière rigoureuse et scientifique, n’en déplaise à l‘abbé Augustin BARRUEL, que la première serait à l’origine de la seconde [42]. Et le terme fraternité – qui fonde la maçonnerie spéculative au début du 18ème siècle et qui est à l’honneur le 14 juillet 1790 lors de la Fête de la Fédération et plus tard remis à l’ordre du jour par le Maire de Paris Jean-Nicolas PACHE, le 21 juin 1793, pour en appeler à une fraternité de combat – est commun à la Franc-Maçonnerie et à la Révolution française de la fin du 18ème siècle.

3/ Dans son article ici déjà cité [43], ROGER Philippe s’est interrogé sur la raison du triptyque républicain. Pour lui, si le couple Liberté/Égalité constitue le « noyau sémantique dur » de la période révolutionnaire, il n’en va pas de même de la place, plus modeste, de la fraternité dont il se demande si elle n’expliquerait pas l’élision de la justice.

« Pourquoi, s’interroge-t-il, aux côtés de la Liberté et de l’Égalité, la Fraternité plutôt que la Justice? »

Il explique que « l’élision de la Justice traduit dans le champ sémantique tout à la fois un embarras politique et un déficit conceptuel » par le fait que d’une part les révolutionnaires tenaient la justice, au moins telle qu’elle était pratiquée sous l’Ancien Régime, en piètre estime (abus des Parlements d’Ancien Régime) ; d’autre part, quant au déficit conceptuel, il résiderait dans la double considération que soit pour ROUSSEAU la justice était subordonnée à la loi, elle-même issue de la volonté générale dont elle n’était que l’application mécanique, soit, chez MONTESQUIEU, sa justification théorique était perçue comme trop abstraite et trop rattachée au divin pour être « sécularisable » et « opératoire ».

« … c’est … pourquoi, sans doute, pour ROGER Philippe, les devises révolutionnaires restent muettes à son sujet : trop avilie ou trop haut juchée, la justice ne pouvait entrer en combinaison avec la liberté et l’égalité dans l’alambic sémiotique d’où devait sortir le monde nouveau. »

Pour lui, 1793 s’expliquerait par cette carence : d’où l‘exigence d’une « justice révolutionnaire » exercée contre « les ennemis du peuple » dont la « fraternité révolutionnaire » aux accents vengeurs constituerait le socle.

Cette thèse est séduisante, mais il n’est pourtant pas sûr qu’elle soit conforme à la réalité révolutionnaire. Ainsi l’auteur s’appuie essentiellement, du point de vue sémantique, sur le couplet rajouté à la chanson de la « Carmagnole » – chant révolutionnaire français chanté en 1792 au moment de la chute du roi et qui deviendra vite l’hymne des sans-culottes – qui traduirait cette fraternité de combat. Écoutons ce couplet :

« Que faut-il au républicain ? (bis)
Du fer, du plomb et puis du pain (bis)
Du fer pour travailler,
Du plomb pour se venger.

Refrain
Et du pain pour nos frères
Vive le son (bis)
Et du pain pour nos frères
Vive le son du canon !

Et du pain pour nos frères
Vive le son (bis)Et du pain pour nos frères
Vive le son du canon !

Mais d’une part ce couplet vengeur auquel il fait allusion n’a de fait été rajouté à la chanson révolutionnaire seulement qu’en 1869, soit près d’un siècle après la Révolution française, ce qui est tout de même gênant pour illustrer sa thèse… Et d’ailleurs cet ajout du 19ème siècle peut s’expliquer aisément car depuis 1792, La Carmagnole est reparue à toutes les périodes révolutionnaires du XIXème siècle, notamment en 1830 et 1871, avec de nouveaux couplets à chaque fois. Ainsi le « Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira », refrain [44] qui symbolise la Révolution – et qui semblerait avoir été entendu pour la première fois en mai 1790 [45], donc bien avant La Carmagnole – est à l’origine une chanson bien distincte, mais qu’on a l’habitude de chanter aujourd’hui comme refrain de la Carmagnole

D’autre part, il y a lieu de noter que la césure politique frontale dont parle Philippe ROGER était déjà inscrite dans le « Ah! ça ira, ça ira, ça ira » (1790), car dans cette chanson il y avait, d’un côté le peuple, les Français et la Nation et, de l’autre, les ennemis, les Aristocrates. Il n’est donc nullement avéré qu’en 1793 –  et au-delà -, ce soit la fraternité, elle-même paradoxalement fratricide, qui aurait été l’idéologie ayant servi de ferment aux évènements de septembre 1793 à juillet 1794 [46] – mais aussi de ceux, postérieurs à juillet 1794, de la réaction thermidorienne trop souvent omis -, mais seulement le contexte politique historique d’une Convention nationale elle-même très divisée en deux camps irréductibles qui, tour à tour, exprimeront leur domination de manière sanglante.

4/ Grand historien de la Révolution française, Alphonse AULARD [47] (1849-1928) appréhende la genèse de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » selon un processus dynamique privilégiant tour à tour chacun des termes qui la composent en lui donnant une vie et une réalité distinctes à l’intérieur du processus révolutionnaire. La classant en numéro 1, il estime ainsi que la Liberté fut le concept le plus populaire des premiers jours de la Révolution. Puis, à partir du 10 août 1792, s’ouvrit la carrière de l’Égalité. Selon lui, il fallut attendre la fin de la période montagnarde pour que la Fraternité prenne enfin place dans le rythme ternaire de la devise qui s’analyse donc comme un rythme de succession temporelle. Son élève Albert MATHIEZ (qui devait devenir plus tard son opposant et son critique), rejoignant en cela l’enseignement de son maître AULARD, considérait à son tour que la Fraternité avait été un apport encore beaucoup plus tardif car, d’origine maçonnique, elle avait dû, pour s’imposer, attendre, selon lui, la Révolution de 1848. Si les deux premières périodes distinguées par AULARD semblent solidement établies – car consacrées au moins par l’organisation calendaire des révolutions qui distinguait un an I de la Liberté, inauguré le 14 juillet 1789, et un an I de l’Égalité, ouvert le 10 août 1792 [48] -, en revanche la place faite à la fraternité par lui-même d’abord et son élève MATHIEZ ensuite ne nous semble pas devoir aussi aisément emporter l’adhésion, au moins si l’on se réfère à certains historiens contemporains.

5/ En effet, dans son ouvrage intitulé Fraternité et Révolution française (1987), Marcel DAVID montre que, sous la Révolution, la fraternité apparaît soit comme une vertu relativement abstraite, soit comme un ensemble de moyens permettant d’établir ou de resserrer les liens entre individus [49]. A l’opposé d’AULARD, il a choisi de focaliser son analyse de la Révolution française exclusivement sous l’angle de la Fraternité elle-même et de sa place au sein du processus révolutionnaire de son début (1789) à sa fin (1799). Dans son ouvrage précité, l’auteur retrace ainsi l’évolution du principe de fraternité et distingue trois périodes principales. De mai 1789 à l’avènement de la République (1792), la fraternité, en tant qu’associée au mouvement fédératif, porte une forte charge affective et revêt également un caractère défensif qui permet aux citoyens de s’identifier à la nation en armes. Apparaît déjà une fraternité susceptible d’élargir l’égalité juridique à une égalité à la fois politique et sociale, même si cette idée demeure minoritaire à l’Assemblée nationale. De la République (22 septembre 1792) à la chute de Robespierre (thermidor, 1794), la fraternité se réduit aux liens entre les « patriotes » contre les « modérés » et, en se transformant en « fraternisation », elle devient, pour les militants des clubs et des différentes sections, une arme contre leurs ennemis. Dans le même temps, la fraternité universelle est largement convoquée afin d’atténuer les conséquences de la Terreur sur les espérances d’une nation sans frontières. Enfin, de la chute de ROBESPIERRE (thermidor 1794) à la fin de la Révolution (1799), l’on assiste, selon lui, à une disparition progressive du recours à l’idée de fraternité, qui s’avère pratiquement inexistante à la fin du Directoire [50] et sous le Consulat, ce qui s’écarte de la thèse d’AULARD…

6/ Michel BORGETTO, quant à lui, établit, on l’a vu [51], la fraternité autour de la notion de patrie. C’est le sentiment politique aigu de ce lien d’appartenance très fort à la patrie qui fonde une forme de fraternité à la fois affective et citoyenne. Cela revient à dire, selon Sophie WAHNICH, que les sans-culottes, qui invoquent la fraternité, sont des patriotes, lesquels veulent « construire une société juste » [52], ce qui passe par « une liberté totale pour ses citoyens » [53].

7/ « SANS-CULOTTES », hier, et « GILETS JAUNES »… aujourd’hui…

Loin de couler comme un long fleuve tranquille, notre histoire nationale avance, au contraire, comme la résultante du choc des tensions et des contradictions au sein de notre société où des femmes et des hommes sont là qui font des histoires quand ça ne va plus, c’est-à-dire lorsqu’ils ressentent une oppression sociale et/ou politique mettant en cause leurs conditions d’existence… Comme les « sans-culottes » (artisans, petits commerçants, ouvriers), hier – qui se mobilisaient dans les rues de Paris, surtout après le massacre du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791, pour défendre la liberté et l’égalité, pour lutter contre la vie chère et contre les prêtres qui n’acceptaient pas la Révolution et pour que l’argent des plus riches fût redistribué aux plus pauvres -,  le mouvement des « Gilets jaunes » (on les désigne par le biais de leur tenue vestimentaire comme on le faisait pour les sans-culottes) nous interpelle aujourd’hui car il exprime une révolte sociale contre la négation de la dignité de citoyen et de travailleur de certaines catégories socioprofessionnelles faisant elles-mêmes partie de la société civile. Les « Gilets jaunes » revendiquent le droit d’être reconnus comme des citoyens à part entière et, socialement, ils défendent leur droit à une vie digne et décente.  Nul doute que la fraternité se trouve elle-même au carrefour (rond-point?) de cet idéal de justice et de liberté qui est toujours au cœur de la construction du « vivre ensemble » de nos sociétés aujourd’hui. La fraternité, même sans avoir été formalisée dans des textes officiels pendant la Révolution française, était implicitement inscrite au cœur de la Révolution française de 1789 aux côtés, comme l’affirme Yann BOSC, de la Liberté et de l’Egalité. Elle doit retrouver aujourd’hui tout son sens et son rôle, dynamique et moteur, au sein du pacte social républicain qui ne peut être conçu sans elle s’il  veut promouvoir l’émancipation du genre humain.

Louis SAISI

Paris, 24 mars 2019

ABREVIATIONS ET SIGLES  :

GADLU = Grand Architecte de l’Univers ;

GODF = Grand Orient de France (première obédience maçonnique française) ;

RL = Respectable Loge.

NOTES

[1] Justice, Liberté, Égalité, Fraternité, Sur quelques valeurs fondamentales de la démocratie européenne [archive] (sous la direction d’Olga INKOVA), Institut européen de l’université de Genève, mai 2006, Présentation, p. 4.

[2] Cf. SAISI (Louis) : Le rapport de l’École au territoire – Approche socio-juridique, thèse de doctorat en sciences de l’éducation, Paris 8, 1998, Ed. du Septentrion, PUL, 1073 pages, mai 2000, notamment tome 1, première partie « Le primat du « local » dans la construction du territoire de l’École : la multiplicité des zones éducatives du Haut Moyen Âge jusqu’à la fin de l’Ancien Régime » ; titre III « La tendance à la professionnalisation et à la laïcisation progressive du corps enseignant », chapitre II « L’expulsion des jésuites des collèges (1763) et la création du concours de l’agrégation de 1766, pp. 147-177. Comme je l’ai montré dans ma thèse précitée, l’hostilité des milieux parlementaires aux collèges des jésuites est ancienne car l’on en trouve la trace en 1551 lorsque le Parlement de Paris refusa d’enregistrer les lettres patentes du Roi Henri II permettant à l’ordre des jésuites l’accès à la capacité juridique pour lui permettre d’hériter d’une somme léguée par l’évêque de Clermont, Guillaume DUPRAT, pour ouvrir un collège (voir thèse précitée, p. 157).

[3] Cf. Anne PIRAUX : Hétérodoxie de la compassion : Influence de la franc-maçonnerie dans l’émergence de l’action humanitaire sécularisée au XIXème siècle, CERAH- Genève (Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire de Genève), Université de Genève, Mémoire, Master of Advanced Studies en Action Humanitaire, Année académique 2012-2013, 57 pages avec Annexes.

Voir https://www.cerahgeneve.ch/files/3313/9506/6896/CERAH-dissertation-Anne-Piraux.pdf

[4] Physicien français, Jean Théophile DÉSAGULIERS est né à La Rochelle le 13 mars 1683. Il était le fils d’un pasteur huguenot réfugié en Angleterre en 1683, à l’époque des persécutions antiprotestantes peu de temps avant la révocation de l’édit de Nantes. Il fut lui-même ordonné prêtre anglican le 8 décembre 1717 et affecté à une des paroisses de Guernesey, cinq ans après avoir été, en 1712, initié à la loge n°4 « Antiquité ». Il mourut à Londres le 29 février 1744.

[5] BEAUREPAIRE (Pierre-Yves) : L’Espace des francs-maçons – Une sociabilité européenne au 18ème siècle, Rennes PUR, 2003, 231 pages. Voir aussi du même auteur : La République universelle des francs-maçons : de Newton à Metternich, Ed. Ouest-France, Rennes, 1999, collection « de mémoire d’homme : l’histoire », 202 pages.

[6] PORSET (Charles) : Oser penser – Notes intempestives d’histoire maçonnique, Ed. A l’Orient, Paris 2012. Cet ouvrage présente l’intérêt et l’incontestable mérite de rassembler tous les articles et interventions à des colloques divers de Charles PORSET consacrés à la franc-maçonnerie et à son histoire, textes jusqu’alors dispersés dans de nombreuses revues françaises ou étrangères.

[7] SALA (Céline) : « Lumières et espace public à Perpignan au XVIIIe siècle », Cahiers de la Méditerranée, 72 | 2006 : La Franc-Maçonnerie en Méditerranée (XVIIIe – XXe siècle), Lumières, sociabilité et espace public : le XVIIIe siècle, pp. 39-60.

[8] Note LS : Ran HALÉVI : Les loges maçonniques dans la France d´Ancien Régime – Aux origines de la sociabilité démocratique, Edition EHESS, 2007.

[9] Le marquis François de LA TIERCE (1699-1782) était ingénieur de formation. Il naquit entre les deux siècles minés par les discordes religieuses et politiques. Huguenot, comme DESAGULIER dont il est l’ami, il se rend vite compte de l’absence, pour lui, de perspective en France à cause de sa religion, ce qui l’incite à migrer en Angleterre où il entre au service de Lord STAFFORD dont il devint précepteur des enfants. Son séjour à LONDRES, en 1732, le conduira à être initié un peu plus tard en 1736 (source : over blog Ecossais de Saint-Jean, De La Tierce, 24 mars 2012, http://www.ecossaisdesaintjean.org/article-de-la-tierce-101547533.html).

[10] Cf. BERNHEIM (Alain) : « Régularité maçonnique 2ème partie : Le Grand Orient de France de 1773 à 1877 », http://data.over-blog-kiwi.com/0/93/15/98/20141112/ob_33e3e4_regularite-maconnique-bernheim-2.pdf

[11] Voir www.ledifice.net/7527-1.html ; voir aussi BERNHEIM (Alain), précité.

[12] Cf. Les Rituels de BLATIN, http://mvmm.org/c/docs/blatin.html.

[13] ROCHE (Daniel) : Les circulations dans l’Europe moderne : XVIIe-XVIIIe siècle, Ed. Fayard-Pluriel, Paris, 2011, 1031 pages.

[14] Voir SURATTEAU (Jean-René) : « Cosmopolitisme et patriotisme au siècle des Lumières », in Annales historiques de la Révolution française, n°253, 1983. pp. 364-389.

[15] La loge marseillaise Saint-Jean d’Ecosse devait par la suite refuser de se soumettre à l’autorité du Grand Orient de France, après la création de celui-ci.

[16-1] Alphonse AULARD, « La devise “Liberté, Égalité, Fraternité” », Études et Leçons sur la Révolution française, t. 6, Paris, 1910.

[16-2] ROGER (Philippe) « La Révolution française et la Justice ou le second exil d’Astrée », dans Justice, Liberté, Égalité, Fraternité, Sur quelques valeurs fondamentales de la démocratie européenne [archive] (sous la direction d’Olga INKOVA), Institut européen de l’université de Genève, mai 2006, notamment pp. 13-29.

[17]  GAUTHIER (Florence) : Triomphe et mort de la Révolution des droits de l’Homme et du Citoyen (1789, 1795, 1802), Editions Syllepse, Paris, 2014, 387 pages. Ouvrage de référence sur la force de l’empreinte des droits naturels de l’Homme sous la Révolution, mais aussi quant à l’analyse de l’application de la devise Liberté, Egalité, Fraternité sous la Révolution.

[18] MOREL (Anne-Rozenn) : « Le principe de fraternité dans les fictions utopiques de la Révolution française », Université de Bretagne Occidentale) https://www.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2009-1-page-120.htm.

[19] MOUTONNET de CLAIRFONS, Le véritable philanthrope ou l’Isle de la philanthropie (1790).

[20] Ibid, p. 89.

[21] Ibid., p. 84.

[22] Louis-Benoît PICARD (1769-1828, Le Passé, Le Présent et L’Avenir, trois petites comédies de circonstances, chacune en vers et en 1 acte, reçues au Théâtre de la Nation, le 30 juillet 1791, Paris, Impr. du Postillon, s. n., [1792], 3 parties en 1 vol., L’Avenir, p. 4.

[23] Ibid.

[24] Michel BORGETTO, La devise « Liberté, Égalité, Fraternité », Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 26. Les trois termes sont soulignés par l’auteur.

[25] BOSC (Yannick) : « Sur le principe de fraternité », in Révolution française.net, L’Esprit des lumières et de la Révolution, janvier 2010, https://revolution-francaise.net/2010/01/19/359-sur-le-principe-de-fraternite.

[26] Cf. BOSC (Yannick) : « Sur le principe de fraternité », in Révolution française.net, L’Esprit des lumières et de la Révolution, janvier 2010, https://revolution-francaise.net/2010/01/19/359-sur-le-principe-de-fraternite.

[27] Cf. BOSC (Yannick) : « Sur le principe de fraternité », in Révolution française.net, L’Esprit des lumières et de la Révolution, janvier 2010, https://revolution-francaise.net/2010/01/19/359-sur-le-principe-de-fraternite. Voir également BOSC Yannick, GAUTHIER (Florence), WAHNICH (Sophie) : Robespierre – Pour le bonheur et la liberté, discours, La Fabrique-éditions, Paris, 2013 (réédition), 347 pages ; BIARD (Michel), BOURDIN (Philippe) (sous la direction de…) : Robespierre – Portraits croisés, Ed. Armand Colin, Paris, 2012, 288 pages.

[28] Cité par BELISSA (Marc) : « Robespierre et la guerre », in Robespierre – Portraits croisés (sous la direction de Michel BIARD, Philippe BOURDIN), Ed. Armand Colin, Paris, 2012, 285 pages, notamment pp. 95-108, p. 105.

[29] ibid, p. 104. 

[30] Cité par GAINOT (Bernard) : « Robespierre et la question coloniale », in Robespierre – Portraits croisés (sous la direction de Michel BIARD, Philippe BOURDIN), Ed. Armand Colin, Paris, 2012, 285 pages, notamment pp. 79-94, p. 82.

[31] Justice, Liberté, Égalité, Fraternité, Sur quelques valeurs fondamentales de la démocratie européenne [archive] (sous la direction d’Olga INKOVA), institut européen de l’université de Genève, mai 2006, Présentation, p. 3.

[32] Livre qui lui vaudra la disgrâce sous Louis XIV. Au passage, signalons à nos amis intéressés par les méthodes pédagogiques éducatives, à propos du Télémaque de Fénelon que le pédagogue révolutionnaire Joseph JACOTOT (1770-1840) s’appuiera sur cet ouvrage initiatique pour propager sa méthode d’enseignement. L’annonce de sa nouvelle méthode d’« enseignement universel » par laquelle il se propose d’« émanciper les intelligences » attire sur lui l’attention à partir de 1818. Théorisant son expérience, il prétend en effet que tout homme, tout enfant, est en état de s’instruire seul et sans maître, qu’il suffit pour cela d’apprendre une chose dans son intégralité et de manière intensive, et d’y rapporter tout le reste ; que le rôle du maître doit se borner à diriger ou à soutenir l’attention de l’élève.

[33] La Commune de Paris (1789-1795) fut le nom donné au gouvernement révolutionnaire de Paris établi après la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Par la loi du 21 mai 1790, le gouvernement révolutionnaire devint un organisme régulier, le Comité général de la Commune de Paris, dont les membres étaient élus par les citoyens actifs, portés sur les 48 sections révolutionnaires de la ville de Paris. Elle fut supprimée dans la nuit du 9 au 10 août 1792 pour devenir commune insurrectionnelle avec un nouveau mode d’organisation avec l’élection de 28 commissaires aux pouvoirs illimités. Le 10 août et les jours suivants, les sections qui n’avaient pas élu de commissaires rejoignent les 28 premières sections. Le 11 août, la section de la place Vendôme se rebaptisa section des piques, élit ROBESPIERRE comme représentant. À ce moment-là, 52 commissaires désignés avec la participation des citoyens formèrent le Conseil général de la Commune. Le 21 août, le Conseil général de la Commune obtint que le département de Paris soit dissous : ainsi, la Commune prit sa place, cumulant les pouvoirs communal et départemental. Après le 10 août 1792, la Commune insurrectionnelle de Paris se fit la porte-parole des éléments révolutionnaires du mouvement parisien. Elle défendit les idées des sans-culottes parisiens et devint un des organes principaux du gouvernement imposant son pouvoir en province. Les rivalités entre l’Assemblée législative finissante et la Commune durèrent jusqu’à la fin du mois d’août. La Commune fit pression pour accélérer les procès des coupables du massacre du 10 août, et finit par obtenir le 17 août la création d’un tribunal extraordinaire élu par les sections. L’Assemblée décida de frapper en décrétant le renouvellement du Conseil général de la Commune ; mais celui-ci refusa, et fit annuler le décret. L’Assemblée se contenta de faire élire six représentants par chaque section pour compléter le Conseil.

[34] «Mieux vaudrait», commente alors CHAMFORT, « Sois mon frère ou je te tue ». Selon Philippe ROGER « CHAMFORT n’avait pas tort de soupçonner réversible cette formule du « dévouement » : le sacrifice de soi, comme stratégie rhétorique, vise à (s’) autoriser le sacrifice d’autrui. » (Article précité, voir note 16-2). De cette remarque isolée, on en a vite tiré et généralisé une conception fratricide de la fraternité sous la Révolution, et notamment en 1793.

[35] Le droit au travail généra des discussions passionnées qui durèrent pas moins de 5 jours. Ses défenseurs les plus ardents tels que les députés Louisy MATHIEU (député guadeloupéen anti esclavagiste) et Alexandre LEDRU-ROLLIN parvinrent à arracher à une assemblée conservatrice la prise en compte – certes très atténuée – du droit au travail qui donna lieu, après la médiation de LAMARTINE, à la rédaction de l’article VIII du Préambule.

[36 Interview donnée par Frédéric LENOIR au journal en ligne L’Indépendant le 27 novembre 2015, sous le titre : « Frédéric LENOIR à Cabestany demain : « Ne plus attendre pour cultiver la fraternité », https.//www.lindependant.fr/2015/11/27/frederic-lenoir-a-cabestany-demain-ne-plus-attendre-pour-cultiver-la-fraternite.2120311.php

[37] Cf. ce site, notre article du 11 mars 2019 http://www.ideesaisies.org/aux-sources-de-l…stence-de-lhomme/ Aux sources de la fraternité, condition de l’existence de l’Homme (I), première partie : « Essai d’appréhension de la fraternité : l’analyse du lien d’appartenance (union) et les différentes approches de la fraternité ».

[38] Cf. sur ce site, op. cit., : « Essai d’appréhension de la Fraternité : l’analyse du lien d’appartenance (union) et les différentes approches de la fraternité », 11 mars 2019.

[39] Voir l’article 1er de la Constitution actuelle du GODF.

[40] Comme le préconise d’ailleurs très explicitement comme un « devoir » l’article 2 (alinéa 1er) de la Constitution du GODF.

[41] Cf. sur ce site la première partie de notre article « Essai d’appréhension de la fraternité : l’analyse du lien d’appartenance (union) et les différentes approches de la fraternité », 11 mars 2019.

[42] L’abbé Augustin de BARRUEL (1741-1820), prêtre et jésuite, se rendit célèbre à travers ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Hambourg, 5 vol., P. Fauche, 1798-1799 dans lesquels il développe sa thèse du complot maçonnique qui serait à l’origine de la Révolution française. Selon lui, celle-ci ne serait pas un mouvement de révolte spontanée du peuple, mais un processus organisé pendant plusieurs décennies dans des loges maçonniques et dans des clubs, en particulier celui des Jacobins.

[43] ROGER (Philippe) : « La Révolution française et la Justice ou le second exil d’Astrée », dans Justice, Liberté, Égalité, Fraternité, Sur quelques valeurs fondamentales de la démocratie européenne, voir supra, note 16-2.  

[44] Son auteur, un ancien soldat chanteur des rues, du nom de LADRÉ, avait adapté des paroles anodines sur une contredanse alors très populaire, connue sous le nom de Carillon national, contredanse due à un certain BÉCOURT. On dit même que la reine Marie-Antoinette aimait souvent jouer cet air sur son clavecin. Quant aux paroles de LADRÉ, celles qui sont restées les plus répandues et célèbres portent sur le couplet suivant : « Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira ! Les aristocrates à la lanterne. Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira ! Les aristocrates on les pendra. »

[45] Certains estiment que le « Ah ! Ça ira, ça ira,… » aurait été entonnée pour la première fois pendant la nuit du 5 au 6 octobre 1789, par les insurgés du château de Versailles. Ces journées, comme on le sait, eurent pour conséquence immédiate le déplacement du centre politique de la France de Versailles à Paris. Elles ont aussi été marquées par la ratification par le roi de la Déclaration des droits de l’homme et du principe de la Constitution et aboutirent au retour définitif et contraint du roi Louis XVI et de sa famille à Paris, capitale du royaume de France.

[46] Alors que la France est menacée de toutes parts (velléités d’une contre-révolution intérieure et d’une invasion étrangère), le 5 septembre 1793, l’avocat Bertrand BARÈRE, membre du Comité de Salut Public (le gouvernement républicain de la Convention) demande à la Convention nationale de prendre toutes les mesures propres pour permettre de sauver les acquis de la Révolution et repousser l’invasion étrangère. Il s’agit, par une justice prompte et inflexible, de briser les ennemis de la Révolution et de la France. C’est cette séquence de la Révolution (septembre 1793- Juillet 1794) qui a été retenue sous le nom de « Terreur ».

[47] AULARD était un chercheur remarquable sur la Révolution française car il fut l’éditeur de nombreuses archives de la période révolutionnaire. Il consacra ainsi : pas moins de 27 volumes composant son fameux Recueil des Actes du Comité de salut public (1889-1933) ; 6 volumes à La société des Jacobins, recueil de documents pour l’histoire du Club des jacobins de Paris (1889-1897) ; 4 volumes du Paris sous le Consulat, recueil de documents pour l’histoire de l’esprit public à Paris (1903-1913). Ses recherches constituent encore aujourd’hui une mine d’informations pour les historiens et les citoyens désireux, les uns et les autres, d’appréhender cette période historique passionnante. Mais AULARD était aussi un homme engagé dans les combats de son temps. Ainsi il fut Vice-président de la Ligue des droits de l’homme et, de 1906 à 1912, président de la Mission laïque française, une association créant et gérant des établissements scolaires français à l’étranger. Enfin, il fut président de l’association française pour la Société des Nations.

[48] À l’origine du calendrier républicain, on considérait qu’une ère nouvelle avait débuté le 14 juillet 1789. C’est ainsi que l’Assemblée législative décréta le 2 janvier 1792, que « tous les actes publics, civils et judiciaires portent désormais la mention de I‘ère de la Liberté », et que « le 1er janvier-1792 marque le début de l’an IV de la Liberté ». Après le 10 août 1792 on ajouta l’an I de l’Égalité. Le décret du 22 septembre 1792 de la Convention déclare qu’à compter de ce jour, 22 septembre 1792, les actes publics seront datés de « l’an premier de la République française ». Ceci montre les hésitations des révolutionnaires entre le maintien de certains repères de datation issus du calendrier grégorien et le projet du nouveau calendrier révolutionnaire. Par rapport au projet de réforme du calendrier, l’année est doublement indiquée, selon le calendrier grégorien, mais aussi selon une première forme de calendrier révolutionnaire. Avant d’être institutionnalisé en septembre 1793, le calendrier républicain s’est introduit dans la pratique dès le 15 juillet 1789, jour à partir duquel on commence à dater du « 2ème jour de la Liberté ». Mais la coupure du 1er janvier reste encore forte dans les esprits, et les députés, le 2 janvier 1792, décident de compter l’année 1789 pour une année entière. Dès lors cela justifie que l’année 1792 soit considérée comme « l’an 4ème de la Liberté ».

[49]  Marcel DAVID, Fraternité et Révolution française, Paris, Aubier, 1987, 350 p.

[50] Bien que certains aient parfois vu, dans l’article 2 de la Déclaration des devoirs de la constitution du 5 fructidor An III instituant le régime du « Directoire », une ébauche de fraternité à travers la formule « Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir », règle morale d’altérité mais qui ne fait pas pour autant, selon nous, société.

[51] Cf. supra, II-2 « La fraternité politique comme idéal  à travers la notion de patrie ».

[52] Cf. WAHNICH (Sophie) : L’intelligence politique de la Révolution française, Ed. Textuel, Paris, février 2019.

[53] Ibid.

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