De la laïcité positive à la laïcité soumise par Loïck GOURDON
Si pendant la campagne électorale le discours de l’actuel « Premier de cordée » était resté politiquement correct mais surtout flou sur sa conception de la laïcité, ses dernières déclarations ne laissent guère de doute sur son positionnement intime en la matière.
Ainsi, dans la déclaration au « Parisien » du 10 octobre 2017, on peut lire : « la laïcité n’est pas la négation des religions, c’est la capacité de les faire coexister dans un dialogue » Nous voilà donc entrés, comme dit Philippe PORTIER, Directeur du Groupe Société, Religions, Laïcité au CNRS, dans une « laïcité de coexistence » c’est-à-dire un œcuménisme exactement contraire à la tradition laïque, qui, faut- il le répéter, se fonde sur la stricte séparation des Eglises et de l’Etat (voir ci-dessous, en ANNEXE, les dispositions principales de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat).
Auparavant, le 1er octobre 2016, au cours du débat qui l’opposait à Jean François KHAN, Emmanuel MACRON déclarait : « La République est le lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion » dont acte, à ceci près que République ne rime pas avec pensée magique mais avec pensée rationnelle. D’ailleurs, la phrase suivante dissipe toute équivoque. Un catholique pratiquant peut considérer que «les lois de la religion dépassent les lois de la République, dans sa conscience profonde ». Ce n’est pas dit explicitement, mais on peut légitimement voir là un encouragement à imposer ses convictions intimes dans la sphère publique, comme à Latran, c‘est à dire de faire prévaloir la loi de Dieu -à moins qu’il ne s’agisse des commandements de cléricaux- sur celle des hommes. D’ailleurs les évêques, via Sens commun, n’ont-ils pas appelé à la désobéissance civile en ce qui concerne le projet de loi sur la procréation médicale assistée ? Et que dire des fondamentalistes qui ne reconnaissent qu’une seule loi, celle d’Allah, et qui, devant les tribunaux demandent conseil aux théologiens de l’Islam plutôt à leurs défenseurs, comme ce fut le cas au cours du procès MEHRA.
L’hommage, prononcé lors de la commémoration de l’assassinat du Père HAMEL, le 26 juillet 2017, mérite que l’on s’y attarde. Discours de circonstance ou profession de foi ? Telle est la question. Dans un article de « La Croix » daté du 27 juillet 2017, Jean Louis SCHLEGEL, Directeur de la revue « Esprit », se déclare sidéré d’avoir « pour la première fois entendu un Président de la République (laïque) parler avec les mots de l’Eglise : l’espérance, le don de soi, l’amour» Notons qu’à aucun moment n’ont été prononcés les mots : « Liberté Egalité Fraternité » non plus que « Laïcité ». Nous conviendrons avec Philippe PORTIER que le fait de reconnaître que les croyances peuvent « cohabiter à la fois dans l’intimité et dans l’intensité » c’est admettre que la société doit se construire à partir des valeurs portées par les religions. En cette circonstance, il n’a pas été dit que c’était à l’Eglise d’accepter la loi de la République laïque mais que « l’Eglise faisait partie de la République, et qu’en cette circonstance elle était exemplaire ». Faut- il voir dans cette affirmation une « valeur supplémentaire » du catholicisme eu égard aux autres convictions, héritée de Paul RICOEUR, pour qui le catholicisme constituait « l’énergie centrale ».
Par ailleurs, le 2 novembre 2017, le journal « La Croix », encore lui, révélait que le Président MACRON acceptait officiellement le titre de « Premier et unique Chanoine Honoraire de la Basilique de Latran », cathédrale du pape, et qu’il avait l’intention d’aller rapidement en prendre possession à Rome. Or, rien n’oblige un Président de la République à accepter cette charge symbolique qui fait tache en République laïque. S’agit-il de se mettre genoux à terre devant le Souverain Pontife par conviction intime, abandonnant par là-même un pan de la souveraineté nationale, ou d’un signe adressé à l’électorat catholique ? C’est en tout cas une entorse, une de plus, à la Loi de Séparation. C’est la liberté de conscience et non la foi qui détermine le rapport de l’Etat à l’ensemble des religions en général et à chacune en particulier. La conscience n’est pas la foi, et l’égalité entre citoyens justifie que l’Etat demeure extérieur aux considérations théologiques et à leurs pratiques. La liberté de conscience ne vise pas l’égalité de traitement entre les religions, l’article premier de la Loi de 1905 est clair sur ce point, l’Etat – au sens juridique du terme – ne reconnaît aucun culte. Ainsi, la liberté de conscience ne peut être effective que par une stricte séparation entre le fait religieux et le champ politique. La seule façon cohérente de se prémunir contre le retour en force des religions dans la sphère publique et préserver la paix civile est de les assigner à « l’intimus », la sphère privée. Prétendre les traiter sur un plan d’égalité renvoie à un œcuménisme faussement laïque, conception qui pollue actuellement le discours sur la laïcité.
A cet égard, la déclaration récente de l’actuel Ministre de l’Intérieur et des Cultes est particulièrement édifiante « nous voulons que les musulmans se sentent fiers d’être français, fiers d’appartenir à la nation. » Mettre sur le même plan l’appartenance supposée à une religion et la citoyenneté constitue une grave dérive. En oubliant que la République ne reconnaît personne d’autre que le citoyen, à mots couverts, Gérard COLLOMB engage l’Etat sur la voie d’une gestion larvée du communautarisme qui affaiblit et pervertit la République.
Faut- il s’en étonner ? Un élément d’explication réside sans doute dans l’adhésion philosophique hautement proclamée du Président aux thèses du philosophe Paul RICOEUR qui vécut à Chatenay-Malabry dans un lieu communautaire fondé par Emmanuel MOUNIER. Quant au Ministre chargé de faire respecter la laïcité de l’Etat, souvenons- nous que dans son fief lyonnais, il a mis en place « une instance de dialogue et de concorde » qui renvoie à « l’instance de dialogue permanent entre les Eglises et l’Etat » instituée par l’Union Européenne. On est plus près des thèses de la laïcité ouverte, rebaptisée inclusive, du christianisme social que de la laïcité de JAURES, fervent adepte de la séparation, adossée au mouvement ouvrier, pour qui, sans République sociale il ne pouvait y avoir de République laïque. Pour les laïques, l’heure du repos est loin d’être arrivée, plus que jamais le combat pour l’émancipation des consciences reste l’ordre du jour. L’appel des laïques constitue un point d’appui, un pas vers la reconstruction du mouvement laïque sur ses bases historiques.
Loïck GOURDON
Militant laïque, Libre penseur
Paris, le 16 novembre 2017
ANNEXE : Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’Etat (Version consolidée au 19 novembre 2017)
(extraits)
Titre Ier : Principes
Article 1
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.
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Titre V : Police des cultes
Article 25
Les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 26
Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.
Article 27 (Modifié par Loi n° 96-142 du 21 février 1996 (V)
Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont réglées en conformité de l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales.
Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l’association cultuelle, par arrêté préfectoral.
Le décret en Conseil d’Etat prévu par l’article 43 de la présente loi déterminera les conditions et les cas dans lesquels les sonneries civiles pourront avoir lieu.
Article 28
Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
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Article 34 (Modifié par Ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 – art. 1 (V)
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3 750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.
La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s’il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l’article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l’article 65 de la même loi s’appliquent aux délits du présent article et de l’article qui suit.
Article 35
Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.
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Article 43
Un décret en Conseil d’Etat rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.
Des décrets en Conseil d’Etat détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonies.
Article 44
Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’Etat, ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment :
1° La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ;
2° Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ;
3° Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite ;
4° Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859 ;
5° Les articles 201 à 208,260 à 264,294 du Code pénal ;
6° Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12, de l’article 136 et l’article 167 de la loi du 5 avril 1884 ;
7° Le décret du 30 décembre 1809 et l’article 78 de la loi du 26 janvier 1892.
Le Président de la République,
Émile LOUBET
Le président du conseil, ministre des affaires étrangères,
ROUVIER
Le ministre de l’instruction publique, des beaux-arts et des cultes,
Bienvenu MARTIN
Le ministre de l’intérieur,
- DUBIEF
Le ministre des finances,
- MERLOU
Le ministre des colonies,
CLEMENTEL.
Source / Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749