Du déni et ses glissements par Philippe TANCELIN, poète-philosophe, professeur émérite de l’université de Paris 8

Tribune

Du déni et ses glissements…

par Philippe TANCELIN

poète-philosophe

 

Une fois passé le soir électoral et contée aux enfants l’histoire d’un « nouveau monde » pour les endormir, s’installent très rapidement non pas la surdité et la cécité sous le faux prétexte d’un certain apprentissage en gouvernance mais une réelle politique du « Déni » reposant à la fois sur un profond mépris de classe, et une prétention outrancière à l’idée originale, maîtresse de réforme… le tout dans une inculture évidente et volontaire de l’histoire d’un peuple.

 

 

C’est bien cette détermination politique, animée par un culte de la personne qui a conduit à la précipitation de la perte d’une représentation déjà bien entamée des corps intermédiaires, des organisations politiques, syndicales traditionnelles et à l’échec des mobilisations de masse face aux réformes successives menées à très grande vitesse.

C’est à la notion de « mouvement en marche » et à son concept associé   d’« ouverture » que se rapporte cette « New réal politic » avec les nombreux dégâts collatéraux que l’on connaît depuis six mois en particulier au plan des libertés.

 

Mais c’était sans compter avec le réel et ses infinies potentialités dont l’une s’est actualisée à travers « les gilets jaunes », mouvement dont la longévité exceptionnelle dans l’histoire sociale française n’est pas seulement due à une prédétermination inébranlable de ses participants mais au devenir même d’un mouvement authentique. Ce mouvement vient du cœur battant de toute une sensibilité à la dignité, au respect de la personne non moins qu’à l’intuition du moment juste de son surgissement face à l’intolérable sens que le cours des choses impose à la vie du sujet dans son universel.

Confrontée sans discontinuité à la puissance de tel mouvement des gilets jaunes et au soutien large de la population, la politique gouvernementale du « déni » alors fragilisée, a entrepris les manœuvres les plus grossières de pourrissement par les différents discrédits que l’on connaît, de digression à travers le théâtre de débats « égocentrés », tandis que se mettait en place une stratégie de la tension et un climat de conflit civil, afin de fragmenter le mouvement entre « légitimes » et « radicalisés ».

Là encore, c’était sans compter sur la capacité d’un mouvement social populaire, indépendant des organisations traditionnelles, un mouvement sans leader reconnu et qui dure… c’est-à-dire génère très vite son auto-formation politique : lorsque chaque séquence de manifestation par exemple, devient la classe de cette école alternative du mouvement. Dans pareille école, les interdisciplinarités vives se développent sans relâche tandis que l’imagination créatrice qui l’anime, d’abord festive, se déploie simultanément en une conscience grave et déterminée de sa puissance à assumer pleinement, c’est-à-dire de manière responsable sa présence dans la représentation sociale. Il n’était qu’à regarder avec attention les visages dans le cortège sans banderole des gilets jaunes et des sans gilet mais bien là, ensemble, toutes générations et catégories socioprofessionnelles confondues, ce Ier mai 2019 dans toute la France.

Comment des observateurs de métier ne voient-ils rien ou refusent-ils de voir ?

Ci-dessous illustration de l’évolution de la zoologie politique

 

À la différence de certains de ses prédécesseurs politiques, historiques ou encore quelques actuels dont il cherche la disparition, le présent pouvoir s’il a su apprendre du théâtre, l’entrée en scène comme on le vit certain soir d’élection, n’en est pas moins demeuré au stade de l’amateurisme débutant, c’est à dire incapable de tenir en scène, de tenir la scène sans faire beaucoup de gestes, sans jouer de la voix, de l’intonation, ne sachant pas construire une présence sans abus d’autorité, sans erreur de jeu, sans outrance de traitement, telle la « fausse information » propagée sur la manifestation du 1er mai et son épisode de la Salpêtrière.

Dès lors que les vigilants de la  fausse nouvelle, les détracteurs des réseaux sociaux se lâchent eux-mêmes et deviennent les auteurs de « fake news » officielles, on passe de la politique du déni, au déni de politique et c’est toute la classe politique sans distinction d’appartenance qui se trouve concernée, soudain dé-crédibilisée, atteinte dans sa représentation même.

Comment des journalistes de métier ne l’entendent-ils pas ou refusent-ils de l’entendre ?

C’est un des effets politiques forts du mouvement des gilets jaunes que d’avoir ainsi amené la classe politique et ses scrutateurs dans leurs plus intimes retranchements jusqu’à se discréditer et apparaître sujets à une infirmité prononcée dans l’affirmation de vérité.

Un tel déni, produit de l’intérieur même du monde politique, place ce même monde dans la situation la plus embarrassante qu’il puisse connaître en ayant à devoir prendre la décision de se séparer de ses « fauteurs de trouble » internes et de les renvoyer à un stage de formation permanente théâtre, au risque pour la classe politique toute entière de perdre non plus seulement sa crédibilité mais son emploi.

Dans un contexte si particulier qui voit autant l’autorité d’un pouvoir se fragiliser, qu’abuser de sa fonction pour se maintenir, Il ne faut sans doute retenir de ces glissements du déni caractérisé, que le corps réellement meurtri des victimes. On doit non moins observer que les blessures physiques et morales de ces victimes sont heureusement pansées par l’intelligence historique d’un mouvement qui fait office de « medic-street » du corps social-politique. Ce mouvement, il faut le préciser n’est pas « en marche » sur une estrade de dominants mais déjà bien plus haut, selon son élévation naturelle sur les collines d’une éthique-politique autour de la cité à venir. C’est du moins l’espoir que l’on peut former ce jour.

Le monde n’appartient à personne mais y devenir humblement dans le respect de notre appartenance à lui, le sauvera peut-être des promoteurs de sa fin, grâce à une simple « fin de mois » visionnaire non moins que poétique par son goût de l’étonnement et de l’inattendu.

Philippe TANCELIN

Poète-philosophe

Mai 2019

 

 

 

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