
La Cour européenne des droits de l’homme sonne le glas de l’archaïque « devoir conjugal »
par Louis SAISI
SOMMAIRE
Introduction
I/ L’appréciation par les juges du fond de la notion de « devoir conjugal »
A/ Le jugement du juge des affaires familiales du Tribunal de Grande instance de Versailles
B/ L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles
II/ Le procès devant la Cour de cassation
A/ Les arguments des parties
1/ Les arguments de l’épouse requérante (H. W.)
2/ Les arguments du conjoint (J. C.)
B/ L’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020
C/ Bref commentaire critique de cet arrêt (LS)
1/ La flexibilité de la jurisprudence, interprète de la loi et elle-même possible source du droit
2/ Un exemple historique mémorable de la mutation du droit jurisprudentiel à l’aube du machinisme
3/ Les efforts et tâtonnements de la jurisprudence à la recherche de l’indemnisation des victimes dans un nouveau contexte économique et social
4/ La Cour de cassation et l’arrêt Teffaine du 16 juin 1896
III/ Le litige porté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
A/ L’analyse du droit français
1/ Les articles du Code civil relatifs au mariage et la recherche d’un invisible droit conjugal
2/ La jurisprudence relative au devoir conjugal
A la recherche de traces textuelles normatives du devoir conjugal
- Le droit canonique
- L’absence du corps humain dans le Code civil de 1804 (Doyen CARBONNIER)
- Les juges du fond
- La Cour de cassation
3/ L’évolution du droit pénal vers la reconnaissance du viol entre époux
- La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (JORF n°81 du 5 avril 2006, Texte n° 1)
- La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (JORF n°0158 du 10 juillet 2010, Texte n° 2)
B/ Le droit international
1/ La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique – dite « Convention d’Istanbul » (2011)
2/ L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH) relative au « Droit au respect de la vie privée et familiale »
- Le contenu de la « vie privée » englobe la « vie sexuelle »
- Les restrictions légales apportées par l’autorité publique à la vie privée : la notion d’ingérence
3/ La mise en cause du devoir conjugal par la Cour européenne
- Le devoir conjugal est incompatible avec le consentement aux relations sexuelles et sa réaffirmation par les juridictions internes viole l’article 8 de la Convention
- a) Le principe du libre consentement aux relations sexuelles
- b) Une ingérence partiale et non nécessaire apportée au droit à la vie privée dans sa composante qu’est la liberté sexuelle et donc une violation de l’article 8 de la Convention
4/ Observations (LS)
IV/ Conclusions : Après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
- Rappel préalable du fonctionnement de la Cour et de l’organisation de son travail juridictionnel
- Les effets d’un arrêt définitif de la Cour sur le droit interne français
- La naissance d’un nouveau droit garanti par la Cour : la protection par l’Etat de ses ressortissants contre les effets néfastes du réchauffement climatique
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Dans un arrêt très substantiel et fortement argumentée du 23 janvier 2025 – qui fera date [1] -, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)[2] a fait droit à la requête N° 13805/21 de madame H.W. contestant la faute relevée contre elle par les tribunaux français de ne pas s’être soumise à l’obligation du devoir conjugal dans sa vie quotidienne.
Comme on le sait, le « devoir conjugal » désigne l’aspect sexuel de la vie des conjoints à l’intérieur du mariage.
La Cour européenne de Strasbourg invalide cette notion de devoir conjugal en rappelant que « tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle » (§ 87 de son arrêt) et que « l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles » (§ 89 de son arrêt).
Comment en sommes-nous arrivés, en 2025, sur le plan d’une partie aussi sensible de notre droit civil le plus quotidien, à un tel désaveu de l’attitude juridictionnelle française arcboutée, au niveau de sa plus haute juridiction, sur cette notion archaïque de devoir conjugal ? Un retour aux sources de cette notion de devoir conjugal mérite un voyage historique au sein de notre droit civil.
Pendant longtemps, le devoir conjugal évoquait l’idée de développer et de maintenir des rapports sexuels réguliers entre époux, et cela d’autant plus que la conception d’Etat habituelle du mariage était tournée vers la fondation d’une famille. Ainsi selon Jacqueline BARUS-MICHEL :
« La confusion entre reproduction et sexualité se prolonge par l’amalgame entre les institutions du mariage et de la famille. Le mariage est alors assigné à la procréation et à l’élevage (protection et éducation) des enfants au point que la sexualité ne sert souvent que de paravent à la reproduction, la sexualité s’exerçant de fait en dehors de ses liens et de façon plus ou moins admise.
La confusion entre sexualité et reproduction, puis mariage et famille, apparaît comme un fait culturel ayant pour premier effet de maintenir un lien durable entre sexes possiblement géniteurs, donc à but social, et de vouer l’un et l’autre sexe à des fonctions distinctes dans la reproduction et l’élevage et, particulièrement, la femme à la maternité. » [3]
L’idée de reproduction semblait alors devoir impliquer – et même pour certains justifier – l’obligation d’avoir une vie sexuelle active au sein du mariage, alors que l’évolution des mœurs ainsi que le détachement de la sexualité de la procréation accentuaient la remise en cause d’une telle obligation qui se heurtait à des refus parfois pour des motifs légitimes, d’autres fois reposant tout simplement sur l’idée du nécessaire consentement des deux époux dans la satisfaction du désir de l’un par rapport à la réserve ou au franc refus de l’autre.
Pourtant, la jurisprudence française reconnaissait régulièrement le devoir conjugal, comme faisant obligation aux époux d’entretenir des relations sexuelles. Des juges du fond mais aussi la Cour de cassation elle-même sanctionnaient ainsi régulièrement le refus de relations sexuelles à l’intérieur du mariage et condamnaient parfois l’époux rebelle au versement de dommages-intérêts au conjoint plaignant pour la faute que constituait le rejet de relations intimes (CA Aix-en-Provence, 3 mai 2011, RG no 09/05752) et qui justifiait également l’utilisation de ce moyen pour prononcer le divorce pour faute à l’encontre de l’époux rebelle à son supposé « devoir » (Cass. 2ème chambre civile, 17 décembre 1997, no 96-15.704).
Or cette attitude de la jurisprudence était d’autant plus troublante et même discutable que le « devoir conjugal », conçu comme une obligation à la charge des époux, n’a jamais été consacré explicitement par le Code civil mais a été déduit hâtivement des deux articles 212 et 215 du Code civil qui imposent, le premier, le devoir de « fidélité » [4], le second, le « devoir de cohabitation » devenu, depuis la loi N° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale (notamment dans son article 2), obligation à « une communauté de vie » [5] (alinéa 1er de l’article 215 du Code civil).
Saisie le 5 mars 2021 par Mme H.W. d’une requête dirigée contre la République française, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’obligation du devoir conjugal constitue une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à la protection de la vie privée [6].
Les faits générateurs du litige étaient les suivants.
La requérante, Mme H. W., et M. J.C. se marièrent en 1984 et eurent quatre enfants.
Le 17 avril 2012, la requérante déposa une requête en divorce.
Le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Versailles, par une ordonnance de non-conciliation du 29 janvier 2013, autorisa les époux à introduire l’instance en divorce. Il prononça des mesures provisoires attribuant la jouissance du domicile conjugal à la requérante en ordonnant à J.C. de quitter les lieux et en fixant les modalités de sa contribution à l’entretien et à l’éducation du dernier enfant du couple encore à charge.
Le 9 juillet 2015, la requérante assigna son époux en divorce pour faute, lui reprochant d’avoir privilégié sa carrière professionnelle au détriment de leur vie familiale et mit en cause également son comportement irascible, violent et blessant à son égard. Elle présenta enfin diverses demandes relatives aux conséquences du divorce et aux modalités de l’obligation d’entretien à la charge de J.C. à l’égard de leur dernier enfant à charge. Elle sollicita en outre une indemnisation de 8 000 euros (EUR) en réparation des fautes que son conjoint aurait commises au cours de la vie conjugale.
De son côté, son conjoint, J.C., demanda, à titre reconventionnel, que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de son épouse au motif qu’elle s’était soustraite au devoir conjugal pendant plusieurs années et qu’en outre elle avait failli au devoir de respect mutuel entre époux en proférant des accusations calomnieuses à son égard. A titre subsidiaire, il réclama, à son tour, le divorce pour altération définitive du lien conjugal. Il rejeta enfin les demandes de la requérante portant sur les conséquences patrimoniales du divorce avec notamment l’augmentation de son obligation d’entretien. S’agissant de la demande de prestation compensatoire de sa conjointe, il la contesta vigoureusement en soulignant que la rupture du mariage n’engendrait pas de disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Au titre du manquement allégué au devoir de respect mutuel, il sollicita enfin une indemnisation de 1 000 EUR mais en revanche il n’émit aucune prétention indemnitaire pour sanctionner la soustraction de son épouse au devoir conjugal.
I/ L’appréciation par les juges du fond de la notion de « devoir conjugal »
A/ Le jugement du juge des affaires familiales du Tribunal de Grande instance de Versailles
Par un jugement du 13 juillet 2018, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Versailles prononça le divorce pour altération définitive du lien conjugal, le divorce ne pouvant être prononcé pour faute car les griefs mutuels invoqués par les deux époux n’étaient pas étayés.
S’agissant plus précisément du grief allégué contre l’épouse quant à son manquement au devoir conjugal, ce même juge trancha que les problèmes de santé de la requérante étaient de nature à justifier l’absence durable de sexualité au sein du couple.
Sur l’aspect des conséquences pécuniaires liées au divorce, il rejeta les prétentions des deux conjoints : rejet de la demande de prestation compensatoire de la requérante en se fondant sur le fait que la rupture du mariage n’avait pas créé de disparité dans les conditions de vie des époux ; rejet des demandes indemnitaires des deux époux ; rejet de la demande de réévaluation de l’obligation d’entretien à la charge de J.C.
La requérante, Mme H.W., interjeta appel de ce jugement.
B/ L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles
Devant la Cour d’appel, les deux parties maintinrent leurs prétentions initiales.
Dans son arrêt du 7 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles prononça le divorce aux torts exclusifs de la requérante en relevant tout d’abord que celle-ci avait reconnu avoir cessé toute relation intime avec son conjoint depuis 2004. Ensuite, s’agissant des allégations de la requérante relatives à son état de santé – accident grave dans le métro reconnu comme un accident de service le 29 décembre 2005 lui laissant de nombreuses séquelles et l’ayant immobilisée près d’une année ; puis une opération en 2009 pour une hernie discale paralysante ; (…) enfin un syndrome polymorphe persistant à tiques (maladie de Lyme chronique) traité par une antibiothérapie au long cours depuis octobre 2016 – , la Cour d’appel de Versailles considéra qu’elles ne sauraient justifier son refus continu, à partir de 2004, à entretenir des relations intimes avec son mari, et ce pendant une durée aussi longue, alors même que dans le cadre de [la] main courante précitée, [H.W.] relate les sollicitations répétées de son époux à ce sujet et les disputes générées par cette situation.
La Cour d’appel conclut que « ces faits, établis par l’aveu de l’épouse, constituent une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune », et que par suite « seule la demande en divorce de [J.C.] étant justifiée par des preuves suffisantes, le divorce sera prononcé aux torts exclusifs de l’épouse et le jugement infirmé de ce chef. »
Elle confirma par ailleurs l’ensemble des autres dispositions du jugement rendu en première instance.
La requérante forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
II/ Le procès devant la Cour de cassation
A/ Les arguments des parties
1/ Les arguments de l’épouse requérante (H. W.)
Devant la Cour de cassation, dans son mémoire ampliatif, H. W. développa une série de moyens, au nombre desquels figuraient les deux points suivants :
L’obligation du devoir conjugal ne fait pas partie des devoirs et obligations des époux tels qu’ils résultent de l’article 242 du Code civil qui se borne à stipuler de manière générique : « le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune ». Or, selon la requérante, « le refus de relations intimes ne saurait être érigé en un fait constitutif d’une telle violation. Car admettre le contraire reviendrait à consacrer purement et simplement l’existence d’une véritable obligation pour chacun des époux de répondre et céder aux exigences de son conjoint sur ce point – peu important qu’il ne corresponde pas à ses propres souhaits. »
L’autre moyen développé par la requérante était tiré du droit à l’intégrité physique et à la liberté individuelle, droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme dont la violation est ici en cause. Selon la requérante, l’arrêt ne saurait être maintenu dans son affirmation selon laquelle « le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari » puisse être assimilé à une « violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune ». Or, en statuant ainsi, la cour d’appel a consacré une obligation pour l’épouse de répondre aux demandes de son conjoint quand bien même tel n’aurait pas été son souhait. C’est dire qu’une telle posture ne pouvait être admissible, et devait donc être censurée.
2/ Les arguments du conjoint (J. C.)
De son côté, dans son mémoire en réponse, son conjoint, J. C., fit valoir que « (…) la violation du devoir conjugal a été et reste une faute au sens de l’article 242 du code civil, de nature à justifier que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de celui qui se refuse à le respecter. Ce devoir est l’une des formes que prend le devoir de cohabitation des époux énoncé à l’article 215 du code civil. La loi n’ayant pas changé, sa violation reste une cause de divorce pour faute. »
B/ L’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020
Ci-dessus, chambre d’audience de la première chambre civile de la Cour de cassation
La juge rapporteuse de l’affaire devant la Cour de cassation proposa, le 27 juillet 2020, le rejet du pourvoi, formé par Mme H. W., articulé, au sujet du manquement au devoir conjugal, sur les points suivants :
– Invoquant la propre et abondante jurisprudence antérieure de la Cour de cassation (1ère Civ, 1er juin 2011, pourvoi no 10‑17.461 ; 2e Civ., 15 janvier 1997, pourvoi no 95-15740 ; 2e Civ., 29 avril 1994, Bull. II, no 123 ; 2e Civ., 20 juillet 1993, pourvoi no 91-21253 ; 2e Civ., 22 janvier 1992, pourvoi no 90-14540 ; 1ère Civ., 21 novembre 2012, pourvoi no 11-30.032 ; 1ère Civ., 25 mai 2016, pourvoi no 15‑18.890 ; 1ère Civ., 27 septembre 2017, pourvoi no 16-24.489), elle rappela que la juridiction suprême :
– reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain pour constater non seulement l’existence des faits imputables au conjoint, causes de divorce pour faute ;
– mais aussi pour apprécier si ceux-ci constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune, conformément aux dispositions de l’article 242 du code civil.
– le moyen, directement contraire à cette jurisprudence constante, ne pouvant entraîner la cassation.
Par suite, suivant les conclusions de sa juge rapporteuse, la Cour de cassation, dans sa décision du 17 septembre 2020, rejeta le pourvoi de la requérante en estimant que les moyens invoqués n’étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
C/ Bref commentaire critique de cet arrêt (LS)
Après les divers mouvements de libération de la femme, et notamment avec la naissance, le 26 août 1970, du Mouvement de libération des femmes (MLF [7]) destiné à lutter contre toutes les différentes formes d’oppressions et de misogynie à l’encontre de la femme, suivi, 47 ans plus tard, du mouvement #MeToo qui émergea en France en 2017, l’on est en droit de trouver cet arrêt de la Cour de cassation assez frileux et franchement timoré.
1/ La flexibilité de la jurisprudence, interprète de la loi et elle-même possible source du droit
La notion de « devoir conjugal » est, comme on l’a vu, de source jurisprudentielle. C’est dire que le juge n’est pas enfermé dans une tour d’ivoire car, comme on le sait depuis longtemps maintenant, le propre de la jurisprudence est d’évoluer en tenant compte du contexte social et culturel d’une époque. Au fil du temps, la manière dont le juge interprète et applique la loi peut et même doit inéluctablement changer si le juge ne veut pas s’enfermer dans un certain formalisme risquant de devenir désuet au fil du temps. Les cours et tribunaux sont de plus en plus fondés à accorder davantage d’importance aux principes généraux plutôt qu’à la lettre même de la loi, ce qui signifie qu’ils sont plus enclins à faire preuve d’une plus grande flexibilité dans leurs décisions. Enfin, les juridictions sont aujourd’hui en mesure de prendre en compte le contexte social et historique de leur époque pour mieux comprendre l’intention du législateur.
2/ Un exemple historique mémorable de la mutation du droit jurisprudentiel à l’aube du machinisme
Qu’il nous soit ici permis de faire une incursion historique dans l’évolution positive de notre droit grâce à l’interprétation audacieuse de la loi par La Cour de cassation elle-même pour l’adapter au développement du machinisme à la fin du 19ème siècle.
Cet exemple a montré éloquemment, à travers l’arrêt Teffaine rendu en 1896, la propre capacité de la Cour de cassation à tenir compte du nouveau contexte économique et social, avant même l’intervention de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents de travail[8]. Mais avant cet arrêt de la Cour de cassation, il n’est pas inutile de rappeler l’état incertain du droit antérieur.
3/ Les efforts et tâtonnements de la jurisprudence à la recherche de l’indemnisation des victimes dans un nouveau contexte économique et social
Pendant longtemps, les victimes d’accidents du travail dus à l’utilisation de machines ne pouvaient obtenir une indemnisation de leur préjudice que sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240 du Code civil). Dans l’hypothèse où un dommage était causé par une chose qui n’était ni un animal (ancien article 1385 du Code civil) ni un bâtiment en ruine (ancien article 1386), la jurisprudence considérait que la chose n’étant qu’un instrument de l’action humaine, la victime ne pouvait donc obtenir réparation de son préjudice qu’en engageant la responsabilité du gardien de la chose sur le fondement de la responsabilité du fait personnel (article 1240 du Code civil). L’indemnisation des victimes supposait, par conséquent, de rapporter la preuve de la faute du gardien à l’origine du dommage, ce qui était, le plus souvent, très difficile à établir.
Les juges du fond tentaient parfois de contourner l’obstacle d’apporter la preuve de la faute par le biais d’une lecture extensive de l’ancien article 1386 du Code civil, alors normalement limité aux bâtiments en ruine, avec l’idée sous-jacente que les machines étaient encore bien plus dangereuses que les animaux (ancien article 1385) ou les bâtiments en ruine (ancien article 1386 précité). Or si l’on retenait la responsabilité du fait de ceux-ci (ainsi que du fait des animaux), pourquoi l’écarter pour les machines auxquelles, pourtant, un nombre de plus en plus nombreux d’ouvriers étaient quotidiennement exposés ?
Le premier arrêt mettant en œuvre cette idée de l’extension de l’article 1386 fut un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 juillet 1877 rendant un propriétaire responsable d’un accident provoqué par la chute d’un arbre résultant de sa vétusté et du vice propre de la chose (raisonnement par le biais d’une analogie hardie avec le bâtiment de l’article 1386) [9].
4/ La Cour de cassation et l’arrêt Teffaine du 16 juin 1896
C’est ce même mode de raisonnement visant à étendre l’ancien article 1386 du Code civil (responsabilité du fait des bâtiments en ruine) à d’autres choses, en l’occurrence un remorqueur à vapeur, emprunté à la Cour d’appel de Paris – qui, dans un premier temps, fut mis en œuvre dans l’espèce Teffaine jugée un peu plus tard par une juridiction d’appel qui avait retenu la responsabilité du propriétaire d’un remorqueur à vapeur lequel, en explosant, avait entraîné la mort de son mécanicien (le sieur Teffaine) – lequel n’avait pas à s’appliquer en l’espèce.
Ce que n’eut pas de mal à faire valoir le propriétaire du remorqueur qui se pourvut en cassation.
En effet, dépassant la rédaction littérale et étroite du Code civil dans le libellé de ses articles 1382 (responsabilité fondée sur la faute), 1384 (responsabilité du fait des choses dont on a la garde) ou 1386 (responsabilité du propriétaire à la suite d’un dommage causé par la ruine d’un bâtiment lui appartenant), la Cour de cassation put reconnaître, le 16 juin 1896, dans l’arrêt Teffaine de sa chambre civile, la responsabilité de l’employeur en matière d‘accident du travail sur la base de l’article 1384 en lui donnant la portée générale dont son libellé strict était pourtant originellement dépourvu : reconnaissance de la responsabilité générale du fait des choses.
Dans cette affaire Teffaine jugée le 16 juin 1896 l’arrêt de chambre civile de la Cour de cassation fut d’autant plus audacieux et novateur que la Haute instance juridictionnelle ne se borna pas à rejeter la responsabilité du propriétaire du remorqueur sur le fondement de l’ancien article 1386 du Code civil, ce qui aurait pu entraîner la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel, mais elle considéra que la responsabilité du propriétaire pouvait être retenue sur la nouvelle base de l’ancien article 1384 al. 1 du Code civil, selon lequel on est responsable du dommage causé par les « choses que l’on a sous sa garde ».
Aujourd’hui, tournant le dos à l’évolution des mœurs et de la culture de son époque, la Cour de cassation a fait preuve d’un statisme et d’un conservatisme étonnants, essentiellement préjudiciables d’abord à la requérante mais aussi à la France qui a ainsi été justement censurée par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 23 janvier 2025 que nous nous proposons maintenant d’analyser.
III/ Le litige porté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
La Cour européenne des droits de l’homme va centrer son analyse du droit existant sur la question en cernant d’abord le droit français (A) puis le droit international (B).
A/ L’analyse du droit français
Analysant le devoir conjugal et le divorce pour faute, la Cour commence par recenser toutes les dispositions du Code civil (1) puis fait le point sur l’état de la jurisprudence relative au « devoir conjugal » (2).
1/ Les articles du Code civil relatifs au mariage et la recherche d’un invisible droit conjugal
Comme nous l’avons déjà relevé, il n’existe pas d’article du Code civil consacrant explicitement la notion de « devoir conjugal ».
En revanche, l’institution du mariage est très encadrée dans le Code civil et nombreux sont les articles qui lui sont consacrés.
Sans en faire ici l’exégèse, la Cour cite, pêle-mêle, les articles suivants – que nous avons, pour certains, déjà nous-même évoqués plus haut dans notre introduction – en indiquant sommairement leur objet : Article 212 (obligation des époux : respect, fidélité, secours, assistance) ; Article 215, alinéa 1er (obligation de la communauté de vie) ; Article 229 (divorce, modalités : consentement mutuel ; acceptation du principe de la rupture du mariage) ; Article 238, alinéa 1er (altération définitive du lien conjugal : cessation de la communauté de vie entre les époux résultant de leur séparation depuis 2 ans lors de l’assignation en divorce) ; Article 242 (divorce pouvant être demandé à la suite de faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage imputables au conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. ») ; Article 266, alinéa 1er (attribution par le juge de dommages et intérêts pouvant être accordés à un époux en réparation des conséquences d’une particulière gravité qu’il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu’il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu’il n’avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint. ») [10] ; Article 270 (en cas de divorce avec la fin du devoir de secours entre époux, attribution à l’un des époux d’une indemnité compensatoire pour corriger la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives, le juge pouvant « refuser la prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. » [11]
2/ La jurisprudence relative au devoir conjugal
A la recherche de traces textuelles normatives du devoir conjugal
- Le droit canonique
La Cour, sans faire de ce point une analyse exhaustive, se borne à énoncer que le devoir conjugal trouve sa source dans le droit canonique qui aurait fait de la copula carnalis (union des chairs) une condition de l’indissolubilité du mariage.
Mais il reste que, si la consommation du mariage était une condition de sa perfection, sa non-consommation n’entraînait pas sa nullité d’office car il fallait une dispense papale pour entraîner sa dissolution.
Une chose est donc de tenir compte de la sexualité comme de l’un des éléments constitutifs du mariage, autre chose est de pouvoir déduire de la présence d’une telle sexualité l’existence d’un devoir conjugal.
C’est dire que cette intrusion dans le droit canonique, au moins autour de la « copula carnalis », nous semble assez vague et surtout pas forcément probante, au moins par rapport à la doctrine de l’Eglise qui voit dans l’acte charnel une manifestation d’unité et d’amour au sein du couple où le devoir ne tient pas la première place car le mariage chrétien est conçu comme un sacrement dans lequel la sexualité est intégrée dans un chemin de sainteté, où la finalité visée est le « don sincère de soi ».
Le théologien Pierre LOMBARD, d’origine italienne (1100-1160), futur évêque de Paris (1159-1160), se distingua vite d’autres théologiens dans ses Sentences (1152) [12] en développant la doctrine selon laquelle le mariage était avant tout consensuel (et n’avait donc pas besoin d’être « consommé » pour être considéré comme parfait, contrairement à l’analyse de Gratien). Cette question du consentement devait revenir quatre siècles plus tard sur le devant de la scène polémique lors de réforme protestante : le mariage est-il un contrat ou un sacrement ? L’interprétation de Pierre LOMBARD a été plus tard reprise par le pape Alexandre III et a eu une importance considérable sur la compréhension du mariage par l’Église Catholique comme sacrement, et comme contrat dans l’Église Réformée.
- L’absence du corps humain dans le Code civil de 1804 (Doyen CARBONNIER)
Selon le doyen CARBONNIER, le Code civil napoléonien de 1804 consacre une conception spirituelle du mariage où le corps humain n’a pas de place :
« Tout en psychologie, notre droit matrimonial n’avait plus de place pour la donnée biologique, corporelle. Nul doute que le réalisme canonique ne lui ait inspiré quelque horreur. Le corps humain n’apparait pour ainsi dire jamais dans le code civil : l’homme y est personne, c’est-à-dire pur esprit. » [13]
L’état de la jurisprudence : déduire de la présence de la sexualité à l’intérieur du mariage l’existence, en dehors de tout texte spécifique normatif, du devoir conjugal, c’est à cette construction jurisprudentielle que se sont livrés les cours et tribunaux français.
Les juges du fond
S’agissant de la jurisprudence, selon la CEDH, les juridictions françaises de première instance et d’appel considèrent que les époux sont tenus à un « devoir conjugal », c’est-à-dire à une obligation d’entretenir des relations sexuelles. Et la Cour de Strasbourg cite ainsi comme exemples récents, quelques arrêts des Cours d’appel suivantes : CA Aix‑en‑Provence, 1er octobre 2008, RG no 07/01817, CA Rouen, 18 décembre 2014, RG no 13/06454, CA Toulouse, 20 janvier 2015, RG no 13/00856, et CA Colmar, 6 décembre 2016, RG no 15/02103.
L’inexécution du devoir conjugal peut, par ailleurs, fonder une action indemnitaire à l’encontre de l’époux défaillant (CA Aix-en-Provence, 3 mai 2011, RG no 09/05752). Dans cet arrêt, la cour d’appel a confirmé la condamnation d’un époux au paiement de dommages et intérêts à sa conjointe à hauteur de 10 000 EUR en réparation de l’absence de rapports sexuels entre époux pendant plusieurs années au motif que ces derniers « sont notamment l’expression de l’affection qu’ils se portent mutuellement, tandis qu’ils s’inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage ».
- La Cour de cassation
Selon une jurisprudence ancienne mais constante de la Cour de cassation, les époux sont tenus au « devoir conjugal » – c’est-à-dire à une obligation d’entretenir des relations sexuelles – dont l’inexécution peut justifier le divorce (Cass., 2e civ., 8 octobre 1964, Bull. civ. II no 599, 12 novembre 1965, Bull. civ. II no 879, 27 janvier 1971, no 70-11.864, Bull. civ. II no 27, 23 avril 1975, no 74‑11.819, Bull. civ. II no 114, et 17 décembre 1997, no 96-15.704).
C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé, dans cet arrêt de 1997, qu’une cour d’appel avait pu, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des preuves, considérer que « l’abstention prolongée de relations intimes imputées à l’épouse » était constitutive d’une faute justifiant de prononcer le divorce à ses torts exclusifs dès lors qu’elle « n’était pas justifiée par des raisons médicales suffisantes ».
Mais, selon la CEDH, la Cour de cassation n’aurait plus réaffirmé cette jurisprudence depuis 1997, bien que les juges du fond aient continué à l’appliquer.
En matière pénale, au cours de la décennie 1980-1992, la Cour de cassation a oscillé entre l’admission du caractère répréhensible du viol entre époux (Cass., crim., 17 juillet 1984, pourvoi no 84-91.288, Bull. crim. no 260, et 5 septembre 1990, no 90-3.786, Bull. crim. no 313) et le maintien d’une présomption de consentement aux actes sexuels accomplis dans l’intimité de la vie conjugale (Cass., crim., 11 juin 1992, no 91-86.346, Bull. crim. no 232).
3/ L’évolution du droit pénal vers la reconnaissance du viol entre époux
. La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (JORF n°81 du 5 avril 2006, Texte n° 1)
Cette loi est venue, entre autres, modifier, dans son article 11, les articles 222-22, 222-24, 222-28 du Code pénal dans les termes suivants :
« I. – Après le premier alinéa de l’article 222-22 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. Dans ce cas, la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel ne vaut que jusqu’à preuve du contraire.
« II. L ‘article 222-24 du même code est complété par un 11° ainsi rédigé :
« 11° Lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »
« III. – L’article 222-28 du même code est complété par un 7° ainsi rédigé :
« 7° Lorsqu’elle est commise par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »
Malgré le progrès évident que constituait cette loi quant à la reconnaissance du viol entre époux, la présomption du consentement des époux à l’acte sexuel était néanmoins maintenue, même si elle ne valait que jusqu’à preuve du contraire.
- La loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (JORF n°0158 du 10 juillet 2010, Texte n° 2)
Cette loi a supprimé, dans son article 36, la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 222-22 du code pénal abrogeant ainsi définitivement la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel.
B/ Le droit international
La Cour européenne de Strasbourg va s’attacher à montrer que l’évolution du droit international va dans le sens de l’édiction de dispositions – notamment celles visant à prévenir et à lutter contre la violence à l’égard des femmes – condamnant les violences sexuelles domestiques commises en violation de l’absence de consentement de la victime.
1/ La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique – dite « Convention d’Istanbul » (2011)
Signée le 11 mai 2011 et ratifiée par la France le 4 juillet 2013, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique – dite « Convention d’Istanbul » entrée en vigueur pour la France le 1er novembre 2014 – fait obligation aux parties signataires d’élaborer des lois, des politiques et des services de soutien pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes et à la violence domestique (article 12 de la Convention).
Son champ d’application – défini par son article 2 – est très large puisqu’il englobe « toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique ».
Son article 3 définit ensuite plus précisément à la fois la « violence à l’égard des femmes » et la « violence domestique » en particulier (celle survenant au sein de la famille ou du foyer).
S’agissant de la violence à l’égard des femmes, le terme « doit être compris comme :
– une violation des droits de l’homme
– et une forme de discrimination à l’égard des femmes,
– et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre
– qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes,
– des dommages ou
– souffrances
– de nature physique,
– sexuelle,
– psychologique
– ou économique,
– y compris la menace de se livrer à de tels actes,
– la contrainte ou la privation arbitraire de liberté,
– que ce soit dans la vie publique ou privée. »
En ce qui concerne la « violence domestique », le terme « désigne tous les actes
– de violence physique,
– sexuelle,
– psychologique
– ou économique
– qui surviennent au sein de la famille ou du foyer
– ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires,
– indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile
que la victime » (pas d’excuse fondée sur la vie commune)
L’article 36 de la convention définit le viol [14] et prohibe également tous « les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui ».
Toujours selon ce même article, « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. »
Enfin l’article 36 fait également obligation aux Etats parties à la Convention de prendre « les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également à des actes commis contre les anciens ou actuels conjoints ou partenaires, conformément à leur droit interne. »
2/ L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH) relative au « Droit au respect de la vie privée et familiale »
La requérante a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 7 novembre 2019 en soulevant un moyen tiré de la violation des « articles 4 et suivants » de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH). La Cour européenne constate qu’à la lecture du mémoire de la requérante, sa critique portait spécifiquement sur le devoir conjugal comme elle l’a déjà relevé plus haut dans son analyse des arguments de Mme H.W. Celle-ci, en effet, a expressément soutenu que cette obligation matrimoniale portait atteinte à son intégrité physique – qui correspond à un aspect du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 ci-dessous par l’article 8 de la ConvEDH.
– Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale
- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Pour la requérante, ce droit au respect de sa vie privée – consacré par l’article 8 de la Convention précitée – qui, par la réaffirmation de son obligation à se soumettre au devoir conjugal suivi du divorce prononcé à ses torts exclusifs au motif qu’elle avait refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari, a été méconnu par les juridictions internes françaises.
- Le contenu de la « vie privée » englobe la « vie sexuelle »
Pour la Cour (CEDH) la notion de « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention, est un concept large qui recouvre notamment la vie sexuelle (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, et E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 43, 22 janvier 2008).
Une telle conception large de la « vie privée » rencontre celle d’autonomie personnelle qui est un principe important sous‑tendant l’interprétation des garanties de l’article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 62, CEDH 2002-III, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 90, CEDH 2002-VI, M.L. c. Pologne, no 40119/21, § 91, 14 décembre 2023, et Pindo Mulla c. Espagne [GC], no 15541/20, § 137, 17 septembre 2024 ; voir également M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, §§ 165‑166, CEDH 2003-XII).
Le droit au respect de la vie privée doit comporter la nécessité de garantir la liberté sexuelle (, J.L. c. Italie, no 5671/16, § 134, 27 mai 2021, et M.A. et autres c. France, nos 63664/19 et 4 autres, § 138, 25 juillet 2024) et le droit de disposer de son corps (Pretty, précité, § 66, et K.A. et A.D. c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99, § 83, 17 février 2005).
- Les restrictions légales apportées par l’autorité publique à la vie privée : la notion d’ingérence
L’article 8 de la Convention a d’abord pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics (voir, parmi d’autres, Libert c. France, no 588/13, §§ 40‑42, 22 février 2018, et Drelon c. France, nos 3153/16 et 27758/18, § 85, 8 septembre 2022).
Faisant l’exégèse du § 2 de l’article 8 de la Convention, la Cour rappelle qu’une ingérence dans les droits garantis par cet article ne peut se justifier que si :
– elle est prévue par la loi,
– vise un ou plusieurs des buts légitimes énumérés dans ce paragraphe
– et s’avère nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce ou ces buts.
Aussi pour la Cour l’énumération des exceptions au droit au respect de la vie privée figurant dans le texte précité doit-elle être considérée comme d’interprétation d’autant plus stricte qu’elle est exhaustive. Dès lors, pour être compatible avec la Convention, une restriction à ce droit doit notamment être inspirée par un but susceptible d’être rattaché à l’un de ceux que cette disposition énumère (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 113, CEDH 2014 (extraits), et L.B. c. Hongrie [GC], no 36345/16, § 108, 9 mars 2023).
La Cour considère que la réaffirmation du devoir conjugal et le fait d’avoir prononcé le divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé toute relation intime avec son époux constituent des ingérences dans son droit au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de disposer de son corps.
S’il est vrai que le droit interne dissocie désormais largement les conséquences pécuniaires du divorce des torts éventuels des époux), il n’en demeure pas moins que ces mesures sont particulièrement intrusives, en ce qu’elles touchent à l’un des aspects les plus intimes de la vie privée de l’individu (Dudgeon, précité, § 52, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 90, CEDH 1999-VI, Y.F. c. Turquie, précité, § 33, et K.A. et A.D. c. Belgique, précité, § 83).
3/ La mise en cause du devoir conjugal par la Cour européenne
. Le devoir conjugal est incompatible avec le consentement aux relations sexuelles et sa réaffirmation par les juridictions internes viole l’article 8 de la Convention
a) Le principe du libre consentement aux relations sexuelles
La CEDH considère que le devoir conjugal, tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et a été réaffirmé par les juridictions françaises dans la présente affaire, ne prend nullement en compte le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui.
Cette obligation litigieuse ne garantit pas le libre consentement aux relations sexuelles au sein du couple. Et cela d’autant plus que cette règle de droit a une dimension prescriptive à l’égard des époux, dans la conduite de leur vie sexuelle. En outre, sa méconnaissance n’est pas sans conséquence sur le plan juridique. D’une part, le refus de se soumettre au devoir conjugal peut, dans les conditions prévues à l’article 242 du code civil, justifie le prononcé du divorce pour faute, comme ce fût le cas en l’espèce. D’autre part, un tel refus peut également entraîner des conséquences pécuniaires en fondant une demande de réparation indemnitaire.
Pour la Cour, l’institution d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.
La Cour considère que ce serait consacrer le « viol conjugal » en lui ôtant son caractère répréhensible si l’on admettait, comme le suggère le Gouvernement français, que le consentement au mariage comporte en lui-même un consentement aux relations sexuelles futures.
La Cour rappelle qu’elle juge depuis longtemps que le fait qu’un mari puisse impunément ne pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inadmissible car contraire non seulement à une conception civilisée du mariage mais aussi aux objectifs fondamentaux de la Convention tournés vers le respect de la dignité et de la liberté humaines (S.W. c. Royaume‑Uni, précité, § 44, et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 42, série A no 335-C).
Pour elle, le consentement est la règle d’or reposant sur la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et dans des circonstances données.
b) Une ingérence partiale et non nécessaire apportée au droit à la vie privée dans sa composante qu’est la liberté sexuelle et donc une violation de l’article 8 de la Convention
La Cour relève que l’ingérence en vue de la protection exclusive des droits du mari n’était pas justifiée car celui-ci n’était pas démuni face à l’attitude de son épouse puisqu’il n’était pas dans la situation d’un maintien forcé dans l’union à partir du constat de l’altération irrémédiable du lien conjugal dès lors qu’il avait la possibilité de solliciter le divorce pour altération définitive du lien conjugal. Ainsi, en suivant les prescriptions de l’article 1077 du code de procédure civile, il aurait pu présenter sa demande de divorce à titre principal et non à titre subsidiaire, comme il le fit en l’espèce. C’est dire que la défense de ses droits pouvait être assurée par d’autres moyens.
4/ Observations (LS)
L’on peut se demander pourquoi la Cour européenne de droits de l’homme n’a pas rejeté l’ingérence au motif qu’elle n’était pas légale car non fondée sur la loi (au sens matériel), c’est-à-dire sur un texte normatif de l’Etat français car, en effet, comme on l’a vu, la source de l’ingérence, établie à partir de la notion de « devoir conjugal », était de nature jurisprudentielle car émanant d’une construction purement intellectuelle des juges français.
IV/ Conclusions : Après l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
- Rappel préalable du fonctionnement de la Cour et de l’organisation de son travail juridictionnel
L’arrêt rendu le 23 janvier 2025 par la CEDH l’a été par la 5ème section de la Cour siégeant en une chambre composée de 7 juges et un greffier. En effet, si la Cour est composée de 47 juges (chaque Etat membre du Conseil de l’Europe désignant un juge de sa nationalité [15]), ceux-ci ne se réunissent qu’exceptionnellement dans leur totalité, en assemblée plénière, pour traiter d’un problème sensible et délicat, car chacun d’eux est membre d’une formation particulière de la Cour. Ainsi un arrêt de la CEDH émane le plus souvent soit d’un Comité, structure réduite de la Cour composée de 3 juges, soit d’une Chambre, autre démembrement de la Cour composée de 7 juges (comme ce fut le cas ici).
Par ailleurs, selon la procédure juridictionnelle appliquée par la CEDH, les arrêts rendus en comité (3 juges) ou en chambre ordinaire (7 juges) deviennent définitifs, seulement lorsque les parties annoncent leur intention de ne pas saisir la Grande chambre (elle-même composée de 17 juges), ou 3 mois après le prononcé de l’arrêt faute de saisine de la Grande chambre. Le protocole 11 prévoit en effet que les affaires jugées peuvent faire l’objet d’un réexamen dans la Grande Chambre à condition que l’affaire comporte un problème d’interprétation ou que l’affaire donne lieu à une contradiction de jurisprudence. La Cour va examiner de nouveau l’affaire au fond. Le renvoi donne lieu à un arrêt. L’arrêt définitif ne peut faire l’objet que de deux seuls recours : recours en interprétation ou recours en révision. Les États contractants s’engagent à exécuter les arrêts définitifs, sous la surveillance du Comité des ministres qui est habilité à saisir la Cour contre un État qui, après mise en demeure, continue de ne pas exécuter l’arrêt de la Cour. On parle alors de recours en manquement d’un État. La décision est prise à la majorité qualifiée.
- Les effets d’un arrêt définitif de la Cour sur le droit interne français
La compétence de la Cour européenne des droits de l’homme s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de ses protocoles additionnels. La Cour peut être saisie d’une requête par un État ou « par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui s’estime victime d’une violation » de ses droits ou libertés, garantis par la Convention.
C’est en 1981 que la France reconnut la possibilité pour toute personne de saisir directement la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en cas de violation de ses droits, sous réserve qu’elle ait épuisé toutes les voies de recours juridictionnel internes.
Aujourd’hui, depuis 1998, ile recours devant la Cour est directement possible et automatique, sans que les États aient à donner leur accord pour qu’un individu puisse saisir la Cour.
Les 47 États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme représentent quasiment tous les membres du Conseil de l’Europe. Ils sont tous tenus d’appliquer les arrêts de la Cour.
Lorsque la CEDH rend un arrêt de violation d’un droit, le gouvernement condamné est tenu de l’exécuter et de mettre sa législation en conformité avec la Convention.
L’État condamné doit en général verser une indemnité (désignée par l’expression « satisfaction équitable ») au demandeur en réparation du préjudice. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe veille à la bonne application de l’arrêt.
De nombreuses modifications du droit français ont suivi une condamnation de la France par la CEDH, notamment :
- la loi du 10 juillet 1991 sur les écoutes téléphoniques administratives a mis la législation française en conformité avec la Convention EDH ;
- la loi du 14 avril 2011 a modifié en profondeur le régime de garde à vue (assistance de l’avocat, droit au silence) après plusieurs condamnations en 2010.
Le 30 janvier 2020, la CEDH avait condamné la France pour des traitements inhumains et dégradants en prison. Pour la Cour, des conditions indignes de détention peuvent constituer un obstacle au maintien en prison de la personne incarcérée. Le juge interne doit « garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif ».
Dans certaines décisions, la Cour fait un rappel du droit national en vigueur. La juridiction a ainsi souligné le 22 juillet 2021 que la rétention d’un mineur « ne peut être décidée qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible ». Dans cette affaire, la France avait été condamné pour avoir placé en rétention pendant onze jours une Malienne et son nourrisson.
Ainsi la Cour de cassation, statuant en Assemblée plénière (composée de 47 juges), dans un arrêt du 15 avril 2011 (réf. 10-17.049, publié au bulletin), a considéré que les « Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ».
En l’occurrence elle a estimé que, « pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires » (il s’agissait en l’occurrence d’une Comorienne en situation irrégulière en France qui n’avait pas bénéficié dès le début de sa garde en vue de l’assistance d’un avocat) (cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon).
- La naissance d’un nouveau droit garanti par la Cour : la protection par l’Etat de ses ressortissants contre les effets néfastes du réchauffement climatique
Les droits de l’homme dont la Cour garantit le respect ne se cantonnent pas aux droits fondamentaux classiques [16] car, loin de les considérer comme étant figés, la CEDH a reconnu, dans un arrêt du 2 avril 2024, le droit des individus d’être réellement protégés par l’État contre les effets néfastes du dérèglement climatique. C’est ainsi qu’ à la suite d’une requête d’une association dénonçant des « manquements des autorités suisses » pour atténuer les effets du changement climatique, elle a condamné la Suisse pour violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a estimé que l’article 8 de la Convention consacre « un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie ».
Louis SAISI
Paris, le 7 février 2025
NOTES
[1] Source : voir le texte intégral de cet arrêt dans : CEDH, AFFAIRE H.W. c. FRANCE, 2025, 001-240199
[2] La Cour européenne des droits de l’Homme est chargée de veiller au respect de l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme – parfois dénommée « Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » adoptée par le Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950, à Rome. Les gouvernements signataires – désignés par l’expression « Hautes Parties » – s’engagent à garantir l’accès aux droits fondamentaux, civils et politiques, non seulement à leurs propres ressortissants mais encore à toutes les personnes relevant de leur juridiction. La Convention est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. La Cour européenne des droits de l’Homme a été solennellement installée le 20 avril 1959 à l’occasion de la célébration du 10ème anniversaire du Conseil de l’Europe. En application de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour dispose d’une compétence dite « subsidiaire » en matière de violation des droits de l’homme. Cela signifie que le requérant doit avoir épuisé toutes les voies de recours internes propres à son État pour engager un recours devant la juridiction européenne, ce qui explique que les requêtes sont nécessairement dirigées contre un État contractant de la Convention. En fait, il s’agit de pointer une défaillance juridictionnelle de l’Etat mis en cause dans l’application de la Convention européenne des droits de l’homme.
[3] Jacqueline BARUS-MICHEL : « Points de vue sur le mariage, la sexualité et la reproduction », Nouvelle Revue de psychosociologie, 2013/1 n° 15, Pages 279 à 284, CAIRN Info, Sciences humaines et sociales, Points de vue sur le mariage, la sexualité et la reproduction | Cairn.info.
[4] Article 212 : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
[5] « Article 215 (alinéa 1er) : Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. »
[6] Article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Droit au respect de la vie privée et familiale
- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
[7] Cf. l’INA éclaire l’Actu, publié le 18.08.2015 – Mis à jour le 26.08.2020 : « Le MLF, histoire d’un combat féministe », Le MLF, Histoire d’un combat féministe | INA
[8] Avec cette loi du 9 avril 1898, le législateur français a consacré la notion de risque professionnel, l’employeur étant désormais responsable de plein droit des accidents survenus à ses ouvriers au cours ou à l’occasion de leur travail, abstraction faite de toute faute, effective ou présumée.
[9] Cf. Alex WEIL et François TERRÉ : Droit civil – Les obligations, édition Dalloz,2ème édition, 1975, pp. 734-735.
[10] Si, comme le note la Cour, le préjudice subi est celui qui résulte spécifiquement de la dissolution du mariage et si sa réparation peut être obtenue sur le fondement de l’article 266 du code civil, il n’en demeure pas moins vrai que le droit interne permet également aux époux de solliciter l’indemnisation de la faute commise par leur conjoint sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.
[11] Il s’agit de l’application ici de la dissociation – introduite par la loi N° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce – entre les cas de divorce de ses conséquences pécuniaires.
[12] Les écrits théologiques de Pierre LOMBARD ont fortement marqué la doctrine de l’Eglise catholique notamment dans le domaine de la Transsubstantiation, qui sera confirmée comme l’un de ses dogmes lors du quatrième concile du Latran (1215). Mais le théologien est aussi connu pour sa méthode d’enseignement dite des « Sentences », méthode qui se voulait originale car elle était organisée selon un jeu de questions / discussions (questions/réponses dirait-on aujourd’hui. C’est ainsi que Les Quatre Livres de Sentences se présentent comme une compilation de textes bibliques, joints aux passages correspondants des Pères de l’Église et de beaucoup de penseurs médiévaux, dans le domaine entier de la théologie chrétienne. Le génie de Pierre Lombard s’est appliqué à la sélection des passages, qu’il essayait de concilier quand ils semblaient défendre des points de vue différents, et à l’arrangement de la matière dans un ordre systématique. C’est ainsi que les Quatre Livres de Sentences commencent avec la Trinité au Livre I, s’occupent ensuite de la création au Livre II, traitent du Christ, sauveur de la création déchue, au Livre III, et parlent des sacrements, qui communiquent la grâce du Christ, au Livre IV.
[13] Jean CARBONNIER (1908-2003), fut un éminent juriste français, professeur de droit privé et spécialiste de droit civil, notamment du droit matrimonial, dont le nom reste attaché aux fonctions de doyen de la Faculté de droit de Poitiers qu’il a exercées de 1950 à 1954. Auteur de nombreux Manuels de droit civil à l’usage des étudiants en droit (dont les premiers furent publiés dans la collection Thémis, aux Presses universitaires de France (PUF), puis dans la collection Quadrige des mêmes PUF). Il est également l’auteur d’un remarquable Traité de droit civil (PUF, Quadrige) qui fait toujours autorité en la matière. Juriste très ouvert aux apports de la sociologie, il fonda, avec Georges LEVASSEUR, le Laboratoire de sociologie criminelle et juridique. Il est souvent considéré comme un « jurislateur » car étant à l’origine ou ayant contribué à la genèse de nombreuses lois portant sur le droit de la famille français durant plusieurs décennies.
[14] Comme étant la « pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ».
[15] Mais ces juges, une fois nommés, sont totalement indépendants et ne représentent pas leur Etat.
[16] Lesquels concernent les droits suivants : respect du droit à la vie ; droit à un procès équitable ; droit au respect de la vie privée et familiale ; liberté d’expression ; liberté de pensée, de conscience et de religion ; droit au respect de ses biens ; l’interdiction notamment de la détention arbitraire et illégale ; les discriminations dans la jouissance des droits et libertés ; la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants ; l’esclavage et le travail forcé ; les discriminations dans la jouissance des droits et libertés ; la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants ; l’esclavage et le travail forcé.