Migrants et Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières par Louis SAISI

Migrants et Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières

Pacte dit de « Marrakech »

du 10 décembre 2018

 

Malgré les critiques des nationalistes et des souverainistes dissimulant mal le plus souvent leur xénophobie, le Pacte mondial sur les migrations diligenté par les Nations unies et finalisé le 13 juillet 2018 – destiné à renforcer la coopération internationale pour une «migration sûre, ordonnée et régulière» – a été approuvé, lundi 10 décembre 2018 à Marrakech (Maroc) par 162 États.

Il doit être formellement adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 2018.

La France a soutenu l’adoption de ce pacte car le Gouvernement français considère que « les migrations sont aujourd’hui un phénomène global qui doit être maîtrisé par les États dans le cadre d’une coopération internationale plus efficace entre pays d’origine, de transit et de destination » (cf. site officiel France Diplomatie, « A la Une »).

«Nous ne devons pas succomber à la peur» sur la migration, c’est en ces termes que M. Antonio GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU, s’est exprimé un peu avant la proclamation orale du texte précité, après son adoption formelle par le traditionnel coup de marteau.

GUTERRES a dénoncé également les «nombreux mensonges» sur ce pacte qui a soulevé de vives critiques de la part des partis d’extrême droite (Europe) et ceux, plus discrets, partisans de la police des frontières un peu partout dans le monde (États-Unis notamment). En Belgique, comme on le sait, le positionnement du Premier Ministre belge, Charles MICHEL, favorable au texte, a fait exploser la coalition gouvernementale, avec la démission des ministres issus du parti nationaliste flamand [1].

L’élaboration de ce Pacte fait suite aux tensions actuelles concernant les phénomènes migratoires : souveraineté des États, d’un côté ; de l’autre, incapacité de ces mêmes États d’aboutir à des positions et règles du jeu communes, notamment au niveau de l’Union européenne, pour gérer les migrations ; caractère récurrent de ces mêmes migrations qui sont, il faut bien enfin l’admettre, un phénomène naturel et quasi intemporel pour tous ceux qui cherchent une autre vie moins dure.

I/ Le contexte migratoire actuel

L’on se souvient encore de ces « migrants » rescapés du naufrage de leur frêle embarcation sur la Méditerranée qui avaient été secourus par les navires humanitaires tels que le Diccioti et l’Aquarius naviguant d’un port européen à un autre dont les passagers, parfois réfugiés et mineurs, furent pendant plusieurs jours déclarés indésirables respectivement par les autorités italiennes et françaises [2].

A/ Vous avez dit « migrant » en guise de pièce d’identité ?

Migrants, quelle curieuse dénomination et non moins étrange « statut »… En effet, pour dénier toute légitimité au périple de ces populations venant d’ailleurs, on préfère employer le substantif « migrants » (d’ailleurs toujours au pluriel, ça fait davantage peur…), le verbe « migrer » plutôt que d’autres termes moins connotés qui auraient l’avantage de dire que leur pérégrination n’est jamais que l’usage d’une liberté naturelle inhérente à la condition humaine, celle d’aller et de venir, et donc de se déplacer dans l’espace, conformément au droit des gens ou « jus gentium » élaboré par les romains eux-mêmes [3]. Ce droit des gens – qui fut repris par les grands juristes européens des 16ème siècle (Francisco de VITORIA), 17ème siècles (Hugo de Groot, dit GROTIUS et Samuel Von PUFENDORF) et 18ème siècle (Emer de VATTEL) – pourrait certes nous apparaître bien lointain mais il a fondé beaucoup de nos principes en vigueur aujourd’hui (droit de la mer, par exemple) et façonné nombre de nos institutions modernes (notion de juridiction, droit de la guerre)… En effet, l’adoption du terme « migrants » – pour désigner ces populations pourtant constituées de femmes et d’hommes comme nous – est la conséquence du fait que nous nous sommes progressivement éloignés de ces principes fondamentaux et salvateurs à tel point qu’aujourd’hui l’accès des territoires est subordonné au franchissement de frontières [4] sous la garde d’États souverains… Mais c’est la construction sociale d’un droit par des hommes qui se protègent de la misère envahissante des autres, et non une donnée intangible ni encore moins naturelle… 

Fallait-il laisser les choses se déliter davantage en fermant les yeux et en laissant chacun des États décider dans son pré-carré du bon usage qu’il ferait de sa souveraineté et des quelques textes internationaux existant en la matière quant au respect des droits de l’Homme ?

B/ La Convention internationale de New York du 18 décembre 1990 : une étape importante au plan du droit

La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, signée à New York, le 18 décembre 1990, dans le cadre de l’ONU, et entrée en application le 1er juillet 2003, s’était efforcée de protéger les travailleurs migrants, une population particulièrement vulnérable, de l’exploitation et de la violation de leurs droits en distinguant dans sa troisième partie des droits universels applicables à tous les travailleurs migrants (articles 8 à 35), quelle que soit leur situation au regard du pays d’accueil, d’autres droits énoncés dans la 4ème partie de la Convention applicables, ceux-là, exclusivement aux migrants en situation régulière (articles 36 à 56).

1°) L’importance du phénomène migratoire démystifiée

En effet, d’après les Nations unies, en 2017, le monde comptait 258 millions de migrants internationaux, c’est-à-dire de personnes installées dans un pays différent de celui où elles sont nées.

Il y a lieu déjà de noter que, loin de constituer des invasions inquiétantes, ces populations migrantes ne représentent qu’une faible part de la population mondiale : environ 3,4 %.

Néanmoins, toujours en 2017 et selon les mêmes sources, 64 % des migrants internationaux (58 % en 2000), soit 165 millions de personnes, résidaient dans un pays développé. Ce qui signifie donc qu’il reste autour de 93 millions de migrants – soit 36% de la totalité des migrants – en provenance de pays en voie de développement qui migrent vers les pays réputés riches et ce sont surtout eux qui, migrant dans de mauvaises conditions, sont les plus exposés. Presque tous les États sont aujourd’hui concernés par les flux migratoires, qu’il s’agisse de pays de départ, de transit ou de destination. Les migrations sont ainsi devenues une dimension essentielle de la mondialisation, ce qui pose la question de l’accès des migrants aux droits fondamentaux

Ces chiffres montrent  de manière éloquente que les flux migratoires concernent aujourd’hui la quasi-totalité des États de la planète, qu’il s’agisse de pays de départ, de transit ou de destination. Les migrations sont devenues l’une des composantes essentielles de la mondialisation des échanges marchands et de la circulation des personnes. Cela ne va pas sans poser le problème de l’accès des migrants aux droits fondamentaux tels qu’ils sont énumérés dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 dont nous venons de fêter le 70ème anniversaire de manière – hélas ! – relativement discrète.

2°) Les causes de la vulnérabilité des migrants

La vulnérabilité des migrants aux abus de toutes sortes reposent sur deux séries de raisons.

La première réside dans le fait que socioculturellement les migrants ne parlent pas la langue du pays hôte et restent, le plus souvent, extérieurs à ces pays, avec une incapacité à pouvoir participer à l’élaboration des politiques publiques les concernant, en même temps qu’ils sont exposés à la xénophobie et parfois aux discriminations résultant d’un déficit de solidarité des citoyens du pays d’accueil.

La deuxième série de raisons est due au fait qu’ils sont souvent confinés dans des secteurs de l’économie se caractérisant dans les pays d’accueil – frappés par la désindustrialisation et la dérèglementation du droit du travail – par la création d’emplois peu qualifiés (agriculture, construction, industrie manufacturière, services à la personne) pour lesquels les pays développés font appel, en dehors de leurs frontières, à des travailleurs migrants peu qualifiés.

Dans ces secteurs, ce sont les travailleurs migrants en situation irrégulière qui deviennent les plus vulnérables.

C/ La nécessité d’une nouvelle intervention de l’ONU en 2018

L’on aurait pu attendre de la convention de 1990 précitée – qui reste le plus ambitieux traité sur la protection des travailleurs migrants – qu’elle remédie à une telle situation conformément à l’objectif qu’elle s’était assigné. Malheureusement, elle n’a été signée et ratifiée que par 42 États parties, et aucun grand pays d’immigration occidental ne l’a ratifiée [1], ce qui explique qu’à l’heure où le nombre de migrants croît, les violations des droits de l’Homme, en rapport avec ces migrations, se multiplient [2].

Face à cette pagaille, le 19 septembre 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, à l’unanimité, la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants. Cette Déclaration de New York réaffirme l’importance du régime international applicable aux réfugiés et comporte un vaste éventail d’engagements pris par les États membres visant à renforcer et à améliorer les mécanismes de protection des personnes qui se déplacent.

II/ Le contenu du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (Pacte dit de « Marrakech »)

La Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants du 19 septembre 2016 précitée a ouvert la voie à l’adoption de deux nouveaux pactes mondiaux en 2018 : un pacte mondial sur les réfugiés (en cours de gestation) et un « pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » (dit Pacte de Marrakech).

A/ Structuration du Pacte

Dans sa structuration, le Pacte est original. En effet, au lieu des articles habituels propres à ce type d’acte, et sans doute parce qu’il veut se garder d’être prescriptif, il se présente comme une succession de points (ou de paragraphes).

S’il commence par un Préambule assez habituel développé en 7 §§ numérotés, ensuite il enclenche sur des thématiques elles-mêmes développées en §§ numérotés.

Ces thématiques sont les suivantes :

  • Nos ambitions et principes directeurs (§§ 8 et 9) ;
  • Vision commune (§ 10) ;
  • Responsabilités partagées (§§ 11 et 12) ;
  • Ambitions communes (§§ 13, 14, 15) ;
  • Notre cadre de coopération (§ 16).

Ensuite vient l’énoncé des :

  • « Objectifs pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » (au total 23 objectifs)

Ces objectifs sont repris et développés ensuite, un par un, sous la rubrique :

  • « Objectifs et engagements » (§§ 17- 39) ;

La mise en œuvre du Pacte : elle est développée sous la rubrique :

  • « Mise en œuvre » (§§ 40-47) ;

Le Pacte se préoccupe également de « l’examen des progrès accomplis aux niveaux local, national, régional et mondial dans (sa) mise en oeuvre» sous la rubrique :

  • « Suivi et examen » (§§ 48-54).
B/ La philosophie du Pacte : instituer un cadre de coopération sur tous les aspects des migrations (préambule)

Le Pacte rappelle d’abord dans son Préambule qu’il repose sur les buts et principes consacrés par la Charte des Nations Unies.

Il décline ensuite les nombreux textes internationaux fondamentaux sur lesquels il s’appuie, et notamment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

Il évoque aussi les différentes étapes de la démarche de l’ONU ayant conduit à l’élaboration d’un pacte mondial sur les réfugiés et à l’adoption du présent Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui, chacun, ont été conçus et rédigés dans le cadre de deux processus distincts.

Il rappelle que les réfugiés et migrants bénéficient des « mêmes libertés fondamentales et droits de l’homme universels, qui doivent être respectés, protégés et exercés en toutes circonstances » tout en soulignant que « les migrants et les réfugiés sont deux groupes différents relevant de cadres juridiques distincts » et que si « seuls les réfugiés bénéficient de la protection internationale définie par le droit international des réfugiés », la vocation du Pacte mondial concernant les migrants est d’ institue(r) un cadre de coopération portant sur tous les aspects des migrations ».

Le pacte sur les migrations vise à renforcer la coordination concernant les migrations internationales en s’efforçant de fournir un cadre adéquat pour une coopération internationale globale en matière de migration et de mobilité humaine.

C/ Résumé du contenu du Pacte au regard de ce qu’il implique pour les États parties
1°) Le Pacte : un « cadre de coopération »

Le Pacte est décrit comme un cadre de coopération.

En effet le § 7 de son Préambule dispose :

 « Le présent Pacte mondial établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les États Membres dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants. Il favorise la coopération internationale en matière de migration entre tous les acteurs compétents, sachant qu’aucun État ne peut gérer seul la question des migrations, et respecte la souveraineté des États et les obligations que leur fait le droit international. « 

2°) Ses ambitions : les §§ 8 et 9

Les ambitions du Pacte sont énoncées par les §§ 8 et 9.

L’article 8 précise le sens de l’engagement des États qui en seront signataires :

Par le présent Pacte mondial, nous nous engageons collectivement à améliorer la coopération en matière de migration internationale. Les migrations ont toujours fait partie de l’expérience humaine depuis les débuts de l’Histoire, et nous reconnaissons qu’à l’heure de la mondialisation, elles sont facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs. Aujourd’hui, la majorité des migrants voyagent, vivent et travaillent dans des conditions sûres, ordonnées et régulières. Néanmoins, les migrations ont indéniablement des répercussions très différentes et parfois imprévisibles sur nos pays ainsi que sur les communautés et les migrants et leur famille. « 

Ainsi les parties présentes au Pacte rappellent le fait, trop souvent oublié, que les migrations sont immémorielles.

Loin d’être perçues négativement, elles sont présentées positivement comme « facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable », de tels effets positifs pouvant être optimisés par une meilleurs gouvernance.

L’’article 9 souligne les avantages d’une coopération des États face aux difficultés nées des migrations internationales :

« Il est crucial que nous ne nous laissions pas diviser et que nous restions unis face aux difficultés que posent les migrations internationales et aux occasions qu’elles offrent. Dans le présent Pacte mondial, nous exposons la vision, les responsabilités et les ambitions que nous partageons en ce qui concerne les migrations, de sorte qu’elles soient bénéfiques à tous. »

3°) Les principes sur lesquels s’appuie le Pacte

Le Pacte met en avant sa dimension humaine centrée sur l’individu.

Il repose sur une coopération internationale des États pour dépasser leurs propres limites.

Contrairement à ce qui est affirmé par les tenants d’une souveraineté essentiellement xénophobe, il reconnaît et respecte l’autonomie des États souverains pour définir leur propre politique migratoire dans le respect du droit international.

Le Pacte privilégie le droit par la nécessaire garantie des procédures régulières et l’accès à la justice, les États devant répondre de leurs propres lois promulguées et appliquées de manière égale pour tous et d’une manière compatible avec le droit international.

Ces principes sont clairement définis par les quatre alinéas de l’article 15.

« Nous convenons que le présent Pacte mondial repose sur un ensemble de principes directeurs transversaux et interdépendants :

a) Priorité à la dimension humaine. Le Pacte mondial comporte une forte dimension humaine, inhérente à la migration même. Il promeut le bien-être des migrants et des communautés dans les pays d’origine, de transit et de destination. Il est donc centré sur l’individu ;

 b) Coopération internationale. Le Pacte mondial est un cadre de coopération juridiquement non contraignant créé en considération du fait qu’aucun État ne peut seul faire face aux migrations, compte tenu de la nature transnationale du phénomène. Porteur de coopération et de dialogue aux niveaux international, régional et bilatéral, le Pacte fait autorité de par sa nature consensuelle, sa crédibilité, l’appropriation collective dont il fait l’objet, sa mise en œuvre conjointe et ses mécanismes de suivi et d’examen ;

c) Souveraineté nationale. Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international. Compte tenu de la diversité des situations, des politiques, des priorités et des conditions d’entrée, de séjour et de travail des pays, les États peuvent, dans les limites de leur juridiction souveraine, opérer la distinction entre migrations régulières et irrégulières, notamment lorsqu’ils élaborent des mesures législatives et des politiques aux fins de l’application du Pacte mondial, conformément au droit international ;

d) Primauté du droit et garanties d’une procédure régulière. Le Pacte mondial reconnaît que la primauté du droit, les garanties d’une procédure régulière et l’accès à la justice sont des éléments fondamentaux de tous les aspects de la gouvernance des migrations. Cela signifie que l’État, les institutions et les entités publiques et privées ainsi que les personnes mêmes ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec le droit international ;

III/ Les objectifs du Pacte

Ils sont nombreux car on n’en compte pas moins de 23, ce qui peut contribuer à l’idée – fausse – que le Pacte est un dispositif lourd et contraignant. Ces objectifs sont les suivants :

1. Collecter et utiliser des données précises et ventilées qui serviront à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits ;
2. Lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d’origine ;
3. Fournir dans les meilleurs délais des informations exactes à toutes les étapes de la migration ;
4. Munir tous les migrants d’une preuve d’identité légale et de papiers adéquats ;
5. Faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles et plus souples ;
6. Favoriser des pratiques de recrutement justes et éthiques et assurer les conditions d’un travail décent ;
7. S’attaquer aux facteurs de vulnérabilité liés aux migrations et les réduire ;
8. Sauver des vies et mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les migrants disparus ;
9. Renforcer l’action transnationale face au trafic de migrants ;
10. Prévenir, combattre et éliminer la traite de personnes dans le cadre des migrations internationales ;
11. Gérer les frontières de manière intégrée, sûre et coordonnée ;
12. Veiller à l’invariabilité et à la prévisibilité des procédures migratoires pour assurer des contrôles, des évaluations et une orientation appropriés ;
13. Ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort et chercher des solutions de rechange ;
14. Renforcer la protection, l’assistance et la coopération consulaires tout au long du cycle migratoire ;
15. Assurer l’accès des migrants aux services de base ;
16. Donner aux migrants et aux sociétés des moyens en faveur de la pleine intégration et de la cohésion sociale ;

17. Éliminer toutes les formes de discrimination et encourager un débat public fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues ;

18. Investir dans le perfectionnement des compétences et faciliter la reconnaissance mutuelle des aptitudes, qualifications et compétences ;

19. Créer les conditions permettant aux migrants et aux diasporas de contribuer pleinement au développement durable dans tous les pays ;
20. Rendre les envois de fonds plus rapides, plus sûrs et moins coûteux et favoriser l’inclusion financière des migrants ;
21. Coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité, ainsi que leur réintégration durable ;
22. Mettre en place des mécanismes de portabilité des droits de sécurité sociale et des avantages acquis ;
23. Renforcer la coopération internationale et les partenariats mondiaux pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

Conclusions

La droite (LR, Debout la France de NDA) et l’extrême droite (RN de MLP) se sont déchaînées contre ce texte au nom de la violation de la souveraineté française.

En réalité, ce texte n’est pas contraignant pour la France qui reste pleinement maîtresse de sa politique migratoire, comme l’ensemble des États parties à ce Pacte.

Mais alors, si ce texte n’est pas contraignant et ne produit pas du droit, à quoi sert-il, pourrait-on objecter?

La question mérite bien, en effet, d’être posée.

Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières – adopté le 10 décembre 2018 2018 à Marrakech (Maroc) par 162 États – est un instrument que les anglo-saxons qualifient volontiers de soft law, ce qui peut se traduire en français par « droit souple », « droit mou » [7], ou encore «droit doux » [8], c’est-à-dire un texte qui est exempt de toute contrainte pour ses signataires pour lesquels il a une forte valeur symbolique par la direction qu’il indique en proposant une série de recommandations pour modifier les comportements antérieurs.

Le principe au cœur de ce type de texte – et très utilisé dans le droit international – date des années 1930. Lorsqu’il est compliqué voire impossible d’obtenir un accord entre des pays aux objectifs divers et qui ne veulent pas céder une partie de leur souveraineté, le « soft law » sert alors de « substitut au droit dur », selon l’expression utilisée par le Conseil d’Etat dans un Rapport de 2013 [9]. 

Traditionnellement, dans la théorie générale du droit, il y a une règle de droit lorsque le non-respect d’une prescription entraîne une sanction négative. Dès lors que la règle de droit se présente comme une norme créatrice d’obligations – comme l’obligation de donner, de faire ou de ne pas faire -, la sanction du non-respect de cette règle est en principe prévue d’avance par les textes en vigueur. Elle est mise en œuvre grâce à des procédures de contrainte. Dans ce cadre, la règle est rendue obligatoire par l’autorité publique au moyen de la contrainte indépendamment de la forme qu’elle prend. Par conséquent, un texte ou un instrument international qui a une force obligatoire, est celui qui produit un effet de droit, une modification quelconque dans l’ordonnancement juridique existant, lorsqu’il crée, confirme ou consolide une situation juridique.

Les actes du soft law, au contraire, se distinguent des actes conventionnels précités à caractère contraignant du droit international par le fait qu’ils n’ont pas nécessairement ni immédiatement un caractère juridique, et par conséquent, ne sont pas forcément contraignants.

Le soft law se particularise aussi, du point de vue de la pratique, par les différents rôles qu’il remplit par rapport au « droit dur ». Son usage est favorisé par son caractère « allégé » sur le plan procédural et par sa faculté d’extension de la marge d’action gouvernementale au niveau international.

L’accord de Paris sur le climat a été lui aussi conçu sous une forme non contraignante de « soft law » pour permettre le plus large consensus sur la nécessité de développer la lutte contre le réchauffement climatique.

En effet, l’ « Accord de Paris sur le climat » a été conclu le 12 décembre 2015 à l’issue de la 21e Conférence des Parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il est entré en vigueur le 4 novembre 2016, moins d’un an après son adoption.

Au 7 novembre 2017, 195 pays et l’Union européenne avaient signé l’Accord de Paris pendant que les États-Unis s’en retiraient le 1er juin 2017.

Pour revenir au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, ce texte n’oblige aucun pays :

  • à ouvrir ses frontières ou ne formule de quotas de migrations obligatoires, pas plus qu’il ne vise à créer un « appel d’air » mondial ;
  • à « mettre en place une censure de la presse »  sur les questions migratoires. En réalité, l’objectif 17 du Pacte invite à « promouvoir une information indépendante, objective et de qualité, y compris sur Internet », et à « cesser de subventionner les médias qui propagent systématiquement l’intolérance, la xénophobie, le racisme et les autres formes de discrimination envers les migrants, dans le plein respect de la liberté de la presse » ; 
  • à organiser le remplacement des travailleurs  français ou européens par des migrants ; le texte dit justement l’inverse, puisqu’il invite à faciliter l’accès des migrants à un travail décent et à l’économie formelle ;
  • à « brader la souveraineté française » : plusieurs sites et publications s’alarment sur le risque de « vendre la France à l’ONU ». Ils opèrent un amalgame trompeur entre deux actualités : le pacte des migrations, sous l’égide de l’ONU, et une suggestion, formulée par le vice-chancelier allemand fin novembre 2018, consistant à transférer à l’Union européenne le droit de veto français au Conseil de sécurité. Mais cette dernière idée, loin d’avoir un caractère officiel, n’est guère à l’ordre du jour, même si nous devons rester vigilants et fermes. Et, à aucun moment, la souveraineté des pays n’est remise en question par le pacte sur les migrations.

Ainsi ce texte, élaboré sous l’égide de l’ONU, préconise la coopération entre États souverains pour unir leurs efforts afin d’adopter un point de vue humaniste pour la prise en charge, à l’échelle internationale, du difficile problème des migrations en abandonnant les clichés et préjugés xénophobes habituels tournant le dos à une nécessaire et naturelle fraternité énoncée par l’article 1er de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 d’une actualité plus poignante que jamais.

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Louis SAISI

Paris, le 13 décembre 2018

NOTES

[1] C’est ainsi que le Premier ministre belge, Charles MICHEL, a dû prendre, dimanche, la tête d’un gouvernement minoritaire, après la démission des ministres nationalistes flamands de la coalition gouvernementale, en raison de cette divergence profonde sur le Pacte de l’ONU sur les migrations. Ces démissions ont été « acceptées » par le roi des Belges à la mi-journée, selon un communiqué, à l’issue d’une rencontre au Palais royal avec M. MICHEL, venu lui présenter la situation politique et les noms des ministres qui héritent des portefeuilles vacants (Intérieur mais aussi Finances, Défense et Migration).

[2] Voir sur ce site les chroniques que nous avons consacrées à ces deux affaires.

[3] On considère ainsi que l’un des temps forts du jus gentium, sous la Rome antique, remonte à 242 av. J.-C lorsque furent créés les préteurs pérégrins chargés de régler les litiges opposant les citoyens romains aux étrangers, notamment dans le domaine commercial. C’est ainsi que se  constitua un véritable droit commercial qui se développa aux côtés du ius civile, applicable aux litiges entre citoyens romains, ce qui contribua à favoriser un assouplissement des règles très formalisées voire ritualisées de ce dernier. Les juristes romains d’alors s’interrogèrent sur la raison du succès du ius gentium (les lois qui s’appliquaient aux citoyens romains et aux pérégrins) et notamment pour quelle raison il était généralement accepté par tous ceux qui vivaient dans l’Empire romain. Leur conclusion fut que ce droit avait un sens pour une personne raisonnable, ce qui expliquait qu’il était suivi et respecté. On a donc appelé tout droit qui aurait un sens pour une personne « normale » le ius naturale (« droit naturel »). Aujourd’hui, l’on considère comme appartenant au droit naturel l’ensemble des droits que chaque individu possède du fait de son appartenance à l’humanité, et non par rapport à la société dans laquelle il vit. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 énumérait au nombre des « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression » (article 2).

[4] Mais cela ne signifie pas pour autant que nous condamnions les frontières au profit de la mondialisation hors sol. Au contraire, la souveraineté des États qui s’exerce à l’intérieur de territoires où s’exprime la démocratie – se définissant comme gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple – est un acquis de l’histoire du processus démocratique qu’aucune construction mondiale (mondialisation des échanges marchands hors intervention des États et mettant en cause celle-ci) ni géographique (Union européenne) ne saurait mettre en cause car l’Etat n’est que l’instrument juridique désincarné de la souveraineté des peuples qui sont seuls souverains. Mais le développement du droit des gens est allé de pair avec la conquête de la souveraineté des peuples contre les monarchies héréditaires et absolues de droit divin. C’est de manière artificielle que les États ont séparé ensuite ces deux processus en refusant, au nom de la pratique d’une souveraineté xénophobe, de voir leur action subordonnée au droit des gens.

[5] La France n’a pas ratifié cette convention, voir la question écrite n° 21640 de M. Richard YUNG, Sénat (Français établis hors de France – SOC-EELVr), JORF Sénat du 29/12/2011 – page 3299 et la réponse du Ministre des Affaires Étrangères et européennes publiée dans le JO Sénat du 29/03/2012 – page 784.

[6] Cf. Paul de GUCHTENEIRE et Antoine PÉCOUD : « Les obstacles à la ratification de la Convention des Nations Unies sur la protection des droits des travailleurs migrants », Droit et société, 2010/2 (n° 75), pages 431 à 451.

[7] Cf. R. J. DUPUY :.  « La technique de l’accord mixte utilisée par les Communautés européennes », Annuaire de l’Institut de droit international, 1973, p. 259.

[8] Cf. M.VIRALLY : « La distinction entre textes internationaux ayant une portée juridique entre leurs acteurs et textes qui en sont dépourvus », Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 60-I, II, 1983, pp. 224-227.

[9] Conseil d’Etat -Étude annuelle 2013 : Le droit souple, 2 octobre 2013, La Documentation française, Paris, 2013.

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