Vous avez dit « ordonnances » : de la catégorie des actes juridiques du pouvoir politique et des référentiels politiques historiques auxquels les multiples usages de ces actes se rattachent par Louis SAISI

Vous avez dit « ordonnances » : de la catégorie des actes juridiques du pouvoir politique et des référentiels politiques historiques auxquels les multiples usages de ces actes se rattachent par Louis SAISI

L’argument invoqué par le Gouvernement actuel pour justifier le recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution – et la suspension du travail parlementaire sur un objet déterminé (le droit du travail)  – est le TEMPS…

L’on perdrait trop de temps à soumettre un texte d’origine gouvernementale aux deux assemblées et il faut aller vite, nous dit-on, pour remettre en cause les principes fondamentaux du Droit du Travail codifiés dans un Code du même nom…

Ainsi, plus la révision d’un texte est importante, plus il faudrait aller vite, alors que la recherche du plus large consensus devrait, bien au contraire, s’imposer pour remettre en question un dispositif fondamental de notre Pacte social, ce qui suppose alors qu’on s’accorde un peu de temps pour faire un travail de fond dégageant les tendances lourdes de notre époque et les attentes de nos concitoyens… Parmi celles-ci le besoin de sortir de l’insécurité sociale née du chômage, de la précarité de l’emploi, de retraites constamment remises en cause, du repos hebdomadaire sont des aspirations légitimes des salariés…

La recherche du compromis social sur des sujets aussi sensibles doit être la règle dans une démocratie et la mise en cause d’un pacte social suppose au moins la reformulation d’un autre « pacte » qui fasse sens pour le plus grand nombre et recueille une très large adhésion populaire.

Lorsqu’ils ont délibéré sur les lois du 1er juillet 1901 relative à la liberté d’association ou la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’Etat, les pères fondateurs de la IIIème République y avaient consacré le temps nécessaire et n’y étaient pas allés à la hussarde pour l’adoption de tels textes fondamentaux… Et l’on pourrait en citer de nombreux autres aussi importants : les lois Ferry de 1881 et 1882 sur l’école primaire publique, gratuite, puis obligatoire et laïque firent également l’objet de nombreux débats.

La démocratie a un prix et implique qu’on se donne un rapport au temps suffisamment substantiel et généreux pour la faire vivre en respectant la liberté d’expression des représentants politiques, ce qui suppose des échanges et l’organisation de débats. Le travail parlementaire s’inscrit dans ce rapport au temps fondamental : il est long et peut parfois paraître même fastidieux, mais peut-on s’en passer au risque de remettre en cause les procédures parlementaires en matière de gestation de la loi ? Dépôt du projet [1] ou de la proposition de loi devant le bureau l’une des deux chambres (Assemblée nationale ou Sénat), examen du texte en commission, discussion en séance publique et adoption ou rejet du projet ou de la proposition de loi par la première chambre saisie, envoi du projet gouvernemental ou amendé à l’autre chambre, discussion par l’autre chambre, etc.

Le but étant, après les navettes [2] nécessaires entre les deux chambres, l’adoption du même texte en des termes identiques par les deux assemblées.

C’est la procédure parlementaire classique : elle est celle des régimes parlementaires dans lesquels c’est le Parlement qui fait la loi, en dehors même de toute pression du pouvoir Exécutif.

Selon Antoine CHOLLET [3], c’est la praxis, conçue comme ensemble d’actions orientées par un projet commun, qui crée le temps démocratique.  Il n’en va pas de même dans les régimes autoritaires dans lesquels les choses peuvent certes aller plus vite, mais souvent au détriment des libertés et du respect de la souveraineté du peuple.

I/ Les régimes autoritaires et les Parlements

Les régimes autoritaires n’aiment pas les parlements : ils n’aiment pas les discussions, les délibérations qu’ils considèrent comme des bavardages inutiles les qualifiant souvent de manière péjorative de « parlotte » et préférant gouverner sans les Parlements, appréhendés comme des empêcheurs de « gouverner en rond », dans l’entre-soi des Palais présidentiels et des cabinets ministériels….

Dès lors, dans ces régimes d’inspiration autoritaire, comment faire lorsqu’on doit s’accommoder, au moins momentanément, de l’existence d’un pouvoir législatif ?

1°) Premier scénario : rendre les parlements muets, les vider de leur substance, les dompter, les domestiquer… le césarisme constitutionnaliste…

Avec la Constitution de l’An VIII (1799), après le coup d’Etat de BONAPARTE, SIEYÈS, principal auteur de cette constitution [4], commença par diviser le pouvoir législatif en deux chambres pour l’affaiblir et fit du Corps législatif un organe muet chargé d’adopter la loi ou de la rejeter, mais sans discussion et par un scrutin secret (art. 34 C). Seul, en amont, le Tribunat avait le pouvoir de discuter la loi mais il ne pouvait ensuite qu’exprimer un vœu en faveur de l’adoption ou du rejet de la loi en envoyant ensuite auprès du Corps législatif trois orateurs choisis en son sein chargés d’exposer les motifs du vœu du Tribunat en faveur de l’adoption ou du rejet (art 28 C) sur chacun des projets de loi. Dans le système de la Constitution de l’An VIII, c’est le Gouvernement seul qui propose les lois (articles 25 et 44 C) et qui a la maîtrise du travail législatif.

L’on sait ce qu’il advint ensuite du Tribunat [5], seul corps susceptible d’exercer un droit de parole, lorsqu’il voulut se montrer trop indépendant quant à l’appréciation des projets de loi gouvernementaux : il fut épuré lors de son premier renouvellement partiel en 1802 ; le nombre de ses membres fut réduit et ses pouvoirs furent diminués en 1804 ; il fut enfin supprimé en 1807.

Il y a lieu de noter également que lors du passage de la Constitution de l’An VIII au Consulat à vie – Constitution du 16 Thermidor An X (4 août 1802) – déjà, l’article 55 permettait au Sénat (investi de pouvoirs exorbitants mais contrôlé de très près par les Consuls) de dissoudre le Corps législatif et le Tribunat.

Les régimes autoritaires meurent, tôt ou tard, du manque d’oxygène dont ils souffrent quant à la liberté d’expression des citoyens et le respect de la souveraineté du peuple qui leur font défaut et qui seuls peuvent légitimer quelqu’autorité que ce soit. Et le Premier Empire – qui évolua de plus en plus vers la confusion des pouvoirs au profit de Napoléon Ier – succomba, après le désastre militaire de Waterloo (1815[6]), car, après de belles réalisations de 1800 à 1808 (préfets, lycées, Code civil, création du baccalauréat et des académies, etc.), il tenait surtout essentiellement par ses conquêtes et ses victoires militaires contre une Europe des Rois coalisée contre la France qui contestait la légitimité impériale du titulaire du pouvoir (considéré comme un « usurpateur » de la Royauté de droit divin).

2°) Second scénario : gouverner par ordonnances royales contre le peuple …

Sous la Restauration, peu après la mort de Louis XVIII, le Roi Charles X, qui lui succède, va, en tant que nostalgique de l’Ancien Régime, gouverner, à partir de 1827, par ordonnances, en dehors de tout contrôle des chambres, ce qui devait aboutir en 1830, à la Révolution de Juillet.

En effet, lors de la Restauration, en 1814, le terme d’« ordonnance » avait été rétabli pour mieux marquer la rupture avec la Révolution et l’Empire, et rappeler ainsi la filiation de la Charte avec l’Ancien Régime.

C’est ainsi que l’Article 14  de la Charte de 1814 disposait :

« Le Roi est chef suprême de l’État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d’administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État. » [7]

Il reste que sur le plan juridique, rien ou presque ne distingue ces ordonnances des décrets impériaux ou des décrets qui existeront dans les régimes suivants.

À l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire de 1830, et en réponse au discours du Trône, la majorité libérale de la Chambre des députés, par une « adresse des 221 », sous l’impulsion de ROYER COLLARD, exprima sa défiance le 18 mars 1830 à l’égard du ministère dirigé par le très impopulaire prince de Polignac qui avait la confiance du roi de France, Charles X.

Cette « Adresse » faisait valoir notamment que la « marche régulière des affaires publiques » nécessitait la rencontre « des vues politiques du Gouvernement » (du Roi) avec « les vœux du peuple » [8].

À cela, Charles X répondit, non seulement en maintenant sa confiance dans le ministère Polignac, mais en édictant le 25 juillet 1830 pas moins de six ordonnances provocatrices correspondant à un véritable coup de force constitutionnel, notamment s’agissant surtout des quatre premières (d’où le fait qu’on n’ait retenu que celles-ci sous l’expression des « quatre ordonnances de Saint-Cloud »).

Ces « Ordonnances de Saint-Cloud » visaient surtout à obtenir de nouvelles élections dans des conditions plus favorables aux Ultras et en désavantageant les « Libéraux ».

  • . la première ordonnance suspend la liberté de la presse et soumet toutes les publications périodiques à une autorisation du gouvernement ;
  • . la deuxième dissout la Chambre des députés alors que celle-ci vient à peine d’être élue et ne s’est encore jamais réunie [9] ;
  •  la troisième écarte la patente pour le calcul du cens électoral, de manière à écarter une partie de la bourgeoisie commerçante ou industrielle, d’opinions plus libérales, réduit le nombre des députés de 428 à 258 et rétablit un système d’élections à deux degrés dans lequel le choix final des députés procède du collège électoral de département, qui rassemble seulement le quart des électeurs les plus imposés de la circonscription ;
  • la quatrième convoque les collèges électoraux pour septembre ;
  • les cinquième et sixième procèdent à des nominations de conseillers d’État au profit d’ultras notoires, tel que le comte de Vaublanc par exemple.

Aussitôt les ordonnances publiées dans Le Moniteur du 26 juillet 1830, cela devait déboucher sur les trois journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet 1830, dites « Trois Glorieuses ».

Comme l’écrivit le journaliste Armand CARREL [10] dans Le National, « La France retombe en révolution par le fait même du pouvoir ».

3) Le troisième scénario : le mythe de l’homme providentiel ou la crise du boulangisme (1889-1891)[11]

Il a déjà fonctionné, on l’a vu, en 1799, avec le coup d’Etat du 18 brumaire de Bonaparte (cf. supra) puis à nouveau avec le coup d’Etat du 2 décembre 1851 du prince président Louis Napoléon Bonaparte. Le mythe de l’homme providentiel resurgira à nouveau sous la IIIème République, mais cette fois dans un contexte ouvertement antiparlementaire et antirépublicain.

Le général Georges BOULANGER (1837-1891), qui fut ministre de la Guerre du gouvernement FREYCINET formé le 7 janvier 1886, a ébranlé les fondements de la Troisième République, en étant porté vers la prise de pouvoir, en dehors des formes légales, par ses partisans appartenant tant aux milieux politiques de droite que de gauche (au moins au début) [12].

À ce poste ministériel, certaines de ses réformes le rendent vite populaire et lui font acquérir une réputation de général républicain qui ne fait que se renforcer lorsqu’en application de la loi du 22 juin 1886 – interdisant le séjour sur le territoire national « aux chefs des familles ayant régné sur la France et leurs héritiers directs » et prévoyant leur exclusion de l’armée, il fait signer par Jules GRÉVY, alors président de la République, la radiation des cadres de réserve des membres de la maison d’Orléans, et en particulier du duc d’Aumale.

Malgré son appartenance au gouvernement, le général BOULANGER est très critique sur le jeune régime politique de la 3ème République. Ainsi il n’hésite pas à affirmer qu’il souhaite une République plus autoritaire, capable notamment de reconquérir l’Alsace-Lorraine annexée par l’Allemagne en 1871. Patriote revanchard n’ayant pas accepté la défaite de 1870 infligée à la France par la Prusse, BOULANGER est également révisionniste par rapport aux institutions de la 3ème République également décriées par une partie de la classe politique (monarchistes, bonapartistes, républicains radicaux). Il reçoit des soutiens politiques multiformes : soutien des bonapartistes, des monarchistes, d’Henri Rochefort [13], Paul Déroulède [14], et même de certains blanquistes…

Bien qu’appartenant à des partis politiques opposés les uns aux autres sur tous les sujets, tous attendaient politiquement quelque chose de lui. Les républicains révisionnistes espéraient une « révision » des institutions de la 3ème République qu’ils considéraient comme installées de façon provisoire, depuis 1875, « pour aboutir à une république définitive et incontestée ».

Les monarchistes [15] et les bonapartistes [16] espéraient profiter de la révision de la constitution pour renverser la République.

Les élections législatives partielles du 25 mars 1888 verront l’élection du général Boulanger qui formera même un groupe parlementaire à la chambre des députés. Mais il n’est composé seulement que d’une vingtaine de membres à la suite de nombreuses défections et du détournement du boulangisme de nombreux députés républicains radicaux.

En effet, un certain nombre de Républicains – notamment les Radicaux hostiles au conservatisme institutionnel et social de la majorité républicaine « opportuniste » de la chambre basse et qui avaient été sensibles au triptyque boulangiste à sa naissance en 1886 (« Dissolution, Constituante, Révision ») – se détournent du ce courant plébiscitaire dont ils ne supportent pas le style bonapartiste. C’est ainsi que majoritairement ils désavouent ceux qui, en leur sein, avaient soutenu la formation d’un « Comité républicain de protestation nationale » en faveur de la candidature du général BOULANGER aux législatives partielles du 25 mars pour défier le gouvernement. Et le 19 avril, le groupe de l’Extrême-Gauche décide d’exclure les boulangistes de ses rangs.

L’aspect plébiscitaire du boulangisme  a été favorisé par la loi électorale elle-même qui permettait à un candidat aux Législatives de pouvoir se présenter lui-même ou même d’être présenté par un comité électoral dans plusieurs départements, sans même avoir fait lui-même acte de candidature. C’est l’élection multiple de Boulanger dans plusieurs départements qui se transformait ainsi en un plébiscite en sa faveur.

Ainsi le 26 février 1888, alors qu’il n’est même pas éligible, la candidature de Boulanger est présentée dans pas moins de 7 départements.

Le 8 avril 1888, il est élu en Dordogne ; le 15 avril 1888, il est élu député du Nord, et démissionne le 7 juillet ; le 22 juillet 1888, c’est l’échec en Ardèche, mais le 19 août suivant c’est un triple succès en Charente Inférieure, dans la Somme et dans le Nord. Le 27 janvier 1889, c’est une élection triomphale à Paris. Mais le 1er avril 1889, c’est la fuite en Belgique et, le 12 avril 1889, il sera mis en accusation devant la Haute Cour. En septembre 1889, il arrive en tête à Paris dans le 18ème arrondissement, bien qu’il ne puisse être candidat.

Les élections législatives de 1889 qui furent un échec pour les boulangistes devaient sonner le glas du boulangisme. Ceux-ci sont, privés de leur chef. En effet, le général BOULANGER, condamné par la Haute Cour, a dû s’exiler tandis que sa réélection à Paris est invalidée. Lors de ces élections, les républicains, toutes tendances confondues, obtiennent 366 sièges contre 210 à l’opposition parmi lesquels seulement quelques dizaines de boulangistes.

Alors qu’ils convoitaient 205 sièges, ils n’en obtiennent seulement que 42, et bien moins encore après plusieurs invalidations de ses élus.

LE GRELOT (ci-dessous) est un journal satirique républicain et anticlérical rédigé par Arnold MORTIER

et publié de 1871 à 1903

Résultat de recherche d'images pour "boulangisme et plébiscite (caricatures, images)"Quant à la nature politique de la tentation boulangiste qui semble, selon nous, plutôt se rattacher au courant historique « césariste » en France, le débat a été rouvert en 2000 par la publication par Zeev STERNHELL [17] de son ouvrage La droite révolutionnaire, 1885-1914 : les origines françaises du fascisme dans lequel, revisitant le boulangisme, cet historien estime qu’il tient une place importante dans l’histoire politique française, car il serait une première synthèse entre le nationalisme et certaines formes de socialisme, qui donnera plus tard naissance au fascisme. Mais l’on sait qu’une telle analyse est loin d’être largement partagée par la communauté scientifique de ses collègues historiens et qu’elle est toujours minoritaire. Le fait que certains éléments du peuple croient en un « sauveur suprême », en un « César » ou un « tribun » n’est pas en soi un élément suffisant pour que cela accrédite l’idée que l’ensemble du peuple soit mystifié par l’Homme en question, ni davantage pour que la recherche du bien du peuple soit assimilée, chaque fois, à une forme de populisme. Il serait fastidieux d’entrer ici de manière centrale dans ce sujet car le boulangisme, au moins en tant que tel, ne constitue pas ici notre centre d’intérêt.

Notre propos n’est pas d’écrire ici la complexité ni les avatars du boulangisme, mais vise à essayer de recenser, à l’aide de quelques repères historiques (non exhaustifs), les institutions et pratiques gouvernementales autoritaires ayant effectivement renversé la République (constitution de l’An VIII) ou l’ayant remplacée (Seconde Restauration avec Charles X et le retour des Ultras), les courants d’idées antiparlementaires ayant seulement menacé la République (boulangisme) ou enfin l’ayant balayée comme en juillet 1940.

Dans une interview donnée au Figaro, le 29 mars 1888, le jugement de ZOLA, quelque peu désabusé, sur le général BOULANGER est sans appel :

« Boulanger ! C’est un pieu surmonté d’un chapeau, un chapeau galonné et empanaché ! Pas autre chose. Et le pire, c’est que ce pieu répond à un besoin mal dissimulé de la nation, au besoin d’une domination quelconque : royauté, empire, dictatoriat, gambettisme, ou boulangisme.

Quoi que nous en disions, nous n’empêcherons pas que durant dix-huit siècles la France n’ait été un pays résolument monarchique. L’échine de tout Français porte le pli de cette longue sujétion. Les globules de notre sang sont monarchistes. Et nos aspirations vers la République, notre beau rêve d’une nation qui se gouverne elle-même, sont en perpétuel conflit avec ces puissants vestiges d’atavisme.

Je n’en veux pas chercher d’autre preuve que dans le spectacle d’erreurs, de bêtises et d’impuissances que nous ont offert ces dix-huit dernières années et qui est bien fait pour désespérer un observateur, même indifférent et patient, bien fait surtout pour désespérer la foule – cette inconsciente : la foule qui, sans le raisonner et le discuter, se ressent du malaise qui pèse sur nous tous et qui, vaguement, cherche à s’en évader, fût-ce pour se jeter dans les bras d’un dictateur. » (Texte publié dans les Entretiens avec Zola, Presses de l’Université d’Ottawa, 1990, p. 22)

II/ Les dictatures sans parlement : L’idéologie de la Révolution nationale et le renversement légal des institutions de la République (juillet 1940-août 1944) : la mise à l’index du Parlement

Le courant antiparlementaire qui s’était exprimé contre la 3ème République naissante, bien que plusieurs fois vaincu, n’a jamais totalement désarmé ni encore moins renoncé.

Résultat de recherche d'images pour "l'etat français vichy (images)"Il profita de la défaite de juin 1940 pour s’installer à la tête de l’Etat français. La révolution nationale qui s’opéra alors, avec l’arrivée du Maréchal PÉTAIN au pouvoir, fut longtemps masquée par la défaite militaire de la France de juin 1940 devant l’Allemagne nazie et l’occupation de son territoire par l’ennemi vainqueur [18]. La figure tutélaire du vieux Maréchal PÉTAIN a pendant longtemps masqué la force et l’ampleur du phénomène.

En fait, la « révolution nationale » fut préparée et prônée, dès 1924, dans le livre écrit par Georges VALOIS (1878-1945) [19] La Révolution nationale : philosophie de la victoire qui condamnait sans appel l’Etat libéral désormais en rupture de liens avec le pays, devant les assauts des idées nationalistes ou socialistes :

« l’État libéral fonctionne en 1924 comme avant le 2 août 1914. Mais le prestige qu’il possédait avant la guerre est tombé ; les idées libérales, encore vivantes il y a dix ans, ont perdu toute influence. L’État libéral n’a plus de soutien dans l’esprit public que se partagent les idées nationales et les idées socialistes. (…) Nous échouerons dans notre entreprise si nous croyons qu’il nous suffit de placer nos idées et nos hommes à la tête des institutions de l’État libéral. Ce sont les institutions elles-mêmes qu’il faut changer. »

Mais les idées exprimées dans cet ouvrage – s’appuyant sur la transformation des institutions et des mentalités – loin d’être isolées, étaient partagées par différents cénacles réunissant à la fois des hommes politiques (comme Albert RIVAUD [20] ou René GILLOUIN [21]), des chefs syndicalistes, des écrivains (comme René BENJAMIN [22] et Henri POURRAT [23]) et des clercs (comme le cardinal GERLIER[24]). Le cercle FUSTEL DE COULANGES [25] rassemble ainsi des militaires comme le maréchal Hubert LYAUTEY, le général Maxime WEYGAND, des académiciens tels Abel BONNARD [26].

Le Maréchal Pétain s’affranchit en 1940 de l’existence d’un Parlement et gouverna seul jusqu’en 1944, au nom de l’Etat Français, en élaborant des « lois » en dehors de toute intervention parlementaire. En effet, réunie à la hâte à Vichy, une Assemblée nationale (Chambre des Députés et Sénat) avait voté la révision constitutionnelle du 10 juillet 1940 [27] en confiant tous les pouvoirs (y compris le pouvoir constituant), au Maréchal Pétain.

Il était néanmoins précisé que cette Constitution :

  • d’une part, devrait garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie qui étaient devenus le nouveau triptyque de l’Etat Français ;
  • d’autre part, qu’elle devrait être ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées.

Résultat de recherche d'images pour "projet de constitution de Pétain (images)"En application de cette loi de révision constitutionnelle du 10 juillet 1940, dès le 11 juillet 1940, trois actes constitutionnels furent édictés par le Maréchal Pétain :

  • l’Acte constitutionnel N°1 faisait du Maréchal Pétain le Chef de l’Etat qui révoquait ainsi implicitement le Président Albert LEBRUN (élu un an plus tôt) pour prendre sa place ;
  • l’Acte constitutionnel N° 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relatif au mode d’élection du Président de la République et à la durée de son mandat était abrogé ;
  • l’Acte constitutionnel N°3 organisait, dans son article 1er, la dictature du Maréchal Pétain en lui confiant « la plénitude du pouvoir gouvernemental » et l’exercice du « pouvoir législatif en conseil des ministres » et ce, « jusqu’à la formation des nouvelles assemblées ». Il était même précisé qu’  « après cette formation, et en cas de tension extérieure ou de de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme», il pourrait continuer à exercer (seul) le pouvoir législatif… C’était déjà l’équivalent de notre article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Comme l’a relevé Dominique RÉMY, il faudra seulement « trois mois à Vichy pour instaurer en France un régime conforme à « l’ordre nouveau » de l’Allemagne nazie » [28].

Il relève ainsi que les premières lois contre les naturalisés sont du 11 juillet 1940, celle contre les gaullistes « dissidents » du 23 juillet 1940, celle contre les Francs-maçons du 13 août 1940, celle contre les juifs du début septembre 1940 et le « statut des Juifs » du 3 octobre 1940, celle contre les communistes du 14 août 1941.

Selon Dominique Rémy, « Vichy est avant tout la victoire d’une certaine technocratie amorale car apolitique. Il y avait des projets dans les cartons, techniques, et des réformes nécessaires : c’était l’occasion de les mettre en œuvre ; à cela s’ajoutaient les desseins des nouveaux maîtres qui ne posaient pas plus de problèmes techniques quand les questions de procédure étaient réglées. Et elles l’étaient, car les lois de Vichy sont l’œuvre de quelques centaines de rédacteurs dans quelques dizaines d’hôtels, sans contrôle parlementaire ni même consultatif… une loi ne nécessitait rien de plus qu’une signature, celle du chef du pouvoir, et quelques contreseings de ministres, lesquels étaient regroupés sur quelques hectares, voire quelques étages d’un hôtel. Un ministre du travail accompagna son texte jusqu’à l’imprimerie du Journal officiel pour qu’on ne l’amendât pas. Il n’y avait aucune procédure contraignante. »[29]

Résultat de recherche d'images pour "ordonnance de 1944 du général de Gaulle rétablissant la légalité républicaine (images)"Le 9 août 1944, une ordonnance du Gouvernement Provisoire de la République Française rétablit la légalité républicaine sur le territoire continental :

1°) en proclamant dans son article 1er que la forme du Gouvernement en France est et demeure la République et qu’en « droit » celle-ci n’a jamais cessé d’exister ;

2°) en décrétant, « en conséquence », dans son article 2, que « sont… nuls et de nul effet, tous les actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires, ainsi que les arrêtés pris pour leur exécution, sous quelque dénomination que ce soit, promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 [30] et jusqu’à l’établissement du Gouvernement Provisoire de la République Française [31] »

Selon Jacques GODECHOT, le projet de Constitution du Maréchal PÉTAIN – dont on n’a jamais su s’il représentait la pensée propre du Chef de l’Etat français [32] – se proposait de concilier « le principe de la souveraineté nationale et le droit de libre suffrage des citoyens avec la nécessité d’assurer la stabilité et l’autorité de l’Etat. »

C’était un régime à forte prééminence de l’Exécutif incarné par un Président de la République disposant de pouvoirs étendus, disposant notamment du droit d’initiative des lois (article 13) et du droit de dissolution de la chambre des députés sur avis conforme du Sénat (articles 10 et 17). Il était élu pour 10 ans [33] par le Congrès national [34] et rééligible.

L’article 10 faisait du Chef de l’Etat la « personnification de la Nation », en l’instituant comme l’« arbitre des intérêts supérieurs du pays », assurant « le fonctionnement des institutions » pour maintenir « le circuit continu de confiance entre le gouvernement et la Nation » [35].

Il devait assurer la « fonction gouvernementale avec des ministres et secrétaires d’Etat ». Il nommait le Premier Ministre et, sur proposition de celui-ci, les ministres et secrétaires d’Etat qu’il pouvait révoquer ensuite. Il pouvait également révoquer le Premier Ministre.

Aux termes de l’article 18, « Le Premier Ministre, les ministres et secrétaires d’Etat étaient responsables devant le chef de l’Etat, individuellement dans le cadre de leurs attributions propres, politiquement pour la politique générale du Cabinet. »

Les deux assemblées pouvaient certes voter une motion de défiance contre le Cabinet (articles 17 et 25), mais celle-ci n’était pas assimilée à une mise en cause de la responsabilité du Cabinet devant entraîner mécaniquement sa chute.

C’est le Chef de l’Etat qui appréciait donc souverainement la suite à donner en cas de crise entre le Cabinet et le Parlement, née à la suite de l’adoption d’une motion de défiance.

Le régime n’était donc pas de nature classiquement parlementaire mais plutôt présidentielle, avec, néanmoins, l’attribution au Chef d’Etat des prérogatives (dissolution) d’un Chef d’Etat d’un régime parlementaire.

L’arme de la dissuasion n’existait donc que du seul côté de l’Exécutif et le régime n’était pas équilibré.

À la lecture de ce projet de constitution, l’on ne peut pas ne pas relever la résonance que plusieurs des points de ce projet ont pu rencontrer dans les institutions de la 5ème République quant à l’instauration d’un pouvoir Exécutif fort et surtout indépendant du Parlement, à la fois quant à son origine organique (élection du Président par un collège électoral élargi) et quant aux attributions étendues du Chef de l’Etat, à la fois arbitre et véritable chef du gouvernement.

Conclusion

Ce recensement – qu’on nous pardonnera d’avoir été un peu ici cavalier à travers ces quelques raccourcis synthétiques – de quatre expériences historiques bien françaises montre qu’après la Révolution française de 1789 et la proclamation de la République en 1792 – consacrant le « règne de la loi » et la force de la délibération collective sur la décision d’un seul – les adeptes d’un pouvoir exécutif fort n’ont jamais désarmé…

Et ce, que la revendication et l’instauration d’un tel pouvoir se soient politiquement exprimées de manière césariste, monarchiste, plébiscitaire ou, aujourd’hui, présidentialiste

La caractéristique centrale de cette revendication est qu’elle est et demeure toujours antiparlementaire, anti moderne (Action française, mythe du retour à la Terre, etc.) et souvent franchement, comme on l’a vu, antirépublicaine, à la suite d’une contestable confusion entre la République et le libéralisme.

En effet, comme on l’a vu, dans sa mise en cause du libéralisme, entre les années 20 et 30, la droite nationaliste mettait en accusation la République elle-même, avec même parfois, au moins au début, le secours de certains républicains eux-mêmes prônant une révision substantielle d’une République, pour eux, demeurée inachevée.

Au fil du temps et des siècles, la croisade de l’extrême droite contre la République parlementaire a même marqué des points dans le fonctionnement de nos institutions publiques.

Les articles 38 (relatif aux ordonnances), 49-3 (adoption d’une loi sans vote ni amendements) de notre actuelle Constitution, pour ne citer que ceux-ci, en sont les vestiges vivants… L’élection du Président de la République au suffrage universel, la domestication du Premier Ministre entre les mains du Chef de l’Etat, la personnalisation « bling-bling » ou jupitérienne du pouvoir, le phénomène majoritaire cristallisé autour d’un homme « providentiel » ont fait le reste…

Avec les « réformes » (ou plutôt « contre-réformes ») annoncées par notre Président de la République et son Premier Ministre, le changement intervenu en mai-juin 2017 nous semble plutôt inscrire ses pas dans une absence totale de transformation en profondeur de nos institutions politiques actuelles au profit de leur continuité avec un mode de gouvernement assez éloigné de l’adhésion populaire, et bien loin de l’idéal d’une République démocratique et sociale dont le principe, tel qu’il est énoncé à l’alinéa 5 de l’ article 2 de notre Constitution, est : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » .

C’est dire que plus de deux siècles après sa proclamation, et à l’orée de ce 21ème siècle, notre République reste encore à faire…

Louis SAISI

Paris, le 10 juillet 2017

NOTES

[1] Sur les projets de loi le texte est d’abord examiné par le Conseil d’Etat.

[2] Après deux lectures successives (ou même après une seule lecture devant) devant chacune des deux chambres, le Gouvernement peut décider d’engager la procédure accélérée (art. 42, alinéa 3). Il y a lieu de noter également que depuis la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale du 27 mai 2009, la Conférence des présidents peut, sous certaines conditions, décider d’appliquer à un texte la procédure du « temps législatif programmé ». Cette possibilité a été ouverte par la loi organique du 15 avril 2009, sur le fondement de l’ article 44 de la Constitution dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008..

[3]  CHOLLET (Antoine) : Les temps de la démocratie : incertitude et autonomie du présent, Thèse pour le doctorat en science politique, IEP de Paris, 2009, Ed. Dalloz, Paris, 2011, 493 pages.

[4] Cf. MENICHETTI (Johan) : « L’écriture de la constitution de l’An VIII : quelques réflexions sur l’échec d’un mécanisme révolutionnaire », Napoleonica, La Revue, 2013/3 (N° 18), pp. 68-83

[5] Cf. GODECHOT (Jacques) : Les Constitutions de la France depuis 1789, Ed. Garnier Flammarion, Paris, 1970.

[6] Le Second Empire périra de la même manière en 1870…

[7] À noter que de telles dispositions, aujourd’hui, alors que nous sommes censés vivre sous une République, se retrouvent, de manière éparse, dans le texte constitutionnel du 4 octobre 1958, sauf pour celles de dispositions relatives à la déclaration de guerre ou à la ratification des traités de paix qui requièrent l’intervention du Parlement. Encore que s’agissant de l’état de guerre on recourt volontiers à l’expression « opérations extérieures » qui permet de surmonter la contrainte d’un débat devant le Parlement et le vote de celui-ci. La France aime cultiver le paradoxe, surtout en politique. Ainsi, selon nos gouvernants, nous serions en état de « guerre » sur le plan intérieur (ce qui, évidemment, ne correspondant pas à la définition de la guerre, est juridiquement faux), et en état de paix à l’extérieur de nos frontières, comme le montrent les opérations militaires déclenchés au Mali à la demande des autorités civiles et légales de ce pays…

[8] « La Charte consacre comme un droit l’intervention du pays dans la délibération des intérêts publics […]. Elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement, nous obligent à vous dire que ce concours n’existe pas. »

[9] Étalées du 23 juin au 19 juillet 1830, les élections à la Chambre des députés donnent une majorité renforcée à l’opposition libérale. Les « 221 » (parmi lesquels dix-neuf seulement ne sont pas réélus) se retrouvent 274, tandis que les ultras ne sont plus que 145.

[10] Armand CARREL (1800-1836), journaliste, historien et essayiste, il fut d’abord « libéral » puis devient franchement républicain. Il fonda avec MIGNET et THIERS le journal « Le National » le 3 janvier 1830. Ce quotidien devait jouer rapidement un rôle important dans l’effondrement du régime de Charles X. C’est au siège de son journal que devaient se réunir les journalistes signataires de la protestation contre les ordonnances de juillet 1830 de Charles X.

[11] Jean GARRIGUES : « Boulanger, ou la fabrique de l’homme providentiel », cf. Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2010/1 (n° 13), notamment pp. 8-23 (Ed. L’Harmattan) ; Jean GARRIGUES, Le Général Boulanger, Paris, Olivier Orban, 1991, rééd. Perrin, 1999, 380 p. Michel WINOCK, La fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire » (no H97), 2009 (1re éd. 1986, Calmann-Lévy), 475 p. Jean-François SIRINELLI (dir.), Histoire des droites en France, t. 1 : Politique, Paris, Gallimard, 2006, 794 p. René RÉMOND, Les droites en France, Paris, Aubier, 1982, 544 p.

[12 Bien qui lui-même, rendons-lui cette justice, n’ait jamais semblé s’être manifesté et signalé comme un adepte du coup d’Etat, malgré son verbe haut et les pressions de son entourage.

[13] Henri ROCHEFORT (né Victor Henri de ROCHEFORT-LUÇAY) (1831-1913), d’origine aristocratique, était un polémiste redoutable dont la vie fut un véritable roman. Henri ROCHEFORT fut le directeur du journal L’Intransigeant. Il se rapprocha progressivement du boulangisme et de l’extrême droite. Il rejoignit le Comité républicain de protestation nationale, puis entra au comité directeur de la Ligue des patriotes en 1888. Il fut l’un des plus forts soutiens du boulangisme triomphant, aussi bien intellectuellement que financièrement et suivit le général BOULANGER dans son exil à Bruxelles et à Londres. En août 1889, il fut condamné, avec BOULANGER et Arthur DILLON, par la Haute Cour de justice et par contumace, à la déportation en enceinte fortifiée. Lorsqu’éclata l’affaire DREYFUS, il laissa libre cours à son antisémitisme pour mener campagne avec les « antidreyfusards ».

[14] Paul DÉROULÈDE (1846-1914) fut l’un des instigateurs de la création de La Ligue des patriotes considérée comme l’une des expressions politiques pionnières du nationalisme français. Au départ, pourtant, elle était composée de républicains modérés tels que Victor HUGO. Elle était née du traumatisme de la défaite de 1870-1871 et de la perte de l’Alsace et de la Lorraine, et elle fut encouragée par une partie de la classe républicaine. C’est ainsi que durant le ministère de GAMBETTA (de novembre 1881 à janvier 1882) l’idée de la fondation de la ligue avait pris corps. DÉROULÈDE s’était vite porté comme le vaillant soldat se proposant d’entreprendre une vaste opération de sauvetage de la patrie afin « d’extirper les racines de la défaite et de la décadence. ». Cela devait inciter le ministre de l’Instruction publique Paul BERT à créer une commission d’éducation militaire pour promouvoir les valeurs patriotiques et militaires dès l’école primaire. À la tête de cette commission il plaça trois personnages de la mouvance gambettiste : Félix FAURE, Henri MARTIN, Paul DÉROULÈDE. La commission disparut rapidement mais ses trois commissaires impénitents créèrent une association qui s’était fixé les mêmes buts que la commission. C’est ainsi que la ligue vit le jour le 18 mai 1882, avec Henri MARTIN pour président et Paul DÉROULÈDE comme délégué général. Elle disposa, dès ses débuts, d’un hebdomadaire, Le Drapeau, de Louis-Robert d’HURCOURT, dans lequel elle développa son idéologie. Le grand Victor HUGO, lui-même, n’hésita pas à donner au Drapeau du 3 mars 1883 un poème patriotique. Elle compta parmi ses militants des ardents républicains et sincères, avec des hommes aussi remarquables et en vue que BERTHELOT, Félix FAURE, Alfred MÉZIÈRES, Ferdinand BUISSON et GAMBETTA. Mais de scission en scission, elle finit par soutenir le général BOULANGER. Dissoute en mars 1889, la ligue renaquit en 1897 avant que n’éclate l’affaire Dreyfus. Bien qu’affaiblie, elle espérait pouvoir reconquérir Paris, mais en se plaçant résolument et bruyamment dans le camp des antidreyfusards. Elle se tourna alors vers le militarisme et le patriotisme pour évoluer rapidement vers une organisation hostile à la République parlementaire, antisémite et xénophobe.

[15] C’est ainsi que la duchesse d’Uzès et les familles d’Orléans apportèrent un soutien financier au boulangisme. Les monarchistes ne dissimulaient guère qu’ils « misaient » sur la « carte Boulanger : « Je mets à la disposition du comte de Paris pour être placés sur la carte BOULANGER trois millions » s’exclamait la duchesse d’Uzès…

[16] Dès janvier 1888, le général BOULANGER eut une entrevue secrète avec le prince Napoléon-Jérôme Bonaparte qui lui apporta aussitôt le soutien d’une partie du mouvement bonapartiste qui se réjouissait de la perspective du retour d’un homme fort au pouvoir.

[17] Zeev STERNHELL, La droite révolutionnaire, 1885-1914 : les origines françaises du fascisme, Paris, Fayard, 2000 (1re éd. 1978, Éditions du Seuil), 436 p

[18] De même que le désastre militaire de Sedan avait emporté le Second Empire, la défaite de juin 1940 devait emporter la 3ème République.

[19] Georges VALOIS fut à l’origine, en 1925, avec les capitaux de deux industriels milliardaires, le parfumeur François COTY (1874-1934) et le producteur de cognac HENNESSY (Jean Hennessy), de la création d’un nouveau mouvement politique, Le Faisceau, premier mouvement fasciste non italien, s’appuyant sur un organe de presse, Le Nouveau Siècle, qui échoueront très vite. Malgré l’adhésion de HUBERT LAGARDELLE (venu de la gauche) ou de Marcel BUCARD (issu lui aussi de l’Action Française, et futur fondateur du Parti franciste, ouvertement fasciste), le Faisceau disparut en 1928.

[20] Albert RIVAUD (1876-1956) fut ministre de l’Éducation nationale dans le premier gouvernement Pétain, du 16 juin au 12 juillet 1940. Professeur de philosophie au lycée de Laval, puis maître de conférences à la faculté de Lettres de l’Université de Poitiers (1908), il succéda à LÉON BRUNSCHVICG à la chaire de Philosophie de la Sorbonne et devint membre de l’Académie des sciences morales et politiques (1939). Il avait été l’un des professeurs du maréchal Pétain à l’École de Guerre. Mais il est rapidement exclu du gouvernement, dès le 12 juillet, à la demande des Allemands.

[21] René GILLOUIN (1881-1971) fut un intellectuel de droite antimoderne Il était très hostile à l’égalité démocratique, rejetait les valeurs et les principes de 1789 ainsi que l’idéologie démocratique et républicaine. Après un échec à l’agrégation, il devint fonctionnaire de préfecture, et développa en même temps une activité d’écrivain et de critique littéraire. Dans les années 1930, il fréquentait les salons et cercles parisiens d’extrême droite : banquets du Cercle Fustel de Coulanges ainsi que le salon politico-mondain parisien et royaliste de la comtesse Gérard de 3, où il rencontra Charles MAURRAS. En 1936, il signa l’hommage des conseillers municipaux parisiens de droite à Charles MAURRAS, « dont la pensée honore la France », au lendemain de la condamnation de Maurras pour provocation au meurtre qui lui valut un séjour en prison. Il devient membre du comité d’honneur du Cercle Jacques BAINVILLE de Paris, aux côtés de BONNARD, MAURRAS, Georges CLAUDE, DAUDET notamment. Accueillant, en juillet 1940, avec enthousiasme le nouveau régime de l’Etat Français du Maréchal Pétain, il sera de l’été 1940 jusqu’en 1942 l’un des proches, intimes et conseillers de Pétain, pour lequel il aurait rédigé plusieurs discours radiodiffusés et des articles parus dans la Revue des deux Mondes

[22] René BENJAMIN (1885-1948) écrivain, journaliste et conférencier français. Prix Goncourt en 1915 Ami de Maurras et de Léon Daudet, il soutint le maréchal Pétain pendant l’occupation allemande. Il avait été reçu à l’académie Goncourt en 1938.

[23] Henri POURRAT (1887-1959) était un écrivain français, consacré prix du Roman de l’Académie française pour l’ensemble des 4 tomes de Gaspard des Montagnes (1931), puis prix Goncourt (1941). Il écrivit Le Chef français (1942) qui est un panégyrique sur le Chef de l’État Français, le Maréchal PÉTAIN, dont il devint le chantre officiel, prônant le Retour à la Terre, leitmotiv du Nouveau régime vichyste.

[24] Archevêque de Lyon et cardinal, Pierre GERLIER (1880-1965) appartenait au courant du catholicisme social de l’Église catholique. Le 19 novembre 1940, le cardinal GERLIER prononça, à la primatiale Saint-Jean de Lyon, en présence du maréchal Pétain une phrase qui lui sera plus tard reprochée : « Car Pétain, c’est la France et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ! » Il se démarquera progressivement du régime de Vichy en plaçant le devoir de conscience au-dessus de la loi humaine : « La Providence a donné à la France un Chef autour duquel nous sommes fiers de nous grouper » mais « Les droits de l’État ont des limites… ». Il organisa des filières de sauvetage pour les Juifs en danger, et aida ceux qui œuvraient dans ce sens pour ouvrir des centres de refuge et des colonies de vacances en zone libre. Il a été reconnu Juste parmi les nations par l’État d’Israël. La médaille de Juste parmi les nations de YAD VASHEM lui est décernée à titre posthume le 15 juillet 1980.

[25 Le cercle Fustel de Coulanges était une association française d’extrême droite qui rassembla essentiellement des enseignants proches de l’Action Française et milita contre l’école publique et son « idéologie ». Il porta le nom de l’historien Fustel de Coulanges (qui passait pour bonapartiste et clérical) et fut créé à l’automne 1926. Le Cercle publia, à partir de 1928, une revue, Les Cahiers (tirés à 1500 exemplaires en 1935) et fut actif jusqu’au début des années 1970. Il organisait des conférences des congrès, et tenait chaque année une réunion de rentrée et un banquet à la fin de l’année universitaire. Il participa au défilé pour la fête de Jeanne d’Arc à partir de 1934 avec les instituteurs de l’Union corporative des instituteurs, son satellite De nombreux membres de ce cercle participèrent activement au régime de Vichy (RIVAUD, GILLOUIN cf. supra).

[26] Abel BONNARD (1883-1968), écrivain, homme politique, poète français, membre de l’académie française à partir de 1932. Il était maurrassien et évolua, dans les années 30, vers le fascisme. Il se fit d’abord connaître des milieux politiques nationalistes à partir de 1925 par sa collaboration au quotidien de Georges VALOIS, Le Nouveau Siècle, puis au Courrier royal avec Henry BORDEAUX et Georges BERNANOS. Proche de l’Action française, sa pensée politique est celle d’un nationalisme maurrassien, antiparlementariste. Il préside en novembre 1933 l’ouverture des cours de l’institut d’Action française, aux côtés de MAURRAS. Ministre de l’Éducation nationale de Vichy en 1942, il fit partie des « ultras » et des derniers partisans du Maréchal Pétain. Il fut un ardent partisan de la collaboration avec l’Allemagne nazie sous l’Occupation et dut se réfugier à Sigmaringen en 1944 et, condamné par contumace à la Libération, il dût s’exiler en Espagne jusqu’à la fin de sa vie..

[27] Cf. JO du 11 juillet 1940, p. 4513.

[28] Cf. RÉMY (Dominique) : Les lois de Vichy – Actes dits « lois » de l’autorité de fait se prétendant « gouvernement de l’Etat français », Ed. Romillat, Paris, 1992, 256 p.

[29] RÉMY (Dominique), op. cit., p. 17.

[30] Date d’investiture de Pétain comme Président du Conseil. Le Maréchal PÉTAIN devient le 16 juin 1940 Président du Conseil en remplacement de Paul REYNAUD. Il appelle aussitôt, dès le 17 juin 1940, à cesser le combat et signe l’armistice du 22 juin 1940 avec l’Allemagne d’Adolf HITLER dans le wagon de train, à Rethondes, retirant la France du conflit.

[31] Le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) est créé officiellement le 3 juin 1944, la veille de l’arrivée du général de GAULLE en Grande-Bretagne, à l’invitation de Winston CHURCHILL, quelques jours avant le débarquement en Normandie. De juin 1944 à janvier 1946, il sera dirigé par le général de Gaulle puis par ses successeurs (Félix GOUIN et Georges BIDAULT), jusqu’à la mise en place des institutions de la 4ème République.

[32] GODECHOT Jacques : Les Constitutions de la France depuis 1789, Ed. Garnier Flammarion, Paris, 1970, pp. 339-355, notamment p. 340-341.

[33] Comme sous le Consulat.

[34] Selon l’article 31 du Projet, le « Congrès national » était un collège électoral élargi (ce qu’on retrouvera dans la constitution originelle de 1958) devait être constitué par les membres des deux assemblées et par les conseillers provinciaux et, jusqu’à la désignation de ceux-ci par les délégués des conseils départementaux en nombre égal à celui des sénateurs et députés.

[35] Cela n’est pas sans nous rappeler l’actuel article 5 de notre Constitution du 4 octobre 1958.

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