QUELQUES RÉFLEXIONS BRÛLANTES par Alice BSÉRÉNI, animatrice d’ateliers d’écriture, chroniqueuse littéraire

Alice BSÉRÉNI, animatrice d’ateliers d’écriture, chroniqueuse littéraire, nous livre ci-dessous « Quelques réflexions brûlantes » sur la destruction de Gaza par les bombardements israéliens ayant fait, en un an, déjà plus de 40 000 victimes civiles dont 16 000 enfants.

Elle est l’auteure du remarquable ouvrage De « Vincennes  » à Saint-Denis – La rançon des utopies (Ed. L’Harmattan, Paris, 2020, 128 pages), dans lequel elle a apporté son témoignage vivant sur « l’histoire de « Vincennes », la fac enfant terrible de 1968 » (p. 19) jusqu’au transfert de cette université expérimentale à SAINT-DENIS. C’est cette participation  » à l’aventure, de près ou de loin, de façon active ou plus distanciée » (p.19) qu’elle a voulu raconter sur plus de 30 ans de son expérience d’assistante sociale, toujours en liens avec les enseignants, les étudiants et les personnels administratifs, et  à la « croisée du cheminement individuel et du sort collectif » (p. 57).

Selon le professeur Guy BERGER (pionner et fondateur de l’université de Paris 8 Vincennes – Saint Denis) – qui a préfacé élogieusement cet ouvrage -,  » Il faut lire Alice Bséréni, partager ses émotions et ses colères. Mais apprendre aussi les limites réelles de nos actions au moment même où nous les croyons généreuses. Une lecture trop rapide de ce texte pourrait le faire apparaître comme la dénonciation d’une illusion. Son intention est celle de la lucidité : mettre en évidence le jeu des contradictions, la persistance d’attitudes traditionnelles et des routines bureaucratiques au coeur même d’un projet  qui devait demeurer subversif « .

Mais, d’origine syrienne par son père, Alice BSÉRÉNI s’est également, depuis longtemps, intéressée aux problèmes du Moyen-Orient par plusieurs séjours en IRAK, à la fin des années 90, d’où elle a rapporté deux ouvrages qui firent date : Irak, le complot du silence, Essai (Préface de Pierre Rossi), Collection « Comprendre le Moyen-Orient », Ed. L’Harmattan, Paris, 11 juin 1997 ; Chroniques de Bagdad 1997-1999, La guerre qui n’avoue pas son nom (Préface du Dr Michel JOLY), Ed. L’Harmattan, 1er juin 2000, collection « Comprendre le Moyen Orient ». Ses deux livres annonçaient, de manière prémonitoire, ce que devait être plus tard, en mars 2003, le bombardement de Bagdad, l’invasion de l’Irak par l’armada occidentale dirigée par les Etats-Unis contre le parti Baas de Saddam HUSSEIN, sa destruction programmée puis son occupation jusqu’au 18 décembre 2011.

S’agissant de l’occupation de la Palestine et du bombardement de Gaza, rappelons que dans son avis du 19 juillet 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a estimé que la protection offerte par les conventions régissant les droits humains ne cesse pas en cas de conflit armé ou d’occupation et a déclaré en même temps que la présence continue d’Israël sur le territoire palestinien occupé « est illégale » et que « tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître » cette occupation qui dure depuis des décennies, tandis que l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait, le 18 septembre 2024, à une écrasante majorité, une résolution exigeant la fin de l’occupation de la Palestine par Israël dans les douze prochains mois.

Nous avons présenté Alice BSÉRÉNI, déjà connue de nos lecteurs, à l’occasion du très fin compte rendu de l’ouvrage de Lydie SALVAYRE Irréfutable essai de successologie qu’elle nous avait donné le 19 février 2023 sur ce site (https://ideesaisies.deploie.com/irrefutable-essa…eliers-decriture).

Elle développe aujourd’hui ci-après ses réflexions sur la situation toujours aussi préoccupante de GAZA et plus généralement sur le conflit israélo-palestinien qui perdurent malgré l’avis de la CIJ et le vote de l’AG des Nations-Unies précités mais aussi, encore plus récemment, malgré les mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) émis, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, le jeudi 21 novembre 2024, à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin NÉTANYAHOU, de son ancien ministre de la Défense, Yoav GALLANT [1], et du chef de la branche armée du Hamas, Mohammed DEÏF [2].

Louis Saisi

Paris, le 4 décembre 2024 

QUELQUES RÉFLEXIONS BRÛLANTES

Par Alice BSÉRÉNI

Animatrice d’ateliers d’écriture, chroniqueuse littéraire

(Ci-dessus, photo d’Alice BSÉRÉNI)

Journal de bord de Gaza, RAMI ABQue ma mort apporte l’espoir, collectif de poètes palestiniens, édition bilingue, traduction Nada YAFI, novembre 2024, Ed. Libertalia, collection Orient XXI ;

Journal de bord de Gaza, Rami Abou JAMOUS, novembre 2024, Editions Libertalia, Montreuil.

Ces deux titres, Que ma mort apporte l’espoir, recueil de poèmes de Gaza, et Journal de bord de Gaza de Rami Abou JAMOUS, journaliste palestinien francophone de Gaza, bouleversent un automne littéraire particulièrement dramatique. Leur lecture déclenche une lame de fond émotionnelle qui démultiplie la nausée, les colères, les protestations, les désespérances dont Gaza et la région sont l’épicentre depuis le 7 octobre 2023. Les témoignages, les images et les mots ne prêtent ici à aucune confusion, une véritable guerre d’extermination se poursuit à Gaza depuis plus d’un an, au point que l’auteur en vient à formuler le néologisme et mot valise de « Gazacide ». Cette guerre s’exporte au Liban et risque de s’étendre à toute la région. Il faut lire ce journal tenu scrupuleusement depuis février 2024, qui rend compte du quotidien des Gazaouis soumis à une guerre sans merci, à un harcèlement systématique, des chars, des drones, des radars, des bombes, des ordres et des contrordres, des déplacements et des humiliations, de la famine et des destructions, des intempéries, des maladies et handicaps démultipliés… qui massacrent toute forme de vie dans un petit territoire surpeuplé, totalement démantelé par les assauts d’une armée d’occupation haineuse et triomphante. Il s’agit en outre d’une entreprise sans équivoque de déshumanisation des victimes, le journaliste insiste beaucoup là-dessus, en un scenario excédant n’importe quelle série de science-fiction, même la plus audacieuse, auprès de spectateurs médusés, impuissants, quelque fois complices quand on se fait admiratifs d’exploits technologiques jusqu’alors inédits, en particulier l’usage de l’IA. On avait pourtant été avertis de ces pièges et de ces manipulations avec la première guerre du Golfe étalant les prouesses d’une « guerre propre et chirurgicale » et ses quelques dégâts collatéraux inévitables, et s’en vanter. Tout cela visant à oblitérer le facteur humain, transformé en statistiques macabres, à détruire toute vérité, première grande perdante de toute opération de guerre militaire de cette envergure. A lire ce Journal de bord de Gaza héroïque on prend la mesure de la volonté de déshumanisation inédite des victimes, traitées ouvertement d’animaux et bien pire, qui font les frais d’un contexte historique et de contentieux délibérément laissés en souffrance depuis plus de 75 ans. On avait eu quelques aperçus de ces stratégies d’humiliation avec les images de prisonniers irakiens trainés nus au bout d’une laisse à quatre pattes dans la prison d’Abu Graïb en Irak avec la guerre de 2003.

En Palestine occupée depuis plus de 75 ans l’occupant prétend solder et exporter les plaies atroces que la Shoa laisse auprès de ses victimes et de leurs descendants, mais aussi dans l’imaginaire occidental, l’inconscient collectif européen, et français en particulier. S’est construit au fil des ans et des mémoires le déni d’une collaboration active avec le projet exterminateur nazi, orchestré par le régime de Vichy et ses rouages administratifs et politiques, et par suite le refoulement d’une culpabilité diffuse inconsciente qui continue de générer les mécanismes de refoulement d’un trauma inavouable. On connait bien cela depuis Freud et les avancées d’une clinique psychanalytique qu’il y aurait lieu d’appliquer à l’ensemble du corps social occidental, et français en particulier, pour en démonter et en déjouer les mécanismes mortifères, les constructions perverses. Faute de quoi les Palestiniens continueront d’en payer le tribut au prix fort en victimes expiatoires.

Depuis plus de 60 ans l’Europe s’est construite et unifiée selon les principes de réconciliation et de paix, en ayant exporté ces plaies immondes dans la terre des origines des trois religions monothéistes. Au temps des commémorations, des repentances et des réparations, aucune justice ne pourra sans doute être rendue ni une solution équitable trouvée à cette iniquité de l’Histoire sans un retour sur les responsabilités de ses acteurs en occident, et le projet foncièrement colonisateur à l’œuvre en Palestine occupée. Il est temps de relire Mahmoud DARWICH, Elias SANBAR, Edouard SAÏD et autres gens de lettres et de plumes palestiniens exilés de leur terre, ainsi que les poèmes rassemblés dans ce recueil à vif, pour prendre la mesure des enjeux idéologiques, humains et politiques qui se fracassent à nouveau dans ce drame absolu. Leurs mots proclament pourtant l’absolue nécessité d’un parti prix d’altérité de part et d’autre des deux peuples. Il en va de leur survie et d’une réparation radicale de l’Histoire. Il en va de la survie du peuple palestinien spolié de ses terres, de sa culture et de sa mémoire. Il en va de la survie et de la légitimité d’un peuple juif en Palestine. Il en va aussi des risques de terrorisme accru et sa propagation en occident, d’une haine exacerbée par les extrémismes engendrés par cette situation inique.

Est-il encore possible de rêver ? de penser ? d’élaborer plans et solutions ? Ces questions courent tel un fil rouge dans le courageux Journal de bord de Gaza de Rami Abou JAMOUS et dans les poèmes du recueil Que ma mort apporte l’espoir. Quand l’horreur du réel écrase à ce point le symbolique et l’imaginaire, anéantit la capacité de rêver, de penser, condamne les mots à mort, c’est l’humanité toute entière qui est mise en échec et promise à sa propre déshumanisation.

Alice BSÉRÉNI

Novembre 2024

Notes (LS)

[1] Cela signifie donc que les 124 États membres de la CPI (Cour Pénale Internationale) sont désormais tenus d’arrêter NÉTANYAHOU et GALLANT s’ils entrent sur leur territoire. Cette décision est également juridiquement contraignante pour la France (ainsi que l’ensemble des Etats de l’Union européenne et aussi du monde entier membres de la CPI).

S’agissant de la position française, dans un premier temps, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Christophe LEMOINE, avait déclaré que la France agirait « conformément aux statuts de la CPI », mais pour refuser de dire tout aussitôt si NÉTANYAHOU serait arrêté s’il entrait en France, affirmant que cela est « juridiquement complexe » (sic). Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël BARROT, a semblé confirmer par la suite que les individus recherchés seraient arrêtés s’ils entraient sur le sol français, argumentant que « la France appliquera toujours le droit international. » Mais, assez curieusement, le 27 novembre, « la France fit machine arrière en laissant entendre que Benyamin NÉTANYAHOU et Yoav GALLANT pourraient bénéficier d’une immunité, malgré les mandats d’arrêt lancés à leur encontre », ce qui serait la négation même de l’existence des traités instituant la CPI ratifiés par la France.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep BORRELL, a appelé tous les États membres de l’UE (y compris la France) à respecter et mettre en œuvre la décision de la CPI, affirmant que cette décision n’était pas politique.

[2] En ce qui concerne Mohammed DEÏF, commandant militaire du Hamas, la CPI a également émis un mandat d’arrêt contre lui, bien qu’il semblerait avoir été tué dans une frappe israélienne le 13 juillet 2024.

Table des sigles et abréviations

 AG = Assemblée Générale (en l’occurrence des Nations-Unies)

CIJ = Cour Internationale de Justice

CPI = Cour Pénale internationale

IA = Intelligence artificielle

 

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