« QUE MA MORT APPORTE L’ESPOIR »
Une soirée autour des « Poèmes de Gaza »
par Louis SAISI
Anthologie bilingue français – arabe
Collection Orient XXI
Éditions Libertalia, 228 pages,
Sélection, traduction et préface Nada YAFI
Postface Karim KATTAN
Prix 10 €, la somme étant reversée à l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine refugies in the Near East)
I/ Le jeudi 24 octobre 2024, nous étions très nombreux et en rangs serrés à avoir répondu à l’invitation lancée par notre ami Philippe TANCELIN – poète-philosophe, Professeur émérite des Universités, dirigeant la collection « Poètes des Cinq continents » (Editions L’Harmattan) et animant le groupe Effraction – pour nous rendre à l’espace de la librairie de cet éditeur pour écouter, de 19h à 21h, la lecture d’extraits, en français et en arabe, d’une vingtaine de poèmes sur la cinquantaine rassemblés sous le titre Que ma mort apporte l’espoir- Poèmes de Gaza.
II/ Il s’agit d’une anthologie bilingue Français-Arabe éditée chez Libertalia, 228 pages, dans la collection Orient XXI, dont les auteurs et autrices viennent tous de Gaza.
III/ C’est de ce livre que l’écrivain palestinien Karim KATTAN a signé la postface intitulée « J’aurais voulu être un magicien » (pp 121-140). Né à Jérusalem et ayant grandi à Bethléem, Karim KATTAN est lui-même un poète reconnu et consacré ayant reçu le prix des Cinq continents de la francophonie en 2021 pour son premier roman, Le Palais des deux collines (Elyzad, 2021). Fin août 2024, il a publié L’Eden à l’aube, salué par la critique comme un « roman ruisselant d’humanité » (Ed. Elyzad, 2024)
Comme il le dit si bien dans cette postface, ces poèmes de GAZA sont « courts et denses et forts, écrits avec l’urgence de s’exprimer avant la mort, de laisser un peu de soi et des siens avant d’être irrémédiablement détruit, déchiqueté, rendu inidentifiable. Ce sont des appels à la reconnaissance. Dans chaque poème vit l’âme d’un être humain, qui l’a entreposée là. Il faut les lire avec cette attention-là. » (p.125)
« Car, ajoute-t-il, la mort est toujours présente, elle semble être le compagnon quotidien de ces écrivains. C’est la date limite avant laquelle ils tentent de produire des textes, des cris, des réflexions pour nous ouvrir nos yeux à nous, ceux qui ne sont pas de Gaza. » (p.126)
IV/ Écrits pour la grande majorité en arabe, ils ont été traduits en Français, de manière aussi riche que rigoureuse, par l’ancienne diplomate et interprète Nada YAFI, auteure de Plaidoyer pour la langue arabe (Ed. Libertalia, 2023) qui signe également la préface de l’ouvrage en le contextualisant.
V/ Cette soirée était dédiée, selon Philippe TANCELIN lui-même, « à cette incroyable puissance de résistance de la poésie et son espoir, contre le désarroi et la résignation plaintive… … dont témoignent avant le 7 octobre 2023 et après le 7 octobre, cinquante poétesses et poètes palestiniens de Gaza, à travers cette superbe anthologie bilingue (Arabe-Français) ».
VI/ Certains de ces poètes et poétesses, comme Refaat ALAREER et Hiba ABU NADA, avec une conscience aiguë de la fragilité de leur existence, sont morts sous le déluge quotidien et meurtrier des bombes jetées sur Gaza, mais sans cesser d’espérer, comme l’a écrit, pour sa part, Refaat ALAREER, peu avant sa mort :
« S’il est écrit que je dois mourir
Il vous appartiendra alors de vivre
Pour raconter mon histoire
—–
—–
—–
S’il est écrit que je dois mourir
Alors que ma mort apporte l’espoir
Que ma mort devienne une histoire »
Refaat ALAREER
(Poète et écrivain né en 1979 à Gaza, ciblé par
un bombardement israélien le 6 décembre 2023)
VII/ Maître d’œuvre dans la réalisation de cette anthologie de poésie palestinienne et elle-même présente à cette soirée, Nada YAFI nous apporta son éclairage précieux quant à sa genèse et sa propre contribution de traductrice. C’est ainsi qu’elle se plut à souligner que la traduction poétique, bien plus que la traduction diplomatique – qu’elle a longtemps elle-même pratiquée – lui apparaît toujours comme un véritable défi car « il ne s’agit plus seulement de traduire le sens, aussi implicite soit-il, mais de faire appel à la sensibilité du lecteur, pour partager avec lui une émotion, à travers une autre langue, qui a sa magie propre, sa musique inimitable. »
Citant le grand poète palestinien Mahmoud DARWICH, elle considère avec lui que la poésie permet « d’humaniser l’histoire », et c’est précisément ce qui l’a incitée à relever le défi de la traduction car « en prenant le contre-pied des tentatives de déshumaniser toute une population, la poésie permet d’entrer dans l’intimité de Gaza, de se frayer un chemin à travers des consciences individuelles pour en révéler la part d’universalité. »
Si le choix exclusif de Gaza a été opéré, alors que dans tous les territoires palestiniens occupés – Cisjordanie, Jérusalem -, il existe également de nombreux talents, c’est parce que ces poètes et poétesses très jeunes, à l’image de toute la population de ce territoire, « ont des accents singuliers » et aussi parce que « Gaza est aujourd’hui emblématique de toute la Palestine. »
Quant à leur choix, ces poèmes en prose, souligne-t-elle, « ont en commun leur recours à une certaine pudeur, voire parfois à l’humour. » Au point, ajoute-t-elle, de « transfigurer la réalité, permettant de se distancier d’images insoutenables. » Ainsi cette poésie gazaouie – qui, relève-t-elle, « parle d’amour, de désir, de mysticisme ou de rébellion iconoclaste » – « nous donne à voir une diversité de profils qui interdit toute essentialisation des Gazaouis comme étant des va-t-en-guerre. On y perçoit une remarquable absence de haine, de même qu’un rejet du cercle vicieux de la violence. »
Le Recueil, expose-t-elle, comprend deux séries de poèmes chronologiquement datés entre d’une part ceux, les plus récents, qui sont postérieurs au 7 octobre 2023 consécutifs aux représailles israéliennes, et écrits sous les bombardements ; d’autre part, les poèmes « d’avant le 7 octobre », plus longue période où la guerre impitoyable livrée par Israël dans la bande de Gaza, loin d’avoir commencé le 7 octobre 2023, était déjà le résultat d’une guerre intermittente livrée depuis le blocus subi par la bande de Gaza depuis 2007.
Pour Nada YAFI, « ces textes témoignent… de la résilience de la poésie, forme privilégiée de la culture arabe, et confirment que la vie finit toujours par l’emporter sur la mort… »
Et citant à nouveau le poète palestinien Mahmoud DARWICH, et notamment son message à l’adresse de la Délégation du Parlement international en visite à Ramallah en 2002 : « Nous sommes atteints d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. »
VIII/ Accompagnés par les douces notes, pures et cristallines de l’oud du musicien Tarik BECHIRI, avec tout le talent et la sensibilité qui leur sont propres, successivement Philippe TANCELIN, Sophie CLANCY et le poète palestinien Anas ALAILI récitent alors, en Français, pour les deux premiers, ou en Arabe, pour le troisième, un certain nombre de ces poèmes qui rencontrent l’attention très forte et la ferveur intense de l’auditoire.
Oui, comme le chantait FERRAT en nous renvoyant vers ARAGON, le poète a toujours raison…
Et « la poésie à l’épreuve des bombes nous montre comment, s’exclame à son tour Philippe TANCELIN, sous l’aléatoire d’une chute de bombe sur chacune chacun, les palestiniens de Gaza ouvrent un carré de ciel poétique pour l’histoire ineffaçable de leur peuple et de leur vie. A les lire, les écouter, chaque fois qu’une lecture de ces poèmes est donnée, chaque poème contribue à la transmission de ce que les Palestiniens nomment depuis des décennies leur « maladie de l’espoir » ».
Oui, avec toute l’assistance nous avons été fortement émus et ébranlés par la force et l’espoir qui se dégageaient des poèmes lus ce soir-là, et surtout composés par certains de ceux qui se savaient plus ou moins condamnés à périr sous les bombes pleuvant sur Gaza en mesurant ainsi la fragilité de leur existence mais tout en ne cessant d’espérer des jours meilleurs pour leurs frères, sœurs et enfants gazaouis.
Louis SAISI
Essayiste, juriste, politologue,
Docteur en sciences de l’éducation
Paris, le 8 novembre 2024