La signification politique de la suppression des « contrats aidés » par Louis SAISI

La signification politique de la suppression des « contrats aidés »

Le 9 août 2017, en invoquant pêle-mêle l’un de ses services (la DARES) ainsi que l’OCDE, la ministre du Travail, Muriel PÉNICAUD, a sonné la charge, à l’Assemblée nationale, contre les « contrats aidés » :

 « … Premièrement, les contrats aidés sont extrêmement coûteux pour la nation. Deuxièmement, ils ne sont pas efficaces dans la lutte contre le chômage. Troisièmement, ils ne sont pas un tremplin pour l’ insertion professionnelle. »

 La vulgate libérale instruit régulièrement le procès de l’intervention de l’Etat dans l’économie au nom du dogme du « libre-échange » et des vertus extraordinaires du Marché comme régulateur naturel des échanges pour faire fonctionner harmonieusement notre système économique et social.

C’est le Marché qui doit fixer les prix en fonction de la « loi » de l’offre et la demande, le niveau des salaires et les droits des travailleurs (repos hebdomadaire, congés payés, etc.) en fonction des besoins de l’entreprise et de sa situation, mais aussi de la concurrence économique nationale et internationale, etc.

Après la mise en cause du SMIC, réputé trop contraignant et surtout trop élevé pour permettre l’embauche de travailleurs, puis du Code du travail, réputé illisible, trop rigide et insuffisamment flexible pour favoriser la création d’emplois, c’est maintenant le tour des « contrats aidés » de faire l’objet d’une mise en accusation.

On lit souvent l’équation suivante : « Contrats aidés = contrats précaires ».

Certes ! Mais l’on oublie trop volontiers qu’ils pourraient être « aidés » sans être forcément précaires et l’on pourrait les transformer en contrats pérennes…

Si l’on associe ces contrats à la précarité – car d’une durée très limitée dans le temps -, la responsabilité d’un tel choix n’incombe pas aux intéressés eux-mêmes, qui, le plus souvent, apportent de véritables compétences et couvrent un besoin social bien réel et non pas artificiel.

 En effet, la typologie au niveau des diplômes des contrats aidés est la suivante :

Niveau de formation

Pourcentage des emplois aidés

Niveau CAP/BEP sans diplôme autre que CEP

37%

Niveau CAP/BEP avec diplôme

25%

Niveau Bac

22%

Niveau supérieur Bac

16%

Total tous niveaux

100% (dont 63% de diplômés)

 

 

Source : DARES analyses : Les contrats aidés : quels objectifs ? Quel bilan ?, mars 2017, N° 021, Extrait du Tableau 1 : « Caractéristiques des nouveaux bénéficiaires des contrats aidés en 2015 ».

Selon la DARES [1], la direction des études et des statistiques du ministère du travail, «un contrat aidé est un contrat dérogatoire au droit commun pour lequel l’employeur bénéficie d’aides, sous forme de subventions à l’embauche, d’exonérations de certaines cotisations sociales ou d’aides à la formation ; l’accès à ces contrats est réservé aux personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’emploi, et le volume de contrats est piloté par les pouvoirs publics» [2].

I/ L’évolution du volume des contrats aidés : une forte baisse tendancielle

À fin décembre 2016, selon la DARES, 497 000 salariés bénéficiaient d’un contrat aidé en France. Lancés en 1984 par Laurent FABIUS avec les TUC [3], les emplois aidés n’ont cessé d’être utilisés par tous les gouvernements successifs (gauche et droite) comme un instrument de lutte contre le chômage. Après avoir culminé à 900.000 à la fin des années 1990, le nombre de contrats aidés a décliné ensuite jusqu’à la fin du quinquennat SARKOZY (2012).

En 2013, François HOLLANDE avait maintenu et même accru le dispositif sans toutefois qu’il retrouve le souffle et l’ampleur de la fin des années 1990. En effet, selon la DARES, 538 000 contrats aidés avaient débuté en 2013 dont 345 000 nouvelles embauches et 193 000 reconductions de contrats. Le nombre de contrats signés avait augmenté de 7 % par rapport à 2012, davantage dans le secteur marchand (+20 %) que dans le secteur non marchand (+5 %), qui regroupait principalement les associations, les établissements publics d’enseignement et les collectivités locales, et emploie les trois quarts des contrats aidés.

Avec la montée en charge des emplois d’avenir, la part des jeunes dans les nouvelles embauches était en forte hausse (+10 points en un an), tandis que la part des seniors diminuait malgré un recentrage des contrats uniques d’insertion (CUI) sur les demandeurs d’emploi de très longue durée et les seniors.

La durée moyenne des contrats aidés était d’un peu plus de 13 mois. Elle avait doublé par rapport à 2012, sous l’effet d’un allongement de la durée des CUI et de la diffusion des emplois d’avenir, signés pour plus de 2 ans en moyenne.

Ainsi fin 2015 (464 000 contrats aidés), on retrouve tout au plus les niveaux enregistrés en 2010 ou début 2007, mais deux fois moins que ce qui prévalait au début des années 2000.

Mais à partir de 2017, François HOLLANDE, gagné par la doxa européenne consistant à limiter le déficit budgétaire à 3% du PIB, opéra un brusque virage en prévoyant de diminuer le nombre de contrats aidés puisqu’il en avait budgété seulement 280.000 pour 2017. Il va de soi qu’une telle remise en cause était difficile à faire partager aux principaux intéressés, et cela d’autant plus que selon le Premier Ministre Édouard PHILIPPE, issu des élections présidentielles et législatives de mai juin 2017, « 70% (des contrats aidés) avaient été attribués dans les quatre premiers mois » (de 2017). 

Face à la fronde générale conduite notamment par les collectivités locales, le gouvernement PHILIPPE avait donc consenti à rajouter un surplus de contrats aidés pour atteindre 310.000 ou 320.000 à la fin de l’année 2017, mais en annonçant néanmoins des sévères coupes dans le budget de 2018 pour recentrer les emplois aidés sur les personnes les plus éloignées du marché du travail, avec une priorité pour l’accompagnement des enfants handicapés, l’Outre-mer et les secteurs d’urgence sanitaire et sociale.

Pour 2017, au-delà de l’enveloppe initiale de 2,4 milliards d’euros budgétée en loi de finances, la rallonge est financée par une « enveloppe complémentaire de 350 millions, complétée à nouveau de 50 millions le 11 août », indique la DGEFP, administration du ministère du Travail chargée du pilotage des politiques de l’emploi. Cette rallonge s’inscrit néanmoins « dans un contexte de réduction des volumes de contrats aidés », note la DGEFP. Elle ne suffit pas pour atteindre les 459 000 contrats signés en 2016 (en fait, davantage si l’on prend le chiffre de 497 000 de la DARES qui couvre la fin de l’année 2016). Ceci explique que de nombreuses associations et collectivités, très dépendantes de contrats aidés pour assumer correctement leurs missions d’intérêt général, ont exprimé, ces dernières semaines, leur inquiétude face à cette baisse des prescriptions. 

II/ Un « plan social » contre les contrats aidés ?

 C’est ainsi que le Collectif des Associations Citoyennes [4] (CAC), regroupant des centaines d’associations, a dénoncé, avec la fin des contrats aidés, un « immense plan social qui décime la vie associative et celle des territoires » et a invité à faire du jeudi 18 octobre 2017 la « journée noire des associations » par des manifestations et actions diversifiées organisées un peu partout en France : Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Saint-Étienne, Le Mans, Toulon, Nîmes, Tulle, Nancy (et partout en Lorraine), Chambéry, Brest, Douarnenez et dans les principales villes du Finistère, Montreuil, Aubervilliers, etc.

À Paris, autour du CAC, deux centaines de citoyens auxquels s’étaient associés un certain nombre de syndicats (CGT, FSU, Solidaires) et d’autres organisations humanistes progressistes se sont réunis autour du Panthéon, sous le mot d’ordre « Aux contrats aidés, la Patrie reconnaissante ». Le CAC et ses partenaires ont demandé un moratoire sur la suppression des contrats aidés et ont lancé en ligne (http://cac.plansocial.odass.org/) un appel à la mobilisation qui a déjà recueilli les signatures de 1000 organisations et fédérations d’associations représentant plusieurs dizaines de milliers d’associations pour la défense des emplois aidés, signatures auxquelles s’ajoutent celles de nombreux citoyens.

En effet, le « plan social » – dénoncé par le CAC réside dans le fait que par rapport à l’année 2016 (elle-même déjà très inférieure à 2013 en nombre de contrats aidés) – aboutit à la suppression, en 2017, de 150 000 contrats aidés [5], même si les choses, en termes de diminution budgétaire des contrats aidés, avaient été, hélàs,  impulsées par le gouvernement précédent (HOLLANDE/VALLS). Il y a lieu de préciser toutefois, à la décharge de la précédente équipe exécutive, qu’en 2016, le PLF [6] prévoyait au budget de l’Etat 295 000 emplois aidés alors qu’au final, avec la loi de finance rectificative, il y en eut 497 000 qui furent validés, soit un peu plus de 200 000 emplois aidés supplémentaires. C’est la raison pour laquelle, malgré le budget initial assez modeste de 2017 préparé par leurs prédécesseurs, il était attendu davantage de l’équipe MACRON/PHILIPPE en 2017 que la modeste rallonge de 30 000 emplois aidés, assortie en même temps de l’annonce d’une nouvelle suppression drastique de ces emplois pour 2018…

III/ Variété et nomenclature des emplois aidés 

L’accès aux contrats aidés est réservé aux personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’emploi et chaque type de contrat aidé s’adresse à un public spécifique selon la nomenclature ci-dessous, avec le nombre d’emplois aidés correspondants [7] :

le CUI-CAE = le contrat unique d’insertion – contrat d’accompagnement dans l’emploi s’adresse, dans le secteur non marchand, aux personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’accès à l’emploi : 226 000 emplois en 2016 dans le secteur non marchand ;

le CUI-CIE = le contrat unique d’insertion – contrat initiative emploi concerne, lui, le secteur marchand dans son ensemble et s’adresse aux mêmes personnes : 41 000 emplois en 2016 ;

les emplois d’avenir, créés par la loi du 26 octobre 2012, sont principalement destinés aux jeunes de 16 à 25 ans, peu ou pas qualifiés, et ont pour objectif de leur ouvrir l’accès à une qualification et à une insertion professionnelle durable : 96 000 emplois en 2016. Ces emplois d’avenir sont, eux, principalement créés dans le secteur non marchand pour des activités ayant une utilité sociale avérée (70 000 dans le secteur non marchand en 2016), mais un certain nombre, plus réduit, concerne également le secteur marchand (26 000 en 2016) ;

 – les emplois d’avenir professeur sont destinés aux étudiants boursiers inscrits principalement en deuxième année de licence afin de leur permettre de bénéficier d’un revenu stable et d’une formation professionnalisante tournée vers l’accès au professorat : 1000 emplois en 2016 ;

l’insertion par l’activité économique (IAE) concerne les personnes particulièrement éloignées de l’emploi comme les chômeurs de longue durée, les personnes bénéficiaires des minimas sociaux, les jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté ou encore les travailleurs reconnus handicapés : 133 000 emplois en 2016.

Par ailleurs, même « aidés » et précaires, derrière chacun de ces contrats il y a un emploi pour une femme ou pour un homme qui, hier encore, étaient au chômage et pointaient à « Pôle-Emploi ».

IV/ La suppression des emplois aidés en 2017 et l’annonce d’une nouvelle suppression pour 2018

Avec la suppression, en 2017, de 170 000 d’entre eux, c’est la création politique inédite de 170 000 chômeurs supplémentaires, alors que le Gouvernement nous assure, la main sur le cœur, qu’il fait de la lutte contre le chômage sa priorité !!! Dans la conjoncture économique actuelle de sous-emploi, cette forme de production politique de chômeurs supplémentaires du seul fait de l’Exécutif est inquiétante et en dit long sur le volontarisme politique de nos gouvernants de s’attaquer réellement au chômage, autrement que de manière incantatoire, et dans des discours convenus dont plus personne n’est dupe.

En effet, après les 170 000 emplois aidés supprimés en 2017, le projet de loi de finances 2018 prévoit de ramener les crédits qui seront alloués aux contrats aidés de 2,4 milliards d’euros en 2017 à 1,4 milliard d’euros dans le PLF 2018, soit une diminution de 41,6 %. Cette somme devrait permettre la signature de 200 000 contrats aidés. Cela correspond donc à une nouvelle suppression substantielle de 110 000 contrats aidés par rapport à 2017.

Certes, les personnes bénéficiaires de ces « contrats aidés » ne sont pas des « premiers de cordée », chers à notre Président en exercice, mais si elles n’appartiennent pas à l’univers des « start-up », elles n’en sont pas moins associées étroitement au fonctionnement de nombreux services publics fondamentaux (éducation, culture, santé, etc.), le plus souvent dans leur dimension locale au niveau des collectivités territoriales. Ces personnes œuvrent également au sein de nombreuses associations de la loi de 1901 (l’une des plus belles créations de la Troisième République) pour la prise en charge de l’intérêt général, souvent en liens étroits avec nos collectivités locales.

Faire passer brutalement ces personnes d’un emploi aidé précaire à l’état peu enviable de chômeurs dans une conjoncture de chômage de masse c’est aggraver leur situation sociale et en même temps considérer que la prise en charge de l’intérêt général est secondaire par rapport à d’autres priorités politiques (aides sans contrepartie aux entreprises, niches fiscales pour les riches, impôts sur la fortune limités à la fortune immobilière, etc.) et/ou financières immédiates au nom d’une certaine rigueur budgétaire européenne qui n’a guère de sens par rapport à ce que devrait être la recherche prioritaire de la cohésion sociale dont l’Etat devrait être le garant.

V/ L’apport des contrats aidés dans la lutte contre le chômage

 L’apport des contrats aidés dans la lutte contre le chômage a pourtant été souligné tant par la DARES que par la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DGEFP) du Ministère du Travail.

C’est ainsi que la DARES dans l’étude précitée souligne qu’en 2015, les contrats aidés, et plus particulièrement ceux du secteur non marchand, ont incontestablement  permis de soutenir efficacement l’emploi. On estime que 21 000 emplois ont ainsi été créés en 2015 grâce à l’augmentation du nombre de contrats aidés : 13 000 dans le secteur non marchand, 4 000 dans le secteur marchand et 4 000 dans les structures de l’insertion par l’activité économique.

Dans une note interne à destination de la nouvelle ministre du Travail [8] la DGEFP considère que « les contrats aidés sont un des outils les plus efficaces pour diminuer à court terme le chômage ».

Dans cette note, la DGEFP ne manquait pas de s’inquiéter en ces termes : « Une baisse du nombre de bénéficiaires de contrats aidés au second semestre 2017 au niveau des seuls renouvellements aurait des effets sur le chômage élevé : + 62 000 demandeurs d’emploi sur le second semestre. »

Certes, les contrats aidés n’ont pas tous le même impact. Ceux qui ont « l’effet emploi » le plus important sont les contrats à destination de l’Etat, des collectivités locales ou des associations.

C’est ainsi que dans ce secteur non marchand, « financer un contrat aidé permet de créer un emploi supplémentaire », note la DARES.

Interrogé par le journal Sud Ouest.fr, le préfet de la région Aquitaine, Pierre DARTOUT, n’a pas hésité à déclarer :

« J’observe qu’il y a un impact favorable sur l’emploi des jeunes. A travers les chiffres du chômage on voit que la catégorie pour laquelle l’évolution est la plus favorable est celle qui concerne les jeunes de moins de 25 ans. Pour les demandeurs d’emploi de catégorie A de moins de 25 ans, nous avons enregistré en juillet une diminution du chômage de 1,1 % et sur un an une augmentation de 1%. Ces chiffres sont plus favorables que ceux concernant la totalité des demandeurs d’emploi. On peut donc y voir les résultats des emplois d’avenir, réservés pour les moins de 26 ans, ainsi que ceux des CIE et CAE. »

A priori dans le secteur marchand, le bilan est moins nettement positif à cause de « l’effet d’aubaine » défini par la DARES par le constat selon lequel « en l’absence d’aide, l’embauche aurait eu lieu au même moment et avec la même personne »[9].

Néanmoins il ne faut pas pour autant négliger les objectifs sociaux des contrats aidés qui visent à réinsérer professionnellement des personnes tenues éloignées du monde du travail. Nous avons préféré ici, quant à nous, utiliser l’expression « monde du travail » au lieu de celle majoritairement sinon unanimement consacrée – « marché du travail » – car la première est plus large et sociale, alors que la seconde, considérant l’homme exclusivement comme un agent économique, en arrive ainsi à marchandiser, volontairement ou implicitement le travail humain.  Cet étrange paradigme que consacre l’expression « marché du travail » est de plus en plus répandu aujourd’hui, non seulement chez les économistes de tous bords, mais aussi au sein de notre classe politique ainsi que dans les études des administrations publiques, de l’Etat, comme la DARES ou la DGEFP précitées, qui ont adopté le vocabulaire économique des classes dirigeantes.

VI/ La facilitation du retour à l’emploi des personnes vulnérables 

A/ « l’effet profil » 

Pour la DARES, «…  Ces personnes, plus éloignées du marché du travail, moins productives à un moment donné, coûteraient trop cher à l’employeur et risqueraient alors d’entrer dans un processus d’exclusion durable du marché du travail ».

Ce sont en général les personnes qui bénéficient de contrats d’insertion par l’activité économique (IAE) : chômeurs de longue durée, personnes bénéficiaires des minimas sociaux, jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté ou encore les travailleurs reconnus handicapés (133 000 emplois en 2016). Ces personnes ont profité de ce que la DARES appelle l’« effet profil » c’est-à-dire le fait qu’ « en l’absence d’aide, l’embauche aurait eu lieu mais aurait profité à une autre personne » [10].

Laurent JEANNEAU abonde dans le même sens que la DARES ci-dessus citée en soulignant à son tour qu’« en subventionnant leur emploi, les contrats aidés permettent de « rééquilibrer » quelque peu le marché du travail en leur faveur. Cet « effet profil » est d’ailleurs plus important dans le secteur marchand. » [11]

B/ La perception positive des contrats aidés chez leurs bénéficiaires : la reprise de confiance en eux-mêmes

Selon les études de la DARES [12], « Les anciens bénéficiaires sont plutôt satisfaits de leur passage dans ces dispositifs : six mois après leur sortie de CUI, 74 % des anciens bénéficiaires trouvaient que le contrat aidé leur avait permis de se sentir utiles et de reprendre confiance, et cela particulièrement pour les bénéficiaires d’un contrat non marchand. L’opinion des bénéficiaires varie, bien sûr, selon leur situation au moment de l’enquête. Six mois après, 63 % des sortants de CUI-CAE en emploi considèrent que leur situation s’est améliorée, contre seulement 17 % de ceux qui sont au chômage ».

 

 

VII/ L’effet contra-cyclique des contrats aidés

L’autre effet positif, moins visible mais bien réel, des contrats aidés est leur vertu « contra-cyclique » car « en période de ralentissement économique, ils ont un effet positif sur l’activité. Et cela parce qu’ils permettent d’améliorer rapidement les conditions de vie de leurs bénéficiaires, en leur distribuant du pouvoir d’achat. » [13]

 

VIII/ De l’argument fallacieux du coût des contrats aidés par rapport aux contraintes budgétaires

Le dispositif des contrats aidés avait coûté 4,2 milliards d’euros à l’État en 2016 et couvrait un peu moins de 500 000 contrats aidés.

Ils seraient « extrêmement coûteux pour la Nation » selon Mme Muriel PENICAUD, Ministre du Travail…

Mais les contraintes budgétaires alléguées aujourd’hui – les mêmes que celles d’hier – n’empêchent pas d’autres choix généreux envers certaines catégories économiques et sociales, sans que pour autant la collectivité nationale n’en tire aucune contrepartie pour son développement harmonieux.

En effet, même en prenant comme référence l’année 2016, le coût des contrats aidés est presque 9 fois moindre que la charge que représente pour le budget de l’Etat, en 2016, les exonérations de charges sociales consenties aux entreprises qui s’élèvent à 36 milliards d’euros.

En effet, le CICE (crédit impôt compétitivité pour les entreprises [14]) créé en 2013 par le président François HOLLANDE [15] et les dégrèvements de charges sociales obèrent nos finances publiques sans que, pour autant, selon un très sérieux rapport sénatorial [16] de juillet 2016, de telles mesures, CICE notamment, aient relancé l’investissement et donc la création d’emplois.

En 2017, le CICE (crédit impôt compétitivité pour les entreprises) a coûté 22,7 milliards d’euros. Pourtant, le CICE – qui nous coûte tant et ne débouche sur rien en matière d’investissement et de création d’emplois – a été renouvelé en 2018, même si son taux a légèrement baissé (il a été ramené de 7% à 6%).

L’avis d’une institution aussi peu suspecte que la Cour des comptes – avis le plus souvent pris ou non en compte par nos gouvernants selon leur pré-positionnement idéologique – est à cet égard éclairant. Ainsi, dans deux rapports de 2006-2007, la Cour avait souligné que « les nombreux dispositifs d’allégements de charges étaient insuffisamment évalués en dépit de la charge financière croissante qu’ils représentaient pour les finances publiques ». Elle estimait elle-même leur « efficacité trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité ». Mais, surtout, elle mettait l’accent sur le fait que de tels allégements « bénéficiaient pour l’essentiel à des activités tertiaires, notamment la grande distribution, non soumise directement à la concurrence internationale, pour lesquelles ils constituent un véritable effet d’aubaine ».

 Cette politique de baisse des charges sociales fut inaugurée, il y a plus de vingt ans, à l’époque de la 2ème cohabitation (MITTERRAND/BALLADUR), en 1993, par Édouard BALLADUR qui était aux commandes à Matignon… Le nouveau Premier ministre de droite, à peine installé à Matignon, annonça, le 30 mars, que pour la première fois la France connaissait plus de trois millions de chômeurs, c’est à dire 10 % de la population active. Or, selon la thèse dominante des économistes libéraux, la faute en incombait au coût du travail, et plus précisément au SMIC dont on instruisait le procès… Il était considéré par les économistes adeptes du libre-échange comme étant « trop élevé », ce qui dissuadait les entreprises d’embaucher… Ce discours dont la doxa idéologique est évidente détermina, en juillet 1993, le gouvernement BALLADUR à décréter l’exonération totale des cotisations sociales famille sur les salaires au voisinage du SMIC. Il donna ainsi le signal de la mise en œuvre d’une politique qui ne cessa de prendre de l’ampleur. D’année en année, les mesures s’enchaînèrent. Ainsi, en 1995, ce fut l’allégement des cotisations maladie (qui obéra en même temps le budget de la sécurité sociale) ; en 1996, le gouvernement JUPPÉ fusionna ces deux premiers dispositifs en une seule « ristourne bas salaires ». La baisse du coût du travail atteignit alors plus de 12 % au niveau du SMIC.

À partir de 1998-2000, sous le Gouvernement JOSPIN (3ème cohabitation), vinrent les « aides AUBRY » qui s’ajoutèrent aux précédentes mesures : des allégements de cotisations furent accordés aux entreprises concluant des accords de passage aux 35 heures. En 2003-2005, François FILLON paracheva l’édifice exonératoire entrepreneurial avec un dispositif unique, compensant la hausse du SMIC entraînée par la RTT. Pas moins de 10  millions de salariés furent désormais porteurs d’exonérations sur les bas salaires pour les entreprises, ce qui abaissa le coût du travail de 18 % au niveau du salaire minimum, les allégements allant ensuite décroissant jusqu’à 1,6 SMIC entraînée par la RTT.

L’on peut donc, à bon droit, se demander si ce sont les mesures en faveur de l’emploi, telles que les contrats aidés, qui obèrent le budget de l’Etat de dépenses inconsidérées, inutiles voire insupportables – 4 milliards d’euros au maximum – ou si ce sont les 20 à 30 milliards d’euros donnés chaque année en cadeau aux entreprises au titre d’exonérations diverses de charges sociales dont la collectivité nationale ne perçoit par ailleurs nul retour en matière de création d’emplois et de baisse significative du chômage. Si l’on y ajoute le poids de la baisse fiscale en faveur de cette même catégorie d’agents économiques, l’on constate la raréfaction de nos recettes fiscales qui grèvent ensuite lourdement les dépenses nécessaires pour permettre une correcte prise en charge du fonctionnement des services publics et des aides diverses nécessaires au titre de la cohésion sociale.

Conclusion : Pour une nouvelle dimension dynamique, pédagogique et sociale des contrats aidés

Dans les contrats aidés, il nous semblerait opportun qu’ un effort sérieux soit développé pour concilier la dimension pédagogique et sociale de ce type d’emploi. Cela supposerait bien sûr un bilan qualitatif de l’existant. D’ores et déjà atténuer la précarité de leurs bénéficiaires à l’intérieur des contrats aidés est une mesure qui pourrait être salutaire au moins si l’on veut leur permettre de n’avoir pas le sentiment d’être des « clandestins » temporaires afin qu’ils puissent tirer le maximum de profit de l’emploi couvert dans le cadre de leur situation nouvelle.

L’accompagnement que constitue les contrats aidés vers un retour à l’emploi nécessiterait, dans le temps, une durée suffisante de ceux-ci, qui ne devrait jamais être inférieure à 2 ans, voire 3 ans car toute nouvelle expérience professionnelle nécessite un temps d’adaptation, d’acquisition et d’appropriation de nouvelles compétences en même temps qu’une bonne insertion dans le nouvel univers professionnel de la personne qui en bénéficie, ce qui supposerait la désignation d’un référent qualifié au sein de la structure professionnelle concernée qui devrait jouer un rôle de tuteur. La stabilité sociale dans l’emploi est également un paramètre important vers la voie de l’acquisition de nouveaux apprentissages.

Cela existe déjà pour certains types de contrats aidés puisque les emplois d’avenir – qui concernent les secteurs marchands et non marchands – peuvent porter soit sur une durée indéterminée soit sur une durée pouvant aller jusqu’à 3 ans. Il faudrait seulement supprimer ici la durée de 1 an, très insuffisante, pour permettre à la personne de reprendre confiance.

S’agissant des contrats uniques d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI- CAE), leur durée peut varier de 6 mois à 2 ans, voire 5 ans pour les plus de 50 ans. Il faudrait rendre obligatoire la durée minimale de 2 ans car une durée de 6 mois ou inférieure à 2 ans est vraiment pédagogiquement et socialement trop brève.

Le fait d’être dans une situation de grande vulnérabilité, dans le cas de contrats à durée très courte, fragilise la personne dans son apprentissage du métier.

Ce ne sont là que quelques brèves considérations, loin d’être exhaustives, qui mériteraient une plus ample réflexion tant le sujet est complexe et sensible. Mais il nous paraît, en tout cas, qu’au lieu du dénigrement systématique et injustifié dont font l’objet les « contrats aidés », l’on pourrait leur apporter de nombreuses améliorations qualitatives si l’on voulait faire de ceux-ci des instruments encore plus qualifiants tournés vers l’accès à un emploi durable.

L’exercice du pouvoir n’est jamais neutre…

JUPITER gouverne et choisit les catégories économiques et sociales au profit desquelles il gouverne… L’épilogue des contrats aidés rattachés au budget de 2017 et le projet de loi de finances de 2018 sont à cet égard éclairants…


L’on donne plus à ceux qui ont déjà beaucoup… « Les premiers de cordée »

Et l’on prend à ceux qui ont le moins et qui souvent n’avaient rien que ce qu’on leur a pris et qu’on envisage en 2018 de continuer à leur prendre…

 

 

 

 

Louis SAISI

Paris, le 20 octobre 2017

NOTES

[1] Direction de l’Animation, de la Recherche, des Études et de la Statistique du Ministère du Travail

[2] Pour un emploi d’avenir non marchand, la prise en charge de l’État atteint par exemple 75 % du SMIC horaire.

[3] Les TUC (= travaux d’utilité collective) n’existent plus aujourd’hui mais ont été remplacés par d’autres formes de contrats génériquement dits « aidés ».

[4] Rappelons que le CAC est né en 2010 d’une lutte originelle contre l’assimilation des associations françaises de la loi de 1901 aux entreprises, ce qui se traduisit notamment par le dépôt d’un recours en Conseil d’Etat contre la « Circulaire Fillon » qui tendait à assimiler les associations à des entreprises lucratives classiques. Depuis ce combat inaugural, le Collectif développe une analyse montrant la contribution fondamentale et irremplaçable des associations à l’intérêt général et s’efforce de comprendre les difficultés qu’elles rencontrent.

[5] En fait, l’on peut même retenir le chiffre de 170 000 si l’on prend comme référence les chiffres 2016 de la DARES.

[6] Chaque année, le projet de loi de finances (PLF) est présenté par le Gouvernement à l’automne (celui de 2018 est en cours de discussion à l’Assemblée nationale actuellement). Ce PLF prend la forme d’un document unique qui rassemble l’ensemble des recettes et des dépenses de l’État pour l’année à venir. Ce projet de loi propose le montant, la nature et l’affectation des ressources et des charges de l’État selon un équilibre économique et financier déterminé. Mais il arrive de plus en plus, pour de multiples raisons (que nous avons analysées sur ce site, que le montant des dépenses publiques soit supérieur à celui des recettes, et l’on parle alors de déficit budgétaire qui se mesure par rapport au PIB (= produit intérieur brut). Dans le PLF de 2018, le Gouvernement s’est fixé l’objectif d’un déficit public à hauteur de 2,6% du PIB à l’issue de l’exécution de la loi de finances (fin 2018). Le PLF émane obligatoirement du Gouvernement et est soumis à une procédure parlementaire particulière.

[7] Chiffres de la DARES.

[8] Qui n’a pas été rendue publique, mais évoquée par Laurent JEANNEAU le 23 août 2017  dans son article « Le mauvais procès fait aux contrats aidés ».

[9] DARES analyses : Les contrats aidés : quels objectifs ? Quel bilan ?, mars 2017, N° 021, Extrait du Tableau 1 : « Caractéristiques des nouveaux bénéficiaires des contrats aidés en 2015 ».

[10] Ibid.

[11] Cf. son article précité.

[12] Ibid, DARES analyses : Les contrats aidés : quels objectifs ? Quel bilan ?

[13] Cf. Laurent JEANNEAU, article précité.

[14] Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est un avantage fiscal qui concerne les entreprises employant des salariés et équivaut à une baisse de leurs cotisations sociales. Le CICE s’impute en priorité sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’année au cours de laquelle les rémunérations prises en compte pour le calcul du CICE ont été versées. Il peut ensuite être imputé sur les 3 années suivantes. Il est restitué au-delà de ce délai.

[15] Création du CICE en 2013, puis mise en œuvre du Pacte de responsabilité en 2015.

[16] Rapport de Mme Marie-France BEAUFILS : « Le rendez-vous manqué de la compétitivité », Sénat, 19 juillet 2016.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Contenu protégé !