« Atmosphère, atmosphère »…, le Conseil d’Etat juge de l’atmosphère : la pollution et les directives européennes
par Louis SAISI
Ci-contre, à gauche :
En haut, Michèle MORGAN/Jean GABIN
dans Quai des brumes
Au-dessous, Louis JOUVET/ARLETTY
dans Hôtel du Nord
(Illustration du livre d’Olivier BARROT
et Raymond CHIRAT)
« Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? « … L’on se souvient de cette fameuse réplique d’Arletty dans le célèbre film Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938). L’intonation particulière que l’actrice donna à cette phrase révéla la gouaille parisienne qui devait s’implanter durablement dans la culture populaire. En même temps, rien ne donnait à penser que cette indifférence à l’atmosphère dans la bouche d’Arletty se transformerait, de nos jours, en un souci de la défense de la pureté de l’atmosphère qui, de surcroît, allait se répandre avec une telle force dans nos sociétés post-industrielles au point de devenir, aujourd’hui, une préoccupation majeure du Conseil d’Etat.
Pardon pour cette irrévérence, mais, à partir de 2017, le Conseil d’Etat aurait-il adopté, contrairement à Arletty, une gueule d’atmosphère – au risque de faire sursauter la piquante actrice elle-même -, notamment à la faveur de l’arrêt du 19 novembre 2014 de la Cour de Justice de l’Union européenne étendant la gamme de ses pouvoirs d’injonction qu’il tenait déjà, en France, d’une série de lois ayant un objet spécifique : loi N° 80-539 du 16 juillet 1880 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public ; loi N° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ; loi du 30 juin 2000 relative aux référés devant les juridictions administratives.
Ainsi dans deux arrêts du 12 juillet 2017 (Annexe I) et du 10 juillet 2020 (Annexe II) – qui sont liés car ils concernent le même problème de l’application des dispositions de l’annexe XI de la directive n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe – la Haute juridiction administrative française constate le non-respect de normes européennes en matière de pollution de l’air et les sanctionne.
En effet, l’arrêt de 2020 du Conseil d’Etat est la suite de son arrêt de 2017 car la même association requérante – « Les Amis de la Terre-France » – dénonce et conteste devant le juge administratif, mais cette fois avec d’autres associations de défense de l’environnement, la persistance du dépassement des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote.
En matière d’écologie, en France, les directives européennes sont transposées dans le Code de l’environnement.
De telles directives touchant à la qualité de notre environnement s’intègrent toutefois dans la problématique plus générale de la transposition des directives européennes dans le droit français, ce qui pose le problème de la valeur du droit international et conventionnel par rapport aux normes juridiques françaises émanant de nos instances nationales qu’il convient de rappeler (I) avant d’aborder le contenu des deux décisions précitées du Conseil d’Etat (II).
I/ Des directives européennes en général et de leur transposition dans le droit français
Le droit de l’Union européenne et sa supériorité sur notre droit national (B) baigne lui-même dans le contexte plus large de la place des traités internationaux dans nos institutions dont il faut dire un mot au préalable (A).
A/ De la place des traités internationaux dans nos institutions
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le nombre des traités internationaux s’est considérablement accru et leur objet s’est diversifié. Aux classiques traités de paix ou de commerce se sont ajoutées des conventions portant sur des sujets de plus en plus variés. En moyenne de 4 par an, avant la première guerre mondiale, entre 1881 et 1918, le nombre de traités conclus par la France est passé à 14 entre 1919 et jusqu’en 1939. Entre 1945 et 1959, leur nombre passe à 80, puis à 145 entre 1960 et 1979, puis 175 entre 1980 à 1989. Il s’est aujourd’hui stabilisé autour de 120 à 150.
La multiplication des traités eut un impact sur une nouvelle définition de la hiérarchie des normes inscrites dans les textes constitutionnels qui, à partir de la constitution du 27 octobre 1946 [1], et plus encore avec celle du 4 octobre 1958, firent le choix d’une conception moniste du droit, dans laquelle les traités internationaux étaient naturellement appelés à s’intégrer dans l’ordre interne, mais avec une autorité supérieure à celle des lois.
Cette situation était la conséquence, après les ravages dévastateurs de la barbarie nazie issue du second conflit mondial, de l’urgente nécessité de reconstruire un droit international de paix assis sur la supériorité du droit international sur les droits nationaux.
1/ Les textes constitutionnels français du 20ème siècle
Déjà, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, était fait référence aux « règles du droit international public » auxquelles la France manifestait sa volonté de se conformer, ainsi qu’aux « limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ». Mais, de manière encore plus explicite, le titre IV de la Constitution intitulé « Des traités diplomatiques », dans ses trois articles 26, 27, 28 introduisait dans notre droit, traditionnellement érigé sur le principe rousseauiste de la souveraineté de la loi, une innovation très profonde. En effet, le premier de ces articles conférait aux « traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés… force de loi, même dans le cas où ils seraient contraires à des lois françaises, sans qu’il soit besoin pour en assurer l’application d’autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer leur ratification » (article 26).
Environ une loi sur deux a pour objet d’autoriser la ratification d’une convention internationale. Le principe de la ratification d’un certain nombre de traités importants – comme ceux relatifs à l’organisation internationale, les traités de paix, de commerce, les traités engageant les finances de l’Etat, les traités relatifs à l’état des personnes et au droit de propriété des Français à l’étranger, les traités modifiant des lois internes françaises, les traités comportant cession, échange, adjonction de territoire – par le biais d’une loi était énoncé par l’article 27 suivant. Enfin, l’article 28 allait encore plus loin puisqu’il énonçait le principe de supériorité des traités diplomatiques sur les lois internes, leur caducité ne pouvant résulter que d’une dénonciation régulière par voie diplomatique. En effet, à partir de la Constitution de 1946, le droit français n’était plus considéré comme indépendant du droit international (conception dualiste) ; tous les deux forment un ordre juridique uniforme (conception moniste). Et, aujourd’hui, l’article 55 de la Constitution de 1958 reconnaît aux “traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés […] une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie”.
2/ Critiques du monisme juridique favorable aux Traités
Il nous semble que la solution constitutionnelle adoptée en 1946 – même si le traité restait encore comparé à la loi – et encore davantage affirmée en 1958 – le traité devient supérieur à la loi – est discutable car trop radicale au détriment de la Loi alors qu’une autre voie de compromis entre le Traité et la Loi aurait pu être trouvée. Ainsi lorsque deux lois sont contraires, c’est la manifestation de la volonté la plus récente du législateur qui prévaut. Or la forme d’adoption d’un traité nécessite le plus souvent l’intervention d’une loi autorisant sa ratification. En effet, s’il incombe au Président de la République de négocier et ratifier les traités (art. 52 de la Constitution), la ratification ou l’approbation, selon le cas, des engagements internationaux doit être autorisée par une loi (art. 53 de la Constitution). La procédure relative à l’intervention du Parlement pour les Traités devant être ratifiés ou approuvés est calquée sur la procédure législative ordinaire, avec néanmoins des restrictions de faits ou de droit à l’initiative parlementaire justifiées par la nature même de ce type de lois. Par ailleurs, il s’agit d’une autorisation dont le gouvernement et le Président de la République ne sont pas tenus d’user lorsqu’ils l’ont obtenue.
Le texte soumis au vote du Parlement est le projet de loi tendant à autoriser la ratification et non le dispositif du traité ou de l’accord lui-même. Le droit d’amendement des parlementaires – comme celui du gouvernement – est quasiment inexistant : il n’est pas possible d’amender le texte du traité ou de l’accord.
C’est dire que la supériorité d’un traité, notamment sur une loi qui lui est postérieure ne va jamais de soi (voir la solution allemande, cf. infra I/B/2) – même si le Conseil d’Etat a fini par l’admettre dans son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 – car elle est contraire au principe démocratique qui veut qu’un texte d’aujourd’hui puisse venir modifier un texte de même force d’hier. De même, nous semble-t-il, sa supériorité sur une loi antérieure ne va pas de soi car au moment de la saisine du Parlement, l’on pourrait très bien concevoir que dans l’exposé des motifs du projet de loi sollicitant l’autorisation de ratification il soit bien précisé que le Traité est contraire aux dispositions d’une loi antérieure pour bien attirer l’attention des parlementaires sur cet aspect des choses car, déjà, les parlementaires, on l’a vu, sont dépossédés du contenu d’un traité sur lequel ils n’ont pas de prise. Dès lors, puisque ce sont les parlementaires qui ont élaboré la loi à laquelle le traité contrevient, ne pourrait-on envisager qu’un traité contraire à une loi soit assujetti à une procédure particulière exigeant une majorité qualifiée pour l’adoption de la loi d’autorisation de l’Exécutif pour le ratifier? En effet, un Traité est un acte de l’Exécutif dans sa négociation et la détermination de son contenu. Or c’est le seul acte de l’Exécutif qui est supérieur à la loi dès lors qu’il touche aux liens avec d’autres puissances internationales.
3/ L’érection de l’Exécutif en législateur en cas de traité contraire à une loi
Malgré sa dimension bilatérale ou multilatérale sur la scène internationale, comme il vient d’être dit, le Traité est un acte de l’Exécutif car son contenu dépend exclusivement de lui, de même que les conditions de sa négociation. Certes, cela peut se comprendre au nom de la paix internationale et des échanges inter-étatiques mais il reste que dans le cas où le traité est contraire à une loi cela aboutit à faire de l’Exécutif un législateur de fait pouvant abroger implicitement une loi par le biais d’un Traité. Or l’Exécutif n’est pas législateur et ne saurait se substituer au Parlement qui vote seul la loi. C’est dire que seul le Parlement qui tient de la Constitution le pouvoir de faire la loi est normalement habilité à la défaire. Dès lors, défaire une loi au moyen d’un Traité international doit impliquer l’accord très explicite et très largement majoritaire du Parlement qui doit être parfaitement conscient de ce qu’il fait par rapport à ce qu’il a déjà fait. Or, comme le Parlement ne peut amender le contenu du Traité sans le modifier, ce qui se conçoit car il romprait ainsi l’accord de la France avec d’autres puissances internationales, cette impossibilité devrait au moins être compensée, en cas de contrariété du Traité avec une loi, par la nécessité d’une autorisation de ratification donnée dans une forme plus solennelle que pour le vote de la loi ordinaire (comme c’est le cas aujourd’hui). Dans ce cas de figure la Constitution mériterait d’être révisée en exigeant, par exemple, une majorité qualifiée pour le vote de la loi portant autorisation de ratification ou d’approbation d’un Traité contraire à une loi qui avait déjà été adoptée.
B/ La supériorité du droit de l’Union sur le droit national s’impose-t-elle toujours ?
1/ La supériorité, en France, du droit de l’Union européenne et les exceptions limitées par la notion d’ordre public
Ce n’est que progressivement que le principe de la supériorité du droit de l’Union européenne sur notre droit national a été adopté tant il est contraire au principe de la souveraineté de la loi, expression de la volonté générale hérité de 1789, bien qu’aujourd’hui, même au sein de notre droit interne, ce principe ne soit plus aussi absolu avec le contrôle de la constitutionnalité des lois opéré par le Conseil constitutionnel.
a) Le principe
En France, qu’on l’approuve ou le critique, le principe de la supériorité du droit de l’Union européenne sur notre droit national (même à une loi postérieure) a été reconnu par nos plus Hautes juridictions civile (Cour de cassation) et administrative (Conseil d’Etat).
Ainsi, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, devenue, en 2009, la CJUE : Cour de justice de l’Union européenne), à travers l’arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, considérait que le droit communautaire constituait un nouvel ordre juridique et devait s’imposer à celui des États membres. En France, la Cour de cassation avait déjà adopté ce même raisonnement, depuis l’arrêt Société des Cafés Jacques Vabre du 24 mai 1975. En revanche, le Conseil d’État était plus réticent à formuler cette supériorité du droit communautaire sur une loi française postérieure, même s’il l’a enfin admis, comme il a été dit, dans son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 précité.
La jurisprudence ultérieure du Conseil d’Etat a étendu le bénéfice du régime de l’article 55 de la Constitution aux actes de droit communautaire dérivé : la Haute juridiction administrative accepte, le cas échéant, de faire prévaloir règlements (24 septembre 1990, B…, n°58657) et directives (Assemblée. 28 février 1992, S.A. Rothmans International France et S.A. Philip Morris France) sur les lois nationales incompatibles avec ces derniers.
La pleine supériorité des traités sur les lois est donc depuis lors reconnue et contrôlée par l’ensemble des juridictions, judiciaires et administratives [2]. Au-delà de la hiérarchie des normes, le rôle du juge par rapport à la loi s’est trouvé modifié en profondeur. Le juge, qui ne pouvait, selon la conception légicentriste héritée de la Révolution française, qu’appliquer la loi, s’est vu reconnaître la compétence de s’assurer de sa validité au regard du droit international et le pouvoir, en cas de contrariété avec celui-ci, d’en paralyser l’application. Est ainsi apparu le « contrôle de conventionnalité » qui a transformé les rapports du juge et de la loi.
b) Les exceptions
Seules des exigences d’ordre public peuvent, dans des cas exceptionnels, conduire à ce qu’un traité ne fasse pas obstacle à l’application de la loi qui lui serait contraire. Après l’abolition de la peine de mort en France, le Conseil d’Etat a ainsi jugé qu’en vertu de l’ordre public français, l’extradition d’un étranger vers un pays qui pratique la peine de mort n’est possible, quels que soient les termes des conventions d’extradition, que si des assurances crédibles sont données qu’une sentence de mort, si elle est prononcée par le juge d’un autre pays, ne sera pas mise en application (27 février 1987, Fidan ; 15 octobre 1993, Mme Aylor). Dans le même esprit, après l’adoption de la loi du 17 mai 2013 relative au mariage entre personnes de même sexe, la Cour de cassation a jugé qu’une convention franco-marocaine ne pouvait, sans méconnaître l’ordre public français, faire obstacle au mariage entre un Français et un Marocain (Cass, 28 janvier 2015).
2/ Les résistances des droits nationaux dans certains États européens
La France est souvent réputée cocardière, alors que certains Etats de l’Union européenne sont parfois davantage attachés à leur droit national qu’elle ne l’a montré elle-même depuis 1989. Et, au sein de l’Union européenne, aujourd’hui, point n’est besoin d’aller les chercher du côté des Etats de l’ancien bloc de l’Est ayant rejoint plus tardivement l’Union européenne, à l’instar de la Tchéquie ou de la Pologne (dont on connaît les tensions actuelles avec l’Union européenne quant au respect de l’Etat de droit). En effet, d’autres Etats de l’Union européenne – et non des moindres -, jaloux de leur souveraineté, appartiennent, quant à eux, aux Etats réputés libéraux de l’ancien bloc de l’Ouest.
Il appert que si le droit français, sous la seule réserve de l’ordre public, affirme nettement la supériorité des traités sur les lois, il n’en va pas de même chez certains de nos voisins européens qui sont plus radicaux. Ces États européens font, en général, la distinction entre les règles du droit international public et le droit conventionnel (règles nées de conventions).
Ci-dessous, la Cour de Karlsruhe
Ainsi la Cour de KARLSRUHE déduit-elle de la formulation de l’article 25 de la loi fondamentale allemande [3] la supériorité sur la loi fédérale des seules règles générales du droit international, au nombre desquelles elle range la coutume internationale. Pour les stipulations des conventions internationales, en revanche, le juge allemand a seulement l’obligation de rechercher une interprétation de la loi qui leur soit conforme. Mais si l’effort d’interprétation n’aboutit pas, la loi fédérale postérieure à la convention internationale – donc plus récente – l’emporte. La Cour de KARLSRUHE l’a récemment réaffirmé (15 décembre 2015, décision 2, Bvl 1/12) [4].
Même avant le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, avec l’adoption du Human Rights Act de 1998, le juge britannique devait s’efforcer de donner à la loi anglaise une interprétation compatible avec la convention européenne des droits de l’homme et, en cas d’impossibilité d’y parvenir, appeler l’attention du Parlement sur la contradiction qu’il n’avait pu surmonter. C’est dire que les tensions entre la loi anglaise et le droit européen en général étaient nombreuses et les ignorer serait méconnaître tous les nombreux conflits entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ayant conduit le 29 mars 2017 au Brexit. En effet, c’est à cette date que la Première ministre Theresa MAY informa le Conseil européen du souhait du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne, lançant formellement la procédure de retrait. Il y a lieu de rappeler que la dénonciation du traité sur l’Union européenne avait été repoussée quatre fois par le Parlement britannique, pour finalement être décidée par 51,9 % des citoyens britanniques par le référendum du , initié par le Premier ministre britannique David CAMERON, alors en place.
C/ Les effets des directives européennes
Dès lors que les directives européennes ne sont pas d’application immédiate, elles doivent être transposées dans les droits internes des États membres de l’Union européenne. En France, elles le sont par des lois et règlements selon les matières – législatives (article 34 C) ou réglementaires (article 37 C) au regard des dispositions constitutionnelles de notre droit – qu’elles régissent.
1/ La nécessité préalable de leur transposition dans le droit interne
Pour les transpositions, les directives de l’Union européenne ne lient les États membres qu’en ce qui concerne les résultats à atteindre, mais les laissent libres de choisir les moyens d’y parvenir. L’administration française doit alors déterminer si le droit national est déjà conforme à la directive, et dans la négative, s’il convient de modifier le droit interne par la loi ou le règlement. Le Secrétariat général du gouvernement (SGG) et le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) centralisent le processus de transposition. Le Conseil d’État joue aussi un rôle essentiel, en distinguant ce qui, dans la directive, relève du domaine de la loi ou du règlement en application, comme il a été dit, des articles 34 et 37 de la Constitution du 4 octobre 1958.
2/ La jurisprudence Cohn-Bendit (1978)
Dans cette décision du 22 décembre 1978, Ministre de l’Intérieur c/ Cohn-Bendit, le Conseil d’État avait considéré qu’il n’était pas possible pour un justiciable d’invoquer, à l’appui d’un recours contre un acte administratif individuel, le bénéfice des dispositions d’une directive non transposée dans le droit français et dont le délai de transposition était expiré.
D/ L’autonomie des directives européennes et leur validité
Depuis l’arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat, du 30 octobre 2009, Mme Perreux, n° 298348 (2009), les justiciables sont en mesure de se prévaloir, directement et à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions d’une directive non transposée (dispositions précises et inconditionnelles), lorsque le délai de transposition est expiré.
1/Les faits de l’espèce et le problème de droit
La requérante, Mme Perreux, était magistrate et avait contesté devant le Conseil d’État le refus du Ministre de la Justice de la nommer à un poste pour lequel elle avait postulé.
Mme Perreux avait alors estimé qu’elle était victime d’une discrimination dans la mesure où elle appartenait à un syndicat. Comme le rapporte le Conseil d’État, la requérante avait considéré qu’elle pouvait bénéficier de règles relatives à la charge de la preuve fixées à l’article 10 d’une directive (2000/78/CE datant du 27/11/2000) portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
Néanmoins, lorsque le Ministre de la Justice avait adopté ladite décision attaquée par la dame Perreux, la directive en cause n’avait pas encore été transposée en droit français et le délai pour y procéder était pour sa part expiré.
Le problème de droit ainsi posé à l’occasion de cet arrêt était celui de savoir s’il est possible pour un requérant, à l’occasion d’un recours contre une décision individuelle, de se prévaloir d’une directive non encore transposée et alors que le délai de transposition était expiré.
Sur le fond, dans l’affaire PERREUX, le Conseil d’Etat n’avait pas retenu l’existence de la discrimination alléguée par la requérante.
2/ La décision Perreux en 2009 et l’abandon de la jurisprudence Cohn-Bendit
Dans l’affaire Perreux qui opposait, comme on l’a vu ci-dessus, la magistrate au Ministre de la justice, par une décision du 30 octobre 2009, le Conseil d’État est revenu sur sa jurisprudence Cohn-Bendit dans laquelle il avait considéré qu’il n’était pas possible pour un justiciable d’invoquer, à l’appui d’un recours contre un acte administratif individuel, le bénéfice des dispositions d’une directive européenne non transposée et dont le délai de transposition était expiré.
Néanmoins, à l’occasion de cette décision Perreux, le Conseil d’État a précisément procédé à l’élaboration des différentes conditions dans lesquelles il est possible d’invoquer une directive devant le juge administratif.
En effet, l’invocabilité des directives communautaires devant le juge administratif a pour fondement les principes de valeur conventionnelle et constitutionnelle. Ainsi, l’obligation faite aux États membres de transposer dans leur droit interne les directives communautaires est une obligation qui résulte non seulement du Traité de Rome, mais aussi, en France, des dispositions de l’article 88-1 de la Constitution.
En l’espèce, concernant les actes administratifs non réglementaires, le Conseil d’État abandonne la solution retenue à l’occasion de la jurisprudence Cohn-Bendit de 1978. Par conséquent, il est possible pour les justiciables de se prévaloir des dispositions d’une directive non transposée, à l’appui d’un recours dirigé contre de tels actes administratifs non réglementaires. Sur le fond, dans l’affaire PERREUX, le Conseil d’Etat n’a pas retenu l’existence d’une discrimination.
Toutefois, cela n’est en réalité possible que lorsque le délai de transposition est expiré, et lorsque les dispositions invoquées sont à la fois précises et inconditionnelles. Le Conseil d’État a, à l’occasion de cette décision, repris une jurisprudence rendue par la Cour de justice des Communautés européennes en date du 5 avril 1979, Ratti.
En l’occurrence, pour la France, la transposition de la directive européenne du 21 mai 2008 dans le droit français avait bien été opérée.
Ainsi les articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement – fixant les valeurs limites de concentrations à ne pas dépasser en particules fines et en dioxyde d’azote – avaient bien transposé les exigences prévues par l’article 13 de la directive du 21 mai 2008 précitée.
II/ Les arrêts du Conseil d’Etat de 2017 et 2020
A/ Premier arrêt : CE N° 394254 du 12 juillet 2017 LES AMIS DE LA TERRE-FRANCE (voir Annexe I)
La directive n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernait la « qualité de l’air ambiant et un air pur en Europe ». Transposée, en France, dans le code de l’environnement, elle lui imposait de surveiller la qualité de l’air ambiant et fixait des valeurs limites en matière de concentration de polluants, notamment de dioxyde d’azote et de particules fines PM10, à ne pas dépasser.
Cette même directive prévoyait qu’en cas de dépassement de ces valeurs limites dans une zone donnée, des plans relatifs à la qualité de l’air devaient être mis en œuvre par les autorités publiques pour que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible. En France, ces plans relatifs à la qualité de l’air prirent notamment la forme de « plans de protection de l’atmosphère » élaborés par les préfets concernés, mais d’autres mesures, telles que des mesures fiscales ou des normes d’émissions pouvaient également être édictées.
A l’été 2015, l’association Les amis de la Terre saisissait le Président de la République, le Premier ministre et les ministres chargés de l’environnement et de la santé pour que soit prise toute mesure utile pour ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 en dessous des valeurs limites et que soient élaborés des plans relatifs à la qualité de l’air permettant d’atteindre cet objectif.
Ces demandes ayant été implicitement rejetées, l’association précitée demanda alors au Conseil d’État d’annuler ces décisions de refus, mais aussi d’enjoindre au Gouvernement de réviser les plans de protection de l’atmosphère existants et, plus largement, de prendre toute mesure utile afin d’assurer le respect des valeurs limites fixées par la directive.
1/ La portée de la directive européenne
En 2014, dans un arrêt du 19 novembre 2014, ClientEarth C-404/13, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en réponse aux questions préjudicielles de la Supreme Court of the United Kingdom, avait précisé la portée des obligations fixées par la directive n° 2008/50/CE.
Dans cet arrêt, la CJUE avait jugé, d’une part, que la directive ne fixait pas une simple obligation de moyen mais une obligation de résultat et que, en conséquence, le seul fait d’établir un plan relatif à la qualité de l’air conforme à l’article 23 de la directive était en soi insuffisant pour permettre de considérer qu’un Etat avait satisfait aux obligations de l’article 13, c’est-à-dire au respect des valeurs limites de concentration de polluants dans l’atmosphère.
D’autre part, elle indiquait que lorsqu’un Etat membre n’avait pas assuré le respect de ces valeurs limites, il appartenait à la juridiction nationale compétente, éventuellement saisie, de prendre, à l’égard de l’autorité nationale, toute mesure nécessaire, telle une injonction, afin que cette autorité établisse le plan exigé par ladite directive dans les conditions que celle-ci prévoit.
2/ La décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 : l’injonction du Conseil d’Etat
Dans sa décision N° 394254 du 12 juillet 2017 (publiée au Recueil Lebon) [5], le Conseil d’Etat – sur saisine par « Les amis de la Terre-France » d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites de rejet [6] du Président de la République, du Premier Ministre et du Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, à la suite du refus opposé par ces mêmes autorités à l’association précitée qui leur avait enjoint de mettre en œuvre toutes les mesures utiles permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe – a considéré que :
a/ Le dépassement des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote
Il constitue, pour les zones concernées, une méconnaissance des dispositions des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement, qui transposent sur ce point les exigences prévues par l’article 13 de la directive du 21 mai 2008 précitée ;
b/ Des plans de protection de l’atmosphère insuffisants
Si des plans de protection de l’atmosphère avaient été adoptés pour les zones incriminées [7] sur le fondement de l’article L. 222-4 du code de l’environnement, et s’ils peuvent être considérés comme des plans relatifs à la qualité de l’air prévus par l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, ils doivent être regardés, toutefois – eu égard à la persistance des dépassements observés au cours des trois années précédant les décisions attaquées -, comme des plans insuffisants par rapport à la qualité de l’air pour les zones en cause quant à leurs conditions de mise en œuvre au regard des obligations rappelées aux points 1 et 2, dès lors qu’ils n’ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible ; dès lors, les exigences prévues aux articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l’environnement, qui transposent l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, doivent donc être regardées comme méconnues (annulation des décisions attaquées).
c) La demande d’une injonction de faire
A la demande de la même association requérante, le 12 juillet 2017, le Conseil d’État, conformément à l’arrêt précité ClientEarth de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 novembre 2014, avait également enjoint au Gouvernement d’élaborer et de mettre en œuvre un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener – dans 13 zones du territoire et dans le délai le plus court possible – les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) en dessous des valeurs limites fixées par la directive européenne du 21 mai 2008 transposée dans le code de l’environnement. Le gouvernement était invité à transmettre son Plan à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
B/ Second arrêt du Conseil d’Etat du 10 juillet 2020, N° 428409, ASSOCIATION LES AMIS DE LA TERRE-FRANCE et autres (voir Annexe II)
Cet arrêt fait suite à l’arrêt de du 12 juillet 2017. À côté de l’association « Les amis de la Terre-France », 68 associations de défense de l’environnement ont demandé au Conseil d’État de constater que le Gouvernement n’avait pas mis en œuvre sa décision du 12 juillet 2017 enjoignant au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre la pollution atmosphérique et, en conséquence, de prononcer, une astreinte pour le contraindre à exécuter cette décision.
1/ En 2019, dans 8 zones en France, les mesures prises par l’État sont insuffisantes
Le Conseil d’État, réuni en Assemblée du contentieux (sa formation la plus solennelle), constate d’abord que les valeurs limites de pollution restent dépassées dans 9 zones en 2019 (dernière année pour laquelle le Gouvernement a fourni au Conseil d’Etat des chiffres complets) : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d’azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour le dioxyde d’azote et les particules fines.
Le Conseil d’État relève que le plan élaboré en 2019 pour la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) comporte des mesures précises, détaillées et crédibles pour réduire la pollution de l’air et assurer un respect des valeurs limites d’ici 2022. En revanche, les « feuilles de route » élaborées par le Gouvernement pour les autres zones ne comportent ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs. Enfin, s’agissant de l’Ile-de-France, le Conseil d’État relève que si le plan élaboré en 2018 comporte un ensemble de mesures crédibles, la date de 2025 qu’il retient pour assurer le respect des valeurs limites est, eu égard aux justifications apportées par le Gouvernement, trop éloignée dans le temps pour pouvoir être regardée comme assurant une correcte exécution de la décision de 2017.
Le Conseil d’État en déduit que, hormis pour la vallée de l’Arve, l’État n’a pas pris des mesures suffisantes dans les 8 zones encore en dépassement pour que sa décision de juillet 2017 puisse être regardée comme pleinement exécutée.
2/ La condamnation de l’Etat à une astreinte considérable
En conséquence du manquement de l’Etat à ses obligations, la plus haute juridiction administrative décide d’infliger à l’État une astreinte de 10 M€ par semestre tant qu’il n’aura pas pris les mesures qui lui ont été ordonnées.
Afin d’exercer sur l’État une contrainte suffisante, le Conseil d’État décide de lui infliger une astreinte si celui-ci ne justifie pas avoir pris d’ici six mois les mesures demandées.
Le Conseil d’État fixe cette astreinte à 10 millions d’euros par semestre (soit plus de 55 555 euros par jour), compte tenu du délai écoulé depuis sa première décision, de l’importance du respect du droit de l’Union européenne, de la gravité des conséquences en matière de santé publique et de l’urgence particulière qui en résulte.
Il juge pour la première fois que, si l’État ne prenait pas les mesures nécessaires dans le délai imparti, cette somme pourrait être versée non seulement aux associations requérantes mais aussi à des personnes publiques disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec la qualité de l’air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d’intérêt général dans ce domaine.
Il précise enfin que ce montant pourra être révisé par la suite, y compris à la hausse, si la décision de 2017 n’a toujours pas été pleinement exécutée.
CONCLUSIONS :
1/ Un problème de santé publique
Comme le relève le Conseil d’Etat la pollution atmosphérique est un problème de santé publique. En effet, il n’est guère contestable que selon les modes de calcul adoptés, la pollution de l’air serait à l’origine, chaque année, en France, de 48 000 à 67 000 décès prématurés.
2/ Un manquement de l’Etat à ses obligations conventionnelles au niveau européen
Après leur arrêt du 12 juillet 2017, les magistrats du Conseil d’Etat notent également que les « feuilles de route » transmises par le gouvernement à la Commission européenne en avril 2018 ne comportent « aucune estimation de l’amélioration de la qualité de l’air qui en est escompté, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de ces objectifs », contrairement aux obligations résultant de la réglementation européenne. Or par une décision du 24 octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne a condamné la France pour avoir dépassé “de manière systématique et persistante” la valeur limite annuelle fixée pour le dioxyde d’azote (NO2) depuis le 1er janvier 2010, violant de ce fait la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 relative à la qualité de l’air ambiant.
3/ Le montant de l’astreinte à laquelle le Conseil d’Etat a condamné l’Etat est une décision historique
Dans la seconde affaire jugée le 10 juillet 2020, les associations requérantes demandaient au Conseil d’Etat de prononcer à l’encontre de l’Etat, s’il ne justifiait pas avoir pris les mesures de nature à assurer l’exécution de la décision n° 394254 du 12 juillet 2017 dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 100 000 euros par jour de retard. La condamnation prononcée par le juge administratif est moins sévère que celle demandée par les associations de défense de l’environnement car le taux de cette astreinte est fixé à 10 millions d’euros par semestre. Et le délai d’exécution de l’astreinte est également moins sévère que celui exigé par les associations requérantes puisqu’il part à compter de l’expiration du délai de six mois suivant la notification de la présente décision. Il n’en demeure pas moins vrai qu’en prononçant contre l’Etat une astreinte de 10 millions d’euros (correspondant à plus de 55 555 euros par jour) – qui pourra être révisée à la hausse si la décision de 2017 n’a toujours pas été pleinement exécutée -, le Conseil d’Etat sanctionne l’inertie du Gouvernement ou l’insuffisance des mesures prises dans la lutte contre la pollution atmosphérique en relevant « la gravité des conséquences en matière de santé publique » et en invoquant « l’urgence particulière qui en découle » en soulignant le délai écoulé depuis sa première décision de 2017. C’est la première fois qu’une astreinte d’un tel montant n’ait jamais été requise par une juridiction administrative française à l’encontre de l’État pour le contraindre à exécuter une décision prise par le juge administratif. Cette décision a pu être qualifiée dans la presse de « décision historique ».
4/ Le juge administratif auxiliaire des associations de défense de l’environnement
Ces associations, malgré leur ardente protestation et leur militantisme, étaient jusqu’alors démunies face au pouvoir politique pour l’inciter à respecter ses engagements résultant du niveau européen comme ceux de la COP21. L’existence de normes prescriptives et obligatoires dans leur exécution émanant des institutions européennes quant au seuil de pollutions à ne pas dépasser permet désormais aux associations de défense de l’environnement d’invoquer le non-respect de telles normes ou l’insuffisante implication de l’Etat pour traduire en actes et dans un délai raisonnable toute l’étendue de ses obligations en la matière.
Mais cette posture offensive du Conseil d’Etat n’a été rendue possible qu’à la suite de la décision de la Cour de justice européenne du 19 novembre 2014, ClientEarth permettant aux juridictions nationales d’adresser à leur autorité nationale (Etat) une injonction d’avoir à respecter les valeurs limites fixées par la directive européenne n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe.
Louis SAISI
Paris, le 11 octobre 2020
NOTES
[1] NIBOYET (Jean-Paulin NIBOYET) : « La récente constitution française et le droit international » (communication de M. NIBOYET) : Travaux du Comité français de droit international privé Année 1951 8-9 pp. 17-46 (Séance du 31 janvier 1947).
[2] Jean-Marc SAUVÉ, Vice-président du Conseil d’État : « Le Conseil d’Etat et le droit européen et international », Université de Tokyo, mercredi 26 octobre 2016 ; Bernard STIRN : « Le Conseil d’Etat et le droit international » (25 mai 2018). Intervention de Bernard STIRN, conseiller d’Etat, professeur associé à Sciences Po, lors du Colloque sur l’internationalisation du droit administratif, au Centre de droit public comparé de l’université Paris II Panthéon-Assas (24, 25 et 26 mai 2018). Voir aussi Bernard STIRN « Le Conseil d’Etat et l’ordre juridique européen », discours de Bernard STIRN, président de la section du contentieux du Conseil d’État, lors du colloque portant sur « L’européanisation du droit : quelle influence de l’Union européenne sur le droit français ? » le 9 octobre 2014, à Grenoble.
[3] Article 25 [Droit international public et droit fédéral] :
« Les règles générales du droit international public font partie du droit fédéral. Elles sont supérieures aux lois et créent directement des droits et des obligations pour les habitants du territoire fédéral. » (Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, Version mise à jour : novembre 2012).
[4] Cf. Revue internationale de droit comparé, 2016, n°2, p. 550-552 (cf. Bijus, service de la Chaire de droit public du Centre juridique franco-allemand, Cour constitutionnelle fédérale, 15 décembre 2015, décision 2 BvL 1/12).
[5] Cf. cette décision, Annexe I.
[6] Décision implicite de rejet résultant du silence gardé par l’administration pendant 2 mois à la suite de la contestation de son attitude par un requérant estimant subir un tort ou un dommage du fait de son action ou inertie (non application du droit). Ensuite, aux termes mêmes de l’alinéa 1er de l’article R421-2 du code de justice administrative, « Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l’intéressé dispose, pour former un recours, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant l’expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. »
[7] Il s’agit des seize zones administratives de surveillance de la qualité de l’air (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Rouen Haute-Normandie, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, Rennes Bretagne, ZUR Champagne-Ardenne, Nancy Lorraine, Metz Lorraine et Toulouse Midi-Pyrénées) dans lesquelles les valeurs limites en dioxyde d’azote rappelées au point 1 de la décision du Conseil d’Etat ont été dépassées chaque année de 2012 à 2014 ; pour ces mêmes années, les valeurs limites en particules fines PM10 ayant été dépassées dans trois zones (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique).
ANNEXE I : Conseil d’Etat, 12 juillet 2017, N° 394254, ASSOCIATION LES AMIS DE LA TERRE-FRANCE
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 octobre 2015 et 16 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Les Amis de la Terre France demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur sa demande tendant à la mise en œuvre de toutes mesures utiles permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive n° 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ;
2°) d’annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par ces mêmes autorités sur sa demande tendant à l’élaboration d’un ou plusieurs plans relatifs à la qualité de l’air ayant pour objet de définir les mesures appropriées permettant de ramener, dans chacune des zones et agglomérations du territoire national concernées, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette même directive ;
3°) à titre principal, d’enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents d’ordonner, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, la révision de l’ensemble des plans de protection de l’atmosphère non conformes aux exigences fixées par les articles 13 et 23 de la même directive en tant qu’ils ne prévoient pas de ramener les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites aussi rapidement que possible ;
4°) à titre subsidiaire, d’enjoindre au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres compétents d’ordonner toute mesure utile permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées par cette directive ;
5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Cyrille BEAUFILS, auditeur,
– les conclusions de Mme Suzanne VON COESTER, rapporteur public.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 juillet 2017, présentée par le ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire ;
- Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe : » La présente directive établit des mesures visant : / 1) à définir et à fixer des objectifs concernant la qualité de l’air ambiant, afin d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l’environnement dans son ensemble ; (…) » ; qu’aux termes de son article 4 : » Les États membres établissent des zones et des agglomérations sur l’ensemble de leur territoire. L’évaluation de la qualité de l’air et la gestion de la qualité de l’air sont effectuées dans toutes les zones et agglomérations » ; qu’aux termes du paragraphe 1 de son article 13 : » Les États membres veillent à ce que, dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations, les niveaux d’anhydride sulfureux, de PM10, de plomb et de monoxyde de carbone dans l’air ambiant ne dépassent pas les valeurs limites fixées à l’annexe XI. / En ce qui concerne le dioxyde d’azote et le benzène, les valeurs limites indiquées à l’annexe XI ne peuvent pas être dépassées à partir des dates indiquées à ladite annexe. (…) » ; que ces dispositions ont été transposées notamment à l’article L. 221-1 du code de l’environnement, qui prévoit, dans sa rédaction applicable à la date des décisions attaquées, que : » I. – L’Etat assure, avec le concours des collectivités territoriales dans le respect de leur libre administration et des principes de décentralisation, la surveillance de la qualité de l’air et de ses effets sur la santé et sur l’environnement. Un organisme chargé de la coordination technique de la surveillance de la qualité de l’air est désigné par arrêté du ministre chargé de l’environnement. Des normes de qualité de l’air ainsi que des valeurs-guides pour l’air intérieur définies par décret en Conseil d’Etat sont fixées, après avis de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, en conformité avec celles définies par l’Union européenne et, le cas échéant, par l’Organisation mondiale de la santé. Ces normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques » ; que le point 1.1 du II de l’article R. 221-1 du même code, qui reprend les valeurs prévues à l’annexe XI de la directive du 21 mai 2008 précitée, fixe, pour le dioxyde d’azote, les normes de qualité de l’air suivantes : » (…) d) Valeur limite horaire pour la protection de la santé humaine : 200 µg/m³ en moyenne horaire à ne pas dépasser plus de dix-huit fois par année civile, cette valeur limite étant applicable à compter du 1er janvier 2010 ; / e) Valeur limite annuelle pour la protection de la santé humaine : 40 µg/m³ en moyenne annuelle civile, cette valeur étant applicable à compter du 1er janvier 2010 » ; que le point 2.1 du même II fixe, pour les particules fines » PM10 « , les normes suivantes : » (…) d) Valeurs limites pour la protection de la santé : / 50 µg/m³ en moyenne journalière à ne pas dépasser plus de trente-cinq fois par année civile ; / 40 µg/m³ en moyenne annuelle civile » ;
- Considérant, d’autre part, qu’aux termes du 1 de l’article 23 de la directive du 21 mai 2008 précitée : » Lorsque, dans une zone ou agglomération donnée, les niveaux de polluants dans l’air ambiant dépassent toute valeur limite ou toute valeur cible, majorée dans chaque cas de toute marge de dépassement, les États membres veillent à ce que des plans relatifs à la qualité de l’air soient établis pour cette zone ou agglomération afin d’atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante indiquée aux annexes XI et XIV. / En cas de dépassement de ces valeurs limites après le délai prévu pour leur application, les plans relatifs à la qualité de l’air prévoient des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. Ils peuvent comporter des mesures additionnelles spécifiques pour protéger les catégories de population sensibles, notamment les enfants. / Ces plans relatifs à la qualité de l’air contiennent au moins les informations énumérées à l’annexe XV, section A, et peuvent aussi inclure les mesures visées à l’article 24. Ils sont transmis à la Commission sans délai, et au plus tard deux ans après la fin de l’année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté. (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 222-4 du code de l’environnement, qui transpose la directive précitée sur ce point : » I. – Dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que dans les zones où, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat, les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l’article L. 222-1, applicables aux plans de protection de l’atmosphère ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l’être, le préfet élabore un plan de protection de l’atmosphère, compatible avec les orientations du plan régional pour la qualité de l’air s’il existe et, à compter de son adoption, avec les orientations du schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie. / Pour les zones mentionnées au premier alinéa, le recours à un plan de protection de l’atmosphère n’est pas nécessaire lorsqu’il est démontré que des mesures prises dans un autre cadre seront plus efficaces pour respecter ces normes. (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 222-5 du même code : » Le plan de protection de l’atmosphère et les mesures mentionnées au deuxième alinéa du I de l’article L. 222-4 ont pour objet, dans un délai qu’ils fixent, de ramener à l’intérieur de la zone la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l’article L. 222-1. (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 223-1 du même code : » En cas d’épisode de pollution, lorsque les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l’être, le préfet en informe immédiatement le public selon les modalités prévues par la section 2 du chapitre Ier du présent titre et prend des mesures propres à limiter l’ampleur et les effets de la pointe de pollution sur la population. Ces mesures, prises en application du plan de protection de l’atmosphère lorsqu’il existe et après information des maires intéressés, comportent un dispositif de restriction ou de suspension des activités concourant aux pointes de pollution, y compris, le cas échéant, de la circulation des véhicules notamment par la réduction des vitesses maximales autorisées, et de réduction des émissions des sources fixes et mobiles (…) » ;
- Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 13 et 23 de la directive du 21 mai 2008, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt ClientEarth du 19 novembre 2014, C-404/13, que les personnes physiques ou morales directement concernées par le dépassement des valeurs limites fixées par l’annexe XI de cette directive après leur date d’entrée en vigueur doivent pouvoir obtenir des autorités nationales, le cas échéant en saisissant les juridictions compétentes, l’établissement d’un plan relatif à la qualité de l’air conforme à son article 23 lorsque n’est pas assuré le respect des exigences résultant de son article 13 ; que si les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible ; que l’élaboration d’un plan relatif à la qualité de l’air conforme à l’article 23, paragraphe 1, deuxième alinéa, de cette directive ne saurait permettre, à elle seule, de considérer que l’Etat membre en cause a néanmoins satisfait aux obligations qui s’imposent à lui en vertu de l’article 13 de cette directive ; qu’il en résulte, enfin, qu’il appartient à la juridiction nationale compétente éventuellement saisie, de prendre, à l’égard de l’autorité nationale, toute mesure nécessaire, telle une injonction, afin que cette autorité établisse le plan exigé par ladite directive dans les conditions que celle-ci prévoit ;Sur les fins de non-recevoir soulevées par la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer :
4. Considérant que, par une lettre en date du 22 juin 2015, reçue le 25 juin suivant, l’association Les Amis de la Terre France a demandé au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres chargés de l’environnement et de la santé de prendre toutes mesures utiles permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ; que par une lettre en date du 3 août 2015, reçue le lendemain, cette association a demandé aux mêmes autorités d’élaborer un ou plusieurs plans relatifs à la qualité de l’air ayant pour objet de définir les mesures appropriées pour ramener, dans chacune des zones et agglomérations du territoire national concernées, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette même directive ; qu’eu égard à la portée de l’obligation résultant, pour l’autorité nationale, des dispositions des articles 13 et 23 de cette directive ainsi que des articles L. 221-1 et suivants et R. 221-1 et suivants précités du code de l’environnement pris pour leur transposition, le silence gardé par l’administration sur ces demandes, qui étaient adressées aux autorités compétentes, doit être regardé comme ayant fait naître des décisions implicites rejetant ces dernières ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
- Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’association Les Amis de la Terre a saisi le Président de la République, le Premier ministre et les ministres chargés de l’environnement et de la santé de demandes tendant à la mise en œuvre de toutes mesures utiles permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote à l’intérieur des valeurs limites fixées à l’annexe XI de la directive du 21 mai 2008 précitée ainsi qu’à l’élaboration de plans conformes à l’article 23 de celle-ci ; qu’il en ressort également que, dans seize zones administratives de surveillance de la qualité de l’air (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Rouen Haute-Normandie, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, Rennes Bretagne, ZUR Champagne-Ardenne, Nancy Lorraine, Metz Lorraine et Toulouse Midi-Pyrénées) les valeurs limites en dioxyde d’azote rappelées au point 1 ont été dépassées chaque année de 2012 à 2014 ; que, pour ces mêmes années, les valeurs limites en particules fines PM10 ont été dépassées dans trois zones (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique) ;
- Considérant, d’une part, que le dépassement des valeurs limites de concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote constitue, pour les zones concernées, une méconnaissance des dispositions des articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement, qui transposent sur ce point les exigences prévues par l’article 13 de la directive du 21 mai 2008 précitée ;
- Considérant, d’autre part, que des plans de protection de l’atmosphère ont été adoptés pour ces zones sur le fondement de l’article L. 222-4 du code de l’environnement ; qu’ils tiennent lieu des plans relatifs à la qualité de l’air prévus par l’article 23 de la directive du 21 mai 2008 ; que, toutefois, eu égard à la persistance des dépassements observés au cours des trois années précédant les décisions attaquées, les plans relatifs à la qualité de l’air pour les zones en cause et leurs conditions de mise en œuvre doivent être regardés comme insuffisants au regard des obligations rappelées aux points 1 et 2, dès lors qu’ils n’ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible ; que les exigences prévues aux articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l’environnement, qui transposent l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, doivent donc être regardées comme méconnues ;
- Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en refusant d’élaborer, pour les zones concernées par ces dépassements, des plans relatifs à la qualité de l’air conformes à ces dispositions et permettant que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible, l’autorité investie du pouvoir réglementaire a méconnu ces dispositions ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête, l’association requérante est, par suite, fondée à demander l’annulation des décisions implicites qu’elle attaque ;
- Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment de la mesure d’instruction diligentée par la sixième chambre, que, pour l’année 2015, dernière année pour lesquelles des données ont été produites, les valeurs limites de concentration en dioxyde d’azote étaient encore dépassées dans douze des zones citées au point 5 (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, ZUR Champagne-Ardenne et Toulouse Midi-Pyrénées) ; que, pour cette même année, les valeurs limites en particules fines PM10 demeuraient dépassées dans les trois mêmes zones que celles citées au point 5 (ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique) ; que l’annulation prononcée au point précédent implique donc nécessairement que le Premier ministre et le ministre chargé de l’environnement prennent toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air conformes aux exigences rappelées au point 2 permettant de ramener, dans ces zones, les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines PM10 sous les valeurs limites dans le délai le plus court possible ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre à ces autorités d’élaborer ces plans et de les transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
- Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à l’association Les Amis de la Terre France, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en-deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de la présente décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
Article 3 : L’Etat versera à l’association Les Amis de la Terre France une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’association Les Amis de la Terre France, au Premier ministre, au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre des solidarités et de la santé.
ANNEXE II : Conseil d’Etat N° 428409, 10 juillet 2020 ASSOCIATION LES AMIS DE LA TERRE- FRANCE et autres
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
sur le rapport de la 6ème chambre de la section du contentieux
Vu la procédure suivante :
Par une décision n° 394254 du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a, d’une part, annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé, refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en-deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive, d’autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de cette décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
Par un courrier du 20 juin 2018, le délégué à l’exécution des décisions de justice de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat a demandé au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, de porter à sa connaissance les mesures prises par les services de l’Etat pour assurer l’exécution de cette décision.
Par des observations, enregistrées le 16 juillet 2018, le ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, a précisé les mesures adoptées par l’Etat à cette fin.
Par une demande, enregistrée le 2 octobre 2018 au secrétariat de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat, l’association Les amis de la Terre – France, l’association Les amis de la Terre – Paris, l’Association de défense contre les nuisances aériennes (ADVOCNAR), l’association France nature environnement – Ile de France, l’association Les amis de la Terre – Val de Bièvre, l’association France nature environnement – Provence Alpes Côte d’Azur, l’association France nature environnement – Bouches du Rhône, le Collectif anti nuisance L2, l’association Cap au nord, l’Association de défense du site du RÉALTOR et de son environnement, l’association RAMDAM, l’association Sauvons la Mathilde, l’association NOSTERPACA, l’association CIRENA, l’association Rires sans frontière, l’Association nature du nogentais (ANN), l’association Les amis de la Terre – Loire Atlantique, l’association Autrement pour les aménagements des contournements (autoroutiers et ferroviaires) de l’habitat et de l’Est, l’association Les amis de la Terre – Côte d’Or, l’association Défense des intérêts des riverains de l’aérodrome de Pontoise-Corneilles en Vexin, M. Simon BAUMERT, l’association SOS Paris, M. Thomas BOURDREL, M. Thierry REEB, l’association Nos villages se soucient de leur environnement (NOVISSEN), l’association Champagne-Ardenne nature environnement (CANE), l’association Les amis de la Terre – Dunkerque, l’Association pour la sauvegarde du patrimoine et de l’environnement à Antony, l’association Greenpeace France, l’Association de défense de l’environnement et de la population de TOUSSIEU (ADEPT), l’association Val de Seine vert, l’Association pour la Sauvegarde de Boulogne Nord-Ouest (ASBNO), l’association Toulon Var déplacements, l’Association inter village pour un environnement Sain (AIVES), l’association Marennes contre les nuisances, l’association COFIVER, M. Arnault PFERSDORFF, M. Emmanuel PROVOT, l’association Respect environnement, la Fédération Fracture, l’association Union française contre les nuisances des aéronefs (UFCNA), l’association Forum sud francilien contre les nuisances aériennes, Mme Barbara Bouillon, Mme Sophie RABOURDIN, l’association Environnement 92, l’association Chaville Environnement, l’association Comité riverains Aéroport Saint-Exupéry (CORIAS), l’association France nature environnement – Centre Val de Loire, l’association Les amis de la Terre – Nord, l’association Actions citoyennes pour une transition énergétique solidaire (ACTEnergieS), l’Association de concertation et de proposition pour l’aménagement et les transports (ACPAT), Mme Maïté SEEGMULLER, l’association Comité des intérêts de quartier (CIQ) Saint Jean de Tourette PROTIS, l’Association vexinoise de lutte contre les carrières cimentières (AVL3C), l’association Alertes nuisances aériennes (ANA), l’association Nord écologie conseil, l’association France nature environnement – Guadeloupe, l’association Notre affaire à tous, l’Association de protection des collines peypinoises (APCP), l’association France nature environnement – Bourgogne Franche-Comté, l’association Respire, l’association Vivre et agir en Maurienne, l’association ALOFA TUVALU, l’association Les amis de la Terre – Landes, l’association Les amis de la Terre – Meurthe et Moselle, l’association France nature environnement – Paris, l’association Sommeil et santé, l’Association niçoise pour la qualité de l’air et l’environnement et de la vie, l’association Réseau vert Provence, l’association Fédération Alsace nature, l’Association de défense de l’environnement de CHAPONNAY, l’association Défense des riverains de l’aéroport de Paris, l’association Union des calanques littoral, l’association Collectif régional associatif nord environnement (CRANE) solidaire, l’association Virage énergie, l’association Le fer autrement, l’association Collectif contre les nuisances aériennes de l’agglomération toulousaine et la commune de Marennes demandent au Conseil d’Etat :
1°) de constater que la décision n° 394254 du 12 juillet 2017 du Conseil d’Etat n’a pas été exécutée à la date du 31 mars 2018 ;
2°) de prononcer à l’encontre de l’Etat, s’il ne justifie pas avoir pris les mesures de nature à assurer l’exécution de la décision n° 394254 du 12 juillet 2017 dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 100 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
Vu les pièces du dossier desquelles il ressort que la section du rapport et des études du Conseil d’Etat a exécuté les diligences qui lui incombent en vertu du code de justice administrative.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 juillet 2020, présentée par la ministre de la transition écologique et solidaire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 ;
– le code de l’environnement ;
– les arrêts C-404/13 du 19 novembre 2014 et C-636/18 du 24 octobre 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne ;
– la décision n° 394254 du 12 juillet 2017 du Conseil d’Etat statuant au contentieux ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Airelle NIEPCE, rapporteure,
– les conclusions de M. Stéphane HOYNCK, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
- 1. Afin d’assurer l’exécution de ses décisions, la juridiction administrative peut prononcer une astreinte à l’encontre d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, soit dans la décision statuant au fond sur les prétentions des parties sur le fondement de l’article L. 911-3 du code de justice administrative, soit ultérieurement en cas d’inexécution de la décision sur le fondement des articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code. En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive de la décision, la juridiction procède, en vertu de l’article L. 911-7 de ce code, à la liquidation de l’astreinte. En vertu du premier alinéa de l’article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider, afin d’éviter un enrichissement indu, qu’une fraction de l’astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, le second alinéa prévoyant que cette fraction est alors affectée au budget de l’État. Toutefois, l’astreinte ayant pour finalité de contraindre la personne morale de droit public ou l’organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque l’Etat est débiteur de l’astreinte en cause. Dans ce dernier cas, lorsque cela apparaît nécessaire à l’exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction peut, même d’office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, décider d’affecter cette fraction à une personne morale de droit public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’Etat et dont les missions sont en rapport avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet.
- 2. Par une décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a, d’une part, annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en-deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive, d’autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de cette décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018. L’association Les amis de la Terre – France, soixante-huit autres associations, huit personnes physiques ainsi que la commune de Marennes (Rhône) ont saisi le Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 911-5 du code de justice administrative, d’une demande d’astreinte pour assurer l’exécution de cette décision.
Sur la recevabilité de la demande d’astreinte :
- 3. Il résulte des dispositions des articles L. 911-4 et R. 931-2 du code de justice administrative qu’ont qualité pour demander au Conseil d’Etat de prononcer une astreinte en cas d’inexécution d’une décision qu’il a rendue non seulement les parties à l’instance en cause mais également les parties directement concernées par l’acte qui a donné lieu cette instance.
- 4. D’une part, l’Association nature du nogentais, l’association Les amis de la Terre – Loire Atlantique, l’association Les amis de la Terre – Côte d’Or, l’association NOVISSEN, l’association Les amis de la Terre – Dunkerque, l’association France nature environnement – Centre Val de Loire, l’association Les amis de la Terre – Nord, l’association Nord écologie conseil, l’association France nature environnement – Guadeloupe, l’association France nature environnement – Bourgogne Franche-Comté, l’association ALOFA TUVALU, l’association Les amis de la Terre – Landes, l’association Les amis de la Terre – Meurthe et Moselle, l’association CRANE solidaire, l’association Virage énergie, l’association Rires sans frontière, dont le champ d’action territorial ne couvre aucune des zones concernées par l’injonction prononcée par la décision du 12 juillet 2017, d’autre part, l’association NOSTERPACA, l’association Toulon Var déplacements, l’AVL3C, l’association Sommeil et santé, l’association Le Fer autrement, l’association Sauvons la Mathilde et l’association Réseau vert Provence, eu égard à leur objet social, ne peuvent être regardées comme des parties intéressées au sens des dispositions des articles L. 911-4 et R. 931-2 du code de justice administrative. Par suite, la demande d’astreinte est irrecevable en ce qu’elle les concerne. En revanche, la demande est recevable en ce qu’elle concerne l’association Les amis de la Terre –France, partie à l’instance ayant donné lieu à la décision du 12 juillet 2017, et les autres personnes physiques et morales demanderesses, qui peuvent être regardées comme des parties intéressées au sens de ces mêmes dispositions.
Sur les conclusions tendant au prononcé d’une astreinte :
- 5. En vertu des dispositions de l’article 13 de de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, ainsi que de son annexe XI, les États membres doivent notamment veiller à ce que, dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations, d’une part, les niveaux de particules fines PM10 dans l’air ambiant ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile et 50 µg/m3 par jour plus de 35 fois par année civile, cette obligation étant en vigueur en vertu de textes antérieurs depuis le 1er janvier 2005, et, d’autre part, les niveaux de dioxyde d’azote ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile, au plus tard à compter du 1er janvier 2010. Par ailleurs, en vertu de l’article 23 de la même directive, en cas de dépassement de ces valeurs limites après le délai prévu à cette fin, les États membres doivent établir des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant « des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible » et contenant « au moins les informations énumérées à l’annexe XV de la directive ». Il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt C-404/13 du 19 novembre 2014 mais également dans son arrêt C 636/18 du 24 octobre 2019 concernant la France, que celles-ci imposent l’établissement d’un plan relatif à la qualité de l’air conforme à son article 23 lorsque n’est pas assuré le respect des exigences résultant de son article 13 et que, si les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible.
- 6. Les dispositions de l’article 13 de la directive du 21 mai 2008 ont été transposées en droit interne à l’article L. 221-1 du code de l’environnement, qui prévoit notamment que : « (…) Des normes de qualité de l’air définies par décret en Conseil d’Etat sont fixées, après avis de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, en conformité avec celles définies par l’Union européenne et, le cas échéant, par l’Organisation mondiale de la santé. Ces normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques. / (…) ». Les dispositions de l’article 23 de la directive ont pour leur part été transposées notamment par les articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l’environnement, qui prévoient l’adoption d’un plan de protection de l’atmosphère dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que dans les zones où, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat, les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 du même code ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l’article L. 222-1, ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l’être. Ces plans de protection de l’atmosphère ont pour objet de ramener la concentration en polluants dans l’atmosphère à l’intérieur de la zone concernée à un niveau conforme à ces normes. Pour autant, le deuxième alinéa du I de l’article L. 222-4 du même code prévoit la possibilité de ne pas recourir à un plan de protection de l’atmosphère « lorsqu’il est démontré que des mesures prises dans un autre cadre seront plus efficaces » pour respecter les normes en cause.
- 7. Il résulte de ces dispositions que si les plans de protection de l’atmosphère ont vocation à tenir lieu des plans relatifs à la qualité de l’air prévus par l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, aucune disposition de cette directive, comme aucune disposition de droit national, ne s’oppose à ce que l’administration emploie d’autres instruments pour ramener les émissions de polluants à un niveau compatible avec les normes de qualité de l’air définies aux articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement. En toute hypothèse, afin de pouvoir être regardés comme des plans relatifs à la qualité de l’air conformes aux exigences de la directive, les plans de protection de l’atmosphère et les instruments qui les complètent ou les remplacent doivent, d’une part, comporter l’ensemble des informations prévues à la section A de l’annexe XV de la directive telle que transposée à l’article R. 222-15 du code de l’environnement, et en particulier « des informations sur toutes les actions engagées ou prévues tendant à réduire la pollution atmosphérique avec l’évaluation prévisible de leur effet sur la qualité de l’air (…) » complétées des « indicateurs de moyens notamment financiers nécessaires à leur réalisation », du « calendrier de leur mise en œuvre » et de « l’estimation de l’amélioration de la qualité de l’air qui en est attendue et du délai de réalisation de ces objectifs », d’autre part, démontrer que ces actions permettent que la période de dépassement des valeurs limites de concentration en polluants soit la plus courte possible.
- Il résulte de l’instruction et notamment des mesures d’instruction diligentées par la 6ème chambre que, d’une part, sur les douze zones administratives de surveillance (ZAS) de la qualité de l’air concernées par l’injonction prononcée par la décision du 12 juillet 2017 s’agissant de la concentration en dioxyde d’azote (Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Montpellier Languedoc-Roussillon, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Paris Ile-de-France, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, zone urbaine régionale (ZUR) Champagne-Ardenne, Toulouse Midi-Pyrénées et ZUR Rhône-Alpes), si la moyenne annuelle maximale de concentration de ce polluant a diminué entre 2016 et 2018 pour neuf d’entre elles, la valeur limite de concentration en moyenne annuelle civile fixée à l’article R. 221-1 du code de l’environnement, conformément à l’annexe XI de la directive du 21 mai 2008, demeurait dépassée dans dix d’entre elles en 2018, dernière année pour laquelle le Gouvernement a fourni au Conseil d’Etat des mesures complètes définitives. Cette tendance est confirmée par les données provisoires pour l’année 2019, transmises les 16 et 26 juin 2020, qui mettent en évidence huit ZAS pour lesquelles un dépassement de cette valeur limite persiste encore (zone à risques – hors agglomération (ZAR) Vallée de l’Arve, zone à risque – agglomération (ZAG) Grenoble, ZAG Lyon, ZAG Marseille– Aix, ZAG Paris, ZAR Reims, ZAG Strasbourg et ZAG Toulouse, compte tenu des nouvelles terminologies et du nouveau zonage issu de l’arrêté du 26 décembre 2016 relatif au découpage des régions en zones administratives de surveillance de la qualité de l’air ambiant). Par ailleurs, sur les trois zones concernées par l’injonction prononcée s’agissant de la concentration en particules fines PM10 (ZUR Martinique, Paris – Ile de France et ZUR Rhône-Alpes), si la valeur limite de concentration en moyenne annuelle n’a été dépassée en 2018 que dans la ZAG Paris, la valeur limite de 50 µg/m3 en moyenne journalière l’a été plus de 35 fois dans deux ZAS (jusqu’à 68 jours dans la ZAG Paris et 44 jours dans la ZAG Fort-de-France), ces données étant confirmées par les données provisoires pour l’année 2019.
- 9. D’autre part, pour l’exécution de la décision du 12 juillet 2017, le Gouvernement a notamment adopté quatorze « feuilles de route », qui ont été rendues publiques le 13 avril 2018 et transmises à la Commission européenne le 19 avril 2018. Si ces documents précisent, de façon plus ou moins détaillée, pour chaque zone concernée, une liste d’actions concrètes à mener, destinées à réduire les émissions de polluants, leur échéancier de mise en œuvre et les moyens à mobiliser, ils ne comportent, à l’instar des autres mesures mises en avant par le Gouvernement ne relevant pas des plans de protection de l’atmosphère, aucune estimation de l’amélioration de la qualité de l’air qui en est escomptée, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de ces objectifs, contrairement aux exigences posées à l’annexe XV de la directive du 21 mai 2008 et transposées à l’article R. 222-15 du code de l’environnement.
- 10. Enfin, depuis l’intervention de la décision du 12 juillet 2017, les plans de protection de l’atmosphère, dont le régime est défini par l’article L. 222-4 du code de l’environnement, n’ont été révisés que pour deux zones, la Vallée de l’Arve et l’Ile-de-France, leur révision étant toujours en cours à la date de la présente décision pour les autres zones concernées, voire n’ayant pas encore été initiée. Si le plan de protection de l’atmosphère de la Vallée de l’Arve, adopté le 29 avril 2019, qui comporte une série de mesures suffisamment précises et détaillées ainsi que des modélisations crédibles de leur impact permettant d’escompter un respect des valeurs limites de concentration en dioxyde d’azote NO2 et en particules fines PM10 dans cette zone d’ici 2022, peut être regardé comme assurant, pour la zone qu’il concerne, une correcte exécution de la décision du 12 juillet 2017, il n’en va pas de même du nouveau plan de protection de l’atmosphère d’Ile de France, adopté le 31 janvier 2018. En effet, si le document adopté, qui identifie vingt-cinq « défis » organisés par secteurs d’activités, personnes publiques compétentes et urgence des mesures à prendre, comporte des objectifs précis, expose les moyens à mettre en œuvre pour les réaliser ainsi que les autorités compétentes, et procède également à une modélisation crédible des effets attendus, il se borne à retenir l’année 2025 comme objectif pour revenir en deçà des valeurs limites de concentration en NO2 et en particules fines PM10. Or, en l’état de l’instruction, le Gouvernement ne fait pas valoir de justifications de nature à démontrer que cette date de 2025 peut être regardée comme permettant de respecter l’exigence que la période de dépassement de ces valeurs limites soit la plus courte possible. Par suite, ce plan ne peut être regardé comme assurant, pour la zone qu’il concerne, une complète exécution de la décision du 12 juillet 2017.
- 11. Il résulte de tout ce qui précède que, pour chacune des zones administratives de surveillance mentionnées au point 8 dans lesquelles les valeurs limites de concentration en NO2 et PM10 fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement demeurent dépassées, à l’exception de celle de la Vallée de l’Arve pour les raisons indiquées au point 10, les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d’établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible. Il en résulte que pour les ZAS Grenoble et Lyon, pour la région Auvergne – Rhône-Alpes, Strasbourg et Reims, pour la région Grand-Est, Marseille-Aix, pour la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulouse, pour la région Occitanie et Paris, pour la région Ile-de-France, s’agissant des taux de concentration en dioxyde d’azote, et pour les ZAS Paris et Fort-de-France, s’agissant des taux de concentration en PM10, à la date de la présente décision, l’Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision.
- 12. Par suite, eu égard au délai écoulé depuis l’intervention de la décision dont l’exécution est demandée, à l’importance qui s’attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l’Union européenne, à la gravité des conséquences du défaut partiel d’exécution en termes de santé publique et à l’urgence particulière qui en découle, il y a lieu, dans les circonstances de l’affaire, de prononcer contre l’Etat, à défaut pour lui de justifier de cette exécution complète dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date à laquelle la décision du 12 juillet 2017 aura reçu exécution, étant rappelé que ce montant est susceptible d’être révisé à chaque échéance semestrielle à l’occasion de la liquidation de l’astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
- 13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme globale de 3 000 euros, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Une astreinte est prononcée à l’encontre de l’Etat, s’il ne justifie pas avoir, dans les six mois suivant la notification de la présente décision, exécuté la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017, pour chacune des zones énumérées au point 11 des motifs de la présente décision, et jusqu’à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 10 millions d’euros par semestre, à compter de l’expiration du délai de six mois suivant la notification de la présente décision.
Article 2 : Le Premier ministre communiquera à la section du rapport et des études du Conseil d’Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la décision du 12 juillet 2017.
Article 3 : L’Etat versera à l’association Les Amis de la Terre – France et autres, dans la limite de la recevabilité de leur demande précisée au point 4 des motifs de la présente décision, une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée pour l’ensemble des requérants de la requête à l’association Les Amis de la Terre – France, ainsi qu’au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée à la présidente de la section du rapport et des études.
Commentaire sur “« Atmosphère, atmosphère », le Conseil d’Etat juge de l’atmosphère par Louis SAISI”