Notre ami Philippe TANCELIN, poète-philosophe, nous fait partager ci-dessous son très beau poème « Invasion sur l’aube » qui dénonce la guerre, et toutes les guerres, d’aujourd’hui et de ces dernières années : GAZA, CHATILA, ALEP, BAGDAD, MARIOUPOL, KIEV… AILLEURS.
Il pousse un cri d’effroi qui nous rappelle notre impuissance collective à vouloir et pouvoir les arrêter.
Son texte – qui est aussi une forme de « Manifeste poétique » – nous dit combien le poète est démuni et “ne sait pas” comment dire la blessure, l’inquiétude, la douleur.
Mais il se termine par une note d’espoir avec ce vibrant appel à la fraternité entre les hommes, seule susceptible d’arrêter la barbarie des guerres et tous leurs malheurs.
LS
INVASION SUR L’AUBE
par Philippe TANCELIN,
Poète-philosophe
En toutes langues à toute heure de ce côté de l’histoire je ne sais pas comment
je ne sais pas
ne sais pas comment
souffler le cri qui s’entendra
Etrange question en ce message immortel
je ne sais pas
jeune ne sait pas mieux que vieux ici même
GAZA, CHATILA, ALEP, BAGDAD, MARIOUPOL, KIEV… AILLEURS
1000 2000 mille ans tombent dans l’énigme
Je ne sais pas comment marcher auprès de la blessure
de ce côté de la lueur, le long de tes mains devant l’inquiétude
Je ne sais pas comment le verbe
comment le verbe ment se fait passeur d’aube oiseau tisserand d’or et d’air
Je ne sais pas comment respirer pour que le verbe écrive la douleur devant
Je ne sais plus comment nous voyageons ici comme les captifs de nos voix dans la beauté qui n’est plus
Je ne sais pas comment moi
comment les mots empirent l’air chaque fois que je dis arrêtez
Une insondable nuit poursuit, éclaire la poursuite des mots trahis
jusque sur l’horizon de la ligne de mire
Un étrange soleil accompagne les bords
où courent des êtres sous le choc des balles
l’éclat des miroirs…un naufrage qui ne sait plus
comment arrêter l’image d’une main qui s’enterre où se sauve
fascine l’inscription des mots sur le sang livré
Comment passer cette incapacité à devenir jusque dans les ruines entre la pierre
et la nausée…le silence qui fait procession- profession d’espoir
maintenant sur les lèvres en cendres
je ne sais pas comment
je ne sais pas
je ne sais pas comment passer les lignes
arrêter suspendre la chute du ciel entre les branches
comment cela a commencé… dans une demeure sans fin
par une larme restée entre deux pages du grand livre des songes
je ne sais plus mon pays
je sais le martyr naviguer sur un fond de sang au bout d’un ciel sans faute
Sur une plage de cristal un vaisseau viendra porter l’esprit vagabond d’une paix
peut-être…
je ne sais pas
je ne sais pas comment
je ne sais pas comment arrêter
Une nudité de partisans demande l’œuvre de l’homme
pour le miel du maquis
Un écart libre vient dans l’écart de toi à moi écrire la majeure absence
je ne sais pas comment là-bas peut-être un incendie de larmes arrête la mer de sang
comment une rencontre se tente au fond du livre, au long des lignes
comment un visage de brasier se fait
visage de masques levés
je ne sais pas comment les yeux étendus aux pauvres sur la lande entre la berge
et l’amour ramassent l’ombre de l’homme oublié
Un éclair commence une chasse lointaine bientôt large
Il reliera la nuit lépreuse au rêve derrière la halte
je ne sais pas comment la vérité
je ne sais pas comment la blessure au fond de cette vérité
je sais la pensée libérée de l’impasse qui soufflait sur l’ange d’histoire
je sais placer la pierre dans cette nuit des voix
comment par la clarté capricieuse les ombres écrivent la promenade humaine
je ne sais pas comment accueillir le hurlement du vide
comment devant la parole désincarnée des masques
comment je ne sais pas comment…
le concert des anges s’évade au seuil des choses
Devant l’éternité des couleurs sans cesse retardées à quoi ressemblent les fleurs ?
Comment arrêter l’exil de cette peinture en son visage d’effroi ?
je ne sais plus
je ne sais plus comment… comment à la légitime défense du droit de vivre
du droit d’écrire
du droit de parler
du droit d’entendre
répond la fascination du vide
Irak Libye Syrie, Afghanistan Palestine Ukraine ailleurs…
Des noms s’invitent invitent tous les jours
Qui sait comment dans la nuit éclairée rien ne se trouve ?
comment l’écho de la présence parvient à ce destin solitaire face à la médiocrité
où se construit un monde
je sais comment l’histoire répond à l’histoire par cette fresque du rêve de la promission
mais je ne sais pas
je ne sais pas comment arrêter
faire taire l’appel de la cavale noire derrière l’embarque claire des pages écrites
au sang des heures de la conscience
O sales jours dans l’indifférent lointain des temps implacables de la résignation
Jours de toujours que personne n’interrompra sans atteindre le niveau tragique
de la voix du vide
Un enfant meurt pour avoir épousé un arbre
Son père meurt pour l’avoir planté
Sa mère meurt encore pour l’avoir conçu à cette altitude d’humanité sans escale
jusqu’à l’avenue du juste
Un enfant au silence blessé demande un jardin aveugle à ses frontières
Pourquoi tant de cruauté démettant le jour ?
Pourquoi ce ciel de ronces autour de la terre ?
ce sourire pétrifiée des armes volant l’enfance
ce baiser qui ne frère plus entre les peines
cette immanquable halte au carré de haine suppliciant l’espoir
je ne sais pas
je ne sais plus
je ne sais pas comment
Mi ne scies kiel
je ne sais pas comment arrêter arrêter arrêter
Mi ne scias kiel
halti halti halti
je ne sais pas comment arrêter la guerre
halti la milito
alors je t’appelle mon frère mon camarade
Mi nomas vin mia frato mia kamarado
Philippe TANCELIN,
Poète-philosophe
Paris, 27 mars 2022
Notes
Traduction de l’espéranto
Mi ne scies kiel = je ne sais pas comment
halti la milito = arrêter la guerre
halti halti halti = Arrêter, arrêter, arrêter
Mi nomas vin mia frato mia kamarado = Je t’appelle mon frère, mon camarade