Le nouveau recueil de poésie, « Le dépays d’ici », de Philippe TANCELIN

Le nouveau recueil de poésie,

Le dépays d’ici,

de Philippe TANCELIN [1]

Dans le cadre des rencontres mensuelles du groupe Effraction réunissant des poètes des cinq continents et leurs amis amoureux de la poésie, nous étions très nombreux à nous serrer, vendredi dernier 3 février, dans la salle de conférences de l’éditeur L’Harmattan (devenue trop petite), au 21, rue des Écoles (quartier latin) pour répondre à la conviviale invitation de notre ami Philippe TANCELIN, poète-philosophe, venu présenter et dédicacer son nouveau recueil de poésie Le dépays d’ici, publié en octobre 2022, chez L’Harmattan, dans la collection « Poètes des cinq continents ».

Le titre – bâti sur un oxymore – peut a priori paraître déconcertant car jouant sur l’opposition des mots qui le composent et qui semblent annoncer, on le pressent déjà, une tension, un inconfort intellectuel et moral. Ceci explique que Philippe TANCELIN, avant d’entamer la lecture prenante et captivante de quelques morceaux choisis de son nouveau livre, ait voulu nous donner, dans un brillant exposé liminaire, la primeur du fil conducteur de ses nouveaux poèmes.

Le précieux éclairage qu’il nous a ainsi apporté, puis la lecture convaincante de quelques-uns de ses poèmes furent particulièrement appréciés par l’auditoire très attentif et concentré, ce qui s’est traduit spontanément par une salve d’applaudissements nourris.

Avec l’aimable et cordiale autorisation de l’auteur, nous sommes heureux de reproduire ci-dessous, pour la porter à la connaissance des lecteurs de notre site, la présentation de ce bel ouvrage de poésie, qui est aussi une réflexion très forte et une interrogation inquiète sur notre époque quant au sens et à la trajectoire de nos sociétés.
Louis SAISI
Paris, 13 février 2023

[1] Philippe TANCELIN : Le dépays d’ici, collection « Poètes des cinq continents », n° 784, Ed. L’Harmattan, Paris, 2022, 115 pages.

Le dépays d’ici
de Philippe TANCELIN

Présentation par Philippe TANCELIN

Pourquoi ce titre ? qu’est-ce qu’il signifie ?
J’ai d’abord voulu exprimer le malaise que je ressens devant le passage sourd et non moins grave du pays d’ici que l’on connaît, que je croyais connaître, à un pays autre que l’on a peine, que j’ai peine à reconnaître, qu’on y soit né ou pas…

Malaise dû à ce sentiment que l’espace, que nous avons élu comme l’abri de notre être, sa terre, (Gaïa), nous met peu à peu en exil, nous congédie en quelque sorte.
Cela tient pour une part au fait du bouleversement climatique, mais également à la recomposition des blocs de puissance dans le monde, sans oublier les glissements de la langue, sa capture qui efface par exemple le terme « capitalisme » au profit de « néolibéralisme » mais aussi toute cette mouvance de la virtualisation, la déréalisation des choses au point de nous rendre peu à peu complices du système marchand. Tous ces éléments et bien d’autres que j’oublie contribuent à donner un visage de la réalité à ce point différent que l’on est dépaysé, déporté vers un ailleurs dont on pressent les dangers sans savoir comment s’y opposer, car tout va tellement vite qu’on perd le sens des choses ; on ne sait plus très bien comment les nommer et quand on nomme c’est avec le vocabulaire de communication dont les significations nous échappent de plus en plus.

Cet « ailleurs », ce « dépays » que j’évoque recouvre plusieurs sens. Il peut-être ce qui anime notre curiosité, déploie notre imaginaire nous attire, (et on se dit heureusement dépaysé comme au loin à l’étranger…) mais ce peut-être aussi un espace-temps qui nous déporte nous dépossède peu à peu de nos capacités d’appréciation, de connaissances de résistances. La réforme autoritaire et déplacée des retraites en est un exemple.

C’est en premier lieu depuis l’espace poétique, ce que mon recueil inventorie.

Le dépays d’ici concerne certes la France mais aussi bien au-delà d’elle, d’autres pays, voire continents. Dans tous les cas, cela évoque cette part d’humanité, où qu’elle demeure mais avec laquelle je pensais vivre au plein sens de ce terme, et est à ce point imbue de ses pouvoirs et de ses connaissances réelles ou mythiques qu’elle est dans le déni du sens même que je, nous avons jusqu’ici donné à l’existence. La boucherie Russo-Ukrainienne en est un des terribles exemples…. Une guerre où quelles qu’en soient les causes profondes et réelles, on s’étripe comme en 14-18 en ayant perdu de tous côtés la notion de la valeur de la vie/ tandis qu’à distance, l’Europe, les Etats-Unis gèrent, vendent des armes, les essayent (comme un passage de la théorie à la pratique) et tout cela aux seuls frais de jeunes hommes de 20 ans ukrainiens et russes qui tombent sans savoir pourquoi.

Alors, oui, compte-tenu de la mémoire historique, je pense, que ce type de dépaysement nous submerge en conscience, abîme celles et ceux (nous) qu’il prend en otage, s’octroie de plus en plus férocement les habitats, selon des modes alternatifs d’inclusion du même et d’exclusion de l’autre qui rendent une part de ce monde de moins en moins habitable.

Cela ressemble à un parcours de danseur de corde (ce « seiltänzer » dans Zarathoustra). On est sur la frontière de l’équilibre et du déséquilibre, sur cette corde de la guerre des uns contre les autres, d’un pays contre d’autres, avant que cette guerre n’infuse dans les profondeurs des sociétés, ne devienne la guerre de chacun contre lui-même ne discernant plus qui est l’ami de l’ennemi et cela s’appelle la guerre civile ; elle peut être planétaire (le Liban, la Syrie la Lybie devraient nous revenir en mémoire).

Fort heureusement nous n’en sommes pas encore là, mais en approchons, nous devinons que l’époque révèle une telle probabilité et de ce fait comment ne pas en alerter par tous les moyens ?

C’est ce qu’expriment dans ce recueil dont je vais vous lire des extraits, certains textes que je n’hésiterai pas à nommer « poèmes sombres ». Oui, ils sont sombres car inspirés plus intensément chaque jour de la peine ressentie dans ce dépays d’ici qui se replie férocement sur l’impartage, la répression, une insupportable indifférence à ce qui est alentour tout proche comme en témoigne la terrible image que nous allons vous projeter. *

Et mon interrogation est « Quel obscur à la surface même de la réalité nous serait ainsi fatal ?»

Mais il n’est pas question de désespérer pour autant et de chercher à fuir ou se cacher, bien au contraire, mais de manifester l’intolérable qui nous submerge à travers les courses belliqueuses, les haines, les boucs-émissaires désignés en sacrifice. C’est pourquoi nous ne versons ni par nos écrits, nos paroles, nos gestes, nos actes dans un pessimisme mortifère.

Si nous posons la question comment faire signe de ce qui est en train d’arriver pour appréhender le changement radical du devenir en commun des Hommes, c’est parce que nous pensons que ce changement mérite d’autres explications que celles données séparément et souvent contradictoirement par des modes de vérité politique, des modes de vérité juridiques, scientifiques, sociologiques tous aussi soucieux d’hégémonie comme la période de confinement a pu en faire la démonstration. Et cela continue sous une autre forme de confinement : celui de la réflexion.

D’autres périodes historiques avec leurs bégaiements, leurs convulsions révolutionnaires, créatrices d’espaces de lumière et d’habitats poétiques pour ce monde, nous font cependant signe.

Nous savons que la mémoire n’est importante qu’autant qu’elle nous assaille et nous exprimons dans une autre partie de notre recueil, qu’en même temps que s’accentue le pays du repli, s’ouvre paradoxalement son autre visage celui du dépays de l’étonnement éclairé, celui qui invente de nouveaux champs d’investigation, de relations, en créant des collectifs capables de penser et pratiquer une diversité de modes d’existence respectueux les uns des autres comme il en est dans le vivant, toutes natures confondues.

Et c’est ce que cherche à poser poétiquement dans notre ouvrage, ce que j’ai intitulé « prolégomènes à toute poésie du temps présent », En effet je suis convaincu et nous sommes un certain nombre à considérer et à agir en sorte que l’écriture, la langue que nous créons par un travail approfondi de résistance poétique, sache faire rupture avec la langue glissante de la dématérialisation et ouvre sur d’autres sens qui abreuvent, rassasient un nouveau rapport au pays-monde

OUI, nous n’ignorons pas que la poésie à elle seule n’arrête pas une guerre, une catastrophe naturelle, un bouleversement climatique et qu’elle n’a que des mots face à des bombes, face à des canons ‘césar’ mais justement elle a des mots en perpétuelle révolution dans leur relation les uns avec les autres.

Ces mots autres autrement écrits, autrement signifiants savent reconnaître les leurres des nov-langues, déjouer les pièges de l’euphémisme. Ils appréhendent nouvellement les choses selon d’autres intériorités, surgies d’expériences sensibles qui renversent les ordres arbitraires d’échanges, de communications. Ils ne nous racontent pas une histoire, ils nous en font créer et écrire une

Ces mots d’un autrement nommer, parler indiquent comment dissuader de la résignation, de la dénégation, et surtout comment malgré la déforestation de la conscience, on peut faire remonter la sève de l’arbre, l’arbre imaginal.

Pour terminer, je dirai que cette sève, qu’on l’appelle utopie ou simplement scène vivante, j’en emprunterai l’évocation tout autant que l’invocation à ma sœur et poète Geneviève CLANCY : à travers deux de ses derniers aphorismes :

« L’heure du jardin renversé parle pied-nus à l’enfance », et cet autre : « La langue peut briser la pierre pour libérer le grain ».

P. Tancelin -février -2023

 

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