IRRÉFUTABLE ESSAI DE SUCCESSOLOGIE [1] nouveau livre de Lydie SALVAYRE par Alice BSÉRÉNI, Animatrice d’ateliers d’écriture

Alice BSÉRÉNI [1], animatrice d’ateliers d’écriture, nous livre une analyse, très fouillée et pertinente, du livre acide  « Irréfutable Essai de successologie » de l’écrivaine bien connue Lydie SALVAYRE [2] qui nous dépeint jusqu’où peut aller la hantise du succès dans nos sociétés ayant érigé la réussite et l’image sociale au rang de « valeur suprême ».

Nous remercions ici bien vivement Alice BSÉRÉNI de nous avoir aimablement et cordialement permis de publier ci-dessous sa remarquable chronique de lecture.

Louis SAISI,

Paris, le 19 février 2023

IRRÉFUTABLE ESSAI DE SUCCESSOLOGIE [3]

nouveau livre de Lydie SALVAYRE 

par Alice BSÉRÉNI,

Animatrice d’ateliers d’écriture

 

Ci-dessous, Lydie SALVAYRE, en 2019, à Pont-Saint-Esprit (Gard)

venue y présenter son nouveau roman « Marcher jusqu’au soir »
Hilarant, désopilant, acerbe, grinçant, moqueur, fracassant, méchant, oui méchant ! Tel est le nouveau livre de Lydie SALVAYRE, un pamphlet acerbe, une satire croustillante des travers de notre temps, et non des moindres : la course au succès. Une valeur suprême devenue raison de vivre, essentielle, impérieuse qui abolit toute autre préoccupation et toute autre morale. Outre une autopsie méticuleuse de l’emprise du Net et des réseaux sociaux, y sont disséqués avec délectation, sans concession aucune, les milieux littéraires parisiens, leurs acolytes, auteurs, critiques, dispositifs, tous agents et moteurs d’une course au succès à caractère obsessionnel, totalitaire.

Il faut à l’auteure réunir quelques ingrédients nécessaires au récit, convoquer une terminologie connectée aux sciences et techniques de la modernité, parcourir les lieux mondains de la littérature. Pour ce faire elle installe dans la place une « Instagrameuse » qui servira de focal à la démonstration, (pourquoi donc une femme ?). Elle en brosse un portrait désopilant, une caricature qui fera office de bouc émissaire, de prétexte à la très mauvaise foi de la narratrice et à ses coups de griffes : une ignorance crasse, des minauderies aguicheuses, un mépris des valeurs désuètes qui pétrissent pourtant la mémoire et l’inconscient collectif, l’obsession du pouvoir et du faire valoir. Elle déroule un discours qui se fait à la fois fiel, condescendance et leçon de morale, mettant en évidence la vacuité des valeurs affectées à l’emprise du factice. Il lui faut aussi des lecteurs, ils sont interpelés à chaque étape du récit, tantôt « mes anges », « mes naïfs », « mes chéris », « mes amis », « mes chers » ou « mes candides » … pris à témoin de son cheminement, complices de ses observations. Un procédé narratif que Lydie Salvayre cultive avec gourmandise à coups de traits d’humour onctueux, facéties verbales, interpellations intempestives qui mouillent le lecteur au fur et à mesure qu’il poursuit sa lecture, s’y enferre et ne la lâche pas. Elle nous a habitué à cette connivence, elle y excelle, à chaque fois on s’y laisse prendre, on en redemande, car on sait bien au fond qu’elle a raison et qu’il est salutaire de monter dans le train de sa protestation.

Car il s’agit bien de protestation, d’une forme de révolte qui transforme son objet en dérision mais le construit en combat d’outre-temps, d’outre-monde, d’outre-tombe, et part en guerre contre l’intrus : le factice, le superficiel, le vénal. Tel Don Quichotte peut-être enfourchant sa Rossinante pour partir à l’assaut de ses moulins à vent. On reste dans la droite ligne du titre précédent, « Rêver debout », qui enracine l’engagement de l’autrice dans la quête du beau, du bien, du bon, du vrai, du juste telle que l’énonçait Aristote, toujours d’actualité si l’on en croit nos vrais penseurs contemporains. Une quête compromise par les pièges du factice qui semblent avoir pris le pouvoir sur la pensée, tant les impératifs du faire valoir et du faire semblant s’érigent en valeurs suprêmes d’un monde consumériste. Il y va d’une manifestation de la pulsion de mort sans doute, et d’un rêve subsidiaire, celui de l’immortalité, qui, comme Éros et Thanatos, se partagent la palette des valeurs mouvantes où se meut l’humanité en déshérence.

Si le ton est acerbe et l’humour fracassant, l’ironie jamais à ce point exercée par l’auteure, si les portraits sont grinçants, les personnages caricaturaux, les faits désopilants, ce n’est que pur constat d’une réalité qui dépasse la fiction. Mais aussi l’autre face d’une déclaration d’amour à l’humain que l’autrice n’a de cesse de cultiver, de traiter, de glorifier, tant dans sa vie de femme, son métier, ses écrits, son texte, sa culture et ses engagements. Elle se fait ici lanceuse d’alerte dans l’empire et l’emprise des technologies qui veulent coloniser le mental et la planète, abolir la culture, anéantir l’histoire et la mémoire. Ils s’en prennent pour ce faire aux fondamentaux de l’humaine condition, le langage, ici décervelé par les idiolectes des Novlangues qui rendent absolument idiots. En écho d’un « Meilleur des mondes » possible, promis depuis longtemps par quelques prédécesseurs prémonitoires de renom.

Alice BSÉRÉNI,

Animatrice d’ateliers d’écriture,

Paris, le 19 février 2023.

NOTES (Louis SAISI)

[1] Alice BSÉRÉNI est animatrice d’ateliers d’écriture, et chroniqueuse littéraire à l’APA (Association pour l’Autobiographie). Elle a effectué une carrière sociale à l’Université Paris-VIII-Vincennes – Saint-Denis. Titulaire d’une licence en Sociologie, d’un DESU d’ “Etudes cliniques et psychanalytiques”, elle s’intéresse à la rencontre entre les vies singulières et le monde contemporain, ainsi qu’à celle de l’art et de l’écriture. Elle est publiée aux éditions l’Harmattan. Parmi ses ouvrages, citons : IRAK, LE COMPLOT DU SILENCE, Essai (Préface de Pierre Rossi), Collection « Comprendre le Moyen-Orient », Ed. L’Harmattan, Paris, 11 juin 1997 ; CHRONIQUES DE BAGDAD 1997-1999, La guerre qui n’avoue pas son nom (Préface du Dr Michel JOLY), collection « Comprendre le Moyen Orient », Ed. L’Harmattan, Paris, mars 2000 ;  DE « VINCENNES » À SAINT-DENIS – La rançon des utopies (récit d’une Assistante sociale à l’université de Paris VIII – Vincennes) (Préface de Guy Berger), Collection « Graveurs de Mémoire », Ed. L’Harmattan, Paris, 27 janvier 2020 ; MÉTAMORPHOSES, Un atelier d’écriture à l’épreuve du grand confinement, Ed. Seuil, Paris, 29 novembre 2022.

[2] Née Lydie ARJONA en 1946 à Autainville (Loir-et-Cher), d’un couple de républicains espagnols – son père est andalou et sa mère catalane – exilés dans le sud de la France depuis la fin de la Guerre civile espagnole, Lydie SALVAYRE passe son enfance à Auterive, commune située près de Toulouse, dans le milieu modeste d’une colonie de réfugiés espagnols. En 2019, elle disait, à propos des réfugiés espagnols d’Auterive, qu’ils constituaient « une île espagnole à l’intérieur de la France », car intimement persuadés qu’ils retourneraient bien vite en Espagne dès que le dictateur FRANCO serait chassé du pouvoir. Ce contexte familial et social explique que le Français n’étant pas sa langue maternelle, c’est à travers la littérature qu’elle va découvrir notre belle langue.

Sa formation est à la fois littéraire et scientifique. En effet, elle obtient une licence de Lettres modernes à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, puis s’inscrit en 1969 à la faculté de médecine où, après son diplôme de médecine générale, elle se spécialise en psychiatrie à Marseille, et elle exerce ensuite pendant plusieurs années son métier de psychiatre dans la banlieue de la grande cité méditerranéenne à la clinique de Bouc-Bel-Air.

L’écrivaine Lydie SALVAYRE commença à écrire à la fin des années 1970.  Au début des années 1980 elle publie dans des revues littéraires d’Aix-en-Provence et de Marseille.

Après plusieurs sélections de romans pour des prix littéraires, c’est son œuvre La Compagnie des spectres qui, en 1997 (Ed. Seuil), la révèle avec l’attribution du prix Novembre [4]. Ce livre, qui est une réflexion sur les rapports entre le pouvoir et le langage, et aussi sur la folie et la liberté, est également distingué par la revue littéraire Lire, comme « Meilleur livre de l’année ».

Mais c’est surtout l’obtention, en 2014, du prix Goncourt qui consacrera sa notoriété pour son roman Pas pleurer (Ed. Seuil). Ce livre très fort sur la guerre civile espagnole sera traduit dans une vingtaine de langues, et fera l’objet, le , d’une adaptation théâtrale à l’Institut français de Barcelone en présence de l’écrivaine.

En 2017, elle publia Tout homme est une nuit (Ed. Seuil) qui baigne dans le contexte politico-social de l’époque marqué par la montée de l’extrême droite en France se traduisant par la participation de Marine LE PEN au 2ème tour des élections présidentielles et les débuts du trumpisme aux Etats-Unis d’Amérique.

En 2019, elle publia son ouvrage « Marcher jusqu’au soir » (Ed. Stock) qu’elle présenta le 20 février à Pont-Saint-Esprit (photo ci-dessus) à la librairie du Chant de la terre.

[3]  Lydie SALVAYRE :  Irréfutable essai de successologie, Ed du Seuil, Paris, 06/01/2023, 176 p.

[4] Créé en 1989, le prix Novembre, à la suite du retrait de son fondateur en 1998, est devenu, depuis 1999, le prix Décembre, avec le soutien de Pierre Bergé jusqu’à sa mort (2017). Depuis 2019, le prix bénéficie aujourd’hui du mécénat de la Fondation Pierre-Bergé-Yves-Saint-Laurent.

 

 

 

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