Nous remercions chaleureusement notre ami Philippe TANCELIN, poète-philosophe, professeur émérite de l’université de Paris VIII et responsable de la collection « Poètes des cinq continents » chez l’éditeur L’Harmattan, de nous autoriser à publier ci-dessous sa chronique sur la destruction et le massacre de Gaza, l’annexion de la Cisjordanie et l’effacement progressif de la Palestine en général de la carte du monde avec la destruction de son peuple.
Ci-dessous, une frappe aérienne visant la « tour Palestine »
dans la ville de Gaza, le 7 octobre 2023.
(MAHMUD HAMS / AFP)
Devant cette tragédie de ce premier quart du 21ème siècle reproduisant la barbarie et les horreurs du siècle précédent, Philippe TANCELIN laisse exploser sa colère et son indignation devant l’inertie coupable et honteuse des dirigeants européens qui laissent dépecer territorialement la Palestine au profit d’Israël au point de la laisser réduire à l’état d’un confetti tout en prônant, paradoxalement pour certains – dont la France -, la nécessité de sa reconnaissance comme un Etat onusien, ce qui est déjà chose acquise, depuis longtemps, pour la très large majorité de nombreux Etats non-occidentaux [1].
Les Etats occidentaux – dont la France – n’en sont donc plus à une contradiction près, en laissant faire un Etat colon, prédateur et dominateur tout en invoquant le droit international au profit de sa victime.
Mais c’est aussi une véritable farce macabre, peu glorieuse, pour une Union européenne dont la Convention européenne des droits de l’Homme du 4 novembre 1950 se fonde pourtant sur la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, affirmant elle-même, dans son préambule, la reconnaissance « de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables qui constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », Déclaration dont le même préambule rappelle que « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme. »
Oui, en effet, nous taire et ne rien faire, le silence et la passivité nous rendent complices de ce qui se fait contre un peuple ayant proclamé son indépendance depuis 1988 [2] – le peuple palestinien -, revendiquant son droit à l’autodétermination [3], exprimant son aspiration à la justice, et normalement juridiquement protégé par le droit international humanitaire.
Louis SAISI
Paris, le 8 septembre 2025
Ne nous laissons pas taire,
ce serait le naufrage… par le silence
par Philippe TANCELIN
Tandis que les gouvernants « pantins » d’Europe, se bousculent pour grignoter quelques reliefs du banquet Pouti-Trumpien, espérant sauver leur crédibilité plutôt que la vie de jeunes générations soldatesques Russo-Ukrainiennes, ces mêmes « pantins » reconnaissent sans précipitation ni aucune définition territoriale un hypothétique état Palestinien, improbable voire impossible, compte-tenu de l’État colon qui le côtoie, lequel ne cesse de se déployer au mépris radical du droit international et laisse libre cours à sa politique d’extermination du peuple de Gaza et de Cisjordanie.
Qui ose encore suggérer qu’il faudrait peut-être ici juger de tout par les même règles et sans partialité ?
Les morts eux-mêmes n’ont pas le même poids semble-t-il… Et on peut fort bien le comprendre lorsqu’un vivant Gazaoui meurt de faim et, ou, de balles tirées sur lui par ce que c’est affamé par l’occupant et ventre vide, qu’il va vers les quelques rares sources de ravitaillement.
N’entend-on pas de plus en plus que tout ceci est tellement : « injuste et horrible qu’il n’y a pas de mots pour en parler et qu’il ne reste plus que le silence dans lequel se réfugier » ? Réfugier sa sale et petite mauvaise conscience si bien abritée par « la discrétion, voire la sidération devant l’horreur, la peine et se sentir déchiré de toutes parts… »
Le carnage qui se déroule à Gaza, les victimes et témoins directs peuvent et savent courageusement le décrire aussi longtemps qu’on ne les assassine pas. Leurs témoignages évoquent la cruauté, la persécution qui conduisent la mise à faim et la mise à mort de milliers d’êtres humains tous âges et sexes confondus.
Mais l’horreur, elle, n’est pas descriptible. Elle est un sentiment.
Il est inspiré par la connaissance et la reconnaissance d’actes monstrueux avérés et prouvés qui depuis très longtemps, sont accessibles à quiconque le veut bien.
Aux habités par un tel sentiment d’horreur, nous vous rappelons sœurs, frères humains que jamais les mots ne peuvent manquer pour exprimer notre ressenti, le crier, le hurler, en faire entendre la puissance de révolte, seuls ou à plusieurs, comme les manifestations à travers le monde en témoignent.
Qu’on ne nous réplique pas qu’« on ne sait pas bien écrire ou parler, exprimer ses sentiments ». Se rassembler peut exprimer un NON catégorique devant « l’horreur ».
Ce n’est pas le vocabulaire qui manque, ce n’est pas la langue qui serait lacunaire, et paraîtrait désuète, incapable de dominer « l’indicible, l’inexprimable.» Ce n’est pas non plus l’écriture, y compris de la poésie, qui serait devenue impossible devant les barbaries, mais ce sont la conscience, la connaissance qui font faillite, une faillite dont la déclaration souvent n’est pas sans intérêt idéologique, à moyen terme.
Nous le savons fort bien, c’est le nombre qui manque, le courage, la volonté, mais aussi et surtout l’amour pour y contribuer qui sont absents, soit en raison d’une complicité objective avec les assassins, soit encore au nom de certaines leçons critiques de l’histoire qui justifieraient une adhésion sourde au laisser-faire le temps, les autres, ne pas s’engager, ne pas se déplacer, se déranger, ne pas sortir sous peine de se perdre.
Le ressenti d’impuissance si largement partagé au regard des événements, ici comme ailleurs, est souvent le fruit d’un propre manquement à soi-même, à la nourriture de son espérance, autant de manquements qui précipitent une humanité en sa perdition.
Comment autrement expliquer que confrontées à la violation, négation du droit international, toutes ces nombreuses consciences, ces belles connaissances civilisationnelles, fières des « Lumières », héritées par transmission directe ou importées, n’en appellent pas aux devoirs et obligations de l’Homme vis à vis de valeurs essentielles qui font que la vie fait sens et que nous lui donnons sens.
Lorsque l’Usurpateur détruit par des actes de barbarie ces valeurs qui ne sont pas seulement celles de la culture occidentale mais de la culture mondiale, humaine et du dialogue des cultures, il est impératif que chacun.e s’empare de sa langue et en elle, par elle, réalise les conditions sous lesquelles un appel universel à son obligation, son devoir, est de nouveau possible.
Si à cette fin, la langue poétique est satisfaisante et peut être suffisante, elle ne saurait s’affirmer comme indispensable. Le cri de l’affamé(e) de Gaza, ses lèvres figées dans l’in-prononcé du dernier souffle, parlent non pas l’impossible, mais l’interdit, le perdu : la nourriture, la vie…
Ce qui doit être entendu ce jour, c’est que toute langue qu’on appelle et prononce depuis le refus de l’inéluctable, de l’invincible, le combat qu’elle porte contre l’indicible, est non seulement possible mais indispensable par « ces temps de Gaza », pour neutraliser les bourreaux et leur langue massacrière.
On peut, on doit écrire nos ressentis profonds devant ce qui se déroule d’horrible. Il faut, on doit écrire de la poésie « pendant Gaza ». On pourra, il faudra écrire de la poésie « après Gaza ». Ces langues, ces écritures en seront d’autant plus différentes qu’elles auront mené la bataille du langage contre l’odieux.
Les poètes palestiniens de la diaspora comme ceux sur le terrain en témoignent quotidiennement.
Si le peuple Palestinien a urgemment besoin de pain, il n’a pas moins besoin d’espérance exprimée en sa langue comme en les nôtres, ici, ailleurs à travers la terre, ne serait-ce que pour contenir une heure, un jour de plus sa faim avant de s’éteindre, sans perdre son lumineux de vie et de résistance.
Le regard aimant de la mère se réfléchit dans les yeux de l’enfant de Gaza mourant par manque de nourriture et de soins, sa fin de vie en est différente, éclairée par l’amour.
Face à la négation du droit et des valeurs essentielles, fondatrices du sens universel de vivre, toutes langues portant refus d’abandon au silence, face aux affirmations d’un « indicible », ou d’un « innommable », doivent occuper maintenant toute la place de notre expression, que celle-ci soit poétique, ou non poétique, pourvu que toutes portent notre engagement à recouvrer pleinement le ses du devenir Homme qui nous est ôté par pantins et bourreaux associés.
A qui hésite au nom de son petit doigt… Qu’il y aille de toute son âme, l’amour l’y aidera
Philippe TANCELIN,
poète-philosophe
Paris, le 17 août 2025
NOTES
[1] Au 5 février 2025, 148 des 193 États membres de l’ONU avaient reconnu l’État de Palestine. Le 18 avril 2024, l’adhésion pleine et entière de la Palestine à l’ONU est rejetée par le Conseil de sécurité en raison du veto américain, seul opposant à cette adhésion, malgré 12 voix pour et deux abstentions.
[2] Le 15 novembre 1988, à Alger, le Conseil national palestinien déclare unilatéralement l’indépendance de la Palestine qui fut écrite par le poète palestinien Mahmoud DARWICH et proclamée par Yasser ARAFAT, président de l’Organisation de la Palestine (OLP).
[3] La Palestine est admise le 29 novembre 2012 comme État observateur de l’ONU à la suite d’un vote ayant récolté 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions. Elle devient en 2015 État partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
3 commentaires sur “Ne nous laissons pas taire, ce serait le naufrage… par le silence par Philippe TANCELIN, poète-philosophe”
Très poignant et juste. Ce texte réveille la conscience face à li’njustice. Les mots et la poésie sont effectivement des armes nécessaires contre le silence et la barbarie. Tel un appelle à l’action et à la résistance, ils doivent résonner.
Bravo à Philippe pour ce rappel ainsi qu’à toi Louis pour ce réveil des consciences, bien endormies par les temps qui courent.
Parce que se taire face à l’horreur de Gaza, est non seulement lâche, mais en plus est lourd de conséquences. Nos subconscients nous demanderont des comptes.
L’histoire jugera, sans nul doute ceux qui le contestent, comme on peut l’entendre sur certains plateaux. Car c’est d’un odieux crime contre l’humanité dont il s’agit, qui s’y déroule.
Comment nos gouvernants sous le sobriquet de « défenseurs du monde libre » peuvent être si lâches devant la tragédie humanitaire qu’est le génocide de Gaza.
Qu’attend la communauté dite internationale (que de nom finalement) pour permettre aux Gazouis de se défendre face à cette lâche agression inhumaine ?
Pour quelle raison, il n’y a que l’Ukraine bénéficiaire de cette notion de droit de se défendre face à l' »agression » russe ?
Il y a quelque chose qui ne tourne plus rond dans ce monde.
La déshumanisation et l’inversion des belles valeurs humaines nous pendent au nez.
Hélas !
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Merci, mon cher Moussa, pour ton soutien et ta protestation humaniste qui t’honore et soulignant les contradictions du comportement de nombreux dirigeants européens pour lesquels leur protestation humanitaire s’arrête à la guerre russo-ukrainienne en abandonnant la Palestine à la domination du plus fort et en fermant les yeux sur des crimes de guerre ainsi que l’extermination de la population de Gaza.pourtant condamnés par la Cour Pénale Internationale.
Merci encore, et bien à toi.
LS
This powerful text deeply moved me, highlighting the stark injustice in Gaza with unflinching clarity. The author’s call to action through language is both urgent and necessary in the face of such horror.