Quand le Conseil d’Etat sanctionne l’idéologie punitive dans les prisons prônée par le Ministre de la Justice par Louis SAISI  

Quand le Conseil d’État sanctionne l’idéologie punitive dans les prisons

prônée par le Ministre de la Justice

par Louis SAISI

 

Le Ministre de la Justice, Gérald DARMANIN, avait adressé, le 19 février 2025, aux chefs d’établissement pénitentiaire une instruction destinée à encadrer les activités susceptibles d’être proposées aux détenus en prohibant les activités qui ne concernaient pas l’éducation, la langue française ou le sport, ce qui interdisait les activités « ludiques » ou « provoquantes ».

Dans un arrêt  N° 502367 du 19 mai 2025 [1], pris en chambres réunies [2], le Conseil d’État a estimé que si les conditions dans lesquelles sont organisées les activités proposées aux détenus par l’administration pénitentiaire entraient bien dans le champ de compétence du ministre d’État, ministre de la justice, en sa qualité de  chef de service, il ne pouvait en revanche «  légalement exclure, par principe, que soient organisées des activités conformes aux dispositions des articles L. 411-1, R. 411-8 et D. 414-3 et R. 414-7 du Code de procédure pénale [3]  au seul motif qu’elles auraient, par ailleurs, un caractère  » ludique « . »

En revanche, le Conseil d’État a considéré que « par le terme  » provocant « , le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme ayant entendu rappeler que ne peuvent être proposées aux personnes détenues des activités qui sont, en raison de leur objet, du choix des participants ou de leurs modalités pratiques, de nature à porter atteinte au respect dû aux victimes. »

Par suite, le Conseil d’État a annulé les mots  » ludique ou  » figurant dans l’instruction du ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice du 19 février 2025.

I/ Chronologie des faits générateurs du problème juridique

La décision faisait suite à une polémique née dans le contexte de soins du visage prodigués à des détenus à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, le 14 février 2025 de la semaine précédente, à l’occasion de la Saint-Valentin.

A/ La contestation par le syndicat FO-Justice d’une telle activité ludique

Le syndicat FO-Justice de cet établissement pénitentiaire s’était indigné, alors de l’organisation d’une telle activité à l’occasion de cette fête.

Selon le journal La Dépêche [4], qui avait révélé l’information, une vingtaine de détenus avaient bénéficié d’un massage du visage offert par une école toulousaine.

« La semaine dernière, c’était la danse country. Je trouve ça choquant qu’un violeur, un kidnappeur puisse bénéficier de ça. Ils sont punis pour des faits graves, nous devons aussi penser aux victimes !», avait dénoncé le secrétaire FO pénitentiaire de Seysses auprès des journalistes  de La Dépêche.

Le syndicaliste ajoutait que les détenus pourront également, dans les semaines prochaines, participer à un atelier yoga mixte. « La condition des détenus est importante, d’accord. Mais c’est gênant, puisque nous crevons la bouche ouverte. Début février, quatre surveillants en formation ont dû payer le repas, faute d’un budget nécessaire », précise-t-il dans les colonnes du quotidien. « Et là, nous enchaînons les cours de danse, comme si c’était normal. Nos familles, comme tous ceux qui vivent avec un Smic, aimeraient aussi profiter d’activités gratuites. Les délinquants semblent passer avant le reste de la société ».

Son collègue D., représentant local du syndicat des surveillants pénitentiaires (SPS), avait résumé, à son tour, sa propre perception des choses dans des termes lapidaires : « C’est devenu le Club Med, la détention. Je trouve ça honteux ».

Le syndicat Force Ouvrière avait cru devoir publier un communiqué sur leur site, « en demand(ant) à la direction l’annulation de cette activité et souhait(ant) qu’à l’avenir de telles activités ne voient plus le jour sur l’établissement ».

L’on sait, comme il l’avait déjà montré en tant que Ministre de l’Intérieur vis-à-vis des revendications des syndicats de police – à l’époque orientées contre la dénonciation du prétendu « laxisme » des juges -, combien Gérald DARMANIN est sensible aux doléances syndicales des personnels dont il est chargé de la gestion.

Ce sont en effet de telles contestations corporatistes qui nourrissent ensuite les orientations politiques de son Ministère [5], ce qui est assez discutable dans un Etat républicain où la loi ne saurait émaner d’un groupe de pression car la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce directement ou par ses représentants élus au suffrage universel.

B/ La réaction outragée du Ministre de la Justice confortant la réaction syndicale

Ci-dessous, Gérald DARMANIN, Ministre d’État,

Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

en visite dans un centre de détention

Une fois de plus, avec sa nouvelle casquette de « Ministre de la Justice », Gérald DARMANIN ne faillira pas à cette écoute corporatiste. C’est ainsi qu’interrogé le 17 février 2025 lors de sa visite du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe [6], il déclara :

« Il est hors de question d’avoir des activités ludiques qui choquent tous nos concitoyens et qui m’ont choqué profondément lorsque j’ai appris que cette activité gratuite qui avait été proposée localement avait été acceptée.

« J’ai demandé au directeur de l’administration pénitentiaire (…) qu’une instruction soit donnée à tous les directeurs de centres pénitentiaires, de toutes les prisons, pour que nous nous limitions absolument qu’au soutien scolaire et à la langue française, à l’activité autour du travail et à l’activité sportive à l’intérieur de la prison », a dit le ministre aux journalistes.

Il faut « arrêter désormais totalement ces activités dont personne ne comprend pourquoi elles existent » et elles sont stoppées à partir de lundi, avait-t-il renchéri.

C/ Quand la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté conteste la position du ministre et dénonce la surpopulation carcérale

La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique SIMONNOT [7] réagit aussitôt vigoureusement en déclarant que « C’est un tort » de supprimer de telles activités car elles sont « prévues par la loi ».

Et d’ajouter, en soulignant :

« Ces activités ludiques ne sont pas simplement ludiques, elles réapprennent aux gens à revivre normalement » (déclaration à l’Agence France-Presse).

Et citant le taux d’occupation de 208 % de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, elle fit valoir que « le vrai scandale se situe dans le fait que les maisons d’arrêt soient surpeuplées de cette manière »« qu’il y ait des matelas au sol » dans les cellules, « que les gens soient traités comme des poulets en batterie ».

Il y a lieu de rappeler que la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté est ici dans son rôle.

En effet, la prison ne doit pas être un lieu de non-droit car le détenu ne saurait être privé de sa dignité inhérente à la condition humaine, et c’est la raison pour laquelle le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a été créé par la loi du 30 octobre 2007 et le décret du 12 mars 2008.

Il s’agit d’une autorité administrative indépendante française qui, en raison de son importance  pour la garantie des droits et libertés, en application de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution, est nommée par le Président de la République, après avis public de la commission permanente de chaque assemblée [8].

Quant à ses attributions, le CGLPL est chargé de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Il peut être saisi par toute personne privée de liberté ou un de ses proches. Il est nommé pour une durée de six ans, et son mandat n’est pas renouvelable.

La position de la contrôleuse des prisons, loin d’être isolée, est aussi celle de nombreuses associations juridiques ou/et humanitaires qui dénoncent la conception exclusivement punitive des lieux de prison et s’élèvent contre celle-ci.

II/ Le tollé de protestations suscitées par la position du Ministre de la Justice

Le 19 février 2025, tout de suite après l’annonce du Ministre, 31 organisations, parmi lesquelles l’Observatoire international des prisons (OIP, section française), la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la Magistrature (SM), l’Association des Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D), l’ADAP (Association des Avocats Pénalistes [9]), le Syndicat des Avocats de France (Saf), ACAT-France [10],  l’ANAEC [11], la Cimade, le Secours catholique, s’en émurent [12] et signèrent une tribune intitulée « Suppression d’activités en prison : le droit à la réinsertion menacé », en dénonçant :

« Un acte de pure démagogie, aux conséquences désastreuses pour les personnes détenues comme pour la société. L’emballement a déjà gagné de nombreux établissements pénitentiaires, où l’ensemble des activités visé par le garde des sceaux est temporairement suspendu. »

Les signataires reprochèrent au Ministre de « choisi(r) une fois de plus de nourrir la désinformation, plutôt que de rappeler la mission d’insertion des personnes détenues confiée à son administration ».

« En se disant « choqué profondément » par « ces activités dont personne ne comprend pourquoi elles existent », il défend à nouveau une approche exclusivement punitive de la prison, au mépris des principes fondamentaux des droits humains. »

Or « Ces activités s’inscrivent en réalité dans un travail sur l’estime de soi et le lien social, qui conditionne toute autre démarche d’insertion. Le problème est plutôt qu’elles ne concernent qu’une infime minorité de prisonniers : la prison de Seysses en compte plus de 1300 ».

Et les organisations signataires de conclure ainsi leur tribune :

 « Nous demandons au ministre de la Justice de revenir sur cette décision démagogique, injuste et contre-productive, et d’engager une réflexion sérieuse sur le sens de la peine et l’amélioration des conditions de détention. »

Comment apprécier le choc de ces deux thèses antagonistes développées par le Ministre de la Justice et les signataires de la tribune précitée ?

La thèse du Ministre s’appuie sur une conception punitive de la détention qui doit exclure toute activité ludique.

Celle développée par les auteurs de la Tribune s’inscrit, quant à elle, dans une démarche d’insertion ou de réinsertion.

III/ La saisine du Conseil d’État et sa décision

Devant l’inertie du Ministre à revenir sur sa décision, la Section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF), l’Union syndicale des syndicats CGT SPIP, le Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), le Syndicat de la magistrature, l’Association mouvement national Le CRI, la Ligue des droits de l’Homme et l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) demandèrent au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir les dispositions de l’instruction du 19 février 2025 interdisant l’organisation de toute activité « ludique et provocante » au profit des personnes détenues.

Face au tumulte généré par cette affaire, le Conseil d’État avait, quant à lui, la charge délicate de se prononcer sur le point de droit suivant : la suppression, par le Ministre d’État, Garde des Sceaux, Ministre la justice, des activités ludiques ou provoquantes a-t-elle un fondement légal ?

A/ La recevabilité de la requête

Dans cette affaire, s’agissant de la mise en cause d’une « instruction », avant de se prononcer sur le fond – à savoir l’examen de la légalité des dispositions incriminées – le Conseil d’État avait à se prononcer sur la recevabilité de la requête contre la décision administrative précitée du ministre de la Justice, prise sous la forme d’une mesure d’ordre intérieur propre à l’administration pénitentiaire.

Or, pendant longtemps, les décisions de l’administration pénitentiaire qui normalement relevaient de la compétence du juge administratif étaient considérées par le Conseil d’État comme des « mesures d’ordre intérieur » insusceptibles de recours en annulation. Le juge considérait ainsi que de telles décisions « ne faisaient pas grief », c’est-à-dire qu’elles n’affectaient pas la situation juridique des personnes détenues, qui n’avaient dès lors pas la possibilité de les contester. L’administration pouvait prendre de telles décisions sans s’exposer au contrôle de légalité du juge de l’excès de pouvoir car les requêtes dirigées contre de telles mesures étaient systématiquement déclarées irrecevables.

Mais la jurisprudence du Conseil d’État a évolué dans le sens d’une extension du contrôle de la légalité des mesures d’ordre intérieur en général, et notamment de celles de l’administration pénitentiaire comme nous allons le voir ci-dessous.

1/ L’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État au regard du contrôle de légalité des mesures d’administration pénitentiaire 

Sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme, au cours de la décennie 1980-1990 – qui s’efforçait elle-même d’assurer la protection des prévenus -, le Conseil d’Etat (CE) a reconnu, de manière pragmatique, que certaines décisions concernant la situation particulière des prévenus affectant leur vie quotidienne pouvaient être contestées devant le juge : refus de respecter le secret des correspondances entre un détenu et son avocat : CE, 12 mars 1980, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines, n° 12572, Rec. ; refus de restituer des sommes bloquées sur le compte d’un détenu : CE, 3 novembre 1989, M. Jean-Jacques M., n° 85424 (requête recevable et attribution au T.A. de Marseille, T. lebon) ; interdiction de recevoir certaines publications (CE, 10 octobre 1990, Garde des Sceaux c/ M. H., n° 107266, T. Lebon) ; décisions relatives au nombre ou à l’espacement des repas des détenus (CE, 15 janvier 1992, M. Michel C., n° 97149, Rec.).

Une seconde étape importante a été franchie en 1995, à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 17 février 1995, M. Pascal M., n° 97754, Rec. L’Assemblée du contentieux de la Haute juridiction administrative a fixé un critère d’identification des mesures susceptibles de recours :  le juge doit prendre en compte la nature et la gravité de la décision contestée pour déterminer si elle peut ou non faire l’objet d’un recours, notamment eu égard à ses incidences concrètes sur la situation du détenuLa démarche suivie par le juge consiste à évaluer, pour chacune des décisions, l’incidence de la mesure contestée sur la situation non pas seulement juridique, mais également matérielle et concrète des détenus.

Dans la pratique, cette nouvelle jurisprudence a entraîné un net recul des mesures d’ordre intérieur et l’augmentation du nombre des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation. C’est ainsi que par sa décision M. Pascal M. du 17 février 1995, le Conseil d’État s’est reconnu compétent pour connaître d’une sanction de mise en cellule de punition pour une durée de huit jours.

2/ L’application de cette jurisprudence au cas d’espèce

Le juge va prendre en compte la nature et la gravité de la décision contestée.

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime la requête recevable car l’instruction contestée « est susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnels de l’administration pénitentiaire, des personnes détenues, des avocats et de tiers. Il s’ensuit qu’elle peut être déférée au juge de l’excès de pouvoir. » (§ 3 de l’arrêt)

En effet, l’instruction du 19 février 2025, adressée par le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice au directeur de l’administration pénitentiaire, a pour objet de préciser le régime applicable aux activités proposées, en application des dispositions du code pénitentiaire, aux personnes placées sous main de justice, compte tenu de l’objectif de réinsertion que ces activités doivent poursuivre, et d’inviter les directeurs interrégionaux de l’administration pénitentiaire à faire preuve de rigueur et de discernement dans le choix des activités retenues.

En revanche, la requête présentée par le Syndicat de la magistrature est déclarée irrecevable car son objet est régi par les dispositions de l’article L. 2131-1 du code du travail applicables aux syndicats professionnels.

En effet, aux termes mêmes des dispositions de l’article l.2131-1 du Code du travail « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts. »

Dès lors, selon le CE, le Syndicat de la Magistrature ne saurait se prévaloir de ses statuts relatifs à l’engagement  » de toutes actions, y compris contentieuses, tendant à assurer le respect des droits et libertés à valeur constitutionnelle ou garantis par les conventions internationales  » pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des dispositions attaquées (§ 4 de l’arrêt).

La requête, ayant été également présentée, comme on l’a vu, par 6 autres organisations – dont 4 professionnelles, et 2 humanitaires, juridiques (voir supra) – fondées à agir et ayant un intérêt à demander l’annulation des dispositions litigieuses de l’instruction du Ministre, est donc recevable.

B/ L’objet du pourvoi et la compétence du Ministre de la justice

Le Conseil d’État commence par définir l’objet du pourvoi (1) pour vérifier ensuite la compétence du Ministre de la Justice (2).

1/ Le resserrement de l’objet du pourvoi

En application des dispositions du code pénitentiaire, l’instruction du 19 février 2025 adressée par le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice au directeur de l’administration pénitentiaire, a pour objet de préciser le régime applicable aux activités proposées aux détenus.

Mais, précise le Conseil d’Etat, les conclusions de la requête déposée par les organisations s’étant pourvues en annulation contre l’instruction du Ministre de la justice « doivent être regardées comme tendant à l’annulation de la seule mention figurant au deuxième paragraphe de cette instruction, selon laquelle aucune des activités proposées en détention ne peut être ludique ou provocante » (§ 2 de l’arrêt).

2/ La compétence du pouvoir réglementaire du Ministre de la Justice

Le Conseil d’État (CE) vérifie que le Ministre de la justice était bien compétent pour édicter l’instruction du 19 février 2025.

Sous l’empire des lois constitutionnelles de 1875, comme dans le cadre de la Constitution de 1946 ou celle de 1958, les ministres ne sont pas investis du pouvoir réglementaire. Celui-ci est en effet attribué soit au chef de l’État (IIIe République), soit au chef du gouvernement (IVe République), soit, enfin, au chef du gouvernement sous réserve des prérogatives reconnues au Chef de l’État (Vème République), [13] les ministres n’étant appelés qu’à contresigner, dans leur domaine de compétence, les décrets pris par l’autorité titulaire du pouvoir réglementaire.

Mais les ministres étant eux-mêmes responsables du bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité, à partir de 1936 le Conseil d’Etat, dans sa célèbre jurisprudence JAMART du 7 février 1936 [14], leur reconnut, en leur qualité de chef de service, un pouvoir réglementaire minimal, dont ils disposent en l’absence de toute habilitation par une loi ou un décret, afin de prendre les mesures nécessaires à l’organisation de leurs services.

Ce pouvoir réglementaire est enfermé, comme cela était précisé dans l’arrêt précité, dans des limites strictes, car il ne peut s’exercer – comme le rappellera un peu plus tard, en 1961, dans ses conclusions M. Bernard, commissaire du gouvernement – « que dans la mesure où les nécessités du service l’exigent et envers les seules personnes qui se trouvent en relation avec le service, soit qu’elles y collaborent, soit qu’elles l’utilisent. [15]»

Dans le § 9 de son arrêt, s’agissant des activités proposées par l’administration pénitentiaire, le Conseil d’Etat considère qu’il était loisible au ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en sa qualité de chef de service, de fixer les conditions dans lesquelles sont organisées ces activités.

C/ L’annulation des dispositions litigieuses  

Le CE se prononce enfin sur la demande d’annulation des dispositions litigieuses.

Il commence d’abord par analyser le cadre juridique du litige (1) puis se prononce ensuite sur la validité de l’interdiction des activités ludiques (2). En revanche, le Conseil d’Etat ne sanctionne pas les activités qui présenteraient un caractère « provocant ». (3)

1/ Le cadre juridique du litige

Il résulte de la philosophie du Code pénal (a) et des obligations incombant aux détenus (b).

a) La philosophie du Code pénal

Devant la multiplication des déclarations tonitruantes d’une partie importante de notre classe politique et, au sommet de l’Etat, des ministres de la Justice et de l’Intérieur, il n’est pas inutile de rappeler – même si cela tombe sous le sens citoyen et républicain et devrait être définitivement acquis et admis par tous – que la fabrication de notre droit pénal ne dépend pas du juge (trop souvent injustement mis en cause) – qui est là pour l’appliquer – ni encore moins du Ministre de la justice ou, pire, du Ministre de l’Intérieur.

Depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 – qui a posé, dans ses articles 7 à 9, les grands principes de notre droit pénal – le droit pénal dès l’instant qu’il comporte des peines privatives de liberté, dépend de la loi [16], expression de la souveraineté du peuple.

Le Conseil d’État va se livrer à une analyse rigoureuse des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale.

L’article L. 130-1 du code pénal dispose :

« Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »

Comme on le voit ci-dessus, la mission – ou le but – du droit pénal est de protéger la société, de prévenir de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social dans le respect des intérêts de la victime.

A cette fin, la peine comporte deux volets : un premier aspect punitif résidant dans la sanction de l’auteur de l’infraction ; un second aspect tourné vers l’amendement du délinquant, son insertion ou réinsertion.

S’agissant de l’insertion et de la réinsertion elles ont fait l’objet de dispositions spéciales du Code de procédure pénale dont le § II de l’article 707 stipule :

« Le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions. / Ce régime est adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine, en fonction de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l’objet d’évaluations régulières. »

b) Les obligations incombant aux détenus

L’exercice d’activités par les détenus n’est pas une option mais une obligation ayant pour finalité de favoriser sa réinsertion et découlant du Code pénitentiaire dont l’article L. 411-1 dispose :

« Toute personne détenue condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui sont proposées par le chef de l’établissement pénitentiaire et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité sa réinsertion et est adaptée à son âge, à ses capacités, à sa personnalité et, le cas échéant, à son handicap. / Lorsque la personne détenue intéressée ne maîtrise pas les enseignements fondamentaux, l’activité consiste par priorité en l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Lorsqu’elle ne maîtrise pas la langue française, l’activité consiste par priorité en son apprentissage. L’organisation des apprentissages est aménagée lorsque la personne détenue exerce une activité de travail. »

Aux termes de l’article R. 411-1 du même code :

« Une personne détenue condamnée remplit l’obligation prévue par les dispositions de l’article L. 411-1 lorsqu’elle exerce au moins l’une des activités relevant de l’un des domaines suivants : travail, formation professionnelle, insertion par l’activité économique, enseignement, activités éducatives, culturelles, socio-culturelles, sportives et physiques. »

2/ L’annulation de l’interdiction des activités à caractère ludique

Les activités ludiques ne sont pas interdites par le Code pénitentiaire. Ainsi le Conseil d’Etat rappelle que la possibilité pour un détenu de participer à des jeux excluant tout gain possible est même explicitement prévue en ces termes par l’article R. 411-8 du Code pénitentiaire :

« Sous le contrôle d’un personnel pénitentiaire, les personnes détenues peuvent participer à des activités collectives ou à des jeux excluant toute idée de gain. »

Par ailleurs, comme on l’a vu, le Conseil d’Etat rappelle que, aux termes mêmes de l’article L. 411-1 du Code pénitentiaire, les « activités éducatives, culturelles, socio-culturelles, sportives et physiques » ayant pour but d’assurer la réinsertion du détenu entrent bien dans le cadre des activités pouvant être choisies par le détenu au titre de ses obligations.

Le Conseil d’État admet que pour l’organisation de telles activités il puisse être fait appel à des intervenants extérieurs auxquels peuvent être confiés l’animation de celles-ci.

Par suite le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice ne pouvait légalement exclure, par principe, que soient organisées des activités conformes au dispositif légal au seul motif qu’elles auraient, par ailleurs, un caractère  » ludique « .

Le Conseil d’État conclut donc que « les associations requérantes sont fondées à demander l’annulation de l’instruction attaquée en tant qu’elle interdit les activités à caractère ludique. »

3/ La confirmation de l’interdiction des activités à caractère provocant

Pour le Conseil d’État, le terme  » provocant « , utilisé par le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme interdisant que « puissent être proposées aux personnes détenues des activités qui sont, en raison de leur objet, du choix des participants ou de leurs modalités pratiques, de nature à porter atteinte au respect dû aux victimes ».

Par suite, le garde des sceaux n’a pas entaché l’instruction attaquée d’incompétence et n’a méconnu ni les dispositions du code pénitentiaire (qu’il a analysées aux points 6 et 7 de son arrêt), ni les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [17].

Le Conseil d’État tranche en considérant que dans l’instruction du 19 février 2025  « doivent seulement être annulés pour excès de pouvoir les mots  » ludique ou « .

CONCLUSIONS

Les sorties outrancières de notre Ministre de la Justice sont nombreuses car outre la prohibition des activités ludiques dans le cadre de leur détention, l’on sait que le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, entend faire payer aux détenus une partie des frais de leur incarcération, ce qui constitue un non-sens et une aberration. Est-il le Ministre de la Justice ou de la rigueur budgétaire appliquée aux détenus ?

Or les propos bien inquiétants de M. DARMANIN, Ministre de la Justice, ne sauraient effacer les grandes tendances du droit pénal qui ne sont pas propres à la France mais sont très répandues au niveau européen et un peu partout à travers le monde.

C’est donc à tort que les forces de droite taxent depuis trop longtemps – plus précisément depuis le début des années de la présidence de Nicolas SARKORY – le système juridique pénal français de « laxiste » avec, en amont, la mise en cause de ce que serait la clémence excessive des juges (« laxisme ») et en aval la situation des détenus qui doit être durcie au lieu d’être orientée vers des activités de réinsertion.

Il n’est pas inutile de rappeler ici que si, jusqu’au milieu du XXe siècle, le détenu n’avait aucun statut juridique, progressivement, la prison s’est « humanisée », au moins dans les textes (même si la pratique reste encore très discutable).

Aujourd’hui, le détenu peut se prévaloir d’un certain nombre de droits fondamentaux prévus par les textes internationaux et nationaux :  droit à une vie familiale, droit à la santé, à la pratique religieuse, droit de vote, droit à la dignité.

C’est dire que depuis de nombreuses années, l’Etat de droit existe également, fort heureusement, dans les prisons, au profit des détenus, à travers un dispositif légal formalisé dans le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code pénitentiaire.

Ces détenus, s’ils doivent purger leur peine, ne sauraient faire l’objet de vexations et d’humiliations dès lors qu’ils ne sauraient être considérés comme dépourvus de leur dignité originelle consubstantielle à leur condition humaine, surtout si l’on considère qu’ils sont capables de s’amender puis de se réinsérer dans la société en bénéficiant d’activités susceptibles de faciliter leur future réintégration une fois leur liberté recouvrée.

L’arrêt du Conseil d’État que nous venons d’analyser va dans ce sens et indique à nos gouvernants un marqueur civilisationnel à ne pas enfreindre sauf à retomber dans l’arbitraire ou la barbarie.

Louis SAISI

Paris, le 27 mai 2025

NOTES

[1] Voir cet arrêt en Annexe.

[2] Pour les affaires simples qui ne posent pas de difficultés juridiques particulières, 3 juges tranchent le conflit. Ces conseillers d’État appartiennent à la « chambre » à qui l’affaire a été confiée en fonction de sa thématique. On parle alors d’une « chambre jugeant seule » qui comprend le président de la chambre, l’un de ses deux assesseurs et le rapporteur. Le nombre de juges sera supérieur pour les affaires présentant une difficulté juridique. Lorsque le Conseil d’Etat statue sur un jugement en chambres réunies », dans ce cas, la chambre qui instruit l’affaire la jugera avec l’aide d’une autre chambre. 9 conseillers d’État composent la formation de jugement que l’on appelle « chambres réunies » : le président de la section du contentieux (ou l’un des trois présidents adjoints), le président, deux assesseurs et le rapporteur de la chambre qui a instruit l’affaire, le président et deux assesseurs de l’autre chambre, et enfin un conseiller d’État appartenant à une troisième chambre.

[3] Citées in extenso aux points 6 et 7 de l’arrêt de la Haute juridiction administrative.

[4] La Dépêche du 14 février 2025.

[5] L’on se souvient que le 19 mai 2021 Gérald DARMANI, alors Ministre de l’Intérieur, avait participé au rassemblement des policiers devant l’Assemblée nationale. Lors de ce rassemblement les syndicats des policiers réclamaient une sévérité pénale accrue contre les agresseurs de forces de l’ordre. Cette attitude de la part d’un Ministre de l’Intérieur en place se joignant aux policiers pour manifester à leurs côtés était assez inédite sous le régime de la Vème République. Mais pour le Ministre de l’Intérieur il s’agissait aussi de donner de la continuité à son offensive sécuritaire qu’il avait lancée depuis plusieurs mois, afin de donner des gages aux policiers pour mieux s’assurer de leur concours dans leurs tâches répressives de plus en plus importantes. Ainsi, pour s’assurer que dans le contexte de crise d’alors, la police devait défendre l’État face à d’éventuelles explosions sociales, le gouvernement ne cessa de lui donner des gages, tout en cherchant à relégitimer son rôle auprès de la population. Cela marquait une forme de renaissance de l’Etat régalien garant d’un certain ordre social, économique et politique dans la plus pure épure libérale classique.

[6] Consacrée au choix de l’un des quatre sites envisagés pour accueillir une prison de haute sécurité pour les narcotrafiquants dangereux.

[7] Le 14 octobre 2020, la journaliste Dominique SIMONNOT (Libération, Le Canard Enchaîné), ancienne éducatrice à l’administration pénitentiaire, fut nommée contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. En mai 2021, Dominique SIMONNOT dénonce des traitements « inhumains et dégradants » et une grave violation des droits dans le centre de détention pour détenus vieillissants de Bedenac. En février 2025, elle publie un avis dans le Journal officiel dénonçant les conditions prohibitives d’accès au téléphone dans les prisons.

[8] Toujours selon l’alinéa 5 de cet article 13 de la Constitution, « Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins 3/5ème des suffrages exprimés au sein des deux assemblées. »

[9] L’ADAP ou Association des Avocats Pénalistes a été créée en 1991 sous la houlette d’Hervé TEMIME, par Jean-Louis-PELLETIER, Philippe LEMAIRE, Jean-Yves LE BORGNE, Monique SMADJA-EPSTEIN, Olivier METZNER et Olivier SCHNERB, l’Association des Avocats Pénalistes (ADAP) s’est donné pour objet « l’étude et la défense de l’exercice de la profession des avocats pénalistes et des droits et principes s’y rattachant ». Selon ses statuts, elle « participe aux campagnes d’information sur la réalité de l’état de la Justice pénale mais aussi de la situation des prisons, etc. », et « entend porter haut la parole des avocats qui ont à cœur de participer à une Justice pénale de qualité dans laquelle les libertés fondamentales sont respectées. »

[10] ACAT-France = Action des Chrétiens pour l’Abolitions de la Torture est une ONG chrétienne œcuménique de défense des droits de l’Homme fondé en 1974.

[11] L’ANAEC = Association Nationale des Assesseurs Extérieurs en Commission de discipline.

[12] Avec d’autres associations ayant les mêmes préoccupations et également signataires telles que : Anciens du genepi, ANJAP, ANVP, APSEP, ARAPEJ 41, ASPMP, Auxilia, Ban public, CASP, CGT IP, Champ Libre, Le Courrier de Bovet, Le CLIP, Le Cri, Emmaüs, FARAPEJ, FNUJA, LDH, Lire c’est vivre, Lire pour en sortir, SNEPAP-FSU, SNPES-PJJ.

[13] En effet, aux termes mêmes de la Constitution du 4 octobre 1958, le pouvoir réglementaire appartient au Premier Ministre (article 20, alinéa 2 et 21, alinéa 1er), les actes du Premier ministre étant contresignés le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution (article 22).

[14] Cf. 7 février 1936, JAMART, Recueil Lebon, p. 172 ; Recueil Sirey, 1937. III. P. 113, note RIVERO ; voir aussi Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Ed. Dalloz, 23ème édition, 2021, N° 44 « Pouvoir réglementaire des ministres, pp.293-298.

[15] Conclusions BERNARD, sous CE 6 octobre 1961, UNAPEL, RDP 196, p. 1279.

[16] Cf. l’article 34 de notre Constitution.

[17] Convention européenne de sauvegarde des droits  sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Article 3 – Interdiction de la torture

Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale

  1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
  2.      Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

ANNEXE : Conseil d’État, 19 mai 2025

 Conseil d’État

N° 502367

ECLI:FR:CECHR:2025:502367.20250519
Inédit au recueil Lebon

10ème – 9ème chambres réunies

Rémy Schwartz, président

Mme Alexandra Poirson, rapporteure

Frédéric Puigserver, rapporteur public

SCP SPINOSI, avocats

Lecture du lundi 19 mai 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mars et 2 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF), l’Union syndicale des syndicats CGT SPIP, le Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), le Syndicat de la magistrature, l’Association mouvement national Le CRI, la Ligue des droits de l’Homme et l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’instruction du 19 février 2025 par laquelle le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, a encadré les activités pouvant être proposées aux personnes détenues, en particulier en ce qu’elle prévoit l’interdiction d’organiser toute activité  » ludique ou provocante  » ;

2°) de mettre à la charge de l’État la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code pénal ;

– le code pénitentiaire ;

– le code du travail ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Alexandra Poirson, auditrice,

– les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Section Française de l’Observatoire international des prisons et autres.

Une note en délibéré, enregistrée le 9 mai 2025, a été présentée par le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice

Considérant ce qui suit :

  1. L’instruction du 19 février 2025, adressée par le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice au directeur de l’administration pénitentiaire, a pour objet de préciser le régime applicable aux activités proposées, en application des dispositions du code pénitentiaire, aux personnes placées sous main de justice, compte tenu de l’objectif de réinsertion que ces activités doivent poursuivre, et d’inviter les directeurs interrégionaux de l’administration pénitentiaire à faire preuve de rigueur et de discernement dans le choix des activités retenues.2. Les conclusions de la requête doivent être regardées comme tendant à l’annulation de la seule mention figurant au deuxième paragraphe de cette instruction, selon laquelle aucune des activités proposées en détention ne peut être ludique ou provocante.

Sur la recevabilité de la requête :

  1. L’instruction contestée est susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des personnels de l’administration pénitentiaire, des personnes détenues, des avocats et de tiers. Il s’ensuit qu’elle peut être déférée au juge de l’excès de pouvoir.4. Toutefois, le Syndicat de la magistrature, dont l’objet est régi par les dispositions de l’article L. 2131-1 du code du travail applicables aux syndicats professionnels, ne saurait utilement se prévaloir des termes généraux de ses statuts relatifs à l’engagement  » de toutes actions, y compris contentieuses, tendant à assurer le respect des droits et libertés à valeur constitutionnelle ou garantis par les conventions internationales  » pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des dispositions attaquées. Par suite, la requête est irrecevable en tant qu’elle émane de ce syndicat.

Sur les conclusions relatives à l’instruction du 19 février 2025 :

En ce qui concerne le cadre juridique :

  1. Aux termes de l’article L. 130-1 du code pénal :  » Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.  » Aux termes du II de l’article 707 du code de procédure pénale :  » Le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions. / Ce régime est adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine, en fonction de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l’objet d’évaluations régulières. « 
  2. S’agissant des personnes détenues condamnées, l’article L. 411-1 du code pénitentiaire dispose que :  » Toute personne détenue condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui sont proposées par le chef de l’établissement pénitentiaire et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité sa réinsertion et est adaptée à son âge, à ses capacités, à sa personnalité et, le cas échéant, à son handicap. / Lorsque la personne détenue intéressée ne maîtrise pas les enseignements fondamentaux, l’activité consiste par priorité en l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Lorsqu’elle ne maîtrise pas la langue française, l’activité consiste par priorité en son apprentissage. L’organisation des apprentissages est aménagée lorsque la personne détenue exerce une activité de travail.  » Aux termes de l’article R. 411-1 du même code :  » Une personne détenue condamnée remplit l’obligation prévue par les dispositions de l’article L. 411-1 lorsqu’elle exerce au moins l’une des activités relevant de l’un des domaines suivants : travail, formation professionnelle, insertion par l’activité économique, enseignement, activités éducatives, culturelles, socio-culturelles, sportives et physiques. « 
  3. S’agissant de l’ensemble des personnes détenues, l’article R. 411-8 du même code prévoit que :  » Sous le contrôle d’un personnel pénitentiaire, les personnes détenues peuvent participer à des activités collectives ou à des jeux excluant toute idée de gain.  » L’article D. 414-3 du même code dispose que :  » Des activités socioculturelles sont organisées dans chaque établissement pénitentiaire. Elles ont notamment pour objet de développer les moyens d’expression, les connaissances et les aptitudes des personnes détenues. / Le service pénitentiaire d’insertion et de probation recherche à cet effet le concours de personnes intervenantes extérieures auxquelles peut être confiée l’animation de certaines activités. / L’emploi du temps hebdomadaire doit permettre à toute personne détenue qui le souhaite de participer à ces activités.  » Aux termes du premier alinéa de l’article R. 414-7 du même code :  » Toute personne détenue est admise, sauf contre-indication médicale, à pratiquer des activités physiques et sportives. / Toutefois, le chef de l’établissement pénitentiaire peut interdire ces activités à une personne détenue pour des raisons d’ordre et de sécurité (…). « En ce qui concerne l’interdiction des activités à caractère ludique :
  4. En premier lieu, l’instruction contestée, qui est relative aux seules activités proposées par l’administration pénitentiaire aux personnes détenues, n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d’interdire à celles-ci la participation à des jeux, dans les conditions prévues par l’article R. 411-8 du code pénitentiaire.
  5. En second lieu, s’agissant des activités proposées par l’administration pénitentiaire, s’il était loisible au ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en sa qualité de chef de service, de fixer les conditions dans lesquelles sont organisées ces activités, il ne pouvait légalement exclure, par principe, que soient organisées des activités conformes aux dispositions citées aux points 6 et 7 au seul motif qu’elles auraient, par ailleurs, un caractère  » ludique « .
  6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que les associations requérantes sont fondées à demander l’annulation de l’instruction attaquée en tant qu’elle interdit les activités à caractère ludique.

En ce qui concerne l’interdiction des activités à caractère provocant :

  1. Il ressort des pièces du dossier que, par le terme  » provocant « , le ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme ayant entendu rappeler que ne peuvent être proposées aux personnes détenues des activités qui sont, en raison de leur objet, du choix des participants ou de leurs modalités pratiques, de nature à porter atteinte au respect dû aux victimes. Par ce rappel, dans le respect des compétences des directeurs des établissements pénitentiaires dont les décisions sont soumises au contrôle du juge administratif, le cas échéant en référé, le garde des sceaux n’a pas entaché l’instruction attaquée d’incompétence et n’a méconnu ni les dispositions du code pénitentiaire citées aux points 6 et 7, ni les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
  2. Il résulte de tout ce qui précède que doivent seulement être annulés pour excès de pouvoir les mots  » ludique ou « .

Sur les frais de l’instance :

  1. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme globale de 3 000 euros à verser aux requérants, à l’exception du Syndicat de la magistrature, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

————–
Article 1er : La requête est rejetée en tant qu’elle émane du Syndicat de la magistrature.
Article 2 : Les mots  » ludique ou  » figurant dans l’instruction du ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice du 19 février 2025 sont annulés.
Article 3 : L’État versera la somme globale de 3 000 euros aux requérants, à l’exception du Syndicat de la magistrature, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l’Observatoire international des prisons, première dénommée, et ministre d’Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

 

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Contenu protégé !