TRAVAIL… MAIS DE QUEL TRAVAIL, PARLONS-NOUS? par Louis SAISI

« TRAVAIL »… MAIS DE QUEL « TRAVAIL », PARLONS-NOUS ?

Après la loi El Khomri modifiant le droit du travail pour le rendre plus flexible dans l’intérêt exclusif des entreprises, en dépit du libellé trompeur de cette loi, les ordonnances MACRON/PHILIPPE veulent aller encore plus loin dans cette voie-là, au nom de la « réforme ». Réforme qui, de fait, n’est qu’une « contre-réforme » ou plutôt la restauration de formes passées de rapports sociaux tels que la France les a connus sous LOUIS-PHILIPPE (1830-1848) et François GUIZOT [1] (1787-1874), dans le premier tiers du 19ème siècle et jusqu’à son milieu, avant la naissance des syndicats et partis ouvriers, au moment où les grandes fortunes se constituent en quelques années, tandis que les classes les plus aisées se convertissent à la pratique de l’épargne et de la rente.

I/ Au niveau sémantique, la dégradation de l’idée même de travail, de sa place et de son rôle…

 La dégradation du statut du travail et de sa place se traduit dans l’usage de plus en plus fréquent de la calamiteuse et dangereuse expression « marché du travail » qui atteste bien de ce qui est souhaité, aujourd’hui, par nos gouvernants, l’Union européenne et la classe économique dominante en matière de droit du travail

Le « travail » est devenu une « variable d’ajustement » au service des intérêts économiques et financiers et de la compétition économique marchande…

Cela apparaît dans « Le Pacte pour l’euro plus« , aussi appelé « Pacte pour l’euro, la compétitivité et la convergence » faisant suite à l’accord entériné le 25 mars 2011, à l’initiative de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, conduisant les pays de l’Union européenne à un ensemble d’engagements de convergence économique et de renforcement de la compétitivité.

Il s’agit de rendre le travail plus « attractif » en le flexibilisant davantage – tout en prétendant en même temps qu’on cherche à le « sécuriser » – et de réformer les systèmes de retraites.

Les gouvernants européens ont ainsi leur feuille de route pour les années qui viennent…

Or, en clair, ce pacte, loin de favoriser la croissance et la coopération en Europe, demande en fait aux travailleurs de chaque pays de la zone euro de faire des efforts pour attirer le capital en étant le moins exigeants possible en termes de salaires et de protection sociale…

C’est ainsi que pour améliorer leur compétitivité, les pays sont conviés à surveiller les coûts unitaires de main d’œuvre en étant fortement invités à revoir les mécanismes d’indexation sur les prix, sans pour autant que les salaires soient liés à la productivité ni que certains pays soient tenus de procéder à un rattrapage des salaires quand ceux-ci – comme c’est le cas en Allemagne et en Autriche – ont moins progressé que la productivité.

Par ailleurs, l’ajustement de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie aboutit, de fait, à faire baisser très fortement le niveau de retraite de tous ceux – et notamment les ouvriers – qui ne pourront guère travailler au-delà de 60/62 ans et qui devront donc partir à la retraite avec de fortes décotes faute d’atteindre un nombre suffisant d’annuités de cotisations.    

Cette évolution sémantique, de plus en plus banalisée dans les discours quotidiens, atteste de ce qu’est la perception du travail au sein de nos classes dirigeantes et de l’Union européenne, mais aussi du monde économique (incarné par le MEDEF notamment, mais pas exclusivement), de la presse écrite et des médias (radios, télévisions).

II/ Le travail est ainsi considéré de plus en plus comme une « marchandise » ou un « bien marchand »

Cette triste marchandisation du travail nous éloigne de la Déclaration de Philadelphie [2] adoptée à l’unanimité le 10 mai 1944 par la conférence générale de l’OIT et revendiquant pour le travail un statut à part et « non marchand » et pour l’Homme un statut de « dignité » et de « sécurité économique ».

Cette déclaration est, selon Alain SUPIOT, « la première déclaration internationale des droits à vocation universelle » [3].

Article I

« La Conférence affirme à nouveau les principes fondamentaux sur lesquels est fondée l’Organisation, à savoir notamment :

« – le travail n’est pas une marchandise ; »

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Article II

 « Convaincue que l’expérience a pleinement démontré le bien-fondé de la déclaration contenue dans la Constitution de l’Organisation internationale du travail, et d’après laquelle une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale, la Conférence affirme que :

 « – tous les êtres humains, quelles que soient leur ethnie, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ;

« – la réalisation des conditions permettant d’aboutir à ce résultat doit constituer le but central de toute politique nationale et internationale ;

« – tous les programmes d’action et mesures prises sur le plan national et international, notamment dans le domaine économique et financier, doivent être appréciés de ce point de vue et acceptés seulement dans la mesure où ils apparaissent de nature à favoriser, et non à entraver, l’accomplissement de cet objectif fondamental ; »

 

Mais on s’éloigne aussi des grands principes de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies, sous l’impulsion du français René CASSIN, futur prix Nobel de la Paix, et de Mme Eleanor Roosevelt qui fut nommée par le Président des Etats-Unis, Harry S. Truman, en 1946, comme déléguée à l’Assemblée générale des Nations Unies.  Elle a été le premier président de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et a joué également un rôle déterminant dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme :

Article 23

« 1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.

« 2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.

« 3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.

« 4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. »

Article 24

« Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques. »

Article 25

« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »

—–

Aujourd’hui le « travail » est seulement conçu par nos gouvernants successifs (Sarkozy, Hollande, Macron et leurs majorités), non pour permettre au travailleur salarié de vivre dignement de la juste et équitable rémunération de son activité, mais pour être au service de la compétition économique, de la défense des dividendes des actionnaires et de l’enrichissement de ceux qui détiennent les moyens de production et d’échanges…

D’où cette réforme MACRON du Code du Travail, élaborée par ordonnances, venant après la « LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels », dite « Loi El Khomri » (JORF n°0184 du 9 août 2016, texte n° 3).

Conclusion

La France, élève zélé du modèle néolibéral porté par l’Union européenne, est louée par la Commission de Bruxelles pour la « réforme » (= casse qui est plus appropriée) du Code du Travail qu’elle avait déjà entreprise en 2016. Ainsi un Haut-fonctionnaire de la Commission européenne aurait lâché : « La réforme portée par la loi El Khomri est un modèle pour l’Europe »...  Et l’on continue, avec notre nouveau Président, tellement le néolibéralisme veut aller le plus loin possible dans la destruction de notre « démocratie sociale » (article 1er de notre Constitution)… 

La loi El Khomri, ça n’était donc qu’un début car le gouvernement MACRON/PHILIPPE, après une nouvelle réforme libérale du Code du Travail, nous a promis de s’attaquer aux retraites…

Louis Saisi

Paris, le 5 septembre 2017

NOTES

[1] Plusieurs fois Ministre de Louis-Philippe, entre 1830 et 1837, puis président du Conseil de fait, en 1847, sans en avoir le titre, du 18 septembre 1847 au 24 février 1848 (7ème législature) . On considère souvent que de 1840 à 1848 (5ème et 6ème législatures), derrière Soult faisant officiellement fonction de Président du conseil des ministres du Roi (29 octobre 1840 au 18 septembre 1847), c’est Guizot qui était, en fait, la véritable tête pensante du gouvernement de Louis-Philippe.

[2] Cf. l’ouvrage de SUPIOT (Alain) : L’esprit de Philadelphie – La justice sociale face au marché total, Ed. Seuil, Paris, 2010, 178 p.

[3] Op. cit. Introduction, p.9.

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