Une lecture parlementaire de notre Constitution originelle s’impose aujourd’hui
par Louis SAISI
Une nouvelle assemblée nationale est issue des scrutins des 30 juin et 7 juillet 2024.
L’ancienne majorité (relative) composée du parti présidentiel Renaissance et de ses alliés (MoDem, Horizons, centristes de l’UDI et du Parti radical) a été placée dans une situation minoritaire accrue par la volonté du peuple souverain.
I/ La situation de l’Exécutif, depuis le 7 juillet 2024
Ci-dessous Gabriel ATTAL, notre jeune
Premier Ministre ayant succédé,
dans cette fonction, à Elisabeth BORNE
depuis le 9 janvier 2024, celui-ci ayant présenté,
le 8 juillet 2024, sa démission au Président.
Mais G. ATTAL reste toujours en fonction,
avec toutes ses prérogatives de plein exercice.
Le Premier Ministre Gabriel ATTAL (photo ci-contre), aussitôt les résultats connus, a présenté, le 8 juillet 2024, en fin de matinée, sa démission au Président de la République qui, selon la presse unanime, l’a refusée. Le Président n’aurait pas accepté une telle démission sur-le-champ en lui demandant de rester « pour le moment » afin « d’assurer la stabilité du pays », notamment en vue des JO. A la lecture de l’article 8 de la Constitution – le Président de la République « met fin » aux fonctions du Premier ministre « sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement » -, l’on pourrait croire qu’une telle démission s’impose. En effet, la simple lecture de la 2ème phrase du 1er alinéa de l’article 8 pourrait accréditer l’idée, au moins grammaticalement, qu’il y a un rapport d’automaticité entre le fait de vouloir démissionner exprimée par le Premier ministre et sa démission effective. La compétence du Président serait alors liée à la volonté du Premier ministre de démissionner et le Président ne pourrait qu’entériner cette décision et l’enregistrer comme définitive et s’imposant à lui.
A/ La paradoxale situation actuelle du Gouvernement
Dans la Constitution de 1958 l’interprétation des relations entre les deux pôles de l’Exécutif est beaucoup plus complexe que ne le laisse apparaître la sobre et a priori limpide rédaction de l’article 8. En effet, la compétence du Président dans ses relations à son Premier ministre, aux termes mêmes de l’article 19 de la Constitution, est dispensée du contreseing ministériel pour la nomination et la démission du Premier Ministre (article 8, alinéa 1er) et s’analyse donc comme une compétence propre du Président qu’il exerce de manière discrétionnaire. Par suite, l’article 8, dans son alinéa 1er, 2ème phrase, donnerait toute latitude au Président en exercice d’accepter ou de refuser une telle démission, et cela d’autant plus que rien, dans la Constitution, ne fait d’ailleurs obligation au Premier Ministre de présenter sa démission à la suite des dernières élections législatives générales des 30 juin et 7 juillet 2024.
En effet, les deux situations dans lesquelles le Premier ministre est tenu, juridiquement, de démissionner sont celles prévues par l’article 50 de la Constitution : lorsque, dans le cadre de l’article 49, alinéas 2 et 3, de la Constitution, l’Assemblée nationale a voté et adopté une motion de censure ; lorsque, dans le même cadre (article 49, alinéa 1er), elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement sur lesquels celui-ci a engagé sa responsabilité, après délibération en Conseil des ministres. Dans ces deux cas, il s’agit d’une démission obligatoire faisant suite à un conflit entre le Gouvernement et le Parlement (Assemblée nationale). En dehors de ces deux cas, le Président disposerait d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité d’accepter ou de refuser la démission du Gouvernement.
Mais si l’on passe du « juridique » au « politique », l’on peut alors se demander si, après des élections législatives générales sanctionnant l’Exécutif (Président et Premier ministre) et plaçant le Gouvernement sans une majorité d’appui favorable, la démission du Gouvernement n’est pas la juste conséquence de la perte de sa majorité parlementaire à la suite de la sanction populaire sur sa politique, et si l’attitude du Président, plutôt que de la rejeter, ne devrait pas être, au contraire, de l’accepter en vertu même des pouvoirs qu’il tient de l’article 5 de notre Constitution par lesquels il « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat« .
1/ L’expression d’un conflit entre le peuple et le Gouvernement
Par leurs résultats les élections des 30 juin et 7 juillet 2024 attestent bien de l’existence d’un conflit entre le peuple et le Gouvernement par la sanction des députés sortants soutenant celui-ci. Il y a donc bien, ici également, un conflit, mais entre le peuple – qui envoie siéger sur les bancs de l’Assemblée nationale une majorité d’élus de tous bords hostiles au Gouvernement – et le Gouvernement. Il s’agirait bien, ici aussi, d’une « démission confictuelle ». Et le Premier Ministre Gabriel ATTAL, tirant les conséquences de son échec et celui de l’ancienne majorité, l’avait parfaitement compris qui, dès les résultats et projections connus, le 7 juillet au soir, avait bien exprimé son intention de présenter, dès le lendemain, sa démission au Président. Ce qui était l’évidence politique même car l’on ne voit pas au nom de quoi un conflit entre le peuple et le Gouvernement serait moins sanctionné qu’un conflit, né au cours d’une législature, entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale.
2/ Le Gouvernement démissionnaire et la notion d’affaires courantes
L’attitude négative de la part du Président s’apparente à un déni de la nouvelle réalité politique. Elle est surprenante et discutable politiquement car le fait d’accepter la démission de son Premier Ministre n’empêchait pas celui-ci, juridiquement, et jusqu’à son remplacement par son successeur, de pouvoir continuer à gérer « les affaires courantes » selon la tradition parlementaire et républicaine pour assurer la continuité administrative du fonctionnement de l’Etat et de ses services publics.
La légitimité de l’existence de la notion d' »affaires courantes » a été confirmé dans un arrêt du 22 avril 1966, n° 59340, dans lequel le Conseil d’État rappelle que « selon un principe traditionnel du droit public, le gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu’à ce que le Président de la République ait pourvu, par une décision officielle, à son remplacement, pour procéder à l’expédition des affaires courantes ; […] »
Les affaires courantes sont les affaires qu’une autorité désinvestie de ses fonctions originelles conserve et peut continuer à « expédier » dans l’attente de la nomination de son successeur et sans s’exposer au risque d’annulation de ses décisions pour incompétence.
L’expression « affaires courantes » est le plus souvent utilisée pour caractériser les décisions d’un gouvernement qui vient de démissionner et qui assure la continuité de l’Etat et des services publics en attendant qu’un nouveau Gouvernement soit nommé. En d’autres termes, ce sont les décisions que prend l’autorité sans avoir besoin de ses pleines prérogatives. Cette définition est plutôt large et vague, et la notion d’affaires courantes n’est guère clairement délimitée.
A l’occasion des conclusions développées lors de l’arrêt du Conseil d’État N° 86015 du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, le commissaire du gouvernement Jean DELVOLVÉ proposait d’inclure dans la catégorie des affaires courantes les décisions d’administration quotidienne et les décisions urgentes.
La définition des « affaires courantes » est souvent négative, à savoir la décision que le Gouvernement démissionnaire ne pouvait pas prendre.
Ainsi, en 1946, le Président du gouvernement provisoire ayant donné sa démission le 11 juin 1946 à l’Assemblée constituante, laquelle a procédé le 19 juin à l’élection de son successeur, qui a constitué un gouvernement le 23 juin, le gouvernement démissionnaire, selon un principe traditionnel de droit public, et ainsi que son chef l’a d’ailleurs reconnu dans une communication dont l’Assemblée a donné acte le 11 juin, ne pouvait que procéder à l’expédition des « affaires courantes ». Par suite, le décret du 17 juin 1946 intervenu pour appliquer à l’Algérie la loi du 11 mai 1946 portant transfert et dévolution des biens de presse, lequel décret, du fait qu’il devait non pas seulement appliquer, mais transposer la loi précitée en Algérie, ne pouvait, à défaut d’urgence, être regardé comme une affaire courante, si extensive que puisse être cette notion dans l’intérêt de la continuité nécessaire des services publics. (Cf. décision précitée du Conseil d’Etat, N° 86015 du 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie).
3/ En l’absence de démission, le Gouvernement conserve le plein exercice de ses compétences
La France ne connaît aucun trouble à l’ordre public et sa situation n’est pas dramatique au point de justifier le refus du Président d’accepter la démission de son Premier Ministre et cela d’autant plus que, commme on l’a vu, le Gouvernement démissionnaire conserve alors le traitement des « affaires courantes ».
En temps normal de paix et sérénité, avec une démission acceptée de n’importe quel Premier Ministre de notre République, il n’y a jamais aucun risque de vide politique et juridique du pouvoir lorsque le Président de la République accepte une telle démission.
Dès lors, comment et par quels arguments peut se justifier une telle attitude de notre Président en exercice, assez peu conforme aux résultats des urnes des 30 juin et 7 juillet 2024 ? Sans doute parce qu’en restant en place, le Premier Ministre est ipso facto habilité à exercer la totalité de son pouvoir habituel, c’est-à-dire bien au-delà des simples affaires courantes.
En effet, il y a plein exercice des compétences pour le Gouvernement jusqu’au lendemain de la publication au JO de sa démission (Conseil d’Etat, 3 / 5 SSR, du 28 mai 1982, 35147, mentionné aux tables du recueil Lebon).
Ainsi donc c’est le lendemain du jour du décret publiant la démission du Gouvernement que celui-ci n’est habilité qu’à gérer les « affaires courantes ».
Faute d’une telle démission publiée au JO, le Gouvernement restant en place conserve le plein exercice de la totalité de ses compétences.
Et ce, alors que sa légitimité née de son lien au Parlement et donc au peuple n’existe plus depuis le 7 juillet et, en tout cas, depuis la connaissance de l’ensemble des résultats.
B/ La situation au sein du Parlement
Les résultats des 1er et 2ème tours ont été publiés sur le site du Ministère de l’Intérieur ainsi que par Vie publique pour les 2 tours (cf. Annexe I ci-dessous). Le groupe politique « Ensemble » – composé du parti présidentiel Renaissance et de ses alliés précités – a obtenu quelque 150 sièges enregistrant une perte de près d’une centaine de sièges par rapport au scrutin législatif de 2022 (Ensemble avait alors obtenu, en 2022, 246 sièges).
Le groupe « Union gauche » (recouvrant l’appellation NFP = Nouveau Front populaire) obtient 178 sièges enregistrant, par rapport aux résultats de la NUPES en 2022 (142 sièges), un gain de 36 sièges.
En 2024, si, comme semble le revendiquer le NFP, l’on y ajoute 12 divers gauche, 2 PS et 1 écologiste, cela porte le total de la gauche à 193 députés.
Le groupe RN obtient 125 sièges, soit un gain de 37 sièges par rapport à ses résultats de 2022 (alors 88 sièges). Le sursaut civique et républicain du 2ème tour a stoppé la dynamique du 1er tour du RN qui arrive en troisième position et n’est donc pas en mesure de gouverner le pays, contrairement à ce qui avait été avancé, un peu légèrement et prématurément, à l’issue du 1er tour, par ses propres leaders, la presse et les médias en général.
La progression du RN en sièges, bien que mise en avant, n’est guère plus importante, à un siège près, que celle de l’Union de la gauche.
Ci-dessous, logo du parti présidentiel
RENAISSANCE
Quant au parti présidentiel « Renaissance », depuis 2022 – où, déjà, il n’avait pas atteint la majorité absolue, contrairement à 2017 -, son recul – voire son déclin ? – continue de manière manifeste lors de ces dernières élections législatives, même s’il s’autoproclame avoir bien résisté… Autrement dit, comme les sondages lui avaient prédit une catastrophe qui avait été grossie et exagérée par ses prédicteurs, et comme il lui en est arrivé une qui bien que substantielle n’est pas aussi grosse que celle qui lui avait été prédite, il ne lui est donc rien arrivé de désagréable, et la vie est belle… Et bien qu’il en soit lui-même responsable, surtout qu’il ne s’en culpabilise pas !
Il ne fait aucun doute que le déplacement du siège du pouvoir vient de s’opérer en direction du Parlement, et que le Président n’est plus en mesure de nommer le Premier Ministre de son propre choix car son parti est très minoritaire au sein de l’Assemblée nationale : il représente moins de 26% des quelque 577 députés.
Certes, juridiquement, le pouvoir du Président de nommer un Premier Ministre reste intact car, aux termes mêmes de l’article 8 de la Constitution, il est discrétionnaire, mais s’il nommait un nouveau Premier Ministre sans tenir compte de la nouvelle composition de l’Assemblée nationale en dédaignant le sens de la volonté exprimée par le peuple, il exposerait le gouvernement formé par ce premier ministre au vote d’une motion de défiance sans qu’il puisse à nouveau dissoudre l’Assemblée nationale qui, aux termes mêmes de l’alinéa 4 de l’article 12 de la Constitution, ne peut plus être dissoute dans l’année qui suit son élection.
Dès lors, comme cela se fait dans toutes les démocraties parlementaires, le Chef de l’Etat doit appeler à former le nouveau gouvernement le chef du parti – ou de la coalition – arrivé en tête lors de la dernière consultation électorale, que ce parti dispose d’une majorité absolue ou même simplement d’une majorité relative.
S’agissant des chances de réussite du nouveau gouvernement devant la représentation nationale, ce n’est pas au Chef de l’Etat d’en juger a priori car il est mal placé, après son propre échec, et il doit donc impérativement se mettre en retrait et entendre la dernière expression de la volonté populaire qui donne une indication incontestable quant au groupe politique le mieux à même d’être en situation de gouverner.
II/ Les précédents parlementaires à juin-juillet 2024
A/ Le refus d’une confiance totale et illimitée : ministères d’Elisabeth BORNE (du au ) et de Gabriel ATTAL (
Lors des élections législatives de 2022 intervenues pourtant dans la foulée du succès présidentiel d’Emmanuel MACRON, comme nous l’avons déjà évoqué, les électeurs français n’avaient accordé qu’une majorité relative de 246 sièges au groupe politique du Président (la majorité absolue étant de 289 sièges). C’est dire que de 2022 à 2024, le Président de la République a dû nommer à la tête du gouvernement d’abord une femme (Elisabeth BORNE), puis un homme politique (Gabriel ATTAL), les deux appartenant à son propre parti, qui ne détenait plus la majorité absolue au sein de l’hémicycle ; comme il a été dit, ce furent d’abord Elisabeth BORNE (du au , puis Gabriel ATTAL (du
Ci-dessous, la Première Ministre, Elisabeth BORNE, ici, dans une conférence sur la réforme des retraites qui finalement passa, contre la volonté des syndicats et de la majorité des travailleurs et de la société française en général par le biais de l’article 49-3 de la Constitution…
n’a pas hésité, de sa Première Ministre, Elisabeth BORNE, s’appuyant elle-même sur l’article 49-3 de la Constitution, à procéder à des réformes sensibles et de fond comme celle de la réforme des retraites, conquis social hautement emblématique qui, par la brutalité de sa remise en cause, et malgré l’hostilité d’une large majorité des Français, a profondément altéré notre pacte social et porté atteinte à notre cohésion sociale.
B/ Les trois cohabitations symptomatiques de la remise en cause de la suprématie présidentielle par le peuple
Cette remise en cause de la suprématie présidentielle s’opéra de manière récurrente entre 1986 et 2002 et donna lieu, lors des trois cohabitations, à une lecture « parlementaire » de nos institutions. Cette lecture de la Constitution, si elle s’éloigne de la pratique autoritaire de la 5ème République, a néanmoins été mise en œuvre au cours des trois cohabitations suivantes à l’occasion desquelles le siège du pouvoir se déporta de l’Elysée à l’Assemblée nationale :
- 1986-1988 (mars 1986 à mai 1988) : François Mitterrand, Président, et Jacques Chirac, Premier ministre (durée 2 ans) ;
- 1993-1995 (mars 1993 à mai 1995) : François Mitterrand, Président, et Édouard Balladur, Premier ministre (durée 2 ans) ;
- 1997-2002 : Jacques Chirac, Président, et Lionel Jospin, Premier ministre (durée 5 ans).
Certes, au cours de ces trois périodes, le chef du parti majoritaire à l’Assemblée nationale s’appuyait sur son propre parti détenant, à lui seul, la majorité absolue, mais il n’empêche qu’une telle lecture s’appuyait sur une lecture parlementaire, juste et correcte, de notre Constitution tenant compte de la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale défavorable au parti présidentiel vaincu lors des élections législatives de 1986, puis de 1993 et enfin de 1997.
Ces trois périodes ont été qualifiées par Olivier DUHAMEL de « primo ministérialisme », sans pour autant lui-même y adhérer. En effet, cet auteur avait cru déceler la cause des « anomalies françaises, (dans) l’articulation déréglée des mandats, l’alternance entre deux types de répartition du pouvoir, la courte durée de la mandature, ses variations de un à cinq ans selon les moments, l’irresponsabilité du principal responsable, les confusions cohabitationnistes ? Elles découlaient d’une spécificité quasi unique au monde : l’existence de deux élections attributives du pouvoir gouvernemental, longtemps déconnectées dans le temps. » [1]
L’on a prétendu remédier aux « anomalies » françaises en s’inspirant de la critique développée ci-dessus par Olivier DUHAMEL pour mieux encadrer l’expression de la volonté du peuple de façon à la faire converger vers le même résultat que celui de l’élection présidentielle en plaçant l’élection des députés après celle du Président de la République.
L’on a vu, en 2022, avec l’élection du Président MACRON que l’élection postérieure de l’Assemblée nationale à celle du Président peut parfois engendrer l’absence d’une majorité présidentielle absolue.
Ainsi l’exemple des élections législatives de 2022 – qui a mis en échec les agencements les plus subtils de nos constitutionnalistes mécanistes les plus érudits – est très significatif et illustre bien le fait que le droit constitutionnel ne saurait être considéré comme une simple technique d’aménagement des échéances électorales et calendriers en vue de produire certains résultats mécaniques convergents en oubliant la volonté du peuple et son droit souverain de modifier son premier jugement lorsque ses gouvernants lui semblent ne pas mériter son entière confiance et qu’il doive alors limiter la délégation de pouvoir qu’il leur a déjà donné : le fait de voter en amont pour un Président ne signifie pas qu’il faille également nécessairement voter pour élire ses partisans au sein du Parlement, surtout si le vote en faveur du Président n’était pas un vote d’adhésion à ses idées mais un simple vote de barrage contre le RN (ce qui fut souvent le cas en 2022 pour des électeurs de gauche ayant dû voter MACRON au 2ème tour), et si la compétition législative qui vient ensuite lui permet de faire un choix plus fin et judicieux davantage conforme à ses propres convictions.
Dans ces cohabitations précitées ou cette rupture en 2022 du phénomène majoritaire présidentiel l’on aurait pu, au contraire, y discerner l’expression, de la part des Français, d’une certaine lassitude de voir leur sort confié à un seul homme tout puissant détenant toutes les clés du pouvoir en s’appuyant sur une majorité aveugle et à sa dévotion, que cette majorité soit d’ailleurs de gauche ou de droite.
Ainsi, à gauche, François MITTERRAND – qui fut pourtant l’auteur du fameux ouvrage « Le coup d’Etat permanent » (mai 1964), réquisitoire implacable adressé à la pratique gaulliste du pouvoir – connut lui-même, comme il a été dit, deux cohabitations, au cours desquelles il se révéla comme un redoutable homme de pouvoir ayant oublié les leçons de ses grands ancêtres républicains. A droite, Jacques CHIRAC, enfant du sérail gaulliste élevé au biberon d’une pratique dévoyée de la Constitution originelle de 1958, connut à son tour la même mésaventure politique que son brillant prédécesseur à l’Elysée.
III/ L’aggravation du présidentialisme en 2000 et l’occasion manquée en 2008 de réformer en profondeur nos institutions
Arrivant après les deux premières cohabitations et le milieu de la troisième, la réduction, en 2000, de la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans accentue la présidentialisation du régime.
En 2008, la nouvelle réforme constitutionnelle adoptée mise en œuvre de manière consensuelle par les deux partis de gouvernement (PS et RPR qui devint l’UMP) a été une occasion manquée de modifier en profondeur nos institutions de la 5ème République.
A/ Les prémisses : la réforme du quinquennat de 2000 : un coup pour rien…
La réforme du quinquennat, en 2000, loin de limiter les pouvoirs présidentiels ne fait, au contraire, que confirmer le passage du rôle d’arbitre neutre et impartial du président – qui lui était imparti dans le texte constitutionnel de 1958 faisant de lui le garant et le gardien de nos institutions – à une pratique constitutionnelle ayant largement consacré son rôle politique, tout en lui conservant, assez paradoxalement, son rôle d’arbitre.
L’idée du quinquennat avait été lancée par Georges POMPIDOU en 1973, sans jamais avoir abouti faute d’un consensus suffisant au sein de la classe politique (dans son propre camp politique notamment).
En 2000, Valéry GISCARD d’ESTAING reprend cette idée à son compte et dépose une proposition de loi constitutionnelle sur le bureau de l’Assemblée nationale pour réduire la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et le rendre renouvelable une seule fois.
Dans un premier temps opposé au quinquennat, le Président Jacques CHIRAC accepte finalement la réforme à deux conditions : pas de limitation du nombre de mandats et aucune modification quant à la nature de la fonction présidentielle.
Il souhaite également que la réforme soit soumise par référendum aux votes des Français, en application des dispositions de l’article 89 de la Constitution.
Le 24 septembre 2000, la réforme sur le quinquennat est approuvée par 73,21% des suffrages exprimés, mais dans un contexte de forte abstention qui touche 69,80% des inscrits, les Français ayant bien compris que le problème politique n’était pas là et que cette réforme n’était faite que par la classe politique et pour elle.
Tableau ci-dessous : les résultats définitifs du référendum du 24 septembre 2000 sur le quinquennat (source Conseil constitutionnel)
Catégorie | Nombre absolu | Part des inscrits | Part des votants | Part des exprimés |
OUI | 7.407.697 | 18,55 % | 61,43 % | 73,21 % |
NON | 2.710.651 | 6,79 % | 22,48 % | 26,79 % |
Exprimés | 10.118.348 | 25,33 % | 83,91 % | 100 % |
Blancs et Nuls | 1.940.340 | 4,86 % | 16,09 % | – |
Votants | 12.058.688 | 30,19 % | 100 % | – |
Abstentions | 27.882.504 | 69,81 % | – | – |
Inscrits | 39.941.192 | 100 %< ; | – | – |
Les valeurs en italiques correspondent à des décompositions de valeurs en gras :
Colonne « part des inscrits » : décomposition des votants
Colonne « part des votants » : décomposition des exprimés.
Il y a lieu de rappeler qu’au moment de la réforme, la France vivait sa troisième période de cohabitation avec un président de la République de droite, Jacques CHIRAC, et un Premier ministre de gauche, Lionel JOSPIN.
Quel était donc l’objectif de cette réforme constitutionnelle ?
Ci-dessous le Président CHIRAC et Lionel JOSPIN, son Premier Ministre, les deux artisans, en 2000, de la réforme du quinquennat puis de l’inversion du calendrier électoral dans le but d’enterrer les Législatives et de n’en faire qu’une simple annexe de l’élection présidentielle…
La révision constitutionnelle de 2000 vise à mettre en place un renouvellement plus fréquent du mandat présidentiel et à diminuer les risques de cohabitation dans l’objectif de « stabiliser » la vie politique et institutionnelle de la France.
La réforme est d’ailleurs accentuée par l’inversion du calendrier électoral, adoptée l’année suivante avec la loi organique du 15 mai 2001. Le texte repousse d’avril à juin la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale. Les élections législatives se tiennent désormais après l’élection présidentielle, ce qui doit permettre de donner au président nouvellement élu une majorité parlementaire confortable pour mettre en place son programme politique.
La classe politique d’alors – gauche et droite de gouvernement réunies – partagent le même souci de défendre une vision très présidentialiste des institutions de la 5ème République consacrant la suprématie du pouvoir présidentiel résultant de la pratique gaulliste du texte constitutionnel originel accentuée par la réforme de 1962 instaurant l’élection du Président de la République au suffrage universel. Une telle réforme, rappelons-le, engendra la première – et aussi la seule – motion de censure ayant abouti au renversement d’un gouvernement, en l’occurrence celui de G. POMPIDOU, alors Premier Ministre, par la gauche républicaine d’alors qui ne fut pas confortée par le peuple, lui-même trop flatté lors du référendum constitutionnel qui suivit, d’être directement consulté pour élire désormais directement son président lui-même.
A partir de 2000, cette omniprésence présidentielle derrière les calendriers électoraux qui sont juxtaposés s’est manifestée de manière encore plus accrue sous les présidences vibrionnantes de Nicolas SARKOZY et d’Emmanuel MACRON.
Cette évolution vers une hyperprésidentialisation de notre système poltique suscite les critiques justifiées portées par les partisans – dont nous sommes – d’une VIe République davantage parlementaire et fondée sur l’équilibre des pouvoirs, ainsi que par les gilets jaunes mettant en avant la nécessité d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) qui, en donnant la parole aux citoyens, devrait constituer l’un des remèdes au fonctionnement fermé, autarcique et déséquilibré de nos institutions dont les « représentants » et les élus ayant perdu le lien avec le peuple, en principe seul souverain, sont devenus des professionnels de la vie politique et publique davantage soucieux de gérer leur « carrière » et leurs ambitions personnelles que de rechercher plutôt le bien public et l’intérêt général.
B/ 2008 bis repetita
Comme on l’a vu, l’occasion avait été donnée, au moins à trois reprises, de revoir la pratique abusivement présidentialiste et quasi monarchique des institutions de la 5ème République et les crises qui en résultèrent.
Au lieu de cela, la réformette constitutionnelle de 2008 – abusivement considérée comme une grande réforme -, loin d’aller au fond du problème et du malaise, a préféré laisser les choses en l’état sur l’essentiel, celui du déséquilibre de nos institutions.
Pourtant, au départ, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, appelé plus communément comité BALLADUR, était un groupe de réflexion créé en 2007 par le président de la République, Nicolas SARKOZY, conçu, a priori au moins, comme une structure de réflexion sérieuse et ambitieuse qui devait proposer une réforme substantielle des institutions de la Cinquième République.
Le casting de ce groupe de travail était d’ailleurs impressionnant (cf. Annexe II ci-dessous).
Le consensus entre la droite et la gauche – pour ne rien faire contre la nature même de nos institutions et leur pratique autoritaire pourtant plébiscitées par la droite et la gauche de gouvernement – était assuré, en 2008, par Jack LANG et Pierre MAZEAUD nommés vice-présidents du comité : Jack LANG, socialiste, professeur de droit constitutionnel et ancien ministre de la culture de F. MITTERRAND ; Pierre MAZEAUD, ancien député RPR, ancien ministre et ancien président du Conseil constitutionnel.
L’on pouvait y ajouter, à gauche, Guy CARCASSONNE, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris X et à l’Institut d’études politiques de Paris, et ancien conseiller du Premier ministre Michel Rocard ; Olivier DUHAMEL, professeur de droit constitutionnel à l’Institut d’études politiques de Paris, et ancien député européen PS.
Les juristes spécialisés en matière constitutionnelle étaient omniprésents dans ce comité composé de pas moins de 7 professeurs de droit constitutionnel ; du président de la Fondation nationale de sciences politiques ; d’un conseiller d’Etat ; d’un universitaire philosophe et ancien ministre de l’éducation nationale, et penchant plutôt à droite ; d’un député de droite UDF européen, également professeur à Science-Po.
Avec ce bel aréopage de compétences constitutionnelles et professorales, au départ, l’on aurait pu s’attendre à la mise en place ambitieuse d’un contre-pouvoir parlementaire pour rééquilibrer les rapports entre l’Exécutif (dans ses deux branches) et le Parlement par une réécriture, entre autres, des termes de l’article 20 de la Constitution.
Certes, a priori, et au moins quantitativement, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la modernisation des institutions peut impressionner par son ampleur puisqu’elle a modifié une trentaine d’articles de la Constitution et introduit neuf nouveaux articles. Cette réforme prévoit notamment l’impossibilité pour le Président de la République d’exercer plus de deux mandats consécutifs, instaure le référendum d’initiative partagée et la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), rend obligatoire l’information du Parlement par le Gouvernement en cas d’intervention des forces armées à l’étranger, change le fonctionnement du Conseil économique, social et environnemental et aussi du Conseil supérieur de la magistrature, crée le défenseur des droits, permet aux assemblées de fixer par elles-mêmes leurs ordres du jour, ainsi qu’au chef de l’État de s’exprimer devant le Congrès du Parlement.
Sans nous appesantir ici de manière exhaustive sur le détail de cette réforme, il est bien vite apparu que les constituants de 2008 ont implicitement considéré que le rôle essentiel du Parlement n’est plus de légiférer (point de vue historiquement bonapartiste très discutable), mais de porter une appréciation éclairée sur les conditions de mise en œuvre des politiques gouvernementales. Suivant en cela les recommandations de la Commission Balladur et reprenant des réflexions déjà exposées par le Comité VEDEL en 1993, ils ont pris le soin d’inscrire explicitement, au nombre des missions du Parlement, l’évaluation des politiques publiques puis d’affirmer le caractère libéral de leur réforme en adoptant la technique de la QPC invoquée par un justiciable, à l’occasion d’un procès en cours devant un juge judiciaire ou administratif, pour faire saisir indirectement le Conseil constitutionnel par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat si l’exception d’inconstitutionnalité alléguée est considérée comme suffisamment « sérieuse » par ces deux juridictions suprêmes.
Comme on le voit, et malgré l’étendue de la réforme, les conclusions du Comité Balladur ont accouché d’une souris présentée comme un éléphant quant à l’efficience des remèdes, très disparates et faits de bric et de broc, apportés en guise de réforme de la Constitution de 1958 en 2008.
Dans une analyse très pénétrante et parfaitement éclairante, Jacky HUMMEL, professeur de droit public à l’université de Rennes et y enseignant le droit constitutionnel, évoque « le cabinet de curiosités constitutionnelles que formait l’ensemble bigarré des innovations réglementaires et procédurales de 2008-2009 » [2].
Or, selon lui, cela n’a pas constitué « une réponse à la hauteur des enjeux réformistes annoncés ». En effet, poursuit-il, « Non seulement ces innovations ont surtout profité à la majorité parlementaire (et cela malgré la louable intention d’accroitre les droits et prérogatives de l’opposition), mais elles ont été également souvent détournées (par un recours systématique à la procédure accélérée ou par la transformation des projets en propositions de loi) ou vidées de leur substance (la semaine de contrôle n’ayant pas fait naître le débat attendu). » [3]
C’est ainsi qu’il estime que « la révision de l’été 2008 a participé d’un traditionnel réformisme constitutionnel français appréhendant l’exécutif et le législatif comme deux pouvoirs séparés appelés à se faire mutuellement balance. » [4]
Et de conclure :
«… Il apparaît à l’évidence, à cet égard, qu’un véritable rééquilibrage institutionnel, mené dans un cadre parlementaire rénové, aurait supposé de modifier la rédaction de l’article 20 de la Constitution (prévoyant que le gouvernement conduise la politique déterminée par la représentation nationale). Un tel effort de réécriture semblait devoir être la condition sine qua non pour réaffirmer la nature parlementaire des institutions et rendre à la représentation nationale une faculté d’initiative qu’elle a globalement perdue en 1958 (appelée sans cesse à soutenir une action préparée en dehors d’elle, elle sert les desseins de l’appareil gouvernemental). Or, les acteurs semblent, sur ce chapitre, résignés à ne tenter de trouver une meilleure formule constitutionnelle qu’au sein du cadre institutionnel établi. En 2008, le Président Nicolas Sarkozy a explicitement souhaité que l’effort réformiste respecte le cadre et l’esprit même de la Ve République. Ainsi, puisqu’il ne s’agit que d’« entériner constitutionnellement » la pratique présidentialiste plutôt que de la corriger, les pouvoirs du Parlement se trouvent majorés au seul titre d’une volonté de « compensation » de la reconnaissance du rôle gouvernant du Président. Même si elle se rattache à la logique d’un contre-pouvoir parlementaire, une telle « compensation » s’inscrit malaisément dans l’économie d’un régime encore intellectuellement gouverné par les idées constitutionnelles exposées à Bayeux et à Épinal. » [5]
C/ Aux sources historiques de la 5ème République : un nécessaire et salutaire rappel de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958
Nos institutions de la 5ème République ont été dévoyées de leur contenu originel par une lecture « présidentielle » (voire présidentialiste) asseyant la suprématie de l’Exécutif en la personne de l’un de ses deux titulaires – le Président de la République -, ce qu’elles n’étaient pas, au début, le rôle du Président étant conçu comme celui d’un arbitre, avec, à ses côtés, un gouvernement responsable devant le Parlement.
Et cela n’est guère contestable car connaissant le goût du pouvoir du général de Gaulle – et notamment son fameux discours de Bayeux – les parlementaires de la 4ème République finissante avaient donné à l’homme du 18 juin un mandat avec un cadre précis pour rédiger une constitution parlementaire.
1/ La loi constitutionnelle du 3 juin 1958
En effet, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 (voir cette loi dans l’Annexe III ci-dessous) – adoptée, le 2 juin par l’Assemblée nationale, puis le 3 juin par le Conseil de la République (jouant alors, sous la 4ème République, un rôle à peu près équivalent à celui de notre Sénat actuel) – donnait au gouvernement (celui du général de Gaulle), investi le 1er juin 1958 par 329 voix contre 224, comme président du Conseil de la IVe République, par dérogation à la procédure de révision constitutionnelle habituelle de l’article 90 de la Constitution du 27 octobre 1946, le mandat de réviser la Constitution de la 4ème République.
Ci-contre, à gauche, le président du Conseil Charles de GAULLE, en 1959Le retour au pouvoir du général de GAULLE se fit sous la pression insurrectionnelle des évènements d’Alger et sous la pression diplomatique et plus feutrée du Président René COTY qui mit son mandat en jeu si le retour aux affaires du général de GAULLE n’était pas accepté par la classe politique parlementaire au sein de laquelle le général ne comptait pas que des amis… Le héros de la résistance française à Pétain et à l’Allemagne nazie fut donc investi le 1er juin 1958 par 329 voix contre 224 comme président du Conseil de la IVe République. Son gouvernement (1er juin 1958 – fut ainsi le dernier gouvernement de la 4ème République et le premier gouvernement de la 5ème République jusqu’à sa propre élection, le 21 décembre 1958, comme Président de la République jusqu’en 1965 où il sera réélu, mais cette fois au suffrage universel, pour entreprendra un nouveau mandat présidentiel, mais qui devait prendre fin prématurément, le 28 avril 1969, après l’échec du référendum du 27 avril 1969 relatif à son projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat.
2/ L’obligation contenue dans loi constitutionnelle du 3 juin 1958 d’élaborer une constitution parlementaire
Il y a lieu de souligner que le mandat reçu par de GAULLE du Parlement lui consentant une délégation du pouvoir constituant était assorti de conditions à respecter, et notamment quant à la forme républicaine du pouvoir : respect du suffrage universel seule source des pouvoirs législatif et exécutif (qui doivent être distincts et séparés) et indépendance du pouvoir judicaire garant des libertés essentielles telles qu’elles résultent du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Quant à la nature que devait revêtir la nouvelle constitution, c’est le point 3 de la loi constitutionnelle précitée qui posait comme injonction que « Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ».
De Gaulle, considéré comme l’« homme providentiel » ayant su résoudre la crise du 13 mai 1958, forma très rapidement un nouveau gouvernement, et la nouvelle constitution de la 5ème République fut élaborée au cours de l’été 1958.
Sous l’autorité de juristes et de professeurs de droit, Michel Debré, Garde des Sceaux dans le nouveau gouvernement, s’empressa de reprendre les propositions avancées dans le discours de Bayeux du général de GAULLE prononcé le 16 juin 1946, et prônant un exécutif fort établissant ainsi, selon la typologie des régimes politiques dressée par l’éminent professeur Maurice DUVERGER, un régime semi-présidentiel. Malgré ses convictions plutôt résolument antiparlementaires en matière constitutionnelle, le général de Gaulle dut néanmoins accepter que le Parlement ait plus de poids qu’il ne le souhaitait lui-même. Les corrections de syntaxe et grammaticales de la future Constitution furent effectuées sous la plume rigoureuse de Léopold Sédar SENGHOR, agrégé de grammaire, chantre de la négritude et futur président de la République du Sénégal qui était également un ancien condisciple de Georges POMPIDOU, à l’École Normale Supérieure.
Conformément à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, la nouvelle constitution fut adoptée par le référendum du 28 septembre 1958, avec 79,25 % de « oui ». Elle fut officiellement proclamée le 4 octobre 1958.
Ainsi lorsqu’on se penche sur la genèse de la Constitution de la 5ème République, l’on ne peut que prendre acte de la volonté de la classe politique de la 4ème République de lui conserver son caractère parlementaire, volonté formellement respectée par le général de Gaulle, au moins dans son éclosion initiale…
Dans la pratique qui suivit, il en fut autrement car, avec la réforme de 1962 consacrant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, puis l’éclosion du phénomène majoritaire autour de la personne du Président, enfin l’institution du quinquennat en 2000, assortie de l’inversion du calendrier électoral – faisant de l’élection des députés une annexe de l’élection présidentielle qui lui est à peine antérieure -, tous les ingrédients constitutionnels furent réunis pour engendrer et conforter de plus en plus une lecture de la Constitution de 1958 qui devint de moins en moins parlementaire.
Les abus du mode de gouvernement des détenteurs l’Exécutif (abus des ordonnances de l’article 38 de la Constitution touchant à des domaines fondamentaux normalement régis par la loi, de l’usage de l’article 49-3 débouchant sur l’adoption d’un texte sans vote du Parlement et avec des débats relativement réduits, etc.), la conversion d’une classe politique de plus en plus enfermée dans la compétition présidentielle – au point de ne penser qu’à la suivante sitôt celle en cours close au point de se transformer en « écuries présidentielles » dont le seul moteur est un jeu d’ambitions personnelles rivales – ont fini par lasser les électeurs qui prenant l’habitude de penser que le salut ne venant pas des urnes se réfugient soit dans l’abstention soit dans un vote nihiliste et contestataire au profit du RN.
Le culte des hommes providentiels – dont l’un se distinguerait des autres par des qualités politiques supposées exceptionnelles au point de se voir considéré comme un Roi tout puissant au-dessus de ses concitoyens – n’est pas une caractéristique d’un régime républicain fondé sur le triptyque « liberté, égalité, fraternité » et constitue même une forme d’injure pour l’ensemble des citoyens formant une société d’égaux, dans un sens au moins civique et politique, celui de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
La question que nous devons nous poser est donc claire : « Voulons-nous une République qui soit une société d’égaux ou une société fondée sur la lutte des égos ? «
Dans l’immédiat, devant enfin oublier son propre égo et accepter de manière « fair-play » – et surtout républicaine – sa propre défaite, le Président de la République pour tenir compte de la volonté exprimée par nos concitoyens les 30 juin et 7 juillet 2024, ne peut appliquer la Constitution que dans son sens parlementaire originel.
Il reste que, comme nous l’avons déjà évoqué, une réforme de fond des institutions de la 5ème République s’impose de plus en plus pour aller dans le sens d’une véritable République démocratique et sociale qui ne peut être qu’une nouvelle et véritable République que nous sommes de plus en plus nombreux à appeler de nos voeux.
Louis SAISI
Paris, le 10 juillet 2024
ANNEXE I
Résultats des législatives 2024 : nombre total de sièges par nuance politique
Source : Vie publique : Législatives 2024 : résultats et composition de la nouvelle Assemblée | vie-publique.fr
Tableau avec 2 lignes et 23 colonnes. Trié par ordre décroissant par colonne « Sièges » | |
Liste des nuances | Sièges |
UG Union de la gauche | 178 |
ENS Ensemble ! (Majorité présidentielle) | 150 |
RN Rassemblement National | 125 |
LR Les Républicains | 39 |
DVD Divers droite | 27 |
UXD Union de l’extrême droite | 17 |
DVG Divers gauche | 12 |
REG Régionaliste | 9 |
DVC Divers centre | 6 |
HOR Horizons | 6 |
UDI Union des Démocrates et Indépendants | 3 |
SOC Parti socialiste | 2 |
ECO Ecologistes | 1 |
DIV Divers | 1 |
EXD Extrême droite | 1 |
EXG Extrême gauche | 0 |
REC Reconquête ! | 0 |
DSV Droite souverainiste | 0 |
RDG Parti radical de gauche | 0 |
LFI La France insoumise | 0 |
COM Parti communiste français | 0 |
VEC Les Ecologistes | 0 |
Total | 577 |
ANNEXE II
Composition du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions (appelé plus communément comité BALLADUR)
Ce Comité, présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, comprend douze autres membres :
- Denys de BÉCHILLON, professeur de droit à l’Université de Pau;
- Jean-Louis BOURLANGES, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, député européen UDF;
- Guy CARCASSONNE, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris Xet à l’Institut d’études politiques de Paris et ancien conseiller du Premier ministre Michel Rocard ;
- Jean-Claude CASANOVA, président de la Fondation nationale des sciences politiqueset ancien conseiller du Premier ministre Raymond Barre (1976-1981) ;
- Dominique CHAGNOLLAUD, professeur de sciences politiques à l’Université de Paris IIet directeur de son Centre d’études constitutionnelles et politiques ;
- Olivier DUHAMEL, professeur de droit constitutionnel à l’Institut d’études politiques de Pariset ancien député européen PS ;
- Luc FERRY, philosophe, ancien ministre ;
- Jack LANG, professeur émérite de droit public, ancien ministre, député PS;
- Anne LEVADE, professeure de droit public ; Professeur de droit Constitutionnel à Paris XII ;
- Pierre MAZEAUD, ancien député RPR, ancien ministre et ancien président du Conseil constitutionnel;
- Bertrand MATHIEU, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, président de l’Association française de droit constitutionnel;
- Olivier SCHRAMECK, conseiller d’Etat, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, ancien directeur de cabinet du Premier ministre Lionel Jospin.
Jack LANG et Pierre MAZEAUD sont nommés vice-présidents du comité.
ANNEXE III
République française
Loi constitutionnelle portant dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90 de la constitution
Imprimerie des journaux officiels, 4 juin 1958 (p. 2).
LOI CONSTITUTIONNELLE du 3 juin 1958 portant dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90 de la Constitution.
L’Assemblée nationale et le Conseil de la République ont délibéré,
L’Assemblée nationale a adopté,
Le président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique
Par dérogation aux dispositions de son article 90, la Constitution sera révisée par le gouvernement investi le 1er juin 1958 et ce, dans les formes suivantes :
Le Gouvernement de la République établit un projet de loi constitutionnelle mettant en œuvre les principes ci-après :
- Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ;
- Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions ;
- Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ;
- L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il se réfère ;
- La Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés.
Pour établir le projet, le Gouvernement recueille l’avis d’un comité consultatif ou siègent notamment des membres du Parlement désignés par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République. Le nombre des membres du comité consultatif désignés par chacune des commissions est au moins égal au tiers du nombre des membres de ces commissions ; le nombre total des membres du comité consultatif désignés par les commissions est égal aux deux tiers des membres du comité.
Le projet de loi arrêté en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’État, est soumis au référendum. La loi constitutionnelle portant révision de la Constitution est promulguée par le président de la République dans les huit jours de son adoption.
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 3 juin 1958.
Par le président de la République, René Coty
Le président du Conseil des ministres, C. de Gaulle
Le ministre d’État, Guy Mollet
Le ministre d’État, Pierre Pflimlin
Le ministre d’État, Félix Houphouët-Boigny
Le ministre d’État, Louis Jacquinot
Le garde des sceaux, ministre de la justice, Michel Debré
TRAVAUX PRÉPARATOIRES
- Assemblée nationale :Projet de loi constitutionnelle n° 7233 ; Lettre rectificative n° 7238 ; Rapport de M. de Bailliencourt, au nom de la commission du suffrage universel, n° 7239 ; Adoption après discussion d’urgence le 2 juin 1958.Conseil de la République : Projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, n° 485, session 1957-1958 ; Rapport de M. Gilbert-Jules, au nom de la commission du suffrage universel, n° 486, session 1957-1958 ; Discussion et adoption le 3 juin 1958.Assemblée nationale : Acte pris de l’adoption conforme le 3 juin 1958.
NOTES
[1] Olivier DUHAMEL, chapitre 7. Deuxième solution radicale : le système primo-ministériel, Dans Le quinquennat (2008), pages 65 à 73
[2] Jacky HUMMEL : « La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et le réformisme constitutionnel – Sur une inclination française dans la compréhension du gouvernement parlementaire », dans Revue française de droit constitutionnel 2018/4 (N° 116), pages 723 à 738.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.