L’arlésienne de DAUDET… La République est-elle en marche, en panne, ou absente? par Louis SAISI …

L’arlésienne de DAUDET… La République est-elle en marche, en panne ou absente?

par Louis SAISI

Après le 2ème tour des « Municipales » du 28 juin 2020…

La République est-elle vouée à n’être que celle qu’on invoque de manière incantatoire, dont on ne cesse de parler mais sans jamais qu’elle soit véritablement présente, comme la belle arlésienne des Lettres de mon moulin d’Alphonse DAUDET (1869) ? Et le fait, pour certains partis politiques, de se placer sous les auspices de la République ne signifie pas pour autant que ses thuriféraires – qui en ont accaparé le terme même (LREM) ou son dérivé (LR) dans leur dénomination, – en observent la « devise » ni davantage son « principe » formalisés dans les alinéas 4 et 5 de l’article 2 de notre Constitution [1]. Les résultats du second tour des élections municipales du dimanche 28 juin 2020 organisé dans quelque 4825 communes – faisant suite à ceux du premier tour du 15 mars dernier ayant vu quelque 30 143 communes être dotées de leur Conseil municipal – doivent opportunément nous interpeller en tant que citoyens et républicains.

Ces résultats, comme cela a été abondamment souligné dans les médias, traduisent, certes, l’échec de l’implantation locale des candidats du parti présidentiel LREM. Mais là n’est pas l’essentiel, car, de manière plus importante encore, ils expriment, pour la première fois, l’enracinement local de l’abstention dans notre paysage politique. Le message de désaveu général que porte l’abstention s’adresse au parti de gouvernement LREM, mais aussi à l’ensemble des autres partis politiques, et donc à l’ensemble de la classe politique. Bien que cela ne soit pas systématique, souvent les élections intermédiaires sont l’occasion pour nos concitoyens d’adresser un message critique aux gouvernants en place en portant leurs suffrages sur les partis d’opposition à la politique du Gouvernement impulsée par le Président. C’est la raison pour laquelle ces élections intermédiaires s’intercalant à l’intérieur du mandat présidentiel sont redoutées par le pouvoir en place. Mais, cette fois, les résultats des élections municipales des 2 tours de scrutin – du 15 mars 2020 d’abord, puis du 28 juin 2020 ensuite – ne s’inscrivent pas dans ce schéma critique, mais dans une contestation générale, à la fois de nos gouvernants et de l’ensemble de notre classe politique, car l’abstention n’épargne aucun parti politique, même si les composantes politiques habituelles furent formellement très discrètes en termes d’affiliation partisane.

I/La légitimité des vainqueurs, élus par une minorité active, mais globalement rejetés par la majorité des inscrits…

A/ Voter ou s’abstenir?

Voter est un droit-liberté attaché à la qualité de citoyen, et non une obligation légale. On peut donc user de son droit ou n’en  point user. Tout au plus, le droit de vote est-il considéré par certains fervents républicains comme un « devoir » né d’une obligation morale ou/et civique contractée par respect et en hommage à la lutte pour l’adoption du suffrage universel dans notre pays. D’autres ont fait remarquer que l’adoption du suffrage universel, pour aussi importante qu’ait été cette conquête politique, n’est pas en soi une finalité pouvant se substituer à la libération des classes laborieuses opprimées qui peut passer par d’autres formes de luttes pouvant s’exprimer en dehors de lui. C’est ainsi que dès sa naissance, dans le deuxième tiers du 19ème siècle [2], le mouvement anarchiste rejeta les élections présentées à la fois comme inefficaces (maintien de la domination des puissants) et illégitimes (abdication par l’individu de sa souveraineté au profit de dirigeants ou représentants) et enfin comme justifiant l’acceptation de la réduction du champ politique à des enjeux de pouvoir en cautionnant un système de domination économique et sociale. Le débat fut d’ailleurs âpre entre les frères ennemis du socialisme – les anarchistes et les marxistes – ces derniers, acceptant, eux, les élections. Ainsi, au sein de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs), les marxistes, minoritaires, dénonçaient l’abstention politique prônée par les anarchistes et proposaient des candidatures ouvrières aux élections,  la représentation étant conçue, pour eux, comme un moyen de propagande politique. Notre propos n’est pas ici de retracer l’histoire du mouvement ouvrier ni de nous attarder plus longuement sur les arguments des deux camps, mais seulement d’évoquer l’existence, au sein de cette famille politique, de divisions, de vifs débats et de fortes oppositions suscités par la place à accorder aux élections.  Pour autant, au-delà même du mouvement ouvrier, le débat n’est pas clos. Aujourd’hui encore, l’abstention politique systématique est revisitée de manière plus large et contemporaine et possède ses partisans.  Ainsi le chercheur et professeur québécois Francis DUPUIS-DERI, spécialiste des mouvements sociaux,  dans son ouvrage Nous n’irons plus aux urnes Plaidoyer pour l’abstention [3] -, non seulement se livre  à une apologie de l’abstention mais développe aussi une critique radicale du système électoral.

B/ La nature de l’abstention majoritaire du 28 juin 2020

Pour revenir à la situation française, s’abstenir n’est ni une faute politique, ni encore moins un délit. Dans une élection, quelle qu’elle soit, il n’y a jamais 100% de votants. Une abstention résiduelle, relativement faible peut s’appréhender comme l’addition de  comportements isolés d’électeurs obéissant à des motivations diverses – qui d’ailleurs peuvent très bien être « politiques ». De telles abstentions, faute d’être suffisamment nombreuses revêtent un caractère plus ou moins marginal et, à tort ou à raison, ne sont pas considérées comme chargées d’un sens politique. A l’opposé, l’abstention majoritaire change la nature de l’abstention qui, collective et forte, devient alors incontestablement chargée d’un sens politique. Ainsi l’abstention massive de plus de 58% des électeurs inscrits (encore jamais vue) du 2ème tour des « Municipales » du 28 juin 2020 – qui touche cette fois les « Municipales », habituellement assez prisées de nos concitoyens et jusque-là épargnées par le phénomène abstentionniste – fait suite à celles, nombreuses, qui n’ont cessé de se manifester, depuis plusieurs décennies déjà, lors de nos élections nationales au point d’atteindre près de 58% des électeurs inscrits lors du second tour des élections législatives du 18 juin 2017 (cf. la courbe ci-dessus retraçant la multiplication par 2 de l’évolution de l’abstention au 1er tour des élections législatives, de 1958 à 2017).

La conséquence immédiate d’une telle abstention est que tous les élus municipaux de ce second tour ont été mal élus car élus par une minorité de citoyens, ce qui pose un problème de légitimité de leur statut d’élus, puisque si la majorité des suffrages exprimés les a incontestablement désignés comme les vainqueurs, la très forte majorité des inscrits n’a pas participé au scrutin car ne se reconnaissant pas suffisamment en eux pour les investir d’un mandat municipal pour une durée assez longue de 6 ans.

Ainsi, à Paris, sur 1. 299 173 inscrits, le nombre des votants représente seulement 476 841 électeurs soit 36,70% du corps électoral [4].

1/ Des évènements mis en mots

Comme l’a montré excellemment Ingrid RIOCREUX, «On commet fréquemment l’erreur de croire que l’évènement constitue l’information  ; que l’information,  c’est l’évènement. Or, l’information ne préexiste pas à sa mise en mots ; le métier de journaliste, c’est précisément de « produire de l’information » » [5]

Ainsi, nous avons une démonstration de la justesse de cette analyse dans les commentaires de la presse et des médias célébrant la victoire des nouveaux « héros » du 2ème tour des élections municipales du 28 juin 2020, à Paris et aussi ailleurs.

En effet, célébrer, comme l’a fait Le Monde du mardi 30 juin 2020, la « renaissance » d’Anne HIDALGO, ou, selon ce même journal, insister sur le fait qu’avec 224 790 voix elle est arrivée en tête avec 48,49% des suffrages exprimés, n’est-ce pas occulter un peu vite que son score représente néanmoins à peine 17,30% des électeurs inscrits. Il est vrai que ses deux adversaires, Rachida DATI et Agnès BUZYN, ont réalisé des scores encore moins glorieux, la première n’attirant que 159 049 voix sur sa tête, et la seconde seulement 68 927 voix, soit respectivement 34,31% et 14,87% des suffrages exprimés, ce qui ne représente respectivement que 12,24% et 5,30 des électeurs inscrits. Les autres listes, encore présentes au 2ème tour, se partageant un peu plus de 10 000 voix.

2/ Des programmes au ras du bitume parisien

C’est dire qu’à Paris les listes des trois candidates qui se disputaient les suffrages des électeurs de la capitale, au 2ème tour, n’ont pas été extraordinairement attractives dans leurs programmes respectifs au point de les faire rêver et se déplacer vers les urnes… Sans doute était-il difficile de discerner dans leurs propositions respectives l’affirmation d’un grand projet politique pour la capitale et les parisiens : « sécurité », « propreté » pour Rachida DATI et Agnès BUZYN, ou « zone piétonne » et « Paris 100% vélo » pour Anne HIDALGO. Quant à leur appartenance partisane, elle était prudemment gommée au profit d’une dénomination très générique  de leurs listes respectives : « Paris en commun » (Mme Anne HIDALGO) ; « Engagés pour changer Paris » (Mme Rachida DATI) ; « Ensemble pour Paris » (Mme Agnès BUZYN).

3/ La signification du vote abstentionniste majoritaire

Mais une telle abstention n’était pas propre à PARIS, car elle touchait d’autres grandes villes comme MARSEILLE (64,63%), LYON (62,24%), BORDEAUX (61,57%), LILLE (plus de 68%), RENNES (68,32%), NANTES (69,04%), GRENOBLE (64,17%). Dans certaines villes moyennes comme ROUEN, elle dépassait même les 70% des inscrits. Si, en Occitanie, à TOULOUSE, l’abstention était un peu moins élevée (55,15%), à MONTPELLIER, en revanche, elle atteignait 65,66% rejoignant les grandes villes citées plus haut. Cette abstention touchait toutes les villes, grandes mais aussi moyennes, qu’elles soient administrées à droite, à gauche, au centre (taux d’abstention de 61,65% à PAU dans le fief de François BAYROU) ou même par des élus écologistes (cf. infra II). Elle ne fut pas seulement propre aux agglomérations urbaines car elle toucha toutes les communes, urbaines, rurales, et quelle que soit leur dimension.Cette abstention fut donc le signe d’une non-adhésion de la part de la majorité de nos concitoyens au débat public confisqué par des partis politiques assez peu différents les uns des autres car tous arrimés au dogme libéral et à ses fausses « certitudes » et « vertus », et passant à côté de l’essentiel des aspirations de nos concitoyens (on l’a vu avec le mouvement des « gilets jaunes » s’étant constitué en dehors et en marge des partis politiques).

Elle toucha à la crise de la représentation confisquée souvent, à l’image des élections nationales, par des équipes municipales sans idée ni imagination sur la construction du Pacte social, même local…

Ci-dessous, le 1er mai 2017 à Paris

(photo B. Mangelle, Radio France)

L’abstention a présenté aussi une dimension structurelle. Ainsi relève-t-on, dans certains groupes, peu d’intérêt pour la politique en général et peu d’attrait pour les élections en particulier : les jeunes, les non-diplômés, les personnes présentant un faible niveau d’intégration sont quelques-unes des catégories sociales au sein desquelles l’abstention est forte, au point d’apparaître comme une quasi-norme sociale.

Dans des milieux populaires touchés par la crise, l’abstention est aussi une façon de signifier sa défiance à l’égard de la classe politique dans son ensemble, voire du jeu démocratique dans son principe.

Mais, aujourd’hui, l’abstention est encore plus générale et envoie un signe politique fort.

C’est dire que toutes les pseudo « victoires » de ce second tour dont on nous a rebattu les oreilles, ne sauraient enivrer les lauréats de ce scrutin municipal du 28 juin 2020 car elles doivent être ramenées à leurs justes, saines et plus que modestes proportions.

II/ L’écologie, une fièvre ou un vote par défaut?

Le « triomphe » des écologistes dans certaines grandes villes relève plus, dans la présentation qui en fut faite, de la fièvre des médias  que de la stricte réalité des résultats chiffrés.

A/ La fièvre écologiste dans les médias

Cette fièvre écologiste  était à son comble dimanche soir et les jours suivants.

1/ La mise en scène par les médias des victoires écologistes

La presse et les médias qui ont fait, depuis dimanche dernier, de telles « victoires » électorales municipales leurs grosses manchettes se sont montrés – conformément à leur pratique habituelle de faire des choses les plus sérieuses un spectacle ludique – excessifs et peu objectifs dans leurs commentaires et leurs éloges dithyrambiques à la gloire des bénéficiaires de toutes ces conquêtes, car ces prises de villes, par les nouveaux heureux élus, ne sauraient masquer l’essentiel, à savoir une abstention massive traduisant un divorce entre le pays réel et la classe politique.

Et les exemples de ce hiatus sont fort nombreux et applicables à toutes les victoires, et même à celles des écologistes…

Ainsi, à GRENOBLE, la liste écologiste « Grenoble en commun » – conduite par l’écologiste Éric PIOLLE, élargie à 12 composantes de gauche dès le 1er tour – bien que reconduite, au 2ème tour, par les électeurs alpins, n’a pas pour autant fait rêver plus qu’ailleurs puisque le taux d’abstention y est assez fort (64,17%).

À LYON et à BORDEAUX, si les écologistes à la tête de coalitions avec des forces de gauche prennent ces deux villes – dans la première ville à une coalition hétéroclite dirigée par l’inattendu héritier LR de l’ancien maire Gérard COLLOMB ; et dans la seconde ville à la droite conduite par l’héritier d’Alain JUPPÉ – le taux d’abstention y est respectivement de plus de 62% et plus de 61%.

Certes, dans une élection, l’on peut toujours se targuer d’être un peu moins faible que ses adversaires les plus faibles, mais dans un contexte de naufrage et de fiasco général, cela ne fera jamais un grand et honorable succès, même pour les premiers arrivés…

2/ Le vocabulaire des médias et la dénaturation des élections exclusivement autour des hommes et en un jeu d’égos avec des vainqueurs et des vaincus…

Parfois les médias traitent chaque élection comme s’il s’agissait d’accéder à une marchandise convoitée et disputée, comme le montre le vocabulaire révélateur utilisé par certains journaux – et non des moindres – le plus souvent emprunté au vocabulaire économique à travers les termes « concurrence » ou « concurrents » accréditant l’idée d’une lutte d’intérêts avec des hommes défendant de tels intérêts pour en tirer un profit personnel. On parle aussi d’« offre » politique pour désigner l’éventail des forces en présence… Hier, les élections étaient traitées par les médias tantôt comme un spectacle ou un jeu de gladiateurs (qui gagne? qui perd ?), tantôt comme une compétition sportive, notamment avec le terme « compétiteur », qui était cher à Lionel JOSPIN, pour désigner un adversaire politique…

L’on voit ainsi que la sémantique ci-dessus évoquée nous révèle combien une certaine perception de l’élection focalisée exclusivement sur la personnalité et la posture des candidats nous éloigne peu à peu, et insensiblement, de sa finalité originelle fondée sur l’idée de mandat représentatif pour glisser vers des formes d’avidité et de satisfaction personnelle éloignées du service des autres et de la recherche de l’intérêt général.

B/ Modeste et rapide essai d’appréhension des raisons du vote écologiste

Certes, il y eut, dimanche dernier, l’écologie… qui présentait l’avantage de faire facilement « consensus » dans le désordre général partisan…

1/ Peut-on raisonnablement être « contre » la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de l’environnement et la protection de la biodiversité?

Si l’on n’est pas soi-même un climato sceptique, le sauvetage du climat par la lutte contre le réchauffement climatique, pour la préservation de l’environnement et pour la défense de la biodiversité sont des contraintes et des nécessités à prendre en charge qui ne peuvent laisser insensibles de nombreux citoyens cherchant encore quelques bonnes raisons d’aller voter, faute de trouver ailleurs des programmes correspondant à leurs autres préoccupations quotidiennes touchant leur mode de vie … Mais à la condition que cela ne remplace pas toutes les autres questions nombreuses de nature aussi politique, ce qui explique d’ailleurs sûrement le succès des listes écologiques avec d’autres candidats de sensibilité de gauche, sans toutefois que la dimension sociale des problèmes soit forcément devenue centrale par rapport à l’hégémonie écologiste dans ces regroupements de sensibilités diverses. En effet, aujourd’hui, force est de constater que, faute d’autres urgences sociales mises dans le débat politique et devant une insécurité sociale générale, la prégnance de la forte charge émotionnelle et consensuelle écologique explique sans doute le succès du courant vert lors de ces élections municipales… Encore que l’euphorie d’une telle « victoire verte » ne doive pas faire oublier tout de même que ce succès, lui aussi, est à relativiser car les élus écologistes, comme on l’a vu, n’ont pas été mieux élus que les autres et, compte tenu de la faible participation électorale, sont loin d’incarner un courant politique très fort, dès l’instant qu’il nous semble avoir fait l’objet d’un vote par défaut…

2/ L’écologie dépasse-t-elle les clivages politiques?

L’écologie, dépassant et subsumant tous les problèmes autour du problème central de la protection de la planète Terre, signe-t-elle la fin de la politique? Mais notre planète est également habitée par des humains et a normalement vocation à le rester… L’écologie super concentrée et repliée exclusivement sur les questions du climat et de l’environnement ne saurait être un bréviaire politique global se suffisant à lui-même car la planète doit être conçue et ordonnée pour permettre aux femmes et hommes d’y vivre de manière libre, digne et décente… Car l’on ne vit pas que de l’air du temps, même si cet air est devenu plus pur ou seulement moins pollué et toxique… Et la politique, qui élabore la règle de droit, ne saurait se désintéresser des rapports entre les humains eux-mêmes – rapports de production et d’échanges, souvent inégalitaires et de domination minés par des contradictions internes souvent antagonistes – qui deviennent vite des rapports de tension, de contestation et de luttes sociales, si le législateur n’intervient pas et laisse faire…?

III/ Le désaveu de notre système politique et la nécessité de rétablir la République

L’abstention marque aussi un puissant désaveu de notre système politique qui, depuis 1958/1962 [6], est d’essence fondamentalement autoritaire.

A/ Dans sa conception, d’abord

Les institutions de la 5ème République nous ont donné un Président-Roi intouchable, pendant 5 ans depuis 2002, même si la désapprobation par les citoyens de la politique gouvernementale se manifeste dans la rue seulement au bout de 18 mois ou 2 ans de mandat… Le diagnostic nostalgique de Philippe de VILLIERS nous disant tout récemment que les Français attendraient « Un Président qui habite le corps du Roi. Pas un homme normal. Un chef. Celui qui relèvera la fonction, qui lui redonnera du lustre, du mystère… une présidence oblative » [7] est bien éloigné de la réalité sociale d’un système politique à bout de souffle, et encore bien davantage des attentes républicaines de nos concitoyens qui sont las et exaspérés qu’on les prie, chaque jour, d’attendre de cet homme « providentiel», la « bonne parole » sur tous les sujets les plus divers, comme dans les systèmes archaïques de pensée magique. Contrairement au titre racoleur de son dernier ouvrage, jamais, le vicomte de VILLIERS n’a  été aussi éloigné de ces « gaulois réfractaires » qui ne veulent plus être réduits à ne devoir demander des « comptes » qu’une fois tous les 5 ans, à l’occasion de la grande messe d’investiture présidentielle…

B/ Dans son mode de fonctionnement, ensuite

Le régime politique de la 5ème République organise, grâce au mode de scrutin abusivement simplificateur de désignation de nos députés (scrutin majoritaire à 2 tours), une confusion des pouvoirs législatif et exécutif au profit du même parti majoritaire, parti du Président. Cette confusion des pouvoirs empêche mécaniquement tout débat démocratique et clive notre pays dans une distinction accrue entre « gouvernants » – les citoyens appartenant au parti majoritaire – et « gouvernés » (tous les autres citoyens confinés dans la passivité) : il s’agit d’une appropriation privative de l’espace politique public par des partisans ayant le culte du chef qui, en contrepartie, et pour gage de leur docilité et servilité, sont récompensés par l’attribution de tous les Hauts postes de l’Etat, sous réserve, pour ceux qui ne sont pas énumérés par l’alinéa 3 de l’article 13 de la Constitution [8], de l’accord, selon la force de l’avis négatif de celles-ci, des Commissions permanentes des deux chambres du Parlement…

Un tel mode de fonctionnement partisan est à mille lieux d’une République dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité » et dont le principe est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

C’est dire que depuis longtemps, contrairement à ce qu’affirme sa Constitution, la France n’est plus une « République… démocratique et sociale » (article premier de la Constitution).

Et l’on comprend mieux ainsi cette autre raison, encore plus fondamentale, pouvant justifier et expliquer l’abstention majoritaire  d’aujourd’hui car elle touche au mode d’organisation du pouvoir et aux relations entre les citoyens – qui ne veulent pas être considérés comme des mineurs ni comme des personnes mises sous tutelle car étant capables d’oser penser par eux-mêmes, au sens kantien [9], la chose publique – et leurs représentants  qui ne sont investis que d’un mandat politique et non d’une forme déléguée d’exercice d’un pouvoir souverain qui ne leur appartient pas car seul le peuple en est le détenteur.

Louis SAISI

Paris, le 2 juillet 2020

Notes

[1] Article 2 C (alinéas 4 et 5)

« —–

——-

——

« La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »

[2] La Première Internationale fut fondée à Londres, le  au Saint-Martin’s Hall, sous le nom d’Association internationale des travailleurs (AIT). Créée à l’initiative de travailleurs et de militants français, anglais, allemands et italiens, son premier objectif était de coordonner le développement du mouvement ouvrier naissant dans les pays européens récemment industrialisés.

En butte aux répressions gouvernementales des pays industrialisés d’où elle était née, elle connut néanmoins un rapide succès  et se constitua en sections nationales dans de nombreux pays européens, dont la France, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique. A partir  de 1867, d’autres sections nationales virent le jour en Italie, Espagne, Autriche, aux Pays-Bas et aux États-Unis.

[3] Francis DUPUIS-DERI : Nous n’irons plus aux urnes -Plaidoyer pour l’abstention, Ed. Lux, 2019, 192 pages (publication en Amérique du Nord, 3 octobre 2019 ; publication en Europe, 21 novembre 2019). Le professeur Francis DUPUIS-DERI, depuis 2006, enseigne au département de science politique et à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il y étudie notamment les mouvements sociaux : l’altermondialisme, l’antiféminisme et le masculinisme, les hommes proféministes, la répression policière, l’anarchisme, le profilage politique, la guerre et la démocratie.

[4] Tous les chiffres cités ici sont ceux publiés par le journal Le Monde du 30 juin 2020 « Second tour Élections municipales 2020 », supplément de 20 pages.

[5] Ingrid RIOCREUX : La langue des médias – Destruction du langage et fabrication du consentement, Ed. L’Artilleur, Paris, 2016, 333 pages, notamment p. 16.

[6] La réforme constitutionnelle du 6 novembre 1962, adoptée, en dehors de toute procédure parlementaire constitutionnelle orthodoxe, par la voie de l’article 11 de la Constitution, a permis le passage de l’élection du Président de la République d’un mode de scrutin indirect par un peu plus de 80 000 grands électeurs – eux-mêmes élus [parlementaires (députés et sénateurs), conseillers généraux, représentants des conseils municipaux, avec pour les grandes villes, des grands électeurs supplémentaires pris dans leurs conseils municipaux] – à son élection au suffrage universel direct à 2 tours. Cette élection au suffrage universel a considérablement consolidé le pouvoir présidentiel en politisant la fonction du Président de la République qui conserve néanmoins ses fonctions arbitrales de Chef d’Etat irresponsable.

[7] Philippe DE VILLIERS : Les Gaulois réfractaires demandent des comptes au Nouveau Monde, Ed. Fayard, Paris, 2020, 152 p, notamment pp. 27-28.

[8] Article 13 de la Constitution

(modifié par Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 – art. 12 ; modifié par Loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet… – art. 5)

« Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres.

Il nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat.

Les conseillers d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l’Etat dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales, sont nommés en Conseil des ministres.

Une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom.

Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. »

[9] Au sens que donnait KANT à sa célèbre expression « Sapere aude » dans son éloquent fascicule de 1784 intitulé « Qu’est-ce que les lumières ? ».

 

 

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