Alice BSÉRÉNI, animatrice d’ateliers d’écriture, est déjà connue de nos fidèles lecteurs car nous l’avions présentée à l’occasion de la publication, sur notre site, le 4 décembre 2024, de son article « Quelques réflexions brûlantes » à propos du conflit israélo-palestinien et du drame de Gaza (https://ideesaisies.deploie.com/quelques-reflexi…ueuse-litteraire/).
Elle revient aujourd’hui dans l’article ci-dessous « La PALESTINE, sacrifiée sur l’autel de l’HISTOIRE » sur la situation en PALESTINE.
En effet, malgré le cessez-le-feu, entré en vigueur le 19 janvier 2025 avec l’échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens, l’incendie ne semble pas près de s’éteindre entre les palestiniens et les israéliens dans la bande de Gaza.
Si le second volet de la trêve – qui prévoyait un cessez-le-feu permanent, le retrait israélien de Gaza, la réouverture des points de passage pour l’aide et la libération des derniers otages – devait normalement entrer en vigueur début mars, le gouvernement de Benyamin NETANYAHU refusa néanmoins de respecter les accords négociés avec le Hamas et exigea une extension de la première phase jusqu’à la mi-avril, conditionnée par la « démilitarisation totale » du territoire et le départ du Hamas avant de passer à la deuxième phase. Le Hamas refusa et réclama le respect de l’accord de cessez-le-feu.
En réponse, le 18 mars 2025, l’armée israélienne a repris ses bombardements visant Rafah, Khan Younès, Deir el-Balah, Nousseirat, Bureij, Al-Zaytoun, Al-Karama et Beit Hanoun. Ainsi, dans la bande de Gaza, au moins 330 personnes furent tuées, des centaines d’autres furent blessées, « dont des dizaines dans un état critique », la plupart des victimes étant des femmes et des enfants, a déclaré à l’AFP le porte-parole du ministère de la santé de la bande de Gaza.
Selon leur habitude et assez curieusement – depuis que dure la répression et la destruction de Gaza ayant déjà fait des dizaines de milliers de victimes civiles depuis le lendemain du 7 octobre 2023 -, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont prétendu qu’elles frappaient ce qu’elles considéraient être des « cibles terroristes » appartenant au Hamas…
Parallèlement, et en toute impunité, l’organisation Nachala – créée par Daniella WEISS -, pionnière du mouvement de colonisation israélienne en Cisjordanie, continue d’exhorter les jeunes juifs à s’emparer des terres palestiniennes de Gaza. C’est ainsi que le 26 décembre 2024 cette organisation sioniste d’extrême droite mobilisait ses partisans sur le thème « Gaza appartient à l’Etat d’Israël », encouragée par le Ministre des Finances, Bezalel SMOTRICH, qui affirmait, en décembre dernier, à la radio publique : « Nous devons occuper Gaza, maintenir une présence militaire sur place et établir des colonies » voulant sans doute renouer avec la période où, entre 2000 et 2005, après 30 ans d’occupation israélienne, près de 9000 israéliens avaient fondé 21 colonies dont 17 d’entre elles étaient situées sur la côte sud de l’enclave – appelée par les israéliens « Goush katif » – qui empêchaient les habitants de Khan Younès et de Rafah d’accéder à la Méditerranée. Après le démantèlement de ces colonies par Ariel SHARON, en 2005, la droite religieuse et nationaliste ne cessa de dénoncer une « injustice historique » (sic) qu’elle s’était dès lors fixée comme objectif politique de réparer [1].
Quant à la Cisjordanie, le Ministre de la Défense, Israël KATZ, a ordonné, le 23 février 2025, que les 40 000 Palestiniens expulsés des camps de Jénine, de Tulkarem et de Nour Shams, dans le cadre des affrontements entre Tsahal et des groupes armés palestiniens, ne soient pas autorisés à revenir « avant au moins un an » [2].
C’est ainsi que le journaliste israélien Amir Ben-David a pu écrire dans Zman Yisrael (The Times of Israël, online newspaper) : « La campagne menée par les dirigeants des colons d’extrême droite […], qui réclament cette mesure depuis plus d’un an et multiplient les agressions contre les civils palestiniens de Cisjordanie, est en train de porter ses fruits. Les colons ont réussi à transformer la Cisjordanie en zone de guerre totale. La Cisjordanie brûle. » [3]
De son côté, le quotidien israélien de gauche libérale Ha’Haretz a écrit à son tour : « Dans la bande de Gaza, le gouvernement NETANYAHU rêve d’un « transfert » de la population palestinienne, mais c’est en Cisjordanie que ce plan est en œuvre, dans l’indifférence générale. » [4]
Au sein du bloc des pays occidentaux, dominé par les Américains inconditionnellement alliés d’Israël, c’est le silence qui est la règle observée par les États européens – à l’exception de quelques honorables États : Espagne, Irlande, membres de l’Union européenne (UE), auxquels l’on peut ajouter la Norvège [5] et Le Vatican [6] – ainsi que par les États membres de l’OTAN [7], plus bavards sur la guerre russo-ukrainienne et ne lésinant pas, dans cette guerre, sur leur aide matérielle militaire apportée à l’un des deux belligérants.
Nous faisant partager son itinéraire personnel familial qui très tôt l’a mise en contact avec la Syrie paternelle et, au-delà, ensuite, avec la géographie du Moyen-Orient, Alice BSÉRÉNI nous livre ici une très large analyse géopolitique de cette zone très tendue et conflictuelle du Moyen-Orient où elle s’efforce de nous montrer que la Palestine fait les frais des compromis entre les puissances impérialistes rivales du globe dans cette région très disputée.
Louis SAISI
Paris, le 20 mars 2025
Alice BSÉRÉNI
Animatrice d’ateliers d’écriture, chroniqueuse littéraire
LA PALESTINE, sacrifiée sur l’autel de l’Histoire
par Alice BSÉRÉNI
Je suis née de la guerre mais aussi de la paix, un printemps de 1946, d’une mère française et d’un père syrien. Il venait de libérer la France après une campagne d’Afrique sanglante, gravement blessé à BIR HAKEIM [1]. Ma mère était réfugiée avec sa famille dans l’arrière-pays charentais, dernière poche occupée par l’armée allemande malgré l’armistice. D’une beauté rare et délicate, c’était une jeune femme soumise à l’autorité brouillonne d’une mère imposante, elle espérait se libérer des effets d’une enfance contrainte. La liesse de la libération, la magie de la fête et d’un bal populaire ont précipité l’événement, puis Ils se sont mariés. Mon père est reparti pour d’autres guerres, d’autres horizons et diverses missions, en Indochine puis à La Réunion. On a pu l’y rejoindre enfin, j’avais déjà quatre ans.
De leur union sont nées deux autres filles, mes sœurs. Nous apprendrons bien plus tard l’existence d’une autre fille en Indochine, une demi-sœur donc. Au terme de quinze ans d’armée, il s’est reconverti en commerçant de campagne, tenant une « épicerie-café-tabac » dans un petit village normand froid. Il échappait de justesse à la guerre d’Algérie, et renouait avec une tradition familiale où son père avait été épicier-traiteur dans la vieille ville d’Alep. Douze ans après, leur union explosera, ravagée par une guerre interne, usée par les désordres de la vie militaire, l’incompréhension entre les sexes et les cultures, l’Orient et l’Occident, le féminin avec le masculin. En tant qu’ainée, j’en garde des blessures profondes. Jusqu’à son dernier souffle, mon père, usé et invalide, portera le drapeau des anciens combattants et ses décorations à chaque cérémonie commémorative.
Mon père m’a légué son nom et celui de sa mère, Alice, arménienne de Turquie rescapée du génocide de 1915, réfugiée à Alep. Ce nom je le porte toujours, je n’en ai pas changé. Ma vie s’est écrite pourtant loin de lui, avec mes sœurs et ma mère assumant seule la charge de ses trois filles. Plus tard, mes pas m’ont ramenée à plusieurs reprises jusque dans sa famille, son pays, la région moyen-orientale dont j’ai tenté de sonder la complexité, les mémoires, les richesses, les drames et les ravages. Les tragédies s’y enchaînent depuis des millénaires, attisées par les convoitises des pays développés avides des richesses pétrolières et gazières recélées en sous-sol. Le projet colonial reste bien aux postes de commandes des stratégies occidentales à l’affût d’itinéraires mercantiles vers l’Asie, avides de nouveaux empires à conquérir, à soumettre ou dévoyer, grimés d’alternatives démocratiques qui ignorent trop souvent les legs d’une histoire ou les détournent à leur profit. On l’a vérifié avec les guerres contre l’Irak [2], il prend une ampleur démoniaque, jusque-là inégalée, en Palestine toujours occupée depuis la Seconde Guerre mondiale.
La paix s’est construite en Europe à pas lents mais décidés, voulant oublier les guerres qui ont ravagé le continent, mais qui s’exportent ailleurs. Celles qui consument le Moyen-Orient, et maintenant l’Ukraine, dérivent en soubresauts pervers de cette Seconde Guerre mondiale, faisant craindre d’autres à venir. La guerre qui embrase le M-O excède largement le territoire gazaoui dont elle est l’épicentre barbare, elle se répand en Cisjordanie, menace au Liban, en Syrie, n’épargnant pas la Jordanie, l’Iran ou la Turquie, écorche des parcelles de territoire irakien, déborde au Yémen et en Iran. Elle affiche à Gaza une intention génocidaire avérée, décomplexée, et un projet non équivoque de déportation de son peuple. L’emprise sioniste s’accélère dans une Cisjordanie gangrénée par les colonies d’occupation qui rendent la région désormais inhabitable aux Palestiniens. Ceci avec le blanc-seing et l’aide décisive des Etats-Unis dont Israël est l’avant-poste au M-O. Sont opposés les otages de part et d’autre, palestiniens retenus par milliers dans les geôles israéliennes depuis des décennies, certains à perpétuité, israéliens capturés brutalement le 7 octobre 2023 dans la stupeur générale.
La Palestine vit sous occupation depuis plus de quatre-vingts ans, faut-il le rappeler ? Ce qui impute de fait aux Palestiniens la charge et le tribut de solder seuls les atrocités perpétrées en Europe par le régime nazi, avec la complicité active des autorités collaborationnistes, dont l’aide précieuse des Vichystes de France. Une colonisation rampante et violente gangrène l’ensemble du territoire palestinien. Ce qui se passe en Palestine aujourd’hui est innommable : on assiste en direct au massacre d’un peuple, à la destruction d’un pays, aux prouesses technologiques mises au service de la guerre et de la mort. Elles sont largement relayées par les écrans du monde entier, en temps réel et en gros plan, générant à la fois sidération, stupeur et jouissance perverse. On assiste en direct à l’avancée du projet colonisateur d’une force d’occupation exterminatrice affublée des oripeaux « de peuple élu » et du postulat fallacieux « une terre (« promise ») sans peuple pour un peuple sans terre » ! Il s’exerce à l’encontre d’un peuple tout entier pris en otage des contentieux de l’Histoire dont il est seul à faire les frais et apurer les dettes. L’instrumentalisation de la Shoah est une fois de plus requise selon des procédés pervers pour justifier l’inadmissible et brouiller sciemment les responsabilités occidentales.
Le déploiement des technologiques exterminatrices s’assortit d’une entreprise de dévoiement éhonté du langage, des concepts et des règles de droit. Le droit international et les institutions qui le fondent depuis la seconde guerre mondiale volent en éclats sous les coups de boutoir et de force qui en prennent le relais et en tiennent lieu désormais. Conjugués aux effets des dérèglements climatiques et des alarmes lancés en vain par les scientifiques du monde entier, à l’origine de bien des guerres locales, d’exils, de migrations contraintes, du déni qui y sont opposés, c’est la marche du monde qui est intégralement ébranlée, définitivement corrompue. À la guerre des images se superpose celle des mots : l’agressé est décrété l’agresseur, le colonisé le terroriste, l’envahi le fautif, aux guerres expansionnistes se greffent celles de la pensée. Le nouvel ordre mondial est devenu désordre intégral, pulvérisant tous les repères en vigueur. Mais ce n’est pas nouveau, souvenons-nous des entorses décisives et des violations du droit opérés lors la Première Guerre du Golfe contre l’Irak, perpétrée à coups de média mensonges, de contre-vérités, d’inversions des alliances, de renversement des axes stratégiques.
Que l’Occident en paye les effets au prix fort depuis 1991 avec les attaques terroristes qui se sont multipliées depuis, et la montée des extrêmes droites et intégristes qui percent partout dans le monde, n’est pas pour nous surprendre. Elles se manifestent désormais décomplexées, banalisées, gangrénant les paysages démocratiques des pays riches, aux E-U comme en Israël, dans l’ensemble des pays européens, en Amérique Latine comme en Asie… Comme si la pulsion de mort s’installait désormais aux postes de commandes d’un monde désorienté, désespéré, n’obéissant plus qu’au langage des armes, aux solutions extrêmes, (est brandie dorénavant la menace nucléaire), au détriment du droit, des mots, des règles, de sa propre humanité. Le refus de l’Occident de solder le drame palestinien selon une solution juste à deux états, négociée pour une paix durable, et dorénavant inenvisageable, est la honte de ma génération. Elle signe la faillite d’un projet démocratique qui veut se donner, voir s’imposer comme modèle aux peuples en souffrance. Ils restent soumis aux lois de la finance, à la force des armes, aux processus prédateurs et dévastateurs qui menacent l’ensemble de la planète. Les liens de l’Orient et l’Occident se fracassent sur l’autisme qui ravage les énergies mortifères à l’œuvre partout dans le monde. Ma honte n’a maintenant d’égale que l’impuissante colère à laquelle nous condamnent ces agissements criminels.
Alice BSERENI, 20 mars 2025
Animatrice d’ateliers d’écriture
NOTES
[1] Cf. « Gaza est à nous ! : les colons en ébullition », Courrier International N° 1791 du 27 février au 5 mars 2025, notamment pp. 16-17.
(2] Ibid., p. 17.
[3] Ibid., p. 17
[4] Ibid., p. 17
[5] La Norvège a organisé deux référendums successifs pour entrer dans l’Union européenne : la première fois, en 1972 ; la seconde fois, un peu plus de 20 ans plus tard, en 1994. Mais, chaque fois, la réponse fut négative, en grande partie à cause des quotas de pêche imposés par la législation européenne.
[6] Le Vatican, qui n’est pas membre de l’ONU, a également reconnu l’État de Palestine en 2015. Ces deux pays ont maintenant le même « statut » au sein de l’ONU (statut d’État observateur). L’admission de la Palestine comme État permanent à égalité de droits avec les 193 États membres de l’ONU se heurte au veto des USA qui bloquent, au Conseil de sécurité, son admission d’État membre à part entière.
[7] Contrairement aux 147 pays (États d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud et centrale, de l’ancienne URSS et d’Europe de l’Est) qui, au 28 mai 2024, avaient reconnu l’État de Palestine, soit près de 75 % des 193 Etats membres de l’Organisation des Nations unies (ONU).
[8] La bataille de BIR- HAKEIM, bataille de la Seconde Guerre mondiale durant la « guerre du désert », se déroula du 27 mai au 11 juin 1942 – elle tire son nom d’un point d’eau désaffecté au milieu du désert de Libye, au sud de Tobrouk – et opposa, pendant 16 jours, la 1re brigade, future 1re division française libre commandée par le général KŒNIG – aux armées motorisées italiennes et allemandes, de l’Afrikakorps, commandées par ROMMEL
Cette héroïque résistance des Français permit aux Britanniques d’échapper à l’encerclement et de préparer les positions défensives qui aboutirent à la victoire stratégique de la première bataille d’El Alamein en juillet 1942.
BIR-HAKEIM est restée dans l’histoire de la seconde guerre mondiale comme la première contribution militaire importante des Forces françaises libres. Elle contribua puissamment à la reconnaissance politique par les Alliés du Comité national de la France combattante.
[9] Alice BSÉRÉNI, par ses racines et une partie de son enfance, s’intéresse depuis longtemps aux problèmes du Moyen-Orient, ayant elle-même effectué une dizaine de séjours en IRAK, dès les années 91, d’où elle a rapporté ses deux ouvrages qui firent date : Irak, le complot du silence, Essai (Préface de Pierre Rossi), Collection « Comprendre le Moyen-Orient », Ed. L’Harmattan, Paris, 11 juin 1997 ; Chroniques de Bagdad 1997-1999, La guerre qui n’avoue pas son nom (Préface du Dr Michel JOLY), Ed. L’Harmattan, 1er juin 2000, collection « Comprendre le Moyen Orient ». Dans ces deux livres, elle annonçait, de manière prémonitoire, ce que devait être plus tard, en mars 2003, le bombardement, l’invasion puis la destruction de l’Irak.