Le livre de Nasser ABU SROUR « JE SUIS MA LIBERTÉ », compte rendu par Alice BSÉRÉNI

Nasser ABU SROUR, l’un des plus anciens prisonniers palestiniens, publia clandestinement, en arabe, à Beyrouth, en 2022, « Histoire d’un mur ». Tel était le titre original de son livre relatant près de 30 années de captivité dans les geôles israéliennes. Aujourd’hui, ce récit est traduit en français sous le titre Je suis ma liberté dont l’auteur nous dit lui-même être « la voix de ce mur » qui l’a pris « pour témoin de ses paroles et de ses actes.»

Dès sa sortie en France, cet ouvrage a été salué par la critique unanime, tant sur le fond que sur la forme.

C’est ainsi que Zone critique [1] écrit que Nasser ABU SROUR « transcende les murs de sa cellule pour offrir une œuvre politique, poétique et profondément humaine », bouleversant « les codes de la littérature carcérale », en explorant « la quête de sens dans un contexte où, à l’instar des geôles dans lesquelles il est écroué, l’avenir semble irrémédiablement verrouillé. »

Le Devoir [2] (journal en ligne), évoquant l’enfer des geôles israéliennes, estime que « L’écrivain ne restitue pas seulement un tableau cruel de son existence solitaire en détention, il émaille également son livre de réflexions philosophiques, invoquant ici et là les écrits du philosophe danois Kierkegaard ou le mythe d’Adonis. »

Ce journal en ligne n’hésite pas à qualifier cet ouvrage de « magnifique et important » car réunissant « en deux parties la grande et la petite histoire » : le conflit israélo-palestinien et les racines d’ABU SROUR originaires d’une localité, Bayt Nattif, proche d’Hébron, sa famille fuyant la région en 1948 à la suite de la Nakba (la « catastrophe » en arabe).

Le Courrier International du 24 janvier 2025 souligne que le « récit “Je suis ma liberté” (d’ABU SROUR), paru chez Gallimard le 16 janvier, retrace avec une grande lucidité critique et poétique sa vie et le destin de son peuple. »

Pour l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) « ce livre est une exploration profonde de l’âme d’un homme confronté à l’enfermement. ABU SROUR, à travers une écriture à la fois philosophique et poétique, noue un dialogue intime avec le mur de sa cellule, le transformant en confident et en miroir. Il explore ainsi les différentes facettes de sa condition de prisonnier : la solitude, la torture, l’espoir, le désespoir, mais aussi l’amour, qui vient bouleverser sa vie lorsqu’il rencontre une jeune avocate. »

« Au-delà du récit personnel, Je suis ma liberté est un document historique précieux. Il retrace l’évolution de la lutte palestinienne depuis la première Intifada jusqu’aux accords d’Oslo, en passant par les différentes phases de la résistance en prison.»

Pour AOC (Analyse Opinion Critique), « Je suis ma liberté est un livre exceptionnel à bien des égards, notamment à cause de la personnalité de l’auteur, Nasser Abu Srour… Condamné à la perpétuité, il lit, écrit, rêve, médite : Je suis ma liberté est le fruit de ces exercices intérieurs. C’est une réflexion autobiographique enroulée dans une prose qui stupéfie, peut-être l’unique témoignage de cet homme. On ne le lit pas comme un roman, c’est une évidence. »

Le Monde en ligne du 25 janvier 2025 évoque le contexte du livre de Nasser ABU SROUR : « Dans la littérature arabe d’aujourd’hui, les écrits de prison (« adab el-sojoun ») constituent un genre bien identifié, nourri par une histoire de luttes et de répressions qui ne semble pas près de se clore. Au sein de ce corpus, les écrits palestiniens occupent une place à part, leurs auteurs étant tous prisonniers, non de leur propre régime, mais de l’Etat d’Israël. »

À son tour, notre amie Alice BSÉRÉNI, bien connue de nos lecteurs, nous fait l’honneur et le plaisir de rendre compte sur notre site du contenu de ce livre témoignage si précieux quant à la condition carcérale des détenus palestiniens dans les geôles israéliennes.

Louis SAISI

Paris, le 9 juin 2025

 

Nasser ABU SROUR, « JE SUIS MA LIBERTÉ »,

Gallimard, 2025 Du Monde entier,

Traduit de l’arabe (Palestine) par Stéphanie DUJOLS

Compte rendu par Alice BSÉRÉNI

 

Ci-dessous, un portrait de Nasser ABU SROUR brandi par un manifestant palestinien

en avril 2016 près de Ramallah, en Cisjordanie.

Nasser ABU SROUR est né en 1969 derrière le mur d’enceinte d’un camp de réfugiés palestiniens de la Nakba. Il doit passer le restant de ses jours entre les quatre murs d’une geôle israélienne, condamné à perpétuité depuis l’âge de 20 ans. Voilà près de 32 ans qu’il est emprisonné, suspecté de complicité dans l’assassinat d’un agent secret israélien, arrêté aux lendemains des accords d’Oslo, en 1993, à la fin de la première Intifada. « Je suis ma liberté » est le récit d’une longue descente aux enfers, de geôles en geôles, d’interrogatoires en tortures, de transferts en isolement ou en promiscuité, de cachots en cellules surpeuplées, de contrôles tâtillons en pluies d’humiliations, de renoncements en asservissements. Autant de processus de déshumanisation dont il aurait dû sortir anéanti. Que valent des aveux arrachés dans ces conditions de détention ? Quand il a pu s’y résigner et même en prendre son parti, il a fait de Son mur l’allié inconditionnel de sa liberté. C’est là qu’il écrit son livre, prenant appui sur Son mur comme page d’écriture et socle de sa liberté. Ce mur devient le support de son écriture, le refuge qui lui permet de continuer à vivre et s’abstraire de l’insoutenable, établissant un dialogue permanent avec lui, interlocuteur qui devient confident puis page d’écriture, déroulé textuel, miroir, compagnon, tuteur, désormais raison de vivre et même protection, palimpseste des passages des prisonniers dans les geôles israéliennes.

Le livre est l’occasion d’une rétrospective historique et politique de la Palestine, particulièrement des camps, des exils successifs, des Nakba qui se poursuivent depuis 1948 en Palestine comme en Cisjordanie et à Jérusalem, dont l’auteur et sa famille sont l’une des victimes et les témoins. De ce long calvaire est né un livre remarquable, bouleversant, qui révèle un talent incontestable d’écrivain. Les mots, les pages sont d’une beauté à couper le souffle, la mutation intérieure de l’auteur un exploit, une gageure. Bien qu’à l’isolement contraint depuis tout ce temps, Nasser parvient à se faire témoin de son temps, mémoire de son peuple, historien subtil et raffiné, philosophe éclairé, militant engagé de la cause palestinienne, et, depuis, écrivain talentueux. Il a su mettre à profit ces 32 ans de relégation pour effectuer des études supérieures de langues et de sciences politiques, enfin s’initier à l’art d’écrire. Ce roman singulier, strictement autobiographique, est ponctué d’une histoire d’amour intense autant qu’inattendue avec une jeune avocate palestinienne visiteuse de prison, dérangeant un temps les effets morbides de l’enfermement. Le roman est une ode à l’écriture, à la force vitale du texte, un hommage vivant au processus d’écriture, une profession de foi dans le pouvoir des mots qui restituent statut d’humain à ceux que l’on en voudrait déposséder. On assiste à la lente métamorphose d’un être en résistance, à l’alchimie du néant avec l’être en devenir. La publication du livre, magnifiquement servi par la traduction de Stéphanie DUJOLS [3], est un défi en soi, un miracle inespéré. Ce qui confère une valeur d’autant plus précieuse à l’étrange métaphore qui résonne singulièrement avec l’actualité brûlante qui consume son peuple depuis près d’un siècle.

On peut s’indigner d’une tragédie sans issue, des iniquités et des impasses de l’Histoire, des drames qui broient les vies, l’espoir et toute alternative à celle de l’occupation galopante d’une contrée démembrée. On ne peut qu’admirer les efforts surhumains que déploie Nasser ABU SROUR pour restaurer l’humain en soi que l’occupant veut abolir. En devenant « la voix de ce mur », en s’en faisant le scribe et l’interprète, il parvient à conjuguer l’insupportable du réel avec la fonction salvatrice du symbolique et du langage, lui permettant de projeter sa propre liberté dans l’imaginaire. Il faut lire ces quelques 300 pages de pure poésie, se laisser porter par le souffle intérieur du texte et sa beauté, la profondeur de la pensée, accueillir le message d’espoir de cette foi dans la puissance des mots.

Alice BSÉRÉNI, juin 2025

Animatrice d’Ateliers d’écriture

NOTES

[1] « Nasser Abu Srour : Quand l’écriture défie l’oppression », par Antonin Bojkovski (littérature),  – Zone Critique.

[2] Le Devoir : « Je suis ma liberté » : Dans l’enfer des geôles israéliennes » par Ismaël HOUDASSINE.

[3] Stéphanie DUJOLS, traductrice, est également l’auteure de Les espaces sont fragiles. Carnets de Cisjordanie, Palestine 1998-2019, Arles, Actes Sud, 2024, 112 pages. Voir son interview sur Médiapart Billet de blog 22 juillet 2024 sous le titre « Vivre et témoigner en Palestine. Entretien avec Stéphanie DUJOLS ».

 

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