Le sénateur du New Jersey Cory BOOKER prononce un implacable réquisitoire pendant 25 heures contre la politique de TRUMP par Louis SAISI

Le sénateur du New Jersey Cory BOOKER prononce un implacable réquisitoire pendant 25 heures contre la politique de TRUMP

par Louis SAISI

Le sénateur démocrate du New Jersey Cory BOOKER (photo ci-contre), a prononcé, du 31 mars au 1er avril 2025, à la Chambre Haute du Congrès américain, un implacable réquisitoire d’une durée de 25 heures contre la politique de TRUMP.

Depuis le retour de Donald TRUMP à la Maison-Blanche, l’opposition démocrate, minoritaire au Congrès, a du mal à trouver un mode d’expression mobilisateur pour s’opposer aux nombreux décrets et annonces du milliardaire républicain, qui a entrepris de démanteler de vastes pans de l’État fédéral, à coup de limogeages de fonctionnaires ou de suppressions d’agences et de certains départements fédéraux exécutifs (équivalents de nos ministères).

Le sénateur du New Jersey, déjà pressenti parmi les candidats à l’investiture démocrate pour la future présidentielle de 2028, a donc affirmé derrière son pupitre qu’il avait décidé de se lancer dans ce discours marathon parce que les habitants du New Jersey qu’il représente l’avaient « mis au défi de faire quelque chose de différent, de faire quelque chose ».

L’élu du New Jersey a donc décidé d’utiliser la tactique surnommée « filibuster », mot dérivé du français « flibustier » (= pirate), puisque l’élu « pirate » ainsi la clôture des débats. Il s’agit d’une forme d’obstruction parlementaire, très connue aux USA, consistant à parler de manière illimitée, pendant des heures et des heures, en principe pour empêcher ou retarder le vote d’une loi dont on ne veut pas, et qui constitue  une particularité du Sénat américain, car, en effet, aucune tactique de ce genre n’est possible à la Chambre des représentants depuis 1842.

Les règles du Sénat empêchant quiconque d’interrompre un sénateur – dont le droit de parole est sacré -, le sénateur pirate peut donc parler indéfiniment jusqu’à ce que la proposition d’un vote de clôture, nécessitant 60 votes, y mette un terme.

Le record précédent s’établissait à 24 heures et dix-huit minutes. Il avait été établi par Strom THURMOND, alors sénateur de Caroline du Sud pro-ségrégationniste, qui s’opposa, en 1957, à la première loi historique sur les droits civiques [1].

Avant le discours de Cory BOOKER qui devait conduire au nouveau record de durée, les galeries de l’hémicycle du Sénat, ouvertes au public, s’étaient peu à peu remplies, tout comme les sièges des sénateurs démocrates venus apporter leur soutien à leur collègue.

A l’extérieur du Sénat (photo ci-dessous), des partisans de Cory BOOKER, arborant des pancartes et banderoles sur lesquelles était inscrit « Merci Sénateur Booker », étaient venus lui apporter leur soutien.

Le sénateur du New-Jersey commença ainsi son marathon oratoire : « Je me lève avec l’intention de perturber les activités normales du Sénat des États-Unis aussi longtemps que j’en serai physiquement capable. Je me lève ce soir parce que je crois sincèrement que notre pays est en crise ».

Dans son discours-fleuve il martela ainsi qu’« En seulement soixante-et-onze jours, le président des Etats-Unis a infligé tant de dégâts à la sécurité et à la stabilité financière des Américains, aux fondements mêmes de notre démocratie », en ajoutant : « Nous ne vivons pas une période ordinaire aux Etats-Unis ».

Et il appela les Américains à s’opposer aux républicains pour protester contre la politique de Donald TRUMP qu’il juge « inconstitutionnelle ».

Cory BOOKER a ainsi monopolisé la parole depuis le 31 mars au soir (19h) jusqu’au 1er avril (20h 05), après avoir passé 25 heures « debout », accroché à son pupitre, une belle performance anti-TRUMP, autant oratoire que physique, de la part de ce très combatif sénateur démocrate que pourraient lui envier nos parlementaires français.

Cette pratique, malgré ce que l’on pourrait considérer un peu rapidement comme une part de folklore, n’est néanmoins pas dépourvue d’une part symbolique honorable de liberté parlementaire sauvegardant les droits du Sénat américain. Et elle devrait même, nous semble-t-il,  nous faire réfléchir, nous Français, sur notre propre système parlementaire très cadenassé où la liberté de nos élus nationaux, pourtant en principe chargés de faire la Loi, est très surveillée et contrainte !

En effet, en France, depuis 1958 et la naissance d’un parlementarisme ultra rationalisé – voulu par le général de GAULLE et Michel DEBRÉ -, l’organisation des travaux du Parlement est rigoureusement encadrée par le Règlement de chacune des deux assemblées – dont la constitutionnalité est strictement contrôlée par le Conseil constitutionnel [2] – allant dans le sens de la limitation de l’intervention des parlementaires, tant au niveau de l’initiative de la Loi que quant à son élaboration et adoption.

Ainsi, pour la discussion en première lecture des propositions, la parole est d’abord donnée au rapporteur. Depuis 2019, sauf décision contraire de la Conférence des présidents, la durée de l’intervention du rapporteur ne peut excéder dix minutes [3].

Quant aux interventions des députés, lors du premier examen général d’un projet ou proposition de loi, la Conférence des Présidents (des divers groupes parlementaires) attribue désormais, selon les textes, un temps de parole de cinq ou dix minutes à chaque groupe. Un député n’appartenant à aucun groupe peut s’exprimer pour une durée qui est toujours égale à cinq minutes [4].

Lors de la phase détaillée de l’examen d’un texte, le président de séance appelle les articles dans l’ordre de leur numérotation, sauf, exceptionnellement, en cas de réserve ou de priorité. La discussion porte sur chaque article et sur tous les amendements qui s’y rapportent. Les députés peuvent tout d’abord s’inscrire, pour deux minutes, dans la discussion d’un article, dans la limite d’un orateur par groupe et d’un orateur n’appartenant à aucun groupe [5].

Ainsi toute la procédure parlementaire législative est règlementée dans le sens de la compression des temps de paroles ainsi que de l’exercice du droit d’amendement des parlementaires.

C’est dire que la pratique du « filibuster » n’est pas du tout possible en France car si, par exemple, un député LFI, a priori déjà réputé malpensant et querelleur, s’avisait, le malheureux, de tenir la tribune dans un discours anti-Macron ne serait-ce que de la moitié de la durée de celui de cet honorable sénateur américain, soit 10 ou 12 heures, il serait vite interrompu et rappelé à l’ordre, au bout de quelques minutes, par la Présidente de l’Assemblée nationale ou le président de séance et susciterait des réactions de courroux indignés de la part de ses collègues, notamment du côté de la Droite, qui crierait à la paralysie de l’Assemblée nationale, au désordre, au manque de respect de l’institution parlementaire, de la séparation des pouvoirs, etc. Et peut-être même aussi d’une certaine partie de la gauche anti-LFI, comme ce fut le cas au moment de la réforme des retraites débattue entre le 6 février et le 17 février 2023 où l’on considéra que l’exercice du droit d’amendement avait excédé ses limites et devait rester dans un certain conformisme et une orthodoxie bien sages…

Sans parler de l’usage abusif par le Gouvernement de l’article 49-3 de notre Constitution ayant pour but de priver le Parlement des maigres pouvoirs qui lui restent encore en lui imposant l’adoption d’un texte sans vote sur son contenu en engageant la responsabilité du Gouvernement sur le texte, etc.

Et cela, malgré l’importance d’un tel texte pour nos concitoyens, comme celui portant sur les retraites…

Sur ce plan, et sans être pour autant un « fan » du système américain, l’on peut considérer que les USA sont plus libéraux que nous, Français, et plus attachés à la liberté d’expression dans l’enceinte du Congrès, au moins pour les sénateurs, malgré une séparation rigide des pouvoirs qui n’empêche pas, comme le montre cet exemple, la mise en cause de la politique du Président au sein même du Congrès.

Louis SAISI

Paris, le 5 avril 2025

 NOTES

[1] Le Civil Rights Act de 1957 résultant de la loi fédérale américaine du 9 septembre 1957 sur les droits civiques, est la première depuis la période dite de la « Reconstruction ». Cette nouvelle loi fut une étape décisive dans le processus de déségrégation aux États-Unis. Cette loi, qui fut promulguée par le président Dwight D. Eisenhower, créa la Section des droits civiques au département de la Justice et habilita les procureurs fédéraux à obtenir des injonctions judiciaires contre toute limitation du droit de vote, notamment ceux des Afro-Américains. Cette même loi créa également la Commission on Civil Rights habilitée à enquêter sur les conditions discriminatoires et à recommander des mesures correctives. La rédaction finale fut affaiblie par le Congrès en raison du manque de soutien parmi les Démocrates. C’est la raison pour laquelle cette loi fut par la suite améliorée et complétée par l’adoption du Civil Rights Act de 1964, puis du Voting Rights Act de 1965 qui mettront fin à toutes les lois et réglementations ségrégatives sur l’ensemble des États-Unis.

[2] Article 61, alinéa 1er, de la Constitution du 4 octobre 1958.

[3] Assemblée nationale : « La procédure législative », Fiche de synthèse n°46 : La procédure législative – Assemblée nationale.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

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