14 juillet : d’une fête nationale au défilé militaire… Histoire d’une dérive nationale par Louis SAISI
La rue Montorgueil, fête nationale du 30 juin 1878, par Claude MONET
Tous les régimes politiques ont leurs symboles et leurs fêtes : la fleur de lys et la fête de Saint-Louis, sous l’Ancien Régime ; la cocarde bicolore bleue et rouge aux couleurs de Paris, le bonnet phrygien et le 14 juillet, fête de la fédération, en 1790, sous la Révolution.
Aujourd’hui, en France, depuis 1880, nous fêtons le 14 juillet.
Comment est-on passé d’un 14 juillet, fête nationale de la concorde, au défilé militaire des Champs-Elysées que nous connaissons aujourd’hui?
Notre 14 juillet est-il une fête populaire ou un défilé militaire?
Que fêtons-nous?
La Révolution de 1789 et la liberté? La gloire de nos armées?
Est-ce que notre défilé militaire des Champs-Elysées, avec la démonstration de la force de nos armées dans leurs costumes chatoyants et étincelants au soleil d’été, traduit l’esprit du 14 juillet ? La prise de la Bastille? La République?
On peut raisonnablement en douter…
I/ Le 14 Juillet est une fête nationale française représentant la naissance de la France en tant que Nation
Elle a été instituée comme jour férié, un peu moins d’un siècle plus tard, le 6 juillet 1880, sous la 3ème République.
Pourquoi cette date ?
Le 14 juillet 1789 correspond à la révolte du peuple de Paris qui s’empare par la force de la Bastille, en tant que symbole de l’Ancien Régime. La Bastille était une ancienne prison royale, considérée à l’époque comme symbolisant le pouvoir arbitraire du Roi avec ses lettres de cachet.
Cette révolte signa la fin de l’Ancien régime, celui de la Monarchie et des privilèges, et, à bien des égards, le début de la Révolution Française (1789-1799). Mais la Révolution proprement dite, celle des idées, avait été lancée bien plus tôt, à partir de la réunion des États-Généraux à Versailles le 5 mai 1789. En effet, le 17 juin 1789, sur une proposition de l’abbé Sieyès [1], les députés du Tiers État, renforcés par quelques curés représentant le clergé, se proclament « Assemblée nationale ». Ce fut le premier acte révolutionnaire car il abolissait ainsi la division de la France en trois ordres dont deux d’entre eux – la Noblesse et le Clergé – étaient des ordres « privilégiés » soutiens de la Monarchie de droit divin.
Ci-dessous Serment du Jeu de Paume, 20 juin 1789
S’étant vu interdire par le Roi l’accès à la Salle des Menus Plaisirs, le 20 juin, les députés se retrouvèrent dans une autre salle de Versailles, au Jeu de Paume, où ils firent le serment «de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeraient, jusqu’à ce que la constitution du royaume fût établie et affermie par des fondements solides». Ce fut le serment du « Jeu de Paume » : l’assemblée nationale devint constituante.
Un an plus tard, le 14 juillet 1790, date marquant l’anniversaire de la prise de la Bastille, fut retenue pour célébrer sur le Champ de Mars, à Paris, la fête de la fédération. Les députés des 83 départements français ainsi que le roi Louis XVI se réunirent pour célébrer la prise de la Bastille.
Selon Michel VOVELLE [2] « L’idée était venue des sections parisiennes, de célébrer au Champ-de-Mars l’anniversaire de la prise de la Bastille, mais elle était dans l’air, et dans toute la France des fédérations locales célébrèrent la fin des anciennes provinces et l’unité nationale éprouvée. A Paris, malgré la pluie, l’impréparation (palliée par le travail volontaire de milliers de citoyens) et surtout le serment sans chaleur de Louis XVI, la fête de la Fédération (14 juillet 1790) est la manifestation ultime d’une Révolution qui veut croire encore à sa parfaite unanimité. »
Dans un climat d’union nationale, on y vit une grande foule réunie autour du Roi et des députés venus de la France entière. Louis XVI assista à cette fête, et y prêta serment à la Nation et à la Loi.
Pour Mona OZOUF [3], la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 a constitué un modèle en matière d’organisation festive. Elle a laissé le sentiment d’un réel succès dû au caractère national de l’événement qui y fut pour beaucoup car elle était le résultat à la fois d’initiatives locales, d’autre part, d’une organisation nationale. Ainsi, parallèlement à la manifestation parisienne, furent organisées des cérémonies comparables sur l’ensemble du territoire, et après le 14 juillet, le retour des troupes revenues de Paris – où elle étaient « montées » – dans leurs communes d’origine fut l’objet d’une grande dévotion. Par ailleurs, en la circonstance, les Français furent appelés, déjà, à faire leur tour de France, circulant, découvrant leur pays au-delà de leur clocher, et communiant collectivement dans un sentiment d’unanimité. Le succès de la fête de la fédération dépasse tout ce qui relève habituellement de programmations strictes. Ce fut, en effet, l’improvisation, l’impréparation et surtout la participation spontanée du peuple. Ces trois phénomènes, souvent difficiles à maîtriser par le pouvoir central, donnèrent à cet événement son caractère si singulier qui devait tant, et durablement, marquer les esprits.
Ci-dessous, Fête de la Fédération : 14 juillet 1790, Fête du Champ-de-Mars
Cette célébration a représenté la réconciliation et l’unité du peuple français et a ainsi donné naissance à la France en tant que Nation.
Ces deux événements ont encore une grande influence sur la société française. Les Français sont fiers de ce grand moment de leur histoire qui devait conduire à leur devise nationale, « Liberté, Égalité, Fraternité. »
Ainsi, lors de chaque 14 juillet célébré en France, on ne fêterait pas un mais deux évènements : celui de 1789 et celui de 1790 chargé de sa propre symbolique !
II/ D’où nous vient, aujourd’hui, ce curieux héritage d’une fête se réduisant à un défilé militaire ?
De fête populaire, à l’origine en 1790, ce n’est que pendant le Directoire, régime assez peu populaire, que les festivités du 14 Juillet déclinèrent pour devenir militaires. Cela corrobore d’ailleurs l’analyse de certains historiens pour qui le Directoire ne saurait être inclus dans la Révolution française, tout comme d’ailleurs le Consulat. Ainsi Jules MICHELET clôt sa version de la Révolution avec la mort de Robespierre. Mais aussi Albert SOBOUL et, aujourd’hui, Jean TULARD voient tous les deux une certaine unité dans la période qui va de 1794 à 1804 qu’ils décrochent de la Révolution française proprement dite.
Sous Napoléon Ier et la Restauration, le 14 juillet perdra rapidement de son importance.
La « fête de la fondation de la République » était célébrée le 1er vendémiaire (22 septembre) de chaque année, de 1793 jusqu’en 1803. On cessa alors de célébrer la Saint-Louis en l’honneur du roi.
C’est le décret du 19 février 1806, à la gloire de l’Empereur, qui devait officiellement y mettre fin en instituant le 15 août (jour de la naissance de Napoléon), la Saint-Napoléon, alors que le 14 juillet, n’était déjà plus commémoré de 1800 à 1848, car cette fête était considérée comme subversive, en dehors des célébrations clandestines.
En 1849, une fête nationale fut célébrée le 4 mai, jour anniversaire de la proclamation de la République par l’Assemblée nationale constituante.
Mais à partir de 1852, après son coup d’Etat, Napoléon III restaura la Saint-Napoléon.
À la suite de la guerre franco-allemande de 1870 et de la défaite de la France, la fête devint nationaliste, privilégiant le défilé militaire.
En 1878, une fête nationale eut lieu le 30 juin, pendant l’Exposition universelle de 1878. Le succès fut immense car l’Exposition reçut 6 millions de visiteurs. Et le 30 juin fut choisi pour célébrer « la paix et le travail ». C’est ce jour-là qui fut consacré à l’inauguration de la statue de la République de CLESINGER au Champ-de-Mars. Paris n’était plus que lampions, lumières et musique ; pas une rue, pas une maison qui ne fût pavoisée d’oriflammes et de drapeaux. La journée fut immortalisée par plusieurs toiles de Claude Monet (La Rue Montorgueil à Paris. Fête du 30 juin 1878.) (cf. notre illustration sous le titre du présent article).
Aujourd’hui, dans une République où le pouvoir civil prime sur le pouvoir militaire, le choix d’une parade militaire est-il symboliquement le meilleur ? Est-il historiquement justifié par rapport aux grands évènements et lieux d’histoire qui jalonnèrent la Révolution française?
L’on en est encore moins convaincu si l’on daigne se souvenir du contexte dans lequel le choix de la revue militaire du 14 juillet a été introduit en 1880.
Politiquement, il s’agissait de montrer le redressement militaire de la France, après la défaite de 1870 contre la Prusse, et d’entretenir dans l’opinion publique la flamme patriotique et un nécessaire esprit de mobilisation pour recouvrer, grâce à l’armée, les provinces perdues (Alsace et une partie de la Lorraine). C’est ainsi que la Troisième République, par une loi promulguée le 6 juillet 1880, remit à l’honneur le 14 juillet pour en faire une fête nationale.
En effet, le Benjamin RASPAIL dépose une proposition de loi tendant à faire adopter la date du 14 juillet comme « jour de fête nationale annuelle ». Elle est ainsi libellée : « Article unique. – La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle ».
La loi, signée par 64 députés, est adoptée par l’Assemblée le 8 juin et par le Sénat le 29 juin. Elle est promulguée le et ne fait mention que de la date du 14 juillet sans indiquer d’année de référence pour être consensuelle et ne pas heurter ceux qui ne voulaient pas l’associer aux évènements sanglants de la prise de la Bastille. A l’Assemblée nationale, comme au Sénat, le consensus s’était fait sur le 14 juillet 1790, jour de concorde nationale.
Aussitôt, en 1880, un défilé militaire, réunissant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs et en présence du président de la République Jules GREVY se déroula sur l’hippodrome de Longchamp, c’était la « revue de Longchamp ».
Mais le 14 juillet 1886 devait être une journée encore plus extraordinaire et mémorable…
Pour la première fois, depuis la défaite de 1870 de la France contre la Prusse, le jeune général BOULANGER, ministre de la Guerre depuis janvier 1886, nationaliste et revanchard, choisit de parader à la revue du 14 juillet, lors du défilé de Longchamp, devant 100 000 parisiens installés dans les allées du Bois et sur les pelouses de Longchamp.
Il parut, fièrement juché sur son magnifique cheval noir TUNIS caracolant devant une foule en liesse. Lors de son passage devant la tribune présidentielle, le général tira son sabre, salua largement les autorités gouvernementales, imité par ses 300 officiers généraux de son escorte.
Succès triomphal, délire de la foule médusée et transportée par ce vent de gloire !
Le soir même, à l’Alcazar d’été, le chanteur PAULUS allait immortaliser ce succès du jour et son héros, le glorieux soldat BOULANGER, en interprétant « En revenant de la Revue » en entonnant le couplet suivant :
« Je suis l’chef d’un’ joyeuse famille,
D’puis longtemps, j’avais fait l’ projet
D’emm’ner ma femm’, ma sœur, ma fille
Voir la r’vue du quatorze juillet
Ma sœur qu’aim’ les pompiers
Acclam’ ces fiers troupiers ;
Ma tendre épouse bat des mains
Quand défilent les Saints-Cyriens
Ma bell’-mère pouss’ des cris
En r’luquant les Saphis
Moi, je ne faisais qu’admirer
Not’ brav’ général BOULANGER !
Tout Paris, le soir même, reprenait la chanson fétiche à la gloire du Général…
Le boulangisme était né qui ne devait pas tarder à menacer la Troisième République entre 1886 et 1889 (cf. notre article sur ce site « Vous avez dit « ordonnances » : de la catégorie des actes juridiques du pouvoir politique et des référentiels politiques historiques auxquels les multiples usages de ces actes se rattachent », I/ § 3)
Conclusion
Pour célébrer la République, le règne de la Raison et de la Loi, l’abolition des privilèges, la concorde nationale, ne pourrait-on, aujourd’hui, envisager un défilé républicain représentant la Nation dans ses composantes vivantes civiles : élus de la République ceints de leur écharpe tricolore (conseillers communaux, conseillers départementaux, députés et sénateurs), des professeurs de nos écoles, collèges, lycées, universités, des représentants des syndicats, des corps constitués (Conseil d’Etat, Cour de Cassation, etc.)?
Marianne est dans toutes les mairies de France. Le triptyque républicain « Liberté-Egalité-Fraternité » en orne leur fronton et est apposé sur de nombreux monuments publics et dans les édifices abritant nos corps constitués
Pourquoi devons-nous continuer à organiser sur tout notre territoire des fêtes le 14 juillet ? La réponse va de soi : la fête met toujours en scène une collectivité, en l’occurrence notre collectivité nationale. Elle est un lieu et un moment d’inscription de chaque citoyen français dans une communauté de destin et de projet politique. Qu’est-ce qui se joue dans une fête pour la collectivité ? Des modèles sociologiques, anthropologiques et philosophiques et sans doute aussi la construction de notre altérité, de notre rapport politique à l’autre, celui du « vouloir vivre ensemble », mais aussi de notre sociabilité à un niveau éthique et esthétique.
Renouons avec la fête nationale du 14 juillet qui ne saurait être identifiée à un défilé militaire sous peine d’oublier son inscription dans notre histoire nationale et de perdre alors son sens.
La Marseillaise, ce n’est pas seulement un chant patriotique, aussi glorieux soit-il, c’est aussi une partie de notre histoire nationale. Cette histoire, ne pourrions-nous la faire vivre par les symboles et les fêtes que nous nous donnons… Et la fête nationale du 14 juillet – qui fut choisie, comme on l’a vu, par les révolutionnaires eux-mêmes -, en est une, centrale, qui est particulièrement mémorable…
Redonnons-lui tout son sens !
Louis SAISI
Paris, le 11 juillet 2017
NOTES
[1] Les députés du Tiers État représentaient la majorité des Français qui n’avaient droit à aucun privilège et supportaient tout le poids de l’impôt. Ils étaient issus de la bourgeoisie, et la plupart d’entre eux étaient des avocats. Or, selon SIEYÈS, ils représentaient les «quatre-vingt-seizièmes de la Nation» (cf. sur ce site notre article intitulé RAPPEL HISTORIQUE : MIRABEAU ET SIEYÈS ET LE MANDAT DU PEUPLE…, II/ A/ Un révolutionnaire convaincu artisan de la chute de l’Ancien Régime).
[2] VOVELLE (Michel) : « la Révolution » in DUBY (dir.), Histoire de la France, dynasties et révolutions de 1348 à 1852. Paris, Larousse, 1987. p. 314.
[3] OZOUF (Mona), La fête révolutionnaire, 1789-1799. Paris, Gallimard, « folio histoire », 1976. p. 31.