Hommage à Dominique VITAL, poète pataphysicien par Philippe TANCELIN

Hommage à Dominique VITAL, poète pataphysicien

par Philippe TANCELIN

Notre ami Philippe TANCELIN a annoncé le 13 juillet dernier aux membres du Collectif Effraction – qui réunit sous sa très active et brillante animation les poètes des cinq continents édités chez L’Harmattan – le départ du poète pataphysicien Dominique VITAL (photo ci-dessous) qui l’a beaucoup affecté car il était lui-même l’un de ses proches par la plume, l’esprit et le cœur.

Nous publions ci-dessous, avec son aimable autorisation, l’éloquent et vibrant hommage qu’il lui a rendu le 15 juillet 2023.

Louis SAISI

À Dominique VITAL

Au présent de l’irréel

Mon cher DODO puisque c’est de ce petit surnom sciemment désuet dont affectueusement je t’affuble dès notre seconde rencontre, (voici plusieurs années), tu n’es pas sans savoir que j’ai pour principe d’affirmer que barbarisme est de dire qu’un poète vient de mourir…est mort mais que tout au contraire : il ne meurt pas.

Entre nous, je sais que tu sais ne pas savoir mais subodorer que pour moi un tel déclaratif n’entend aucune allusion à une identité non plus qu’à quelque raison sociale que tu railles si bien tout au long de ta parole. Il relève en revanche de la taille de l’ÊTRE sans « H » que tu as bien aspiré jusqu’en sa cime pour qu’il devienne au sens de la ‘pataphysique (avec ‘), poétique, capable d’habiter « imaginalement » le monde ou comme l’écrit Boris VIAN « lorsque ce qui se dit sérieux et ne l’est pas, c’est la même chose ».

Or DODO tu es bien ce poète pataphysicien qui refuse toujours l’opposition entre réalité et fiction et à ce titre, nous place devant la déclaration de ta mort comme devant un de ces moindres accidents surnaturels que fécondent autant un calembour qu’un malentendu dont tu es maître en l’exercice.

Que de fois grâce à ton art qui sait à tes poèmes donner la puissance de la durée et nous offrir la joie de leurs multiples relectures, pouvons-nous ce jour encore les recevoir comme autant de fantasmagories, de solutions imaginaires qui de la réalité apparente de ta disparition, nous la font vivre en ton Être-poète comme réellement irréelle.

À l’égal du célèbre paradoxe du chat de SCHRÖNDINGER, tu es bien selon notre état de mesure, autant mort que vivant.

C’est par un tel état de mesure-démesure que ta propre poésie met les mots en tous leurs états de décomposition du grand TOUT signifiant auquel on les fait prétendre. Et toi en bon ‘pataphysicien, tu leur proposes le singulier des accidents de la langue spirituelle dont tu ne les fais pas victimes mais pleinement responsables de nos « lapsus linguae autant que calami ».

Ainsi permets-tu au mythe y compris de ta disparition, de se déclarer comme tel plutôt que de passer pour réalité.

C’est en vertu de cette authentique « effraction » dans la langue et ses mesures, que notre collectif t’a accueilli comme un frère et camarade de combat contre les captures du langage, les glissements sémantiques que l’idéologie dominante opère sur le singulier, en vue d’une confusion générale de l’expression sensible dont heureusement les prestidigitateurs magiciens poètes ne veulent illusionner quiconque.

À cet égard, cher Dominique, je ne peux m’empêcher de te répéter combien au « laboureur des mots » qu’on me dit être et dont je ne suis pas peu fier, tu apportes la herse qui sait la mesure de retournement qu’il faut à la terre sans détruire en elle, les organismes qui la font respirer.

Mieux encore, je ne sais comment te remercier de me filer le virus d’effraction de ma propre oralité en chaque présence de toi.

C’est ainsi DODO que ton être poétique ne cesse pas de rendre à ce monde son enfance et nous aide à préserver la nôtre.

Tu nous l’offres en partage, toujours accompagnée de cette bouteille de bon vin que tu apportes aux réunions de notre collectif pour que nous en arrosions aujourd’hui les semis de ton jardin surnaturel.

Très cher Dominique VITAL,

tu n’as pas rendu ta carte d’appartenance au plus vivant que la vie, lorsqu’on dit qu’elle nous quitte, tandis que nous  atteignons enfin son nu pur.

Bien à toi DODO dans ton silence qui nous fait si fort t’entendre.

Philippe TANCELIN

Paris, le 15 juillet 2023

 

1 – Brève Notice biographique de Dominique VITAL (LS)

Dominique VITAL (15 février 1944-13 juillet 2023), né dans le 14ème arrondissement de PARIS, découvrit la poésie dès son plus jeune âge en s’adonnant à la versification.

Son entrée dans l’adolescence fut aussi celle de sa sortie de l’école pour découvrir, à l’âge de quinze ans, le monde du médiaplanning dans lequel il fit sa carrière.

C’est cette sortie rapide du système éducatif qui conduisit Dominique VITAL à se définir volontiers lui-même comme « piétondidacte », avec cette particularité que son errance poétique et sa curiosité insatiable de chercheur lui permirent de pénétrer dans les principaux domaines de la création artistique comme la musique, la peinture, et l’écriture, ses domaines de prédilection.

Mais aussi, dans les pas de Boris VIAN, et surtout d’Alfred JARRY, il entra dans le monde de la pataphysique que JARRY, son théoricien précité, définissait comme « la science de ce qui se surajoute à la métaphysique, soit en elle-même, soit hors d’elle-même, s’étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la physique. Exemple : l’épiphénomène étant souvent l’accident, la pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu’on dise qu’il n’y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions… Définition : la pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité. »

Pour donner une idée de l’ampleur de sa réflexion caustique et décapante, la quatrième de couverture de son ouvrage Les rêveries d’un imploseur solitaire suivi Des euphorismes (publié chez L’Harmattan) présente ainsi cet ouvrage :

« Dominique VITAL vit dans son univers qui est aussi le nôtre. Son imaginaire rejoint celui de JARRY où « l’aberrance est universelle ». Tout est bon pour lui ; de Fiasco, le premier président empaillé, aux « philousophes » qui parlent de tout et surtout de rien. Seul avec sa plume, il couche avec ses mots dans le melting-pot du tragique et contemple la comédie humaine d’un regard sans doute ironique et sans complaisance mais toujours humaniste » (Josiane GARNIER)

Il publia ainsi successivement :

À la suite des jours (1992) ; Ne cassez pas ma maison (2001) ; Les rêveries d’un imploseur solitaire suivi Des euphorismes (2014) (cf. supra) ; À cœur ouvert (2015) ; Les pensées buissonnières (2015).

 

 

 

Dans Leitmotiv (2016) (ouvrage préfacé par Philippe TANCELIN et illustré par des encres légères), l’auteur lui-même, dans une interview à la sortie du livre, présentait cet ouvrage comme un « livre intimiste de quarante poèmes en prose écrits constamment sur la 9ème symphonie de BEETHOVEN ».

Il s’agit, déclarera-t-il encore, dans la même interview, d’une « écriture de couleur de joie, de vie intense… ».

Quant à la poésie, il la décrit pour lui-même comme une « maladie incurable dont il a été atteint très tôt ».

Peu après, il publia Le Calepin de l’Errant (2018) ; Le bruit et la rumeur suivi de Lire l’ire (2020) dont Josiane GARNIER soulignait l’intérêt en ces termes :

  » Comment trouver le fil qui relie le visible à l’invisible, donner un sens à l’incohérence d’un monde où le chaos règne en maître ? Nous en sommes tous responsables ensemble et séparément. Les médias, les réseaux ne se contentent plus de relayer les faits, l’enfer est pavé d’opinions et de « fake news ». Poursuivant son errance poétique, l’auteur souligne les raisons qu’il a de s’indigner, de laisser libre cours à sa colère, fût-elle mauvaise conseillère« . (Josiane Garnier Hu Foo Tee).

 2 – Quelques textes de Dominique VITAL

À pied d’œuvre

Le poète s’essuie les pieds sur les rimes
bien que ne sachant pas compter sa fortune
et bien moins encore sa folle écriture.
Il se promène dans le jardin des supplices
pour se torturer les méninges en rut
et s’enfanter quelque part tout là-haut.
Ses pages noircies finissent à la blanchisserie
des amoureux de l’amour qui s’aime seule,
à l’instar des quiproquos assourdissants.
Car la vie
le touche
en plein cœur.
Il promène ses rimes comme Baudelaire ses chats,
Rimbaud ses effarés et Verlaine ses sanglots longs.

(Le Calepin de l’Errant, 2018)

***
Ô Femme

Ô femme de toujours que je t’aime.
Tes alcools et atours me troublent l’âme
et me jettent dans tes bras, ivre de joie.

Ô femme de toujours, te déshabiller et…
de poétiques mains écoutant ton coeur,
et parcourant ton corps tel un rêve.

Ô femme de toujours te voir dormir
aussi nue qu’une rivière de baisers,
à l’écoute des enlacements furtifs.

Ô femme de toujours, je t’aime tant,
que je vibre en nous tel un nouvel amant,
à l’écoute d’un dernier voyage érotique.

Ô femme de toujours, reste de toujours,
et embrasse-moi, et embrase-moi.

(Le Calepin de l’Errant, 2018)

***
L’impensable

Terre rouge. L’humain nettoyé de son âme. Sentir.
Tous les possibles fusillent. À l’aveugle. L’erreur aimée.
Le bourreau est un exécutant qui croit encore en Dieu.
L’inaltérable espoir. La folie qui boit son sang noir.
Terre retournée. Sur elle-même, et son droit de tuer.
Sa satisfaction d’avoir raison. Et d’en rire, d’en rire.
Il en sortira des fruits et des légumes. Non pollués.
La mémoire n’est nullement écrite dans l’éternité.
Terre de toujours. À l’encre nullement sympathique.
Traces. Odeurs. Ivresse, voire bonheur. Rester debout.
Des ossements. Sainteté navrante. Parfum d’outre.
Terre d’encre, d’ancre. Pour finir dans les bras,
les bras de l’amour. Le deuil. L’inutile rescapé de tout espoir.
Datation rouge. Stèle illisible. Se sentir qu’humain.

(Une vie de poème [1], 2016)

***
L’ambigüité

La vie ne tourne pas rond. Le triangle des Bermudes tousse.
Une racine carrée arrondit les angles. Cercle vicieux.
Le soleil rit jaune. La lune repasse ses nuits blanches.
L’avenir perd la mémoire. Hier ne chante plus.
Le piano cuisine l’archet. Le violon en perd son âme.
La grosse caisse a des fuites. Le dernier des banjos
s’accorde de belles vacances dans un trou d’air.
Les instruments à vent suent des fausses notes.
Une voie ferrée cherche son Léo à la gare du départ.
Des voix célestes pratiquent toujours le libre-échange.
La lettre à Élise s’efface avec la gomme de l’oubli.
La plume grince. Le Bic coule. Le stylo jette l’ancre.
Seuls les tags illustrent les murs aux rires gras.
Et pendant ce temps-là, le poète pleure de vivre.

(Une vie de poème [2], 2016)

***
Être

La vie est belle. J’aime être. Moi, un être mortel.
Je ne puis être sans savoir ni être. Je suis moi.
Cogito ergo sum. Descartes est un positif vivant.
L’homme est un roseau pensant à la mode Pascal.
L’homme dort sous un hêtre pour penser son ombre vive.
L’être et le néant, un duo sartrien avec la force de vivre,
du même courage qu’un beau Socrate devant son apéritif,
voire s’aventurant vers un Rousseau en mal de confession.
Être et ne pas perdre ses racines. Ce soir se voir miroir.
Je suis cet inconnu en voyage d’éternité, d’amour,
en urgence de ne plus savoir que conjuguer le verbe être.
À l’est il se lève et est. Tôt l’être se pense et s’aime.
Pourquoi si vite ? Pourquoi ouvrir les yeux, pourquoi rêver ?
Juste pour savoir que l’on est de passage, rien que de passage.

(Une vie de poème [3], 2016)

Au terme de cette brève notice biographique et bibliographique, certes trop sommaire et bien imparfaite – qui est aussi une plongée dans la pataphysique et la poétique de notre camarade poète Dominique VITAL -, pour ma modeste part, je demeure convaincu que malgré notre émotion et notre peine, nous savons tous que les poètes, comme Dominique (alias « Dodo » pour notre ami Philippe), ne meurent jamais car ils continuent à nous accompagner dans nos combats quotidiens, nos espérances et nos rêves pour dessiner un monde meilleur.

C’est ainsi, Dominique, que tu resteras présent parmi nous, au sein d’Effraction et au-delà !

Louis SAISI

Paris, le 21 juillet 2023

NOTES

[1] Une vie de poème est un Recueil de poèmes de Dominique VITAL publié en 2016 aux Editions Les Presses Littéraires.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Contenu protégé !