Le COR et les dépenses de retraite aujourd’hui et demain et les vraies raisons de la réforme par Louis SAISI

Le COR et les dépenses de retraite aujourd’hui et demain

et les vraies raisons de la réforme

par Louis SAISI

Prolégomènes : Les retraités et les actifs, l’importance de la population des retraités et leur sociabilité

Les retraités ne sont pas une population négligeable car selon les derniers chiffres disponibles sur le site de l’INSEE en 2021, leur nombre est de 16,7 millions. Ces chiffres représentent le nombre de retraités ayant perçu un droit direct au cours de l’année 2019, vivants jusqu’au 31 décembre de cette même année et ce, qu’ils résident en France ou à l’étranger. Le nombre de retraités en France, fin 2019, enregistre donc une hausse de 300 000 personnes, comparé aux chiffres rapportés fin 2018 [1].

En 2019, la pension moyenne des retraités était de 1.503 euros bruts (1.393 euros nets) selon une étude publiée le 20 mai 2021 par le service statistique des ministères sociaux (DREES [2]). Mais beaucoup de retraités sont loin de percevoir ce montant.

En premier lieu, les femmes qui ne touchent pas une retraite à taux plein (c’est-à-dire une pension calculée sur la base de 50% de leur salaire brut moyen annuel). Ainsi, parmi les témoignages révélés par la presse, telle femme, âgée de 68 ans, perçoit une pension mensuelle de 1009 euros comprenant également sa retraite complémentaire car elle n’a pas totalisé suffisamment de trimestres. Parmi les retraités percevant de si faibles pensions, les femmes, selon la DREES, sont surreprésentées. Ainsi 44% des femmes de la génération 1950 sont parties à la retraite avec  une carrière incomplète contre 32% chez les hommes. La raison en est le plus souvent des postes à temps partiel  avec des interruptions de leur carrière parfois pendant plusieurs années pour élever leurs enfants. C’est le cas de cette femme de 69 ans qui en paie, aujourd’hui, lourdement et injustement le prix. « Je n’ose pas divulguer le montant de ma pension à mes amis tellement il me paraît invraisemblable. Je perçois une retraite de 250 euros pour 22 ans de cotisation. Nous avons eu deux enfants, et si j’ai pris la décision de ne pas continuer à travailler c’était pour me consacrer à leur éducation. »

Certaines femmes, touchant des pensions de misère, n’ont d’autre choix que la nécessité vitale de reprendre du service. Unetelle, ne percevant aucune aide sociale, effectue des missions d’auxiliaire de vie et des ménages. Telle autre, percevant une pension de 342 euros et âgée de 62 ans, est contrainte de travailler à temps partiel malgré ses problèmes d’audition et d’arthrose. Une autre, qui a travaillé jusqu’à 66 ans dans une Mairie, a dû reprendre un emploi dans un magasin jusqu’à ses 70 ans en restant debout toute la journée. Et aujourd’hui, âgée de 73 ans, usée et très fatiguée, elle est très pauvre.

Quant à celles qui ne peuvent même pas re-travailler, elles passent leur temps à tout compter et à se priver de tout, telle celle-ci, à qui, après avoir tout réglé, il ne reste, à la fin du mois, que 2 ou 4 euros…

Bien qu’opposés catégoriellement aux « actifs », les retraités ne sont pas désœuvrés et inactifs car ils sont, au contraire, très investis dans la vie sociale quotidienne : bénévolat dans des associations diverses [3] et notamment caritatives (restos du cœur, etc.), sportives, culturelles, prise en charge de leurs petits-enfants, etc.

Ils apportent leur disponibilité et le fruit de leur expérience professionnelle et sociale au fonctionnement de notre société et même en corrigent de nombreux dysfonctionnements (pénurie de crèches publiques rendant souvent indispensable la contribution des grands-parents à la garde de leurs petits-enfants). Si leur apport quantitatif et qualitatif à la cohésion de notre pays n’est pas quantifié ni encore moins intégré au PIB, dès lors qu’il se manifeste sous la forme du bénévolat, il n’en est  pas moins réel et efficient.

Ainsi le temps de la retraite est de plus en plus un temps d’activité, pendant lequel les individus continuent à participer à la vie sociale et à des réseaux de sociabilité. Mais cette participation est inégale et diversifiée selon les retraités car liée à leurs revenus [4].

Par rapport aux retraités, les chiffres de l’enquête Emploi disponibles sur le site de l’INSEE laissent apparaître 29,246 millions d’actifs en France en 2019, âgés de 15 ans à 64 ans.

Parmi ces actifs, on compte 14,211 millions de femmes et 15,035 millions d’hommes.

Il y avait donc, en 2019, 1,75 actifs pour 1 retraité, ces deux populations, loin de s’exclure, doivent nécessairement cohabiter dans une bonne harmonie selon le principe de la retraite par répartition fondée sur la solidarité intergénérationnelle.

C’est d’ailleurs à cette solidarité intergénérationnelle qu’entre autres missions doit veiller le Conseil d’orientation des retraites (COR) conformément à l’une des missions – qui lui a été confiée par le Décret n° 2000-393 du 10 mai 2000 – [5] « de veiller à la cohésion du système de retraite par répartition, en assurant la solidarité entre les régimes et le respect de l’équité, tant entre les retraités qu’entre les différentes générations. » (article 2, § 3 du décret précité)

I/ Le Rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de 2022

Ce rapport de 2022 nous dit clairement que les dépenses de retraite sont aujourd’hui globalement toujours « contenues » par rapport à l’évolution de la richesse nationale.

Nous pouvons donc rationnellement en déduire que la réforme des retraites proposée par le Gouvernement, et obstinément impulsée par le Président de la République, est alarmiste et temporairement inutile.

Lorsque le COR parle de dépenses de retraites « globalement contenues », cela signifie très concrètement que celles-ci sont aujourd’hui soutenables financièrement.

Si nous avions encore des doutes sur le sens à donner à ce rapport du COR, son Président les a levés le 19 janvier dernier. En effet, auditionné à cette date par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le président du COR, Pierre-Louis BRAS s’en est expliqué pour la première fois et a nettement contesté les arguments de l’Exécutif en ces termes :

Ci-dessous, Pierre-Louis BRAS, Président du COR devant la

Commission des Finances de l’Assemblée nationale

« Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l’hypothèse la plus défavorable, elles augmentent sans augmenter de manière très (très) importante […]. Donc les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées. Dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme et dans l’hypothèse retenue par le gouvernement, elles diminuent très (très) peu, mais un peu à terme » [6].

Pour autant, estime le COR, si « les dépenses de retraites ne dérapent pas, … elles ne sont pas compatibles avec les objectifs de politique économique et de finances publiques du gouvernement » [7], consistant, rappelons-le, à réaliser des économies et (à) réduire le déficit selon la trajectoire budgétaire du gouvernement transmise à la Commission européenne (ramener notamment le déficit public sous la barre des 3 % d’ici 5 ans : 5 % en 2023, 4,5 % en 2024, 4 % en 2025, 3,4 % en 2026, 2,9 % en 2027).

Son propos est donc clair et signifie que, contrairement à l’urgence de la réforme prônée par le couple Exécutif fondée sur une analyse volontairement trompeuse de la situation actuelle, l’analyse du COR pour l’année 2022 – et publiée en septembre 2022 – est, au contraire, pour l’immédiat au moins, et même jusqu’en 2027, plutôt rassurante (II et III).

Pour autant, le paradigme de l’équilibre financier tel qu’il est vu par le COR, depuis sa création, est néanmoins discutable, et cela apparaît très nettement dans ses scénarios du futur (IV).

Compte tenu des réflexions du COR qui peuvent difficilement nourrir et justifier, au moins selon son Rapport de 2022 et ses prévisions à plus long terme, une réforme précipitée du financement des retraites par la contrainte exercée sur un départ plus tardif à 64 ans, ce sont d’autres raisons plus fondamentales et non avouées qu’il faut rechercher pour mettre à jour les véritables intentions de l’Exécutif qui reposent sur une autre vision plus régalienne de notre société requérant une compression des dépenses sociales, après celles des dépenses publiques sacrifiant les services publics, comme nous l’a déjà montré le piètre état de notre système de santé hospitalier à la faveur de la crise du Covid (V).

Rappelons que, créé par le Décret n° 2000-393 du 10 mai 2000 [8], le COR, placé auprès du Premier ministre, est une instance indépendante et pluraliste d’expertise et de concertation chargée de suivre et d’analyser les perspectives d’évolution à moyen et long terme du système de retraite français.

Actuellement présidé par Pierre-Louis BRAS, inspecteur général des Affaires sociales (IGAS), il compte 41 membres parmi lesquels des parlementaires, des représentants des organisations professionnelles et syndicales, des retraités et des familles, des membres de l’administration et un certain nombre d’experts.

Dans l’organisation de son travail, le COR s’appuie sur un secrétariat général de 9 personnes, placé sous l’autorité du président du Conseil des Retraites. Le secrétariat général assure une fonction d’animation, d’expertise et de synthèse : il commande aux administrations et caisses de retraite les travaux permettant d’alimenter la réflexion du Conseil, élabore les documents d’analyse et de synthèse constituant les dossiers mensuels, et prépare les projets de rapport en vue de leur adoption.

Depuis la loi du 20 janvier 2014, le COR rend un Rapport annuel qui fait l’objet d’une publication intégrale et aussi d’une synthèse très utile. Son rapport de 2022, publié en septembre dernier, montre :

  • d’une part, les excédents du système de retraite en 2021 et plus encore en 2022 ;
  • d’autre part, une projection des dépenses de retraite sur la période 2021-2027 globalement stable et pas du tout problématique ;
  • enfin, de 2028 à 2070, des scénarios du Futur reposant, à notre modeste sens, sur des prévisions aléatoires et beaucoup trop d’incertitudes pour être incontestables.

II/ Les excédents du système de retraite en 2021 et 2022

Le COR rappelle qu’en 2021, « le système de retraite a été excédentaire de près de 900 millions d’euros » [9].

Selon lui, « cette nette amélioration, par rapport à 2020 s’explique en très grande partie par la croissance importante des ressources due au rebond de l’activité, alors que l’effet de la surmortalité des retraités liée à la covid sur les dépenses de retraite est resté limité. » [10]

Elle se prolongerait en 2022 et le système connaîtrait un excédent de 3,2 milliards d’euros (0,1 point de PIB).

A travers cette analyse du COR, l’on mesure combien notre système de retraite, loin d’être un système fermé et isolé – ce que pourrait accréditer trop souvent le discours de nos gouvernants et des forces politiques de la droite libérale (LREM, MODEM, LR) avec la focalisation sur l’âge du départ et sa plus grande tardiveté présentée comme une nécessité inéluctable, voire la panacée (départ à 64 ou 63 ans) – est fortement tributaire de la situation économique du pays : croissance, situation de l’emploi, productivité.

Comme on le sait, l’abondance des cotisations dépend de la conjoncture économique, et notamment des salaires versés par les employeurs et du nombre d’actifs dans le monde du travail. La fin d’un chômage structurel – qui, aujourd’hui, comprime les salaires – et le retour vers le plein emploi sont des composantes jouant en faveur d’un système de retraite par répartition équilibré qui pourrait même devenir largement excédentaire.

Dans le système de retraite par répartition, il y a donc une solidarité systémique entre le monde du travail et celui des retraités et la progression du premier engendre celle du second. Dans ce système, la solidarité entre les générations est aussi celle entre le travail et la retraite.

En termes de salaires comme de pensions, les actifs et les retraités sont donc soudés et la déconnexion purement comptable des caisses de retraite des ressources financières les alimentant est artificielle compte tenu du fait que ce sont les salariés en activité aujourd’hui qui financent les pensions de leurs aînés au repos.

III/ La projection des dépenses de retraite sur la période 2021-2027 est globalement stable et pas du tout problématique

Le COR considère que « Les dépenses du système de retraite rapportées au PIB constituent un indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du système de retraite ; il exprime, de manière globale et synthétique, le niveau des prélèvements qu’il faut opérer sur la richesse produite par les actifs pour assurer l’équilibre. » [11]

NB : Dans la courbe du COR ci-dessus, figurent en ordonnée les pourcentages du PIB que représente la masse financière des retraites versées. En abscisse sont répertoriées dans le temps  les années de référence de 5 en 5 ans, à partir de l’année 2000, ce qui donne ensuite 2005, 2010, 2015, 2020, 2025, 2030, etc. jusqu’à l’année 2070, à l’exrémité de l’abscisse. Pour des raisons pratiques de présentation, les 4 chiffres marquant ces années figurent sur deux niveaux verticaux superposés laissant apparaître chacun seulement 2 chiffres, le premier niveau vertical étant invariablement le chiffre 20 (de notre 21ème siècle), les deux chiffres au-dessous marquant l’année précise de référence de la décennie. 

A/ Discussion autour de cette grille d’analyse

Si, comme il a été rappelé ci-dessus,  le COR estime que « Les dépenses du système de retraite rapportées au PIB constituent un indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du système de retraite », sa grille d’analyse n’est pas unanimement partagée et s’avère même parfois contestée par ceux qui, comme Jean GADREY [12], font valoir que les entrées de création de la richesse que constitue la mesure du PIB et les « sorties » finançant les retraites n’entretiennent pas nécessairement un lien mécanique et surtout rationnel quant au rapport proportionnel arrêté, à l’instar des dépenses publiques et leur barre de contention à 3% du PIB. Une telle option a toujours, selon eux, un caractère arbitraire.

Par ailleurs, note ce même économiste, « … les retraites, comme les salaires ou les profits, font bel et bien partie du PIB, en particulier lorsqu’on le calcule non pas selon « l’approche production » (les valeurs ajoutées) mais selon « l’approche revenu ». [13]

Enfin, toujours selon Jean GADREY, « Entre les dépenses de retraite et le PIB, Il n’y a aucune relation directe. La seule « contribution au PIB » que l’on peut rattacher aux retraites est la valeur ajoutée des organismes publics ou privés qui collectent les recettes et versent les pensions ». [14]

Il semble, en effet, que si l’on prend en considération l’ensemble des observations du COR, celui-ci ait fixé la barre de soutenabilité financière du système des retraites autour de 14% du PIB qui constituerait donc, selon cet organisme, le point d’équilibre des retraites.

Mais, selon Jean GADREY, l’inconvénient de ce mode de raisonnement est qu’« une telle règle, au moins aussi stupide et arbitraire que les critères dits de Maastricht (dont celui qui impose que le déficit public annuel ne dépasse pas 3 % du PIB), le montant moyen des retraites serait à coup sûr de plus en plus faible (relativement à la richesse économique nationale par habitant) vu que le nombre des retraités va augmenter par rapport à la population totale dans les décennies à venir. La « part de gâteau » de chaque retraité va fondre au fil des ans, si le « gâteau retraites » ne peut pas dépasser 14 % du gâteau PIB alors que le nombre de convives retraités augmentera nettement plus vite que celui des convives du gâteau PIB. » [15]

B/ L’application de la grille d’analyse du COR sur la période 2021-2027 : la pérennité du système

Bien que la grille d’analyse du COR puisse, comme on l’a souligné, être contestée, il reste que son application sur la période 2021-2027 – couverte par les prévisions du gouvernement établies dans le cadre du programme de stabilité – donne des dépenses de retraite rapportées au PIB globalement stables.

Les dépenses de retraite passeraient de 13,8 % en 2021 à 13,9 % du PIB en 2027 [16] et resteraient même légèrement sous la barre des 14%.

Cette évolution contenue et maîtrisée s’inscrirait donc dans la séquence politique du présent quinquennat du Président MACRON et de la présente législature (2022-2027).

C’est dire que, contrairement à l’empressement et à la fébrilité dont fait preuve l’Exécutif, il n’y pas urgence à réformer le système des retraites au cours du second et présent quinquennat du Président qui ose se présenter, avec sa réforme d’un départ plus tardif à la retraite (64 ans au lieu de 62 ans), comme le sauveur du système de retraite par répartition.

IV/ Scénarios du futur

 A/ La période 2028-2032

Toujours selon le COR, de 2028 à 2032, la part des dépenses de retraite serait en hausse, pour atteindre 14,2 % du PIB pour le scénario d’une croissance à 1,6%, ou même 14,7 % du PIB pour le scénario d’une croissance à 0,7 %.

La croissance de la productivité du travail est considérée comme un indicateur clé de la performance économique et un facteur essentiel d’évolution du niveau de vie. La croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant peut se décomposer en croissance de productivité du travail, mesuré par la croissance du PIB par heure travaillée, et la variation de l’utilisation du travail (c’est-à-dire de la ressource en main-d’œuvre), mesuré par la variation du nombre d’heures travaillées par personne. Une croissance forte de la productivité du travail peut indiquer une utilisation accrue du capital, et/ou une diminution de l’emploi des travailleurs à faible productivité ou des gains d’efficience et une vague d’innovation de façon générale.

Cette période 2028-2032 est qualifiée par le COR de « période de raccordement » entre les prévisions établies par le gouvernement pour la période 2022-2027 et l’après 2032, où l’évolution économique est dictée par les hypothèses de chômage et de croissance de la productivité du travail retenues par le COR (taux de chômage à 7% ; quatre scénarios d’évolution de la productivité du travail allant de 0,7 % à 1,6 %).

La projection du COR repose sur une croissance fortement déprimée sur la période 2028-2032 ; l’emploi diminue par l’augmentation du taux de chômage au cours de cette même période.

Toutefois, le COR admet lui-même que « rien ne permet d’anticiper que la conjoncture économique sera particulièrement déprimée sur la période 2028-2032. » [17]

C’est dire que cette période analysée par le COR comme celle d’une hausse des dépenses de retraite est assez incertaine compte tenu, de son propre aveu, de l’absence de prédiction solide de la conjoncture économique.

De manière générale d’ailleurs, et sur l’ensemble de la période allant jusqu’en 2070 le COR « convient … de souligner les fortes incertitudes qui entourent les travaux de projection présentés dans ce rapport. L’évolution du contexte économique des prochaines années dépendra notamment étroitement de celle de la situation internationale ainsi que celle de la situation sanitaire. » [18]

B/ La période 2032-2070

Comme nous l’avons vu, le COR semble focalisé sur la barre de dépenses de retraite qui, selon sa propre orthodoxie financière, ne doit pas dépasser 14% du PIB, avec les limites et critiques que l’on peut adresser à ce choix économique fixe qui est aussi un choix politique non avoué, au même titre, comme cela a déjà évoqué, que le déficit des dépenses publiques plafonnées à 3% du PIB par l’Union européenne de Maastricht.

Ce seul impératif lui permet dès lors d’être optimiste sur la période 2032-2070, mais force nous est de constater que cet optimisme-là porte plus sur la pérennité du système des retraites plafonné à un certain pourcentage du PIB que sur le bonheur des retraités eux-mêmes, élément qualitatif et humain qui n’apparaît guère dans les travaux du COR.

Ainsi, comme le montre la courbe I, en 2070, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait comprise dans une fourchette allant de 12,1 % à 14,7 %. Pour un même scénario d’évolution de la productivité du travail, cette part serait plus élevée que dans l’exercice précédent du fait notamment des nouvelles projections démographiques moins favorables pour l’évolution de la population active.

Néanmoins, de 2032 jusqu’à 2070, et malgré le vieillissement progressif de la population française, selon le COR, la part des dépenses de retraite dans la richesse nationale serait stable ou en diminution.

1/ L’explication de ce paradoxe

L’explication de ce paradoxe, pour le COR,  s’appuie :

  • d’une part, de manière assez surprenante, sur l’intégration, par le COR, du projet de réforme gouvernementale en cours d’une plus grande tardiveté du départ à la retraite, laquelle mobilise, comme on le sait, une forte et unanime contestation syndicale et l’opposition de 3 Français sur 4 ;
  • d’autre part, sur la stabilisation/diminution de la part des dépenses de retraite dans le PIB avec pour contrepartie la diminution relative – et non absolue – du niveau de vie des retraités par rapport à l’ensemble de la population.

La courbe II ci-après du COR donne l’évolution, de 2000 à 2070, de l’âge moyen conjoncturel de départ à la retraite (après, comme nous l’avons déjà souligné, l’intégration du projet de réforme gouvernementale).

Sources : DREES, modèle ANCETRE, projections COR – septembre 2022.

NB : Dans la courbe du COR ci-dessus figurent : en ordonnée les différents âges de départ à la retraite à partir de 60 ans et jusqu’à 65 ans ; en abscisse, les années de référence, à partir de l’année 2000, puis tous les 5 ans jusqu’en 2070. 

Le COR explique ce résultat a priori paradoxal – au regard du vieillissement démographique dû au plus grand nombre de retraités par rapport au nombre de cotisants et pesant sur les dépenses de retraite futures – mais en intégrant curieusement d’ores et déjà le recul de l’âge de départ à la retraite (de 62 ans à 64 ans) comme s’il était déjà adopté et acté et en intégrant également, selon lui, la moindre augmentation du niveau de vie des retraités relativement aux actifs, à l’unisson avec l’argumentation du Gouvernement, comme si ces deux pentes défavorables aux retraités (recul de l’âge de la retraite et dégradation du niveau de vie des retraités) étaient prédéterminées, et comme si c’était à ce prix que le système devrait retrouver son équilibre financier, après la supposée rupture de la période 2028-2032 analysée plus haut et dont nous avons déjà souligné le caractère incertain car reposant, du propre aveu du COR lui-même, sur le diagnostic aléatoire d’une période économiquement déprimée (les prévisions économiques n’étant pas une science exacte, comme nous avons eu, maintes fois, l’occasion de le constater).

Ainsi, en 2070, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait comprise dans une fourchette allant de 12,1 % à 14,7 %. Pour un même scénario d’évolution de la productivité du travail, cette part serait plus élevée que dans l’exercice précédent du fait notamment des nouvelles projections démographiques moins favorables pour l’évolution de la population active.

2/ La stabilisation/diminution de la part des dépenses de retraite dans le PIB avec pour contrepartie la diminution relative – et non absolue – du niveau de vie des retraités par rapport à l’ensemble de la population.

Pour reprendre l’analyse du COR au plus près, son argumentation repose sur le fait que l’indexation du système de retraite étant fixée sur les prix, si la pension moyenne continuait de croître en euros constants, elle croîtrait moins vite que les revenus d’activité moyens (qui bénéficient des gains de productivité en sus de l’inflation).

NB : Sur la courbe du COR ci-dessus, figurent en ordonnée le pourcentage du niveau de vie moyen des retraités par rapport à l’ensemble de la population ; en abscisse les années de référence, de 1970 à 2070, au cours desquelles est mesuré ou projeté ce niveau de vie.

Ce diagnostic du COR est montré par la courbe 3 ci-dessus élaborée par cet organisme selon lequel :

« Le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l’ensemble de la population serait ainsi compris, en 2070, entre 75,5 % et 87,2 % contre 101,5 % en 2019 »[19].

 

V/ Les vraies raisons de la Réforme

Si, comme nous l’avons vu, dans l’avenir immédiat (2022-2027) et même dans la décennie en cours jusqu’en 2032, selon les prévisions du COR notre système de retraite n’est pas financièrement menacé, pourquoi, malgré les réticences du COR, au moins pour les années qui viennent, la droite politique libérale – tous partis conservateurs réunis – s’attaque-t-elle aux retraites aujourd’hui ?

Pour répondre à cette question, Il nous faut aller chercher ailleurs que parmi les raisons alléguées par l’Exécutif les vraies raisons de de cette réforme des retraites.

La réponse nous est peut-être donnée, de manière certes lapidaire, par le milliardaire Warren BUFFETT, dans une déclaration du 25 mai 2005 à la chaîne de télévision CNN  :

« Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».

Au-delà de son aspect provocateur, ses déclarations montrent que la classe des riches, des nantis – qui n’a pas de patrie mais que des intérêts comme le montre la mondialisation des échanges et l’abolition des frontières – poursuit obstinément sa lutte pour imposer la doxa libérale reposant, dans tous les pays, sur la loi du plus fort sur le plan économique, l’hégémonie politique ne faisant que consacrer ensuite cette domination économique.

Le corollaire de cette affirmation est que ceux qui détiennent les moyens de production et des échanges (souvent les mêmes) acceptent assez mal que des institutions sociales (comme notre système de retraites par répartition) ou étatiques (services publics nationaux) obéissent à une autre loi – celle de l’intérêt collectif et de la solidarité – qui n’est pas celle du Marché et de la maximisation des profits considérés comme la seule norme qui vaille dans les échanges marchands et financiers. Ces adeptes de la loi du Marché sans entraves n’acceptent pas que dans les États démocratiques et sociaux – reposant sur la souveraineté des peuples – se mettent en place des institutions sociales et des politiques redistributrices du revenu national mettant en cause le paradigme libéral et la captation des richesses par une minorité de privilégiés.

On connaît leurs cris d’orfraie récurrents contre tout ce qui peut se rapprocher, même à dose homéopathique, de toute forme d’économie dirigée, administrée, planifiée, ce qui ne les empêche pas pourtant, dérogeant à leurs propres principes, de venir quémander l’aide de l’Etat sans que celui-ci ne puisse en retirer, en retour, aucune compensation positive pour la communauté nationale des femmes et des hommes de notre pays.

En France, les forces de droite sont unies aujourd’hui pour développer une grande offensive contre l’Etat [20] et les institutions sociales résultant du pacte national de la Résistance issu de la Libération de la France en 1944.

Certains pourraient trouver ce propose excessif mais souvenons-nous de l’article publié dans la Revue Challenges du 4 octobre 2007 sous la plume de Denis KESSLER qui fut, jusqu’au 5 novembre 2002, vice-président délégué du MEDEF qu’il quitta pour aller présider le groupe SCOR (réassurance), dont il est actuellement PDG :

« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.

 « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…

 « À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !

« À l’époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis qui a permis aux premiers que la France ne devienne pas une démocratie populaire, et aux seconds d’obtenir des avancées – toujours qualifiées d’« historiques» – et de cristalliser dans des codes ou des statuts des positions politiques acquises.

« Ce compromis, forgé à une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc.

« Cette « architecture» singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous ses partenaires. »

En 2012, Denis KESSLER prônait l’abolition de la loi des 35 heures, s’étant lui-même, dès le début, opposé aux deux lois AUBRY, et, auparavant, à la loi ROBIEN sur la réduction du temps de travail, loi des 35 heures dont il décrivit les conséquences, selon lui, négatives pour l’économie française.

Ainsi les propos de Denis KESSLER, représentant du patronat français, et ceux précités du milliardaire américain se rejoignent et attestent bien qu’il y a depuis le début des années 2000 une grande offensive engagée par les forces économiques et politiques de droite dans notre pays pour détruire les institutions sociales (sécurité sociale, services publics, Fonction publique, etc.) nées au lendemain de la Libération.

Les propos de Warren BUFFET et ceux de Denis KESSLER ont au moins le mérite de la clarté quant à l’existence réelle d’une « lutte des classes » menée par les riches classes possédantes elles-mêmes, qui sont loin d’être passives ou sur la simple défensive. Mais, surtout, ils confirment, pour la France au moins, la thèse développée par les chercheurs sociologues Monique PINÇON-CHARLOT et Michel PINÇON selon lesquels « S’il existe encore une classe, c’est bien la bourgeoisie » [21], groupe apparemment composite où coexistent noblesse fortunée et familles bourgeoises, industriels, hommes d’affaires, banquiers, propriétaires terriens, hauts fonctionnaires, membres de l’Institut et généraux. Mais ce groupe demeure conscient de ses limites et de ses intérêts collectifs, ce qui lui permet de se maintenir au sommet de la société, parfois depuis plusieurs générations.

Ce groupe économique s’est lui-même constitué en un bloc politique puissant – dépassant les clivages partisans au sein de la droite – dans lequel sont présentes toutes les catégories sociales ou socio-professionnelles ci-dessus énumérées occupant des postes clés dans les divers champs économiques, culturels et professionnels.

La Haute fonction publique – avec ses avantages à vie de nouvelle « noblesse d’Etat » – en est souvent le trait d’union ou le ciment fédérateur – hier, avec CHIRAC, puis HOLLANDE ; aujourd’hui avec MACRON – car elle connaît les rouages et les leviers de l’Etat et, en se ralliant au libéralisme européen ambiant sans bénéfice d’inventaire, elle s’est mise au service non plus de l’intérêt général mais du libéralisme économique en le présentant, souvent sous les couleurs les plus avantageuses et flatteuses de l’Etat de droit, comme neutre et comme le seul mode d’organisation rationnellement possible et viable  de nos sociétés, alors même qu’il sert les intérêts des puissants au détriment des plus modestes et a fortiori des plus faibles.

Signe des temps, la droite la plus conservatrice et rétrograde a vu dans le choix de nos derniers présidents, tous trois énarques – CHIRAC, HOLLANDE, MACRON -, le meilleur choix pour sauvegarder, et même pour faire avancer et fructifier ses intérêts économiques qui sont ceux d’une classe sociale composite, certes, mais unie sur l’essentiel quant à la nécessité de passer à un stade offensif du développement accru de ses propres intérêts.

CONCLUSIONS : CE QUE CACHE CETTE ÉNIÈME RÉFORME DES RETRAITES

1/ Comme on le voit, les projections et prévisions concernant les retraites sont fortement tributaires des instruments d’analyse et des référentiels choisis pour apprécier la validité de leur pérennité. Et ces choix ne sont pas neutres mais orientés par la finalité de l’étude qui, pour le moment, reste fondamentalement financière et comptable en étant systématiquement rapportée à une proportion considérée comme devant être immuable du PIB.  Or celui-ci est variable et fortement tributaire de la conjoncture économique alors que la retraite est un droit – affirmé par notre Constitution – qui doit être précisément protégé des aléas de la conjoncture économique.

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la croissance du PIB est devenue plus variable et aléatoire [22] et par ailleurs les limites du PIB ne mesurant pas certains paramètres [23] ont été souvent pointées soit au niveau de son insuffisance soit même de sa rationalité.

Par ailleurs, le culte de la croissance pour la croissance au service d’une société de consommation débridée et gaspilleuse des ressources a été mis à mal par l’irruption de la question écologique, de la défense de la planète et de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est dire que le PIB n’est plus au centre du nouveau modèle de développement économique écologique avec le remplacement des énergies fossiles par les nouvelles énergies naturelles (solaire, éolienne, hydraulique) plus compatibles avec la mise en place de la transition écologique axée sur un autre mode de développement durable.

Dans une économie qui devrait être plus sociale et solidaire [24], c’est vers l’emploi des femmes et des hommes tourné vers la satisfaction des besoins collectifs les plus vitaux qu’il faudrait se tourner au lieu de diminuer les postes de fonctionnaires dans l’emploi public au détriment de la qualité des service publics dont pâtissent les usagers de ceux-ci. Le malthusianisme actuel des dépenses publiques et la compression de l’emploi des ressources humaines au sein de la fonction publique engendrent de plus faibles rentrées de cotisations sociales pour les retraites. De la même manière, s’agissant du secteur privé, il faut tendre au plein emploi des ressources humaines, ce qui générerait davantage de cotisations d’actifs pour les retraites de leurs aînés.

Dans le même esprit, une autre politique salariale plus généreuse tournée vers un meilleur niveau de vie qualitatif devrait se traduire par une augmentation générale des salaires, avec l’accent mis notamment sur les plus bas, ce qui aurait comme effet mécanique des cotisations de retraites plus substantielles alimentant les caisses de retraite car celles-ci correspondent à une proportion des salaires.

2/ La finalité du versement d’une retraite est de reconnaître à un certain âge raisonnable, et impérativement avant l’altération irrémédiable des forces physiques et mentales, le droit au repos et à une autre tranche de vie qui n’est plus celle du travail, mais qui appartient enfin à la personne humaine elle-même puisque, en amont, les deux autres âges de sa vie ne lui ont guère appartenu : temps de formation dans l’institution scolaire puis à l’université ou dans des structures de formations supérieures, publiques ou privées ; temps de travail pour apporter sa contribution à la vie économique, sociale et collective.

3/ Le discours sur l’allongement de la durée légale du travail jusqu’à 64 ans n’est guère social et humaniste. S’il est vrai que le travail n’est certes pas une « maladie », il est également incontestable qu’il engendre parfois des maladies reconnues comme « professionnelles » et invalidantes par la médecine du travail. Il est non moins vrai, également, qu’il peut être « usant » par rapport aux postures gestuelles et musculaires répétitives qu’il impose et sa pénibilité devient de plus en plus difficile à supporter en avançant dans l’âge. Par ailleurs, même sans être grevé d’une pénibilité particulière, le travail peut être ressenti mentalement comme peu épanouissant, voire aliénant lorsque le degré d’autonomie de ceux qui l’exercent est faible voire parfois nul. En effet, n’oublions pas que dans le droit du travail concernant les salariés du secteur privé, ce qui caractérise le contrat de travail est le lien de subordination du salarié à son employeur, celui-ci possédant un triple droit d’organisation, de direction et de sanction sur celui-là. C’est dire que la retraite ne doit pas venir seulement lorsque le salarié a atteint un âge avancé au bout duquel il connaît une certaine forme d’épuisement physique ou/et moral le vidant de ses dernières forces, et le privant alors de la faculté de profiter de son tiers temps de retraite… Comme le disait, il y a déjà bien longtemps, une certaine chanson satirique, « les prisonniers du boulot n’font pas de vieux os » … Cette satire de la réduction de l’homme à sa seule force de travail et à ses qualités exclusivement professionnelles est aujourd’hui reprise dans le slogan percutant « Métro-boulot-tombeau » de certains manifestants contre le recul de l’âge de la retraite à 64 ans.

Or, de manière consternante, l’allongement de la durée du travail est défendu, à droite, contre ce qui serait une coupable fuite devant le travail et contre une forme de revendication à une certaine paresse faisant du travail l’ennemi des travailleurs, ce qui serait, selon ce procès extravagant aux relents inquisitoriaux instruit par le Ministre de l’Intérieur Gérald DARMANIN, le bréviaire de la gauche, et notamment de la NUPES [25].

L’histoire nous enseigne pourtant que ce ne sont sûrement pas les couches populaires – et les forces sociales et politiques de gauche qui les soutiennent et prennent en charge leurs justes revendications et aspirations – qui pratiquent le dénigrement du travail car elles font partie du flot de ces travailleurs qui se lèvent tôt le matin et qui travaillent de manière intense, et souvent juste pour avoir de quoi gagner pour vivre, voire survivre…

En revanche, sous l’Ancien Régime, la Noblesse, classe privilégiée, considérait le travail avec dédain et comme étant réservé aux roturiers et gens de basse extraction sociale. L’oisiveté était la caractéristique et la règle de vie de la noblesse.

En 1756, Marc-Antoine-Jacques ROCHON de CHABANNES avait pris part au débat sur la noblesse, en rédigeant un petit texte de 23 pages intitulé La Noblesse oisive dans lequel il concluait de manière assez caustique « que les petits maîtres ont tout intérêt à vivre dans la paresse, et que le plus grand service qu’ils puissent rendre à l’État est de consacrer toute leur existence à l’oisiveté. » [26].

C’est qu’en effet, sous peine de déroger, le noble ne pouvait pas embrasser une carrière incompatible avec l’état de noblesse. Et il a fallu attendre le 19ème siècle pour que les aristocrates entrent massivement dans le monde du travail, entrée qui fut plus tardive en France qu’en Allemagne ou qu’en Angleterre.

En 1863, dans son Dictionnaire de la langue française, Émile LITTRÉ définissait l’oisiveté comme « l’état d’une personne qui n’a rien à faire, qui ne fait rien » [27].

C’est dire que cela ne correspond pas à la situation des travailleurs salariés qui se définissent comme des personnes physiques au service d’un employeur pour effectuer un travail contre un salaire, et liées à celui-ci par une relation de subordination permanente découlant du contrat de travail.

À l’inverse, au cours de notre histoire nationale, les classes économiquement dominantes (financiers, spéculateurs, agioteurs), non seulement se sont souvent adonnées à de multiples formes d’oisiveté plus ou moins déguisée, mais elles ont parfois eu un rapport esclavagiste avec le monde du travail, et l’esclavage aux colonies ne fut aboli définitivement en France qu’en 1848 [28], et encore plus tard aux Etats-Unis.  

Quant à l’asservissement des travailleurs par la classe possédante capitaliste – qui ne voyaient dans le travail des enfants, des femmes et des hommes qu’une source de profit pour elle -, il a fallu une législation sociale et, un peu plus tard, l’intervention du Code du travail, pour en gommer les abus et les aspects les plus inhumains, inadmissibles et choquants.

4/ L’attitude du pouvoir politique en place n’est pas davantage réaliste car elle ne tient guère compte du fait que la plupart du temps les seniors n’arrivent pas à conserver leur emploi jusqu’à un âge de la retraite trop tardif où ils sont alors le plus souvent au chômage. L’employabilité des seniors est beaucoup plus faible en France que dans d’autres pays. Peu de seniors, notamment dans le secteur privé, sont encore actifs autour de 60 ans.

En effet, selon les chiffres de l’Insee, le taux de chômage des plus de 55 ans a augmenté ces dernières années, passant de 4,3 % en 2007 à 6,5% en 2018. À la fin de l’année 2020, selon Pôle emploi, il y avait déjà 964 000 chômeurs de plus de 50 ans. Leur durée moyenne d’inscription au sein de l’établissement était de 679 jours, soit 22 mois, contre 239 jours pour les moins de 25 ans. Autre facteur préoccupant : le taux de retour dans l’emploi des seniors est bien plus faible que celui de leurs cadets (moins de 16% des chômeurs de plus de 50 ans ont retrouvé un emploi le trimestre suivant contre 23% pour les 25-49 ans). Certes, le Gouvernement, pour justifier son projet de réforme de recul du départ à la retraite, s’est engagé à adopter un dispositif dissuasif pour les entreprises rétives à l’emploi des seniors.

Mais le Gouvernement oublie de préciser qu’il feint d’inventer pour les besoins de sa communication, ce qui existe plus ou moins déjà et qui ne « marche pas ». En effet, pour les entreprises de 50 à 300 salariés couvertes par un accord de branche relatif à l’emploi des salariés âgés, celles-ci sont déjà normalement tenues d’appliquer les mesures prévues par l’accord de branche étendu. Pour les entreprises non couvertes par un accord de branche ou les entreprises de plus de 300 salariés, il faut appliquer les mesures prévues par un accord négocié au niveau du groupe ou de l’entreprise. À défaut de cela, il faut appliquer un plan d’action d’entreprise ou de groupe, élaboré après avis du CE ou des délégués du personnel. Ces accords et plans ont une durée de validité de 3 ans.

Or ces accords d’une part doivent prévoir un objectif chiffré de maintien dans l’emploi des salariés de 55 ans et plus, ainsi que des recrutements des 50 ans et plus ; d’autre part, des dispositions et des indicateurs chiffrés sur trois domaines d’actions choisis parmi la liste suivante : recrutement des salariés âgés, anticipation de l’évolution des carrières, amélioration des conditions de travail et préventions des situations de pénibilité, développement des compétences et des qualifications, aménagement des fins de carrière, tutorat et transmission des compétences, modalités de suivi.

Pour les entreprises qui ne respectent pas ces accords, elles sont redevables à l’URSSAF, depuis le 1er janvier 2010, d’une pénalité de 1% des rémunérations et gains dus aux salariés et assimilés, pour chaque mois entier de non couverture.

Force est de constater que ces mesures qui existent depuis plus de 10 ans – et parfois depuis 16 ans, comme le CDD senior créé en 2006 [29] – ne sont guère efficaces.

Mais à supposer qu’elles soient enfin efficaces elles ne justifieraient pas pour autant le recul de l’âge du départ à la retraite, et cela d’autant plus qu’elles feraient également reculer le moment de l’entrée des jeunes générations dans la vie active. Là aussi, il faut plutôt encourager la solidarité entre les générations plutôt que de les opposer sur le plan de l’accès à l’emploi, les anciens travailleurs devant naturellement faire place aux jeunes.

5/ Le nouveau monde, issu de l’émergence du macronisme depuis 2017, nous avait été présenté de manière aguichante et racoleuse comme faisant table rase des errements de l’Ancien. Or ce « nouveau monde », par son mode de fonctionnement autoritaire au sommet de l’Etat et sa négation des droits sociaux les plus fondamentaux, tourne le dos à la fois à la démocratie politique et au pacte social né du consensus au sein du CNR à la libération de la France, il y a près de 80 ans, et ayant fonctionné, de manière positive et harmonieuse, sur trois générations de Français.

C’est dire qu’il n’y a pas vraiment de quoi se vanter du côté du président MACRON et de son gouvernement d’un quelconque pseudo « courage » dans le fait de vouloir endosser une réforme qui, rompant le pacte social issu de la Résistance, est à juste titre aussi « impopulaire », puisqu’il s’agit d’une réforme inique et antisociale dont la majorité des Français ne veulent toujours pas.

Quant à vouloir gouverner contre l’opinion des Français, souvenons-nous que nous avons connu, en France, dans notre longue histoire nationale beaucoup d’Exécutifs autoritaires, dédaigneux et hautains, s’entichant, le plus souvent au cours de leur règne ou de l’exercice de leur pouvoir, de vouloir gouverner contre le peuple, et cela se termina par des révolutions et leur déchéance. Citons Louis XVI qui, en 1789, ne sut pas composer avec la Nation issue de la Révolution [30] ; Charles X, Monarque autoritaire et ultra réactionnaire qui voulut, en 1830 [31], gouverner comme un monarque absolu de droit divin ; Louis Philippe, gouvernant pour les classes sociales aisées et s’appuyant sur un suffrage censitaire l’éloignant du peuple dont les conditions de vie s’étaient dégradées [32] ce qui conduisit ce même peuple, le 24 février 1848, à s’insurger victorieusement ; Napoléon III (1848-1870), premier Président de la République française, de 1848 à 1851, ensuite autoproclamé Empereur à la suite de son coup d’Etat du 2 décembre 1851, qui fut déchu le 1er mars 1871, après la proclamation, sous la pression populaire [33], le 4 septembre 1870, de la République faisant elle-même suite à la désastreuse capitulation militaire de l’Empereur à Sedan devant la Prusse.

Tous ces personnages politiques furent emportés par des révolutions populaires car ayant provoqué la colère du peuple.

L’on pouvait penser raisonnablement, avec le développement de l’idéal démocratique (malgré ses trop nombreuses faiblesses pratiques), que ces formes de régimes politiques étaient révolues car appartenant à notre histoire ancienne prémoderne.

Or, depuis 1958, la pente naturelle du régime politique de la 5ème République, de type césaro-présidentiel, est l’autoritarisme, c’est-à-dire une forme de gouvernement loin du peuple, sans le peuple et, aujourd’hui, de plus en plus contre le peuple.

La question est donc posée : pouvons-nous, collectivement, accepter que nous soyons entrés, encore davantage depuis 2017, dans une phase fondamentalement régressive de démocratie politique et sociale nous rappelant, par beaucoup trop d’aspects, les plus sombres jours des régimes autoritaires que la France ait connus au cours de son histoire prémoderne ?

Louis SAISI

Paris, le 10 février 2023

SIGLES ET ABRÉVIATIONS 

CERC = Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion sociale ;

CNN = Cable News Network, le réseau d’information sur le câble. Créée par Ted TURNER en 1985, cette chaîne de télévision américaine – dont les studios de télévision sont à Atlanta – bénéficie d’un budget annuel d’environ 650 millions d’euros et diffuse en cinq langues (anglais, espagnol, japonais, turc et allemand), touchant environ 260 millions de foyers dans le monde. Chaîne . CNN a été la première chaine de TV info à diffuser 24 heures sur 24, traitant de l’actualité non seulement aux USA mais partout dans le monde.

COR = Conseil d’orientation des retraites ;

INSEE (ou Insee) = Institut national de la statistique et des études économiques. L’INSEE  est chargé de la production, de l’ analyse et de la publication des statistiques officielles en France, depuis 1946. Son siège actuel se situe à Montrouge, en banlieue parisienne.

LREM = La République en Marche. Ce parti politique a été créé par l’actuel président Emmanuel MACRON pour lui permettre de concourir à l’élection présidentielle de 2017. Son évolution est de plus en plus conservatrice et libérale, comme le montre l’actuelle réforme des retraites après celle du Code du Travail.

LR = Les Républicains. Ce parti politique libéral-conservateur français est classé à droite (parfois, de manière plus disctuable, au centre-droit) sur l’échiquier politique. Présidé aujourd’hui par Éric Ciotti depuis 2022, il est historiquement issu, en 2015, du changement de nom et de statuts de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) – qui avait été fondé en 2002 –  et il s’inscrit dans la continuité des grands partis conservateurs gaullistes qui ont jalonné la conquête du pouvoir par une droite d’inspiration originellement gaulliste – UNR (Union pour la Nouvelle République en 1958), UDR (Union de défense de la République), RPR (Rassemblement pour la République) et UMP précité (Union pour un mouvement populaire) – mais en radicalisant leur évolution dans un sens de plus en plus libéral.

MEDEF = Mouvement des entreprises de France. Le MEDEF est une organisation patronale fondée en 1998, représentant des chefs d’entreprises français pour remplacer le CNPF. En 2010, le Medef a reçu 12 millions d’euros de subventions publiques au titre de sa contribution aux organismes paritaires, soit 31 % de ses recettes. Son budget, en 2012, était de 37,8 millions d’euros. Son président actuel, Geoffroy Roux de Bézieux, a pris ses fonctions le , après avoir succédé à Pierre Gattaz.

MoDem =  Mouvement démocrate (abrégé en MoDem ). C’est un parti politique français revendiquant se situer au « centre » qui a été créé par François Bayrou (alors président de l’UDF) à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Le MoDem a toujours entendu affirmer sa volonté de rassembler les démocrates soucieux d’un positionnement indépendant et central sur l’échiquier politique. Toutefois, depuis 2017, le MoDem a scellé une alliance avec le parti LREM du candidat puis président MACRON – renouvelée lors des dernières présidentielles de 2022 –  amorçant ainsi une orientation indéniablement plus marquée à droite, compte tenu des orientations du premier quinquennat d’Emmanuel MACRON et des premières annonces et directions politiques du second.

PIB = Produit Intérieur brut ;

NOTES

[1] INSEE Statistiques : Cotisants, retraités et rapport démographique tous régimes – Données annuelles de 2004 à 2020 (chiffres clés 25/05/2022).

[2] DREES : La Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (parfois apparaissan sous l’aure sigle « Drees ») est une direction de l’administration publique centrale française produisant des travaux de statistiques et d’études socio-économiques. Elle dépend des ministères dits « sanitaires et sociaux » (affaires sociales, santé, retraite, travail, famille, logement) et du ministère de l’Économie et des Finances. Mise en place par le décret du , la Drees a une mission prioritaire : doter ses ministères de tutelle, les services déconcentrés ainsi que les établissements, organismes et agences gravitant dans leur orbite d’une meilleure capacité d’observation, d’expertise et d’évaluation sur leur action et leur environnement.

[3] Voir l’enquête du CERC (Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion sociale) de 1989 sur les conditions de vie des personnes âgées.

[4] Delphine DESMULIER, Marieke POLFLIET, Jacques-Benoît RAUSCHER : « La sociabilité des retraités, une approche statistique (enquête) », dans Terrains & travaux 2003/2 (n° 5), pages 151 à 164

[5] Cf. JORF n°109 du 11 mai 2000, Texte n° 2.

[6] Cf. La Dépêche.fr, 21 janvier 2023.

[7] Ibid.

[8] Cf. JORF n°109 du 11 mai 2000, Texte n° 2.

[9] Synthèse du Rapport du COR.

[10] Synthèse du COR précité.

[11] Ibid.

[12] Jean GADREY (économiste, professeur honoraire d’économie à l’université de Lille I) : « Parler de la « part des dépenses de retraite dans le PIB » est une ineptie économique (et humaine) », in Alternatives économiques du 29/12/2019, avec un ajout du 24 février 2020.

[13] Ibid.

[14] Jean GADREY, ibid.

[15] Ibid.

[16] Synthèse du Rapport du COR.

[17] Cf. Synthèse du Rapport du COR.

[18] Ibid.

[19] Synthèse du Rapport du COR précitée.

[20] Cf. Pierre BIRNBAUM : « La fin de l’État ? », Revue française de science politique,  Année 1985  35-6  pp. 981-998.

[21]  Michel PINÇON et Monique PINÇON-CHARLOT : Sociologie de la bourgeoisie, Ed. La Découverte, collection Repères n°294, 2009, 128 pages.

[22] Selon l’analyse de Maxime GAUTIER portant sur l’évolution annuelle du Produit Intérieur brut (PIB) en volume en France, de 2000 à 2021, le PIB réel de la France a atteint un sommet en 2000, avec 3,9 % de croissance, et a subi une récession en 2009 (-2,9 %) puis une seconde forte récession en 2020 (-7,9%) suite à la crise et aux différents confinements du COVID-19. En 2021, le PIB de la France a augmenté de 6,9% par rapport à 2020.  Dans le détail, de 2001 à 2003, la croissance, en France a été marquée par trois années d’atonie (+1,3 % en moyenne).

Si entre 2004 et 2007, la croissance repart avec une augmentation moyenne du PIB de 2,3 %, à partir de l’automne 2008, la crise économique, partie des  États-Unis qui entrèrent en récession, en décembre 2007, devint mondiale en 2008 frappant plusieurs pays européens au cours de l’année 2008, ainsi que la zone euro dans son ensemble. La France entra en récession en 2009, son PIB diminuant de – 2,9 %.

Sur la période suivante, de 2008 à 2013, le PIB n’a connu, en France, qu’une croissance faible de 0,3 % par an en moyenne (voir l’analyse de Maxime GAUTIER sur le site Statista : Évolution du PIB réel de la France 2000-2021 | Statista).

[23] Le PIB constitue une moyenne qui ne permet pas de suivre, par exemple, l’évolution des inégalités sociales. Par ailleurs, il ne mesure que des flux de production et non le patrimoine ; il n’inclut pas l’indicateur de développement humain (IDH), calculé depuis 1990 par le Projet des Nations unies pour le développement (PNUD) ; il ne prend pas en compte le travail non rémunéré, le bénévolat, l’autoconsommation, le travail au noir ou les activités illégales (cependant, depuis mai 2018, répondant à une demande d’Eurostat, l’Insee prévoit d’inclure les revenus de la drogue dans les comptes de la nation).

[24] Voir les travaux du CIRIEC (Centre International de Recherches et d’Information sur l’Économie Publique, Sociale et Coopérative). Accès au site du CIRIEC :https://www.ciriec-france.org/ciriec/cms/10/accueil.dhtml

[25] Voir la curieuse et inquiétante interview donnée par le ministre de l’intérieur Gérald DARMANIN au journal Le Parisien du dimanche 29 janvier 2023 : « Monsieur Mélenchon et ses amis défendent une idée gauchiste, bobo, celle d’une société sans travail, sans effort », a-t-il affirmé, en dénonçant pêle-mêle la « négation du travail » et le « droit à la paresse« .

[26] Cité par Mario ROUSTAN, Les Philosophes et la société française au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1911 ; Genève, Slatkine, 1970, p. 129.

[27] Émile LITTRÉ, article « oisiveté » du grand dictionnaire d’Émile Littré, « Le Littré », le dictionnaire de référence de la langue française, Ed. Le Figaro/Garnier, 20 volumes, septembre 2007, tome 13, p. 485.

[28] Le 27 avril 1848, le gouvernement de la République française publie un décret par lequel il abolit l’esclavage dans les colonies françaises. L’abolition concerne avant tout les vieilles colonies héritées de l’Ancien Régime, dont l’économie repose encore sur les grandes plantations sucrières.

[29] Le CDD senior, crée en 2006, est un contrat à durée déterminée d’une durée maximum de 18 mois renouvelable une fois conclu avec un salarié de plus de 57 ans, inscrit comme demandeur d’emploi depuis plus de trois mois ou bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnelle après un licenciement économique, afin de lui permettre d’acquérir, par son activité, des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein.

[30] Louis XVI, après ses contorsions politiques incessantes (tentative de fuite et son interception à Varennes, etc.) sera emporté par la journée populaire du 10 août 1792 lors de l’invasion du palais des Tuileries qui sera suivie de l’abolition de la Royauté le mois suivant et de la proclamation de la République (22 septembre 1792).

[31] Charles X, Roi de France de 1824 à 1830, était un farouche partisan du retour à la monarchie absolue d’Ancien Régime (formalisée par son sacre royal en 1825) en gommant la Révolution de 1789. Il s’aliéna vite une partie de l’opinion par la loi sur le sacrilège, l’octroi d’indemnités aux émigrés considérés comme ayant été spoliés par la vente des biens nationaux (loi dite du « milliard des émigrés »), le licenciement de la garde nationale, perçue comme hostile au régime de la Restauration, et le rétablissement de la censure (1825-1827).  Il crut devoir rétablir son autorité devant les progrès de l’opposition libérale en promulguant les six « ordonnances de Saint-Cloud » du 25 juillet 1830 dont les quatre premières constituent un « coup d’Etat constitutionnel » s’appuyant abusivement sur l’article 14 de la Charte  reconnaissant au Souverain le pouvoir de « fai(re) les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État.»

La première ordonnance suspendit la liberté de la presse et soumit toutes les publications périodiques à une autorisation du gouvernement ; la deuxième procéda à la dissolution de la Chambre des députés alors que celle-ci venait à peine d’être nouvellement élue et ne s’était jamais encore réunie ; la troisième écarta la patente pour le calcul du cens électoral, de manière à écarter une partie de la bourgeoisie commerçante ou industrielle, d’opinions plus libérales, et réduisit le nombre des députés de 428 à 258 en rétablissant un système d’élections à deux degrés dans lequel le choix final des députés procédait du collège électoral de département qui rassemblait seulement le quart des électeurs les plus imposés de la circonscription ; la quatrième convoqua les collèges électoraux pour septembre. D’où résultèrent les jours suivants les trois journées révolutionnaires (27 au 29 juillet) auxquelles l’on donna le nom de « Trois Glorieuses » (révolution de 1830) qui mirent un terme à son règne.

[32] Sous la conduite de GUIZOT – qui incarne le conservatisme le plus radical du régime – les conditions de vie des classes populaires se détériorent, les écarts de revenus se creusant considérablement. La crise économique de 1846-1848 et les scandales concernant des personnalités du gouvernement (affaire Teste-Cubières, affaire Choiseul-Praslin) dénoncés par le parti républicain – qui organise la campagne des banquets – amènent le peuple à se révolter contre le roi lorsque celui-ci interdit le banquet du 22 février 1848, entraînant la démission de Guizot le 23 février.

[33] Le 4 septembre 1870, à Paris, la foule envahit le palais Bourbon. Avec Léon GAMBETTA et Jules SIMON, de nombreux députés se rendirent à l’hôtel de ville de Paris et y proclamèrent la République, mais la déchéance de Napoléon III ne fut votée par la Chambre que le 1er mars 1871. Un gouvernement provisoire prenant le nom de Gouvernement de la Défense nationale fut alors formé.

 

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