Derrière le Rouge et le Vert… Chronique du Coronavirus : une guerre mal préparée par Louis SAISI

Derrière le Rouge et le Vert…

Chronique du Coronavirus : une « guerre » mal préparée

par Louis SAISI

Depuis le 11 mai 2020, premier jour du « déconfinement », la France n’est plus uniforme, comme lors du confinement, mais bicolore car teintée en rouge et vert…

Non pas le « rouge » de la contestation révolutionnaire ni le « vert » de l’écologie ou de Dame Nature. La politique cède le pas à la géographie sanitaire que d’aucuns – toujours en délicatesse avec la République jacobine, à leurs yeux toujours responsable de tous les maux – s’empressent bien vite de qualifier de « girondine »…

Cette carte des départements, qui accompagne le plan de déconfinement ayant débuté le lundi 11 mai, est en réalité une synthèse de trois catégories de critères : la dynamique de l’épidémie, qui classe les départements selon le niveau de suspicion de la présence du coronavirus chez les patients dans le total des visites quotidiennes aux urgences, les tensions dans les services de réanimation et la capacité des départements à tester et tracer les cas contacts.

Le « rouge » et le « vert » caractérisent le classement des départements français dans 2 catégories distinctes selon que le mouvement ou le déplacement des populations qui y vivent est plus (les « verts ») ou moins (les « rouges » ) permis pour cause de circulation du coronavirus.

Comme on le sait, pour la France métropolitaine, les départements du Nord et du Nord-Est (Hauts-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est) et ceux de l’Ile-de-France sont classés en rouge. Pour les départements et régions d’Outre-Mer, il faut leur adjoindre le département de MAYOTTE qui n’est d’ailleurs pas encore sorti du confinement. Ces départements sont classés en rouge parce que « le virus y circule activement, l’hôpital connaît des tensions » selon les explications données par le Premier Ministre Édouard PHILIPPE.

Tous les autres départements appartenant aux autres régions françaises et aux autres collectivités d’Outre-Mer sont classés en vert.

La période de confinement ayant démarré le 17 mars 2020 à midi – après l’allocution télévisée, le 16 mars, du Président MACRON – avait placé l’ensemble de la France sous le même régime juridique de mesures contraignantes quant aux sorties autorisées moyennant quelques adaptations locales permettant aux maires de certaines communes, sous le contrôle du préfet, de renforcer certaines mesures de confinement.

En fait, dans la gestion de la crise sanitaire du coronavirus, le Gouvernement n’était pas aussi totalement démuni qu’on l’a trop vite cru.

En effet, bien que le cadre conceptuel de cet aspect des choses ait été souvent occulté, le confinement annoncé constituait le stade 3 de l’épidémie du coronavirus tel qu’il résultait de l’adoption, en octobre 2011, du Plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale » pour faire face à une épidémie étendue à tout un territoire (caractérisée par le terme de « pandémie« ). Ce plan avait été mis en place, en 2009, par le gouvernement français après la pandémie de grippe A (H1N1). Il décrivait la stratégie de réponse de l’Etat et concernait l’ensemble des collectivités publiques, des professionnels de santé et des acteurs socio-économiques, qui participaient à la réponse à la situation de pandémie.

Quatre stades distincts avaient été fixés dans une gradation de la pandémie jusqu’au stade 3 puis jusqu’au retour progressif à la « normale » à partir du stade 4.

I/ Les Stades 1 et 2 de l’épidémie

A/ Le stade 1 : se protéger de la menace extérieure : Wuhan et les Français de Wuhan…

Ce stade 1 consiste à freiner l’introduction du virus dans le pays. Lors de cette phase, est mise en place une détection précoce des premiers cas arrivant sur le territoire, avec mise en œuvre de mesures telles que le contrôle sanitaire aux frontières, la prise en charge médicale des cas et de leurs contacts, la mise en place de mesures barrières. Les autorités sanitaires enquêtent sur les cas suspects et s’efforcent d’identifier les « sujets contacts » ayant eu un contact avec un malade. Le stade 1 est sans objet si le foyer épidémique est déjà sur le territoire national. La priorité est de détecter précocement les premiers cas arrivant dans le pays.

1/ L’identification de la zone à risque

C’est dans ce cadre que des « quarantaines » préventives ont été mises en place pour les personnes revenant d’une zone à risque, et notamment de tous les Français ayant séjourné en CHINE ou venant fraîchement d’en arriver. Le foyer de l’épidémie ayant été localisée en CHINE, et notamment dans la province de WUHAN, c’est vers la CHINE que se sont manifestées les préoccupations des pouvoirs publics français devant l’ampleur de la propagation de l’épidémie et suite aux mesures de confinement prises par les autorités chinoises. Mais la France était également sensible au sort de ses ressortissants vivant dans la province de Wuhan.

2/ Le retour contrôlé des Français de Wuhan et leur mise en quarantaine

C’est au cours de ce stade 1 qu’entre fin janvier et fin février 2020 près de 300 Français vivant à WUHAN ont été rapatriés à la suite de quatre vols successifs dont trois organisés par les autorités françaises. Ils furent placés et mis en quarantaine dans des centres affectés à cette fin.

Ainsi le 31 janvier 2020 quelque 200 Français rapatriées de Wuhan, épicentre de l’épidémie de coronavirus, arrivaient en France dans un premier avion, et étaient placés en quarantaine dans la station balnéaire de Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône).

Le 2 février 2020, 78 autres personnes – dont 19 Français – étaient rapatriées de WUHAN en France et placés en confinement pendant 14 jours dans les locaux de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) d’Aix-en-Provence.

Le 9 février 2020, 38 ressortissants Français en provenance de Wuhan arrivaient en France par un vol organisé par « les autorités britanniques » pour être placés en quarantaine à Aix-en-Provence dans le même lieu.

Enfin, le 21 février 2020 un avion rapatriant 28 Français et 36 ressortissants d’autres pays de l’Union européenne décollait de Wuhan pour Paris. À leur arrivée, les rapatriés français étaient placés en quarantaine dans un village vacances du Calvados (Normandie) et ce pendant 14 jours.

B/ Le stade 2 : l’identification des zones de circulation du virus

Le stade 2 est déclenché par l’identification de zones de circulation du virus sur le territoire national et la multiplication et le regroupement des cas autochtones (les clusters). Les mesures prises dans le cadre du stade 1 continuent de s’appliquer et peuvent être renforcées. Le stade 2 a été relativement bref dans sa durée bien que s’étant caractérisé par des mesures fortes. La France était en stade 2 de l’épidémie du coronavirus à partir du 6 mars 2020. Il s’agissait de freiner la propagation du virus sur le territoire avec la mise en œuvre des mesures-barrières.

1/ Les mesures prises à l’égard des visites dans les EHPAD

Le 11 mars 2020, le Gouvernement renforce les mesures de protection des personnes âgées au stade 2 de l’épidémie de coronavirus COVID-19. Au regard des dernières données épidémiologiques à jour, afin de ralentir la propagation de l’épidémie et de protéger les personnes les plus vulnérables, le Gouvernement a décidé de renforcer les restrictions de visite dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées. Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les unités de soins de longue durée (USLD), l’intégralité des visites de personnes extérieures à l’établissement est suspendue. Dans les résidences autonomie, les visites sont fortement déconseillées.

2/ La fermeture des établissements scolaires

Lors d’une allocution télévisée, dès le 12 mars 2020, la fermeture des établissements scolaires français est annoncée le jeudi par le président de la République française, avec prise d’effet le lundi 16 mars.

C’est la mesure la plus forte prise jusqu’alors par l’Etat afin d’endiguer l’épidémie de coronavirus. Le président de la République Emmanuel Macron décide de la fermeture, à partir du 16 mars et jusqu’à « nouvel ordre », des écoles, des collèges, des lycées et des universités du pays. Ainsi, 12,3 millions d’élèves de l’enseignement primaire et secondaire et 2,7 millions d’étudiants du supérieur sont priés d’étudier chez eux. Le travail de près de 870 000 enseignants est également impacté.

Concernant les ressortissants français à l’étranger, au stade 2 (comme au stade 3), la fermeture des écoles françaises et des centres culturels peut être décidée.

3/ Se préparer à la riposte hospitalière

À ce stade, ralentir la propagation du virus avait pour but de permettre aussi de gagner le temps nécessaire pour permettre la montée en puissance du système sanitaire ou/et la préparation d’un vaccin ou/et de la thérapie appropriée.

En effet, notre système de soins hospitalier n’était pas en état de répondre aux très graves cas épidémiques, suite d’une part à la diminution substantielle des moyens attribués aux hôpitaux publics ces dernières décennies – se traduisant par un manque de lits, un manque d’appareils respiratoires, un manque de personnels – et d’autre part à l’introduction d’une nouvelle donne managériale et financière dans leur gestion se traduisant par une tension en personnels de santé et de soins et une situation financière souvent critique. Ceci explique que les personnels de santé et de soins des hôpitaux sont vite débordés par l’afflux des malades infectés.

4/ La recherche médicale

Ce fut aussi la période de la recherche de la riposte thérapeutique à l’intérieur duquel s’inscrit l’état des recherches sur le vaccin et des soins médicamenteux dispensés aux malades.

Bien que, malgré sa spécificité, ce type de virus ne soit pas fondamentalement nouveau, au moins par son appartenance à une certaine famille (selon l’INSERM, les coronavirus, dits « émergents » sont hébergés par des animaux et soudain transmis à l’homme : les SRAS-CoV et le MERS-CoV [1]), la recherche médicale, et pas seulement à l’échelle française mais aussi planétaire, a été prise en défaut. Or si chez l’Humain, les coronavirus sont le plus souvent responsables de rhumes et d’infections respiratoires bénignes, certains coronavirus comme le SRAS-CoV, en 2002-2003, et le MERS-CoV, depuis 2012, sont cependant responsables de tableaux cliniques sévères. Ainsi donc si l’on prend comme référence historique la première forme d’apparition des coronavirus (2002/2003), cela fait près d’une vingtaine d’années, et la nouvelle manifestation suivante d’une autre de ses formes remontant à pas moins de 8 ans déjà, l’on est alors en droit de se demander pourquoi nous sommes aujourd’hui aussi médicalement démunis pour le combattre. Comme le dit Bruno CANARD, virologue et directeur de recherche au CNRS :  « Chaque épidémie entraîne un financement éclair qui représente finalement bien moins que ce qui était alloué aux recherches des années 2000 qui visaient à anticiper. Et surtout, on oublie rapidement les épidémies. Il n’a fallu que quelques années après celle de 2003 avant que l’intérêt des politiques pour le SARS-CoV disparaisse » [2].

Sans doute faut-il y voir l’illustration de la loi sociologique bourdieusienne selon laquelle la recherche – ici médicale – est un champ [3] (scientifique) autonome qui n’est pas homogène quant à l’implication de ses acteurs sociaux (chercheurs) qui se livrent une lutte pour avoir plus de moyens, plus de pouvoir, plus de reconnaissance sociale, comme l’a illustré la séquence qui a opposé, sur l’efficience de l’hydroxychloroquine, le professeur D. RAOULT, de l’IHU de Marseille, à l’institution scientifique (INSERM) ainsi qu’au Conseil scientifique Covid 19 (professeur Jean-François DELFRAISSY) et, de manière générale, à certains de ses confrères, comme le professeur Karine LACOMBE, chercheuse et infectiologue, et cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.

II/ Du confinement (stade 3) au « déconfinement » (stade 4)

A/ Le stade 3 du confinement et ses caractéristiques

Cette étape se caractérise par la circulation du virus sur l’ensemble du territoire. L’organisation de la riposte, dans le cadre du Plan national précité, prévoit la mobilisation complète du système sanitaire hospitalier et de ville, ainsi que les établissements médico-sociaux pour protéger les populations fragiles, assurer la prise en charge des patients sans gravité en ville, et des patients présentant des signes de gravité en établissement de soins. L’objectif est d’atténuer les effets de la vague épidémique. C’est l’augmentation rapide du nombre de cas qui signe le début de la vague épidémique.

1/ Le confinement dans tous ses états…

Le confinement (stade 3)  résulte d’un positionnement défensif : il a pour but de limiter la contagion par des mesures barrières, de réduire la charge sur le système de santé, de limiter l’absentéisme au travail, de renforcer la capacité de réponse sanitaire.

De manière plus générale et radicale, le stade 3 de l’épidémie de coronavirus en France est déclenché le 14 mars 2020. À cette date, un arrêté, daté du même jour, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 est édicté par le Ministre de la Santé. Il établit l’impossibilité, pour une série d’établissements, de pouvoir continuer à recevoir du public jusqu’au 15 avril 2020. De même, afin de ralentir la propagation du virus covid-19, tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert, est interdit sur le territoire de la République jusqu’au 15 avril 2020.

Le 16 mars 2020, le président de la République Emmanuel MACRON annonce aux Français la mise en place du confinement. Les déplacements et sorties sont réduits au minimum et sur présentation d’une attestation obligatoire au risque de l’infliction d’une amende. Ce dispositif devait demeurer en place jusqu’au 11 mai 2020.

Le choix central du confinement masquait surtout l’insuffisance de notre équipement hospitalier (lits et respirateurs) dont, par exemple, nos voisins allemands étaient mieux dotés que nous (pour 1 000 habitants, le ratio est de 3,09 lits pour la France contre 6,02 lits pour l’Allemagne qui, sous cet angle, est le pays le mieux doté de l’Union européenne) [4]. Il fallait surtout éviter le recours à l’hôpital, et donc pour cela, prévenir l’infection, persuadés qu’on aurait du mal au niveau des moyens, à lutter contre elle. Et pour cela, le poids de l’effort demandé a surtout pesé sur les citoyens, l’Etat n’étant guère actif ni efficace dans la production des masques ni davantage dans la mise en place d’une campagne systématique et généralisée de dépistages.

Selon le Plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale », le stade 3 d’une épidémie peut durer entre 8 à 12 semaines.

Lancé en France le samedi 14 mars, le confinement se poursuivra sur près de huit semaines jusqu’au 11 mai, date à laquelle est décidé, par le Président de la République, le « déconfinement progressif » de la population.

Le confinement de la population française est appliqué à partir du 17 mars à midi et jusqu’au 15 avril, puis le Président de la République annonce le 13 avril la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai 2020.

Les mesures de confinement détaillées par l’arrêté du 16 mars 2020 du ministre de la santé – complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 – sont rendues d’application immédiate par le décret N° 2020-261 du 16 mars 2020 (publié au Journal officiel du 17 mars 2020) . Un autre décret N° 2020-260 du 16 mars 2020, également publié au JO du 17 mars 2020, portait réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus.

Il reste que malgré les mesures barrières, l’état des forces du secteur public hospitalier pour faire face à l’épidémie est mis à mal dans certaines régions comme l’Ile-de-France et le Grand-Est.

1.1 Une situation médicale hospitalière tendue

Le pays manque de médecins. Il en faut notamment dans les services d’urgence, en réanimation, dans les départements de gériatrie et de soins palliatifs mais aussi en téléconsultation et pour assurer les visites de médecine générale.

La situation dans la région Grand-Est est très critique et l’hôpital de Mulhouse ne peut plus faire face devant l’afflux des patients gravement affectés par l’infection virale.

Ci-dessous l’hôpital militaire de campagne de Mulhouse

Fin mars est implanté l’hôpital militaire de campagne à Mulhouse pour soulager l’hôpital civil de Mulhouse, en manque de lits en service de réanimation à cause de l’afflux de malades atteints du coronavirus. De type « élément militaire de réanimation » (EMR) il est construit sur 1000 mètres carrés sur le parking de l’hôpital Émile-Muller de Mulhouse, en mars 2020, en 8 jours, par le Service de santé des armées et le régiment médical de l’Armée de terre française.

Devant la saturation des hôpitaux du Grand-Est, dans le Bas-Rhin, l’hôpital de SÉLESTAT qui avait dû fermer, en 2016, son service de réanimation doit le rouvrir en urgence pour prendre en charge les cas les plus graves. Par chance, le matériel était toujours là, et certains médecins, retraités, sont revenus spontanément pour soulager le service et appuyer l’action médicale de leurs collègues.

Dès le 20 mars l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France lance un appel inédit aux volontaires via une plateforme Internet et un nouveau hashtag circulant sur les réseaux sociaux (#renforts-COVID) les invite à venir apporter leur aide et leurs compétences à leurs collègues médecins :

« Vous êtes infirmière scolaire au chômage technique, étudiant dans une filière médicale ou paramédicale, ancien ambulancier reconverti, retraités? Les hôpitaux ont besoin de vous! »

À situation exceptionnelle, mobilisation exceptionnelle…

Une semaine plus tard, Olivier VÉRAN, Ministre de la Santé, renouvelait cet appel à venir renforcer le système de santé. Résultat : 7.700 personnes avaient déjà répondu « présent » rien qu’en Ile-de-France, selon les chiffres donnés au quotidien « Les Échos » par MedGo, la start-up parisienne qui avait développé l’application de gestion des contingents en partenariat avec l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France.

Il s’agit d’un très large appel aux volontaires, qu’ils soient salariés, libéraux, retraités, étudiants et même employés de laboratoires pharmaceutiques.

Une liste de compétences particulièrement recherchées est dressée par le ministère des Solidarités et de la Santé.

Les agences régionales de santé demandent également plus d’anesthésistes et de chirurgiens.

Du côté des infirmiers et des aides-soignants, les services en pénurie sont les mêmes que pour les médecins, mais les autorités invitent également certains d’entre eux à aller prêter main-forte aux soins intensifs et aux services hors gériatrie. Deux spécialités, infirmiers de blocs opératoires et infirmiers anesthésistes, apparaissent aussi sur la liste. Sans oublier les pharmaciens et les préparateurs en pharmacie.

Au même moment, au plus fort de l’épidémie, faute de places suffisantes en réanimation, des soignants dans les zones les plus touchées par l’épidémie (Mulhouse, Paris) confient aux médias avoir renoncé à intuber des patients de 70 ans, déjà malades…

1.2 La recherche de l’amélioration clinique des patients infectés

À partir du 22 mars 2020, l’étude DISCOVERY est lancée au niveau européen et pilotée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dans le cadre du programme européen REACTing.

Il s’agit, selon l’INSERM, dans l’histoire épidémique, de la première opportunité au moment même de l’épidémie/pandémie, de tester des molécules existantes afin de qualifier leur efficacité éventuelle qui se matérialiserait par une amélioration du statut clinique du patient.

L’essai clinique Discovery doit être mené sur environ trois milliers de patients sélectionnés dans les 7 pays suivants : France (au moins 800 patients), Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne. Les patients sont divisés aléatoirement en 5 groupes. Ces études s’inscrivent dans une médecine fondée sur des données validées expérimentalement. Un groupe, nommé « branche de référence », doit recevoir uniquement des soins standards, sans traitement antiviral.

Chacun des quatre autres groupes doit recevoir, respectivement, en plus des soins standards :

  • –  remdésivir, un antiviral injectable utilisé dans la recherche clinique contre Ebola, mais qui ne dispose d’aucune AMM ;
  • –  lopinavir/ritonavir (distribué sous la marque Kaletra), un traitement anti-VIH ;
  • – lopinavir/ritonavir et interféron bêta, une molécule naturellement produite par le système immunitaire ;
  • – hydroxychloroquine (médicament connu depuis des dizaines d’années prévu initialement pour lutter contre le paludisme et utilisé par le professeur D. RAOULT au sein de l’IHU « Méditerranée Infection » de Marseille).

Normalement, les premiers résultats étaient annoncés par le Président de la République pour ce jour, 14 mai 2020,  avec la mise en place d’un comité indépendant et international qui devrait analyser et compiler les données brutes récoltées.

Le projet a souffert d’un démarrage laborieux. En effet, au niveau de nos partenaires européens, il avait été constaté que le projet n’était guère avancé. C’est ainsi que début mai, seulement 30 hôpitaux participaient au programme, et ils étaient quasiment tous « hexagonaux » car « un seul hors de France » était basé au Luxembourg, indiquait la Pr Florence ADER, responsable française de la coordination du projet au niveau européen. Elle ajoutait que si « aucun pays ne s’est formellement retiré des discussions » pour participer à l’étude, « on met beaucoup de temps pour comprendre les circuits de gestion réglementaire d’un pays à un autre », et elle appelait à davantage d’ « harmonisation des procédures européennes » en matière d’essais cliniques.

À son tour, le 1er mai 2020, dans le journal Le Monde, Yazdan YAZDANPANAH – chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP), membre des deux instances nommées par le gouvernement pour éclairer ses décisions sur le Covid-19, et directeur du consortium REACTing qui chapeaute cet essai – confirme que la cohorte Discovery rencontre des difficultés à monter en puissance. Et il ajoute : « Franchement, Covid et l’Europe, c’est un échec ! Chaque pays a travaillé pour lui, et on a beaucoup de mal à coopérer. Seul le Luxembourg nous a rejoints… »

Ainsi le Royaume-Uni a mis sur pied son propre essai de grande envergure, baptisé Recovery en privilégiant un seul protocole…

Par ailleurs, même en France, fin mars 2020, le projet aurait souffert de difficultés d’approvisionnement de certaines molécules antivirales indispensables au bon déroulement de l’étude clinique. En effet, au bout de neuf jours de mise en œuvre du projet, et selon des sources proches de l’étude, l’un des quatre antiviraux n’était déjà plus disponible et les stocks d’un deuxième étaient très bas. Quant au « rythme des inclusions dans l’essai, (il) a considérablement ralenti en France », du fait du recul du nombre de nouveaux patients après sept semaines de confinement.

Le Président de la République a par ailleurs annoncé que la France va, tout comme « plusieurs autres partenaires européens », mettre 500 millions d’euros dans la coopération internationale dans le cadre de l’OMS destinée à accélérer la recherche, permettre une diffusion optimale de ses résultats dans le monde entier et soutenir les systèmes de santé.

1.3 L’état d’urgence sanitaire (loi du 23 mars 2020)  

Nous étions jusqu’au 11 mai 2020 en état de confinement, c’est-à-dire dans un Etat confiné pour cause d’état d’urgence sanitaire due à l’épidémie du Covid-19. En d’autres termes, nous étions dans un Etat nous imposant l’obligation de « rester à la maison », comme la prescription s’affichait quotidiennement sur nos petits écrans de télévision.

Et suite au vote de la Loi sur l’urgence sanitaire du 23 mars 2020 consécutive au coronavirus – fixant son terme au 24 mai 2020 -, les déplacements étaient interdits. Les sorties étaient limitées à quelques exceptions comme le fait de sortir pour s’approvisionner de « produits de première nécessité » ou pour prendre pendant une heure une brassée d’air frais, mais pas très loin de notre domicile (1 km), ainsi qu’à quelques autres cas également strictement définis.

Par ailleurs, à compter du 16 mars 2020 et jusqu’au 11 mai, la décision fut prise de fermer les crèches et les écoles, de même que furent fermés les établissements pouvant accueillir du public : centres commerciaux ; restaurants et débits de boissons ; salles de danse et salles de jeux ; bibliothèques, centres de documentation ; salles d’expositions ; établissements sportifs couverts ; musées, etc.

Et tout ce qui n’était pas autorisé était interdit.

Concernant les ressortissants français vivant à l’étranger, au stade 3 (comme au stade 2), la fermeture des écoles françaises et des centres culturels pouvait aussi être décidée.

Le 16 mars 2020, l’Europe fermait ses frontières ainsi que celles de l’espace Schengen jusqu’à nouvel ordre.

L’article 2 de la loi du 23 mars 2020 (article L.3131-15 du code de la santé publique) devait légaliser le dispositif de l’arrêté VÉRAN du 14 mars 2020 ci-dessus évoqué en précisant les restrictions pouvant être décidées, par décret et aux seules fins de garantir la santé publique, pendant la période d’état d’urgence sanitaire. Cet article prévoyait ainsi la possibilité de limiter ou d’interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature.

2/ De l’usage du terme confinement pour désigner la raréfaction de nos libertés

Reconnaissons que, pour une fois, un tel terme n’a pas été inventé pour les besoins de la cause car il est très ancien puisqu’étymologiquement, le confinement – qui vient du latin cum, « avec », et finis, « limites » – évoque l’idée de placer ou de reléguer dans des limites communes.

2.1 Un terme lié au droit criminel chez LITTRÉ signifiant une perte de liberté

Émile LITTRÉ (1801-1881), dans son monumental « Dictionnaire de la langue française » (Hachette, 1863-1872) [5] définissait le terme « confinement » comme « l’action de confiner, reléguer » et il en faisait surtout un terme de droit criminel (« la peine d’isolement dans les prisons »). Au XIXème siècle, dans la définition du terme, l’association à une peine privative de liberté était donc évidente.

 2.2 Un terme accréditant l’idée de situation marginale

Toujours dans son dictionnaire précité, s’agissant du verbe « confiner », LITTRÉ l’appréhendait dans différentes acceptions, et entre autres, par référence aux notions de « confins », « limites » (géographie) ; dans le sens des verbes « borner » (en droit, « confiner un héritage ») ou de « reléguer quelqu’un en un certain lieu » (île, monastère). Au sens figuré, l’on trouvait également chez Littré les citations suivantes : « Vous me confinez parmi les bêtes sauvages qu’on ne peut apprivoiser » (VAUGELAS) [6] ; ou encore : « Je plains tout être faible, aveugle en sa manie. Qui dans un seul objet confina son génie » (VOLTAIRE)[7]. Autre acception : « Se retirer dans un lieu écarté pour y vivre dans la retraite. Se confiner au fond d’une province »[8]. L’idée de situation marginale, par rapport à la norme de vie sociale, était nette.

Le terme est aussi utilisé, aujourd’hui, dans de nombreux domaines scientifiques  (mécanique quantique, biologie, etc.).

2.3 Derrière l’acception sanitaire du confinement

Dans nos sociétés modernes évoluées (ou dites telles), le confinement, appliqué aux populations, fait partie de la gestion des risques. Il se traduit par un ensemble de mesures sanitaires visant à éviter ou limiter les conséquences d’un accident chimique ou nucléaire, d’attentats terroristes ou d’une épidémie.

Avec la pandémie de Covid-19 de 2020, le terme est quotidiennement et massivement employé pour désigner l’ensemble des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières » pour limiter les contacts entre les personnes et donc limiter la propagation de la contagion.

Il en résulte que le terme « confinement » – par lequel on désigne le plus souvent les mesures « barrières » précitées – se substitue à celui de privation des libertés ou suspension des libertés publiques (droit de manifestation, droit de réunion) ou individuelles (liberté d’aller et de venir). Il présente ainsi l’avantage de ne pas se définir de manière négative – privation de libertés fondamentales – pour apparaître plus positivement et intimement lié à la protection des populations, et notamment à la protection de leur droit à la vie qui est aussi considérée par le Conseil d’Etat comme une « liberté fondamentale » (voir, sur ce site, notre article « Le Conseil d’Etat et les mesures de confinement : le droit au respect de la vie, liberté fondamentale », : https://ideesaisies.deploie.com/le-conseil-detat…-par-louis-saisi).

3/ L’état d’urgence et le Conseil constitutionnel

La protection du droit à la vie ou de la santé se confond-t-il nécessairement avec des mesures de confinement ou l’état d’urgence ? Sous cet angle, le Conseil constitutionnel constitue pour le Gouvernement un auxiliaire précieux dans la résolution de la tension entre la défense sanitaire de la Nation et le respect des libertés individuelles et publiques et collectives.

C’est ainsi que dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 relative à la Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence, le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité de certaines dispositions de cette loi, sur la saisine de parlementaires de l’opposition, du Président de la République et du Président du Sénat. Cette loi proroge l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19 et complète certaines dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence.

3.1 La protection de la santé, objectif de valeur constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée du 11 mai 2020, met souvent en avant « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » pour justifier les dispositions de la nouvelle loi « portant atteinte à la liberté d’aller et de venir » ou portant « atteinte à la liberté d’entreprendre et, en ce qu’elles restreignent la liberté de se réunir, au droit d’expression collective des idées et des opinions. » (voir les paragraphes 18 et 19 de cette décision).

Or cette notion d’« objectif de valeur constitutionnelle » est beaucoup plus large que la règle constitutionnelle de « protection de la santé » elle-même, sauf à considérer que l’exposé des motifs d’une loi a lui-même valeur légale dès l’instant qu’il peut être assimilé à « l’objectif » poursuivi par le législateur. Ainsi l’intention poursuivie est assimilée au dispositif d’un texte et à l’action elle-même traduite en règles de droit. Par ailleurs, la notion large d' »objectif de valeur constitutionnelle » est d’un contenu imprécis, vague et aléatoire, car il permet d’identifier la protection du « droit à la santé » avec les mesures prises par le législateur (derrière lequel, ne l’oublions pas, car phénomène majoritaire oblige, se cache toujours le Gouvernement), et c’est donc permettre à celui-ci de s’en éloigner au profit d’édiction de règles n’ayant pas nécessairement un lien direct avec la protection de la santé proprement dite.

3.2 Le droit au respect de la vie privée

Le Conseil constitutionnel a néanmoins admis dans sa décision précitée qu’étaient contraires à la Constitution certaines dispositions des articles 11 et 13 de la loi de prorogation de l’état d’urgence, et précisément :

  • la deuxième phrase du paragraphe III de l’article 11 en ce qu’il « méconnaît le droit au respect de la vie privée » : cette 2ème phrase du § III de l’article 11 prévoyait, en effet, qu’étaient également inclus dans ce champ (champ des personnes susceptibles d’avoir accès à ces données à caractère personnel), pour le partage des données (à caractère personnel), les organismes qui assurent l’accompagnement social des intéressés. Pour ce qui est des données incriminées, il s’agit des seules données relatives au statut virologique ou sérologique des personnes à l’égard du covid-19 ou aux éléments probants de diagnostic clinique et d’imagerie médicale précisés par décret en Conseil d’État pris après avis du Haut Conseil de la santé publique. Or, s’agissant d’un accompagnement social, qui ne relève donc pas directement de la lutte contre l’épidémie, rien ne justifie que la communication des données à caractère personnel traitées dans le système d’information ne soit pas subordonnée au recueil du consentement des intéressés. Dès lors, la deuxième phrase du paragraphe III de l’article 11, qui méconnaît le droit au respect de la vie privée, est contraire à la Constitution (paragraphe 70) ;
3.3 Le respect du pouvoir réglementaire du Premier Ministre
  • Le mot « conforme » figurant à la première phrase du paragraphe V de l’article 11 est également déclaré contraire à la Constitution en ce qu’il exige un avis « conforme » de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur le décret d’application de la loi. Or, en vertu de l’article 21 de la Constitution et sous réserve de son article 13, le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire à l’échelon national. Ces dispositions n’autorisent pas le législateur à subordonner à l’avis conforme d’une autre autorité de l’État l’exercice, par le Premier ministre, de son pouvoir réglementaire. Dès lors, le mot « conforme » figurant à la première phrase du paragraphe V de l’article 11 est contraire à la Constitution.
3.4 Le respect de la séparation des pouvoirs
  • Est contraire à la Constitution le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 en ce qu’il prévoit la transmission automatique au Parlement des actes de l’Exécutif pris en application de l’article 11 de la loi. Or s’il est loisible au législateur de prévoir des dispositions assurant l’information du Parlement afin de lui permettre, conformément à l’article 24 de la Constitution, de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques, en prévoyant une transmission immédiate à l’Assemblée nationale et au Sénat d’une copie de chacun des actes pris en application de l’article 11 de la loi déférée, le législateur, compte tenu du nombre d’actes en cause et de la nature des données en jeu, a méconnu le principe de séparation des pouvoirs et les articles 20 et 21 de la Constitution. Dès lors, le deuxième alinéa du paragraphe IX de l’article 11 est contraire à la Constitution.
 3.5 Le respect de la liberté individuelle
  • L’article 13, qui méconnaît la liberté individuelle est contraire à la Constitution : cet article a pour effet, à compter de l’entrée en vigueur de la loi déférée, de laisser subsister, au plus tard jusqu’au 1er juin 2020, le régime juridique actuellement en vigueur des mesures de mise en quarantaine et de placement et de maintien à l’isolement en cas d’état d’urgence sanitaire. Or le législateur n’a assorti leur mise en œuvre d’aucune autre garantie, notamment quant aux obligations pouvant être imposées aux personnes y étant soumises, à leur durée maximale et au contrôle de ces mesures par le juge judiciaire dans l’hypothèse où elles seraient privatives de liberté.

Cette décision du Conseil constitutionnel intervient dans un contexte de prorogation de l’état d’urgence sanitaire pour une nouvelle période. C’est dire que la menace des effets mortifères de la propagation du coronavirus est toujours là.

B/ Le déconfinement : retour « à la normale » ou risque d’un retour vers la case départ de l’épidémie ?

Le déconfinement est conçu pour être normalement le premier pas vers le retour progressif à notre manière de vivre antérieurement à l’épidémie du coronavirus. Mais s’il n’est pas suffisamment maîtrisé ou s’il est prématuré dans son déclenchement, il peut aussi déraper vers le retour de l’épidémie.

1/ Les mesures de déconfinement

Dans la première étape du déconfinement, c’est-à-dire jusqu’au 18 mai, la différence entre les départements dits « verts » ou « rouges » est mineure. Elle sera plus nette ensuite, avec l’ouverture des collèges, et notamment début juin.

En effet, dans l’immédiat, s’agissant des écoles, il n’y a pas de différence, et le régime juridique est le même.

 1.1 La réouverture des écoles (en vert et rouge)

À partir du 11 mai 2020, il s’agit, seulement et prioritairement, des grandes sections de maternelle, des classes de CP et de CM2 partout sur le territoire national. Cela est valable pour tout le territoire, que le département soit vert (la circulation du virus est faible) ou rouge (le virus circule encore fortement).

La circulaire du 4 mai 2020 relative à la réouverture des écoles et des établissements stipule qu’il est souhaitable, dans la mesure du possible, de procéder à une réouverture par niveau d’enseignement, en privilégiant, dans un premier temps, les classes charnières (grande section de maternelle, CP, CM2).

Elle se fait sur la base du triple volontariat : des parents, des maires et des enseignants pour tenir compte de la situation anxiogène ambiante.

Les parents ne sont pas contraints à remettre leurs enfants à l’école s’ils redoutent de les exposer à la contamination par le virus. Mais, dans le cas où ils s’abstiennent de le faire, scolarité obligatoire oblige, leurs enfants devront recevoir l’enseignement scolaire à distance, en liaison avec leur école.

Les enseignants eux-mêmes, pour des raisons diverses (santé, angoisse) ne sont pas tenus de reprendre leur service mais, dans ce cas, ils doivent alors dispenser un télé-enseignement.

Les maires des communes au départ très réservés, ont joué le jeu de la réouverture et ils ne sont plus que 10% (en milieu rural notamment) à ne pas avoir ouvert les écoles.

Concernant les règles sanitaires, le ministère de l’Éducation nationale a réalisé un protocole sanitaire précisant les « modalités de réouverture des écoles » mais qui, à l’usage, s’avère complexe à mettre en œuvre.

Les établissements scolaires rouvriront progressivement (à partir du lundi 11 mai). Les cours se feront par groupe de 15 élèves maximum.

Pour le port du masque, il est obligatoire pour les enseignants dès lors que la distanciation sociale est insuffisante. Cela signifie que certains professeurs ne pourront pas se passer du masque, même lorsqu’ils feront cours. Or l’expression du visage du Maître est importante quant à l’effet plus ou moins positif produit sur l’élève quant à sa concentration à suivre l’enseignement à travers la parole du pédagogue. Enseigner le visage masqué est certainement une grande première pour eux, et surtout un challenge à relever. Certains spécialistes des sciences de l’éducation s’en sont émus et même inquiétés, estimant, avec Françoise LANTHEAUME, sociologue et professeure des universités en sciences de l’éducation, que “le visage d’un enseignant, avec leur corps, est un outil extrêmement important. Avec le masque, ils en sont privés, c’est comme enlever sa truelle au maçon… Les outils de travail des enseignants sont multiples. Ce sont des ressources intellectuelles comme les savoirs ; matérielles, comme les tableaux, feutres, cahiers. Mais ils ont aussi leur voix, leur regard, et toutes les expressions faciales… Il s’agit de tout ce qui a à voir avec le récit, la métaphore, les jeux de mains, le déplacement : le corps est mis en jeu, on est dans l’ordre de la mise en scène. L’utilisation du masque transforme tout ça.” (Echange avec Le HuffPost)

Pour d’autres, avec un masque, il reste toutefois aux professeurs leurs gestes, leur voix, leur regard. Ainsi, faute d’expressions faciales, selon  Laura Abou HAIDAR, enseignant-chercheur à l’Université Grenoble Alpes, linguiste et didacticienne, ils vont devoir “amplifier les mouvements du corps envers les élèves (…) Ils vont devoir jouer, mimer, encore plus qu’avant, le contenu de leur cours, véhiculer tout ce qui peut l’être à travers les mouvements du corps, porter littéralement le message avec les gestes et les attitudes, puisque les mimiques seront occultées.” (voir son texte publié sur The Conversation).

En revanche, le Gouvernement a indiqué que le masque était « fortement déconseillé » pour les enfants en école maternelle et « non recommandé » pour les élèves en école primaire (sauf  si un enfant présente au cours d’une journée des symptômes).

En revanche, les règles de distanciation sociale entre les élèves doivent être respectées.

 1.2 Les collèges en vert : leur ouverture progressive à partir du 18 mai

« À compter du 18 mai, mais seulement dans les départements où la circulation du virus est très faible (départements verts), nous pourrons envisager d’ouvrir les collèges, en commençant par la 6ème et la 5ème », avait annoncé le Premier ministre le 28 avril 2020.

Quid des classes de 4ème et 3ème des collèges implantés dans les départements verts ? « D’ici à la fin mai, le ministère décidera de la reprise ou pas pour ces élèves sur la base de l’évaluation de la situation sanitaire, nous répond le ministère de l’Éducation nationale. Dans l’intervalle, ils continueront à bénéficier d’un enseignement à distance. »

Et dans les départements rouges ? « Des diagnostics sanitaires sont faits quotidiennement, département par département. Si la situation évolue positivement dans un département, les collèges pourront rouvrir pour les élèves de 6ème et 5ème, dans un premier temps », a assuré le ministère de l’Éducation nationale.

Pour les lycées, il faudra patienter jusqu’à fin mai pour connaître la décision concernant la potentielle réouverture des lycées. « La reprise se ferait début juin en commençant par les lycées professionnels ».

1.3 Le retour du petit commerce et des centres commerciaux

Le petit commerce a souffert du confinement plaçant les professionnels de ce secteur dans une situation financièrement difficile. Et la hâte de la reprise de leurs activités était prévisible. C’est donc avec soulagement qu’ils ont accueilli l’annonce de Bruno LE MAIRE, Ministre de l’économie et des Finances, quant à la reprise de leurs activités le 11 mai. Ce sont ainsi 400 000 entreprises ; et notamment 77 000 salons de coiffure, 33 000 commerces d’habillement, 15 000 fleuristes, 3 300 librairies qui ont rouvert lundi dernier, avec la mise en œuvre de nouvelles règles de fréquentation de leur espace professionnel : gestes barrière, distanciation physique, gel hydroalcoolique, sens de la circulation des personnes, limitation du nombre de personnes, voire exigence de masques laissée à leur libre appréciation.

Sauf en Ile-de-France, les centres commerciaux de plus de 40 000 m2 pourront rouvrir partout en métropole.

En revanche, les bars, restaurants et cinémas resteront toujours fermés après le 11 mai.

 1.4 Le monde de la culture toujours confiné

« … les grands musées, qui attirent un grand nombre de visiteurs hors de leur bassin de vie, les cinémas, les théâtres et les salles de concert, où l’on reste à la même place dans un milieu fermé, ne pourront pas rouvrir », a précisé le Premier ministre, devant les députés, lors de la présentation de son plan de déconfinement.

Seule note positive dans ce sombre tableau pour le monde la culture : les médiathèques, bibliothèques et « petits » musées pourront rouvrir leurs portes dès le 11 mai « parce qu’ils peuvent fonctionner plus facilement en respectant les règles sanitaires ».

Cela place dans une situation précaire les intermittents du spectacle vivant (acteurs, régisseurs, costumiers, ingénieurs du son…) ou de la production audiovisuelle (producteurs, infographistes, monteurs, etc.). Ces intermittents du spectacle sont des artistes ou des techniciens qui alternent des périodes d’emploi et de chômage. Ils doivent justifier de 507 heures de travail par an pour avoir le droit de prétendre aux allocations chômage. Suite à leur mobilisation et demande, une « année blanche » leur a donc fort heureusement été accordée, ce qui signifie que même si un intermittent du spectacle n’effectue pas ses 507 heures obligatoires par an, il touchera quand même son assurance chômage jusqu’en août 2021.

1.5 Les parcs et jardins au « vert »

Les parcs et jardins sont seulement accessibles dans les départements verts, mais pas dans les 32 départements rouges, dont la ville de Paris.

Suite à l’afflux de jeunes le long du canal Saint-Martin ayant négligé les barrières de sécurité, la Maire de Paris a cru trouver dans un twitte du 12 mai une bonne parade à cet afflux en jugeant bon devoir demander la réouverture des parcs et jardins publics de la capitale :

« Compte tenu des besoins des Parisiens, car Paris est une ville très dense, je renouvelle ma demande d’ouvrir à la promenade les parcs et les jardins avec port du masque obligatoire, ce qui devrait aussi être le cas dans toutes les rues de notre ville ».

Elle s’est heurtée au refus net et catégorique du Ministre de la Santé plaçant Paris sur le même pied d’égalité que les autres régions et départements classés en rouge.

1.6 L’accès aux plages dans l’errance…

La règle générale reste l’interdiction. Mais, à la demande des maires, les préfets pourront autoriser l’accès aux plages, aux lacs et aux centres nautiques à la condition que ces espaces soient aménagés de dispositifs propres à garantir l’observation de la « distanciation physique ». Ceci exclut, en principe, l’installation statique des personnes sur les plages. Reste à savoir comment ce dispositif délicat et sensible sera géré l’été prochain en période de vacances et d’afflux touristique…

1.7 Les déplacements

À partir du 11 mai 2020, les déplacements ne sont plus subordonnés à certaines conditions strictes et à l’exigence de se munir d’une attestation pour chaque sortie de son domicile. Mais ils sont limités à la distance de 100 km autour du domicile. Au-delà de cette limite, les déplacements sont autorisés pour des motifs professionnels – tels qu’un métier exigeant une mobilité permanente ou occasionnelle (métier de chauffeur, routier, avocat) –ou des motifs familiaux (deuil, aide à une personne vulnérable). Toutefois cette limite de 100 km ne s’applique pas au sein du même département.

 1.8 À l’intérieur du « rouge », le particularisme « plus rouge » de l’Ile-de-France

Si, après que le Premier Ministre ait longuement hésité à le faire, l’Ile-de-France est sortie du confinement à l’instar des autres régions françaises, elle demeure encore sous haute surveillance à la fois comme la région la plus peuplée et la plus endeuillée par le Covid-19. Ceci explique qu’elle ait fait l’objet de règles plus strictes que les autres régions même teintées en rouge comme elle (Hauts-de-France, Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté). Jusqu’au dernier moment le Premier Ministre a hésité. La décision de sortir du confinement a été difficile à prendre. D’un côté, la volonté de relancer l’activité économique dans une région représentant près du tiers de la création de la richesse nationale (30% du PIB). De l’autre une situation sanitaire très touchée par l’épidémie du coronavirus. À elle seule l’IDF représente 41% des hospitalisations pour cause de Covid-19. Lors du pointage effectué le 7 mai près de 9 500 personnes étaient hospitalisées dont 1254 en réanimation (sur 1 200 lits de réanimation disponibles). En Ile-de-France, sur la carte de circulation active du virus, PARIS et le VAL d’OISE restent les seuls départements métropolitains en rouge avec le risque d’une tension maximale en sortie de confinement.

D’où la nécessité d’éviter l’entassement des parisiens et banlieusards dans les transports en commun en contenant la demande de transport par une offre limitée : condamnation d’un siège sur 2 ; limitation du nombre de passagers par rame de transport (moins de 200 passagers par rame au lieu des 700 à 1000 habituellement). En Ile-de-France, le métro, le RER ou le bus ne sont accessibles pour tous qu’en dehors des heures de pointe (6h30-9h30 ; 16h-19h). Aux heures de pointe les transports publics ne sont accessibles que pour ceux qui vont travailler munis d’une attestation de leur employeur ou pour ceux qui ont un motif impérieux de se déplacer : raisons de santé, convocation de justice, accompagnement d’enfants. Quels que soient les horaires et motifs du déplacement, le port d’un masque est obligatoire dans les transports publics.

Telle est la raison de l’appel à la continuation du télétravail et à utiliser le moins possible les transports en commun avec l’obligation de l’attestation de l’employeur pour pouvoir utiliser les transports en commun aux heures de pointe.

S’agissant des centres commerciaux de plus de 40 000 m2, ils n’ont pas été rouverts le 11 mai contrairement au reste de la France.

2/ Un déconfinement dans un contexte de détérioration du rapport de confiance vis-à-vis de l’Exécutif

Au stade 4 du déconfinement, l’on repasse en-dessous du seuil épidémique défini par l’InVS (depuis 2016, l’agence nationale de santé publique a remplacé l’InVS) : retour à une situation normale, évaluation des conséquences de la vague pandémique, retour d’expérience de la conduite de crise, préparation pour une éventuelle vague nouvelle. À ce stade, le bilan final n’est pas connu avec certitude. Seules les statistiques de mortalité, établies à partir des certificats de décès, permettront d’évaluer la surmortalité liée au virus.

Le déconfinement intervient environ près de deux mois après le confinement amorcé le 17 mars dernier, phase au cours de laquelle beaucoup d’incompréhension et d’interrogations, comme on l’a vu à propos des masques, et aussi des tests de dépistage, se sont manifestées quant à la cohérence de la ligne gouvernementale. Dans quel contexte social et politique s’opère, aujourd’hui, la phase de déconfinement ayant commencé le 11 mai 2020 ?

 2.1 La dégradation du rapport de confiance avec les citoyens

La confiance de l’opinion est nécessaire pour amorcer la sortie du stade 3 de confinement et passer au stade 4 du déconfinement.                                                                                                                                                                                             En effet, le passage au stade 4 est un exercice prévisionnel aléatoire dès l’instant qu’il s’agit de décider du moment opportun où la propagation du virus s’est suffisamment tassée pour espérer qu’elle ne repartira pas de manière agressive à la faveur du déconfinement qui desserre les contraintes jusqu’alors imposées aux populations. Si cette « sortie » ne doit pas être trop rapide, la différer trop longtemps et maintenir un confinement de manière trop prolongée dans le temps est générateur de nombreux problèmes : problèmes scolaires dus à la rupture de la scolarité des élèves et de leur socialisation ; crise du fonctionnement économique du pays avec les inévitables drames sociaux : explosion du chômage, appauvrissement des catégories les plus vulnérables et précaires de la population ; état anxiogène de la population en perte de ses repères sociaux et culturels habituels, etc.

 

La citation ci-dessus
est du 15 avril 1980

Les Français, qui s’étaient pourtant montrés assez disciplinés pendant la phase précédente du confinement, sont aujourd’hui circonspects car ils sont seulement 35% à faire confiance au Gouvernement pour préparer le déconfinement tellement le climat de défiance vis-à-vis du pouvoir politique s’est creusé au point que 80% d’entre eux sont convaincus, selon une étude IFOP Fiducial publiée le 7 mai, que le Gouvernement a dissimulé certaines informations.

Ci-contre, Jean Paul SARTRE

L’Exécutif paie le prix de la dégradation du rapport de confiance avec les citoyens. Dans les enquêtes menées dans différents pays européens par le CEVIPOF et IPSOS-SOPRA STERIA, le gouvernement PHILIPPE est le plus mal classé dans la gestion de la crise sanitaire du Coronavirus. Seuls 24% de Français sont satisfaits de l’action conduite par le Président de la République, les insatisfaits étant les plus nombreux (42%) tandis que les « ni, ni » représentent 34%.

 2.2 L’exception de la crise de confiance française par rapport à d’autres Etats de l’UE 

Ce n’est ici, bien sûr, qu’une comparaison par rapport à la gestion de la crise sanitaire et ça ne veut surtout pas dire  que certains Etats de l’Union européenne seraient des modèles quant à la gestion de cette même crise, ce que nous sommes loin de penser car ils ont tous été surpris par l’irruption de la pandémie et ont dû également improviser comme la France.

Il reste que la France est le seul Etat européen à afficher une telle crise de confiance entre les citoyens et leur Exécutif (Président et Gouvernement) [9].

En effet, le taux de satisfaction le plus élevé dans la gestion de la crise sanitaire du coronavirus (61%) revient au chancelier fédéral autrichien, suivi par la chancelière fédérale allemande (50%), le Premier Ministre britannique (48%), le Président du Conseil italien (41%), le Premier Ministre suédois (38%). Dans le domaine de la protection de la santé, pour 51% des Français les mesures prises par le Gouvernement sont jugées insuffisantes tandis que les 5 autres pays subissent moins les critiques de leurs nationaux.

Dans le domaine économique, le Gouvernement français fait mieux, 51% des Français jugeant les mesures prises adéquates, même si, là encore, l’Autriche (61%), le Royaume-Uni (56%) et l’Allemagne (53%) font mieux.

En France, la prise en charge par l’Etat de certaines indemnités exceptionnelles allouées aux personnes ayant dû, dans certaines situations, cesser leur activité (mise en quarantaine) ou contraints de garder leur enfant au cours de la période de confinement joue ici incontestablement en faveur du Gouvernement.

Il reste que d’une manière générale, pour la gestion du dossier du coronavirus, en France, les insatisfaits sont plus nombreux (62%) que les satisfaits (38%), alors que les autres pays de l’UE, à l’inverse, enregistrent des taux de satisfaction très élevés : 84% pour l’Autriche ; 74% pour l’Allemagne ; 70% pour la Suède ; 61% pour le Royaume-Uni ; 55% pour l’Italie.

L’enquête révèle qu’en Autriche, avec 584 morts pour près de 9 millions d’habitants, les hôpitaux du pays n’ont jamais été débordés tandis que les habitants ont toujours conservé le droit d’aller se promener dans la nature en gardant les distances de sécurité.

En Allemagne, après quelques turbulences au sein de son propre camp, la chancelière Angéla MERKEL atteignait fin avril un niveau d’opinions favorables record (83%), après 15 années de pouvoir, même si, début mai, quelques mouvements d’impatience se manifestaient en faveur d’un déconfinement plus soutenu.

Même au Royaume-Uni, alors même que la courbe des décès atteignait le pic le plus élevé au sein de l’UE, suite notamment à la légèreté avec laquelle la gravité de l’épidémie avait été appréhendée et la tardiveté qui a suivi quant aux décisions prises en matière de confinement, le Premier Ministre Boris JOHNSON reste très populaire, sans doute bénéficiant encore de sa légitimité consacrée lors des dernières élections législatives de décembre 2019.

Sans doute l’Exécutif français traîne-t-il après lui la détestable image acquise au sein de l’opinion à la suite de la calamiteuse gestion des masques de sécurité en leur ayant dénié, dans un premier temps, et de manière obstinée, leur utilité pour l’ensemble des Français (à cause d’une désolante pénurie), puis ayant reconnu ensuite, mais trop tard, leur nécessité, mais sans pour autant avoir suffisamment accéléré leur production pour en permettre largement l’accès aux Français dans des délais raisonnables.

CONCLUSIONS

1/ La France, dans ses profondeurs, économiques, sociales et culturelles, s’est formidablement mobilisée dans la « guerre » contre le coronavirus, et cela est à mettre au crédit de notre peuple, exemplaire et magnifique. On ne soulignera jamais assez le dévouement total de nos personnels de santé et de soins auxquels le pays rendait d’ailleurs tous les soirs un vibrant hommage par des salves d’applaudissements aux fenêtres et balcons des appartements parisiens et de province.

Mais pour autant que furent nécessaires et justes ces manifestations de reconnaissance, elles ne suffisent pas car doit venir maintenant enfin le temps de la reconnaissance professionnelle de ces mêmes personnels quant à leur   rémunération et carrière au sein du service public hospitalier, qui doit être l’équitable contrepartie de leur utilité sociale et des sujétions et servitudes qui pèsent sur eux.

2/ Dans la bataille que nous avons livrée contre le virus mortel, nous n’avons pas encore gagné la « guerre ». Si, déjà, dans cette « guerre », nous comptons de nombreux morts (27 074 au 13 mai au soir) c’est que nous avons dû beaucoup improviser, au coup par coup, sans développer une véritable stratégie offensive, faute d’avoir les troupes suffisantes et l’armature adéquate. Et si nous avons pu  conduire cette bataille, c’est aussi – en dehors des personnels de santé et des soignants eux-mêmes –  grâce aux autres forces vives du pays qui ont maintenu sa vie, par leur présence sociale et professionnelle, à l’extérieur, pendant le confinement. Ces petits commerçants, ces caissières de superettes ou de supermarchés, ces livreurs, ces routiers, ces postiers, ces agriculteurs, ces pécheurs, ces éboueurs, ces policiers, ces conducteurs de taxi, tous non confinés, souvent en s’exposant eux-mêmes, se sont rendus par milliers, chaque jour, sur leur lieu de travail pour permettre la continuité de notre vie quotidienne en nous permettant de satisfaire nos besoins vitaux. A leur égard, l’on ne peut s’empêcher de rappeler la fameuse réplique qu’Edmond ROSTAND prête au laquais dans L’Aiglon :

Et nous, les petits, les obscurs, les sansgrades,
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoir de duchés ni de dotations,
Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions ;
Trop simples et trop gueux pour que l’espoir nous berne
De ce fameux bâton qu’on a dans sa giberne ;
Nous qui par tous les temps n’avons cessé d’aller,
Suant sans avoir peur, grelottant sans trembler,
Ne nous soutenant plus qu’à force de trompette,
De fièvre, et de chansons qu’en marchant on répète ;
Nous sur lesquels pendant dixsept ans, songezy,
Sac, sabre, tournevis, pierres à feu, fusil ; 

 

3/ L’affaiblissement structurel de notre équipement hospitalier – résultant, comme il a été dit, de politiques malthusiennes incapables de couvrir ses besoins réels et ses missions – nous a été d’autant plus préjudiciable dans un contexte scientifique médical lui-même déjà insuffisamment protecteur : pas de vaccin préventif, pas d’antiviraux suffisamment reconnus par l’ensemble de la communauté scientifique elle-même ni par les pouvoirs publics eux-mêmes pour frapper efficacement et rapidement l’agent infectieux.

4/ Si la science ne nous a pas permis la riposte adéquate, en temps limité, face à une telle épidémie – pouvant être mortifère mais ne l’étant pas fatalement -, cela nous a contraint à devoir nous appuyer sur des soins plus longs et classiques, le plus souvent en milieu hospitalier, à cause même de la détresse respiratoire de certains malades infectés. Ce constat objectif nous fait dès lors une ardente obligation de reconsidérer le rôle non marchand mais central de la protection de la santé dans nos sociétés qui constitue notre bien le plus précieux, et pas seulement une fois par an au moment du Nouvel An pour ritualiser la présentation de nos vœux de « bonne année », mais de manière quotidienne. Selon l’OMS elle-même, « Cette pandémie montre bien à quel point il est urgent que tous les pays investissent dans des systèmes de santé et des soins de santé primaires solides. Il s’agit là de la meilleure défense contre des épidémies semblables à celle de la COVID-19, mais aussi contre beaucoup d’autres menaces qui pèsent chaque jour sur la santé des habitants de cette planète. Les systèmes de santé et la sécurité sanitaire forment les deux faces d’une même médaille. »

5/ Mais aussi, la triste démonstration a été faite que la santé conditionne toutes les autres activités économiques et sociales du pays car cette tragique épidémie virale – à laquelle, médicalement, comme il a été dit, l’on n’a pas pu riposter pour la vaincre rapidement – a saigné et mis par terre toutes les activités du pays : économiques, éducatives, culturelles.

6/ Si nous voulons donc tirer quelques enseignements utiles des raisons de notre faiblesse collective, cela doit nous engager, en même temps, à revoir et refondre l’équipement et le mode de fonctionnement quotidien des structures de santé et de soins parmi lesquelles l’hôpital public tient une place prééminente à cause de la diversité et de la qualité de ses spécialités médicales, prolongeant le système de médecine libérale de ville dont il constitue, le plus souvent, l’irremplaçable relais. Or, depuis des décennies, les hôpitaux publics sont maintenus sous tension et pression au point que leur nombre et leurs forces vives sont vite apparues insuffisantes au plus fort de la crise épidémique. Comme on l’a vu, on a dû équiper la région Grand-Est d’un hôpital militaire de campagne pour suppléer le point de rupture atteint par l’hôpital de Mulhouse devant la recrudescence des malades du covid-19, de même qu’était rouvert le service de réanimation de l’hôpital de Sélestat. Ainsi on rouvrait des possibilités et capacités de soins fermées, hier, pour cause d’économies budgétaires et de « maîtrise des dépenses de santé ». Pour renforcer les personnels de santé et de soins débordés par l’afflux de malades graves, on a dû également faire appel à des « réservistes », vétérans retraités des professions de santé et de soins ou simples étudiants suffisamment avancés dans leurs apprentissages professionnels. Ils répondirent généreusement les uns et les autres et leur engagement fut exemplaire.

7/ Le regard idéologiquement libéral – selon lequel nos services publics sont considérés par certains de nos politiques et aussi une partie de nos concitoyens comme des « dépenses publiques » improductives et onéreuses dont il faut  s’affranchir et même progressivement se débarrasser, sans aucun égard pour leur incontestable mission de justice redistributive et de notre cohésion sociale – est un lourd héritage des années 80 et des ravages des dogmes assénés par des économistes tels que Milton FRIEDMAN (1912-2006) sur le rôle restreint assigné à l’Etat qui a conduit, en bonne élève, l’Union européenne à en faire sa doxa à travers la chasse ouverte aux déficits publics et la sacrosainte et délirante règle des 3% dont le simple énoncé chiffré voudrait nous faire croire en sa validité et rationalité.

8/La crise sanitaire a été le révélateur, en France, du déficit de confiance des citoyens envers leurs gouvernants qui n’ont pas su convaincre l’opinion sur la validité de leurs choix dans la lutte contre le coronavirus, même si les Français se sont montrés disciplinés en « restant à la maison » et en observant les « gestes-barrières ». Il reste que le choix quasi exclusif, passif et central du « confinement » ne pouvait faire oublier l’existence d’autres choix judicieux comme le port des masques de protection ou/et le dépistage systématique. L’épilogue des masques marqua l’apogée de la rupture de la confiance, et cela d’autant plus qu’elle s’était érodée au fil de l’année 2019 avec le mouvement social et politique des « gilets jaunes » mettant au jour le caractère faussement représentatif de notre démocratie et revendiquant la mise en place du fameux RIC (référendum d’initiative citoyenne) aussitôt repoussé par le pouvoir comme s’il s’agissait d’une proposition faustienne diabolique. Et comme si cela n’avait pas suffi, un peu plus tard, à la rentrée de l’automne 2019, la manière bureaucratique, et hors espace social et politique, dont le pouvoir a voulu faire passer au forceps la réforme des retraites (mise en œuvre, à l’Assemblée nationale, du « 49-3 », voir sur ce site notre article), a achevé de le discréditer aux yeux de l’opinion. En effet, sous couvert d’universalisme, de l’arithmétique des points de retraite et d’âge-pivot, cette « réforme » – ou plutôt contre-réforme – avait engendré un vaste mouvement de protestation sociale. Mais celui-ci fut considéré comme bien peu de chose, dès l’instant que le pouvoir, fort d’avoir, avec lui, la fidèle et accommodante CFDT (avant qu’elle ne se ravise un peu plus tard et sur un point précis de la réforme) – comme si celle-ci représentait, à elle seule, l’essence du syndicalisme français né bien avant elle – pouvait considérer que le « consensus » était là… Et si l’on remonte encore dans le temps, il y eut la réforme du Code du travail de manière autoritaire par voie d’ordonnances, la réforme de la SNCF remettant en cause sa nature de service public industriel et commercial pour en faire une société privée anonyme, la privatisation des aéroports de Paris.

Fidèle à la pente autoritaire dans laquelle nos institutions – réputés stables et fortes – entraînent nos gouvernants, l’Exécutif en place, depuis mai-juin 2017, a choisi de gouverner de manière disruptive, au nom du dogme néolibéral, pour défaire la France – issue du Pacte national, patriotique et social du lendemain de la Libération – contre la volonté des Français.

Point étonnant, alors, qu’il n’ait plus leur confiance aujourd’hui.

Et pour reprendre la fameuse expression de Jean-Paul SARTRE, cette confiance  – à la supposer originellement nouée – s’est, depuis longtemps, perdue en litres…

Louis SAISI

Paris, le 14 mai 2020

NOTES

[1] Voir INSERM, Information en santé, Dossiers d’information : « Coronavirus et Covid-19 », sous-titre “Du simple rhume au syndrome respiratoire aigu sévère“ » https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/coronavirus-sars-cov-et-mers-cov.

[2] CNRS Le journal : 13.03.2020 : « La science fondamentale est notre meilleure assurance contre les épidémies » : une interview de Bruno CANARD, virologue, directeur de recherche au CNRS.

[3] Selon le sociologue Pierre BOURDIEU (1930-2002), le monde social des sociétés modernes est divisé en ce qu’il nomme des « champs ». Ces « champs » sont eux-mêmes le résultat de la différenciation des activités sociales qui conduit à la constitution de microcosmes sociaux relativement autonomes – comme le champ artistique, le champ politique, médical, journalistique, universitaire, juridique, footballistique, etc. – à l’intérieur du macrocosme social (société globale). Spécialisés dans l’accomplissement d’une activité sociale donnée, ils sont hiérarchisés et leur dynamique provient des luttes de compétition que se livrent les agents sociaux pour y occuper des positions dominantes.

[4] Les dépenses de santé en Europe – Carte et comparatif 02.04.2020 Agnès FAURE / Barthélémy GAILLARD ; Source : Site « Toute l’Europe »

[5] Cf. Le Littré, le dictionnaire de référence de la langue française, édition établie et mise à jour sous la direction de Claude BLUM, Ed. Le Figaro/Éditions Garnier, 20 volumes, Paris, 2007, volume 4, p. 229.

[6] Sans doute dans le sens de comparaison ou de réduction du statut humain à celui de la bête sauvage qui n’appartient pas, selon VAUGELAS, au champ de la civilisation.

[7]L’on peut y voir une dénonciation par VOLTAIRE de la réduction des capacités humaines, de l’esprit humain à son confinement dans un seul objet au point d’en devenir une manie.

[8]Ici dans le sens de « retraite » volontaire par rapport à un contexte plus urbain et sociable ou même pour s’isoler du monde (« lieu écarté » ; « au fond »).

[9] Bien qu’il faille toujours être prudent avec les enquêtes et les sondages.

 

 

 

 

 

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