L’OTAN ET LA LEGALITE INTERNATIONALE par Roland WEYL, avocat au Barreau de Paris

L’OTAN et le problème de sa légalité internationale, telle est l’analyse critique à laquelle se livre ici Roland WEYL…

Il n’est pas inutile de rappeler que le traité portant création de l’OTAN (en anglais North Atlantic Treaty Organization) a été signé le 4 avril 1949 à Washington, soit quatre années après l’adoption de la Charte des Nations-Unies, signée elle-même à San-Francisco le 26 juin 1945, et entrée en vigueur le 24 octobre 1945, dans le but de « maintenir la paix et la sécurité internationale ».

La mise en cause politique de l’OTAN a été souvent développée et l’organisme a été maintes fois dénoncé comme un facteur de tension internationale et de danger pour la paix des peuples, partout dans le monde. En revanche, à notre connaissance, l’analyse de la légalité internationale de l’OTAN, dès ses origines, n’est guère communément faite.

L’article de Maître Roland WEYL ci-après (cosigné avec son épouse) a le mérite de combler cette lacune. Avec la rigueur juridique qui est la sienne, il nous rappelle ce que sont les grands principes de la « légalité internationale » et en quoi la constitution même de l’OTAN est contraire à ces principes.

LS


L’OTAN ET LA LEGALITE INTERNATIONALE

PAR MONIQUE ET ROLAND WEYL

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        Si l’on compare la légalité internationale à la légalité interne, on peut dire que l’OTAN est comparable à ce que serait dans un pays une bande armée, et que, même le prétexte purement défensif dont sa naissance a été couverte ne le rend pas plus acceptable que ne le sont dans une démocratie les groupes d’auto-défense.

      Mais pour confronter cette OTAN à la légalité internationale, encore faut-il préalablement rappeler en quoi celle-ci consiste.

 Rappel de la légalité internationale  

On ne rappellera jamais assez que même si tout est fait pour la réduire aux capacités de l’Organisation des Nations Unies, la légalité internationale repose d’abord sur la Charte des Nations Unies, qui, pour la première fois, institue des règles de droit universelles, obligatoires pour tous et égales pour tous.

Jusqu’en 1945, il n’y avait que des traités bilatéraux ou multilatéraux entre puissances dont les alliances et coalitions se partageaient le monde à coups de guerres et de traités de paix

La Charte proclame des valeurs et des règles de portée universelle et égalitaire, et fonde l’ONU pour en assurer le respect.

     Or cette légalité internationale repose sur deux axes

Le premier est la paix : 1) la maîtrise de chaque peuple sur ses affaires hors de toute intervention étrangère, sous la seule obligation d’un respect mutuel,

    

2) l’interdiction du recours à la force ou à la menace de la force dans les relations internationales, pour y substituer l’obligation de donner aux différends une solution négociée ;

     En vertu de l’article 2.4, « les membres de l’Organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat ou de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »

La Charte reconnaît certes le droit de légitime défense, mais jusqu’à ce qu’intervienne le Conseil de Sécurité qui doit immédiatement être appelé, et jamais sous prétexte de défense préventive.

C’est l’article 51 qui dispose que « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de Sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales »

      Cet article ne prévoit ce droit de défense (et d’assistance : « individuelle ou collective ») que dans le cas où un membre est l’objet, et non pas pour le cas où il le serait. Trop de guerres ayant été déclenchées par des agresseurs qui se prétendaient menacés, il exclut la défense préventive

     Le droit ainsi institué a une portée universelle (il doit s’appliquer pour les 193 pays composant l’Assemblée des Etats) et égalitaire (il doit s’appliquer de la même manière pour tous les pays, en vertu du principe d’ « égalité des nations grandes et petites ».

Il en résulte que la force ne peut être utilisée que par l’instance qui représente tous les peuples, le Conseil de Sécurité, c’est ce qu’on appelle le principe de « sécurité collective » parce qu’aucun Etat ou groupe d’Etats ne peut se l’approprier. Et le Conseil lui-même ne peut utiliser la force que pour maintenir la paix (empêcher que deux pays se battent) ou rétablir la paix (défendre un pays qui a été victime d’une agression de la part d’un autre).

     Enfin, la Charte prévoit la possibilité de constituer des organisations régionales par son article 52.1 qui dispose que « aucune disposition de la présente Charte ne s’oppose à l’existence d’accords et d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional mais le même article continue : «  pourvu que ces accords et ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies et l’article 52.2 poursuit : « Les membres des Nations Unies qui concluent ces accords ou constituent ces organismes doivent faire tous leurs efforts pour régler d’une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les différends d’ordre local, avant de les soumettre au conseil de Sécurité » c’est-à-dire à la condition que ce soit dans le respect de ses principes : droit exclusif de chaque peuple à la maîtrise de ses affaires par son Etat, et relations pacifiques entre eux.

      Et un article 52.3 ajoute que « Le présent article n’affecte en rien l’application des articles 34 et 35 (qui traitent des compétences du Conseil de Sécurité en matière de maintien ou de rétablissement de la paix).

Ce rappel suffit à mettre en évidence les multiples causes d’illégalité de l’OTAN.                     

Dès l’origine, la double illégalité de sa composition, et celle de son orientation

1ère illégalité, du seul fait de sa composition

Contre l’unité universaliste et égalitaire, la fracture en deux camps

D’origine, le Traité s’est inscrit contre l’esprit de ce nouvel ordre juridique mondial, construit sur le droit des peuples à leur libre détermination, donc sans discrimination procédant de la nature du régime politique et économique qu’il s’est choisi.

En effet, la Charte repose sur la mise en cohérence des principes d’universalité et d’égalité, ce qui exclut toute discrimination en fonction de la façon dont un peuple s’organise.

     Dans cette logique, comme, à l’époque, le monde est divisé en deux systèmes antagonistes, c’est pour éviter tout risque de fracture, que le recours à la force est de la seule compétence du Conseil de Sécurité et à condition que ses 5 membres permanents, qui appartiennent aux deux systèmes, y donnent un accord unanime.

Or la caractéristique de l’OTAN est de ne pas grouper les pays de la même région que serait l’Europe, mais les occidentaux autour de leurs 3 membres permanents contre une menace supposée venir de ceux de l’Est.

2ème illégalité : sa composition n’avait rien de régional

     Le Traité prend, soin dans les mots, de se couvrir au regard de la Charte des Nations Unies en se réclamant de l’article 51 et de l’article 52, mais il est bien clair que ce n’est qu’une précaution de langage parfaitement vaine.

La Charte n’admet pas d’autres structures particulières que sous le motif de coopération de voisinage à caractère régional.

Or l’OTAN n’est régionale ni dans son périmètre ni dans sa composition.

En effet, sauf à situer son centre à St Pierre et Miquelon, un océan n’est pas une région. Il l’est encore moins quand la présence en son sein des Etats-Unis repousse son périmètre jusque sur les rives orientales du Pacifique. Et dès sa création, il comportait l’Italie qui n’a jamais été riveraine de l’Atlantique, et, par la France, il s’était étendu au Maghreb ! Et depuis lors il n’a cessé de s’étendre vers l’Est de l’Europe.

3ème illégalité : l’atteinte au principe de libre disposition des peuples

    Il est remarquable que, dans les mots, le Traité prend soin de se référer abondamment aux principes de la Charte pour déclarer les faire siens.

Mais il est non moins remarquable que dans sa référence aux principes de la Charte, on cherchera vainement la moindre référence au droit des peuples à leur libre détermination sans intervention étrangère.

     On a trop laissé accréditer l’idée que l’OTAN était la réplique au Pacte de Varsovie

      Pourtant, le pacte de Varsovie ne sera que de 1955, en réplique à l’OTAN qui est de 1949 et la cible principale de l’OTAN n’est pas tournée vers l’extérieur, mais vers l’intérieur. C’est une solidarité d’Etats contre le risque de changement de régime de leurs propres peuples.

Il ne faut pas oublier qu’en février 1948, les Tchèques ont fait leur révolution et sont passés dans le camp des pays socialistes, essentiellement dans le refus du « plan Marshall ». La création de l’OTAN en 1949 est une défense contre le risque que cela se passe ailleurs.

À cet égard l’article 4 est très clair, qui prévoit que « les parties se consulteront chaque fois que de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée »

Donc s’il y a une menace sur un Etat participant, on ne consultera pas le Conseil de Sécurité, mais on se consultera entre soi. Et non pas si un des pays membres se sent menacé, mais si l’un quelconque des autres considère que ce pays-là est menacé. Et pas seulement dans son intégrité territoriale, mais dans son « indépendance politique »

Sans doute le texte ne fait-il que reprendre celui de la Charte, mais pour en inverser le contenu. Dans la Charte, il signifie que chaque peuple doit être seul maître de ses choix, incluant celui de changer. Dans celui du Traité, c’est le changement qui sera présumé être une atteinte à l’indépendance politique.

Et tout le sens en est donné par l’article 2 qui écrit : « en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées, en développant les conditions propres à assurer la stabilité (…) Elles s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques ». En clair empêcher les bouleversements sociaux et garantir les principes du libéralisme et de l’économie de marché

Pourtant nous avons vu que l’un des fondements essentiels de la Charte est le droit des peuples à être les seuls maîtres de leurs affaires et donc de leur choix de mode de gouvernement et de gestion économique.

Il est interdit à l’ONU elle-même d’y intervenir, l’article 2.7 précisant qu’«Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies (elles-mêmes !) à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat

Mais l’OTAN est construite sur un socle d’imposture idéologique car, pour tourner à la fois l’interdiction d’intervenir dans les affaires intérieures d’un autre pays et celle d’user de la force dans les relations internationales autrement que pour venir au secours d’un pays agressé, 4 ans plus tard, lorsque, à la conférence de Caracas de l’Organisation des Etats Américains, les Etats-Unis, pour rester dans les cordes de la Charte et de la légitime défense, faisaient adopter une résolution selon laquelle un changement politique dans un pays pouvait être qualifié d’ « agression interne du communisme international » et s’en servaient aussitôt pour intervenir militairement au Guatemala et renverser le gouvernement ARBENZ coupable d’avoir nationalisé la firme étatsunienne United Fruit.

Il faut d’ailleurs se rappeler aussi que si l’OTAN avait déjà une sœur aînée avec l’Organisation des Etats Américains, il lui était donné une sœur jumelle avec la SEATO, Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est. Les deux organisations se complétaient donc pour assurer la couverture du monde entier sous le leadership étatsunien. Quand on considère que le rôle prépondérant des Etats-Unis n’apparaît pas seulement dans son commandement mais dans le fait que le Traité prévoit que les adhésions seront reçues et enregistrées à Washington, sa création participe d’une entreprise de quadrillage du monde par les Etats-Unis, ces organisations pseudo-régionales étant complétées par un réseau de bases militaires dont Okinawa, Diego-Suarez et Guantanamo sont seulement les plus célèbres, et aussi par la non moins célèbre « ceinture verte » par laquelle la stratégie américaine entourait l’Union Soviétique d’un « mur » islamique, Ben Laden en tête.

Il est clair que cela constitue une double atteinte au droit des peuples à leur libre détermination, et particulièrement actuelle à l’heure du Traité Transatlantique, et donc bien un défi aux articles 2.4 et 51 de la Charte.

 4ème et principale illégalité : le mépris du principe de sécurité collective

      Nous avons vu que la Charte interdit à tout Etat ou groupe d’Etats de s’arroger un pouvoir de police qui ne relève que des organes de la sécurité collective, et qui par-là abolit les affrontements potentiels cultivés par le système des alliances.

Et les organisations régionales envisagées par la Charte ne sont nullement prévues comme pouvant être des coalitions militaires, puisqu’elles doivent répondre à ses principes.

De telles coalitions sont donc forcément en contradiction avec l’interdiction du recours à la force ou à la menace de la force, et au privilège exclusif des instances internationales universelles et égalitaires de sécurité collective, et de ce seul fait, elles n’ont pas plus de légalité que des bandes armées, et s’inscrivent au contraire en infraction évidente avec les règles de police officiellement et juridiquement organisées et seules licites.

Là encore, il y est fait référence dans les mots et, à des fins de couverture purement formelle, que le traité a défini, par l’article 5, la fonction de l’Organisation comme strictement défensive en ces termes : «  une attaque contre l’une d’elles sera considérée comme dirigée contre toutes, et chacune d’elle, en vertu du principe de légitime défense reconnu par la Charte, portera assistance à la partie attaquée. »

      Mais nous avons vu que la défense préventive est interdite. et qu’un traité d’assistance militaire mutuelle entre membres d’une même région pour des attaques éventuelles, fussent-elles par des Etats étrangers à la région, constitue une organisation de défense préventive et ne bénéficie donc nullement de la couverture de légalité de l’article 52.

L’OTAN constitue à tout cela un défi insolent, et a été créée, hier, en rupture avec tous les principes de la légalité internationale.

Si l’on devait néanmoins, bien à tort, admettre que le prétexte défensif à l’égard des prétendues menaces du bloc socialiste avait été le véritable et seul objet du Traité, l’effondrement du bloc socialiste et du pacte de Varsovie aurait dû entraîner la dissolution de l’OTAN en lui retirant sa raison d’être.

Or non seulement elle survit, mais les motifs de son illégalité n’ont fait que s’accuser davantage, à un plus insolent mépris encore de sa vocation prétendue et même de la lettre du traité.

                     L’OTAN aujourd’hui cumule de plus en plus fort ces illégalités.

     Concernant son régionalisme, les limites de l’Océan Atlantique ne sont plus seulement « élasticisées » jusqu’à l’Elbe et à l’Adriatique. Dans le rassemblement ce sont maintenant la Roumanie et bientôt l’Ukraine qui sont « atlanticisés ».

Mais même si elle se limitait à des Etats d’Europe, l’OTAN serait illégale, à la fois en raison de la définition de ses objectifs et de son caractère militaire.

D’ailleurs l’illustration n’a pas tardé à en être donnée

La Yougoslavie n’a jamais commis aucune attaque armée contre aucun Etat membre de l’OTAN, ni davantage l’AFGHANISTAN, lequel au surplus ne peut être considéré comme inclus dans des compétences régionales, sauf à supposer que l’ampleur des conséquences du réchauffement de la planète a élevé le niveau de l’océan au point de reporter ses rives à l’Est de l’Afghanistan.

Et il en a été de même de l’intervention en Libye, où certes ce fut sur mandat de l’ONU, mais ce qui ne fait que fournir un exemple de la façon dont l’influence des puissances financières sur les Etats les conduit à entraîner l’ONU à être leur instrument de gouvernance au mépris du droit qu’elle a pourtant pour fonction de faire respecter ;

Plus que jamais maintenant l’OTAN agit ouvertement, insolemment, pour ce à quoi elle a été destinée : un organe de police militaire (d’intervention armée) selon ses propres critères d’opportunité et de légitimité comme bras armé de la domination de G 20 sur le monde, en tant que gendarme mondial du libéralisme. C’est bien la caractéristique des groupes d’auto-défense.

Le renforcement de cette déviance par la perversion de l’OSCE

 Ce qu’était et devrait redevenir l’OSCE

     L’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) était à sa naissance le contraire et l’antidote de l’OTAN.

C’était en 1975, un produit de « l’Acte final » de la Conférence d’Helsinki. Cet acte a été mis au placard sous prétexte qu’il avait été signé au temps des deux blocs, et que cela le rendrait obsolète.

Or, même s’il est psychologiquement obéré de cette marque d’archaïsme, l’Acte, composé des résultats des 3 « corbeilles » en lesquelles s’était répartie la conférence (Droits de l’Homme, Sécurité mutuelle, Coopération économique), a été signé par tous les gouvernements d’Europe, et si l’on voulait bien le relire on constaterait que son contenu n’a rien perdu de sa pertinence exemplaire, et de sa validité d’alternative pour une construction européenne.

Tandis que dans le domaine des Droits de l’Homme il prévoyait des modalités d’échanges d’expérience et de visites mutuelles de contrôle, le chapitre sur la coopération économique organisait celle-ci dans la prise en considération et le respect mutuel de la différence entre le système privilégiant l’économie privée et celui privilégiant l’économie publique.

Quant à la sécurité mutuelle, elle était fondée sur des perspectives de désarmement garanties par des mesures de confiance telles notamment que des inspections mutuelles

Certes, ce n’était qu’un début, et il ne suffit pas qu’un texte existe pour qu’il opère. Mais intention et programme allaient dans le bon sens, et l’OSCE s’inscrivait dans les instruments de leur mise en œuvre. Elle devait notamment assurer la fonction, pour laquelle la Charte des Nations Unies prévoit les organisations régionales, de s’offrir aux concertations et à la solution négociée des conflits.

     Après l’effondrement du système de l’Europe de l’Est, une logique hélas un peu naïve aurait conduit à penser que la disparition d’un motif majeur d’opposition loin de frapper d’obsolescence l’Acte final aurait rendu sa mise en oeuvre d’autant plus aisée, et que l’OSCE en serait l’outil bienvenu.

Or il n’a fallu que 8 ans pour qu’au contraire ce soit l’OSCE qui se réforme pour se mettre au service du gendarme.

 Ce qu’est devenue l’OSCE

   C’est en effet en 1999 (année de l’expédition contre la Yougoslavie), que l’OSCE réunie à Istanbul, va se donner une nouvelle Charte qui en renverse la mission, pour en faire d’abord un instrument de police non pas seulement sur les Etats, mais sur la politique interne que leur donne leur peuple, et contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Il est d’abord proclamé, sous le titre « Défis communs », que « les menaces pour notre sécurité peuvent résulter de conflits éclatant tant au sein d’un Etat qu’entre Etats »

Et l’intervention dans les affaires intérieures devient une telle priorité que la « Charte d’Istanbul » y consacre l’essentiel de ses dispositions nouvelles.

Elle commence par inscrire dans ses objectifs « de créer des équipes d’assistance et de coopération rapides », pour « répondre rapidement à des demandes d’assistance et de mise en place d’importantes opérations civiles sur le terrain » et pour que ce soit bien clair, elle ajoute « de développer notre capacité de mener des activités de police afin de contribuer au maintien de la primauté du droit ».

Les partisans du « droit » d’ingérence en cas d’atteintes graves aux droits de l’Homme y applaudiront peut-être, même si l’expérience enseigne que les Droits de l’Homme peuvent être un excellent alibi pour des interventions autrement inspirées.

Mais la notion de « primauté du droit » est autrement étendue.

La « Charte » d’Istanbul indique que « nous devons développer la confiance entre les individus à l’intérieur de l’Etat » (autrement dit « la paix sociale »).

      Mais surtout, affirmant ainsi sa mission de gendarme du libéralisme économique, elle précise « Nous réagirons plus vigoureusement (….) en encourageant l’économie de marché ». Certes on couvre sa garde en ajoutant « tout en accordant l’attention voulue (sic) aux droits économiques et sociaux », mais si l’on ne perd pas de vue que cela est écrit en 1999, on appréciera particulièrement le clin d’œil en direction des pays d’Europe orientale : « Nous applaudissons au processus de transformation économique sans précédent qui se déroule dans de nombreux Etats participants. Nous encourageons ces Etats à continuer ce processus ».

     Le moment semble venu de noter que la première affirmation de la Charte d’Istanbul consiste à préciser que la plate-forme qu’elle constitue est destinée à « renforcer la coopération entre l’OSCE et d’autres organisations et institutions internationales » et de rappeler que, au même moment, l’OTAN ne s’est lancé contre la Yougoslavie, sous le prétexte des Droits de l’Homme, qu’après que celle-ci ait refusé de souscrire aux accords de Rambouillet dont une clause secrète l’obligeait à privatiser son économie.

     Et, lors d’un colloque sur la solution pacifique des différends, l’ambassadeur de Roumanie (laquelle assurait alors la Présidence tournante de l’OSCE) vantait le travail qu’avait mené ses 200 activistes à Belgrade aux côtés de l’opposition et celui que faisait l’OSCE en général pour aider les pays de l’Europe de l’Est à passer à l’économie de marché (un autre lui faisant écho en ajoutant que « L’OSCE est la méthode soft et l’OTAN la méthode hard ») pour devoir reconnaître ensuite que ce ne devrait pas être le rôle de l’OSCE.

Et la boucle est bouclée quand la Charte d’Istanbul complète son rôle de fourrier civil de l’OTAN et de son extension géographique au-delà de tout critère régional, en déclarant : «  Nous réaffirmons que la sécurité des zones voisines, en particulier dans la région méditerranéenne et dans les zones à proximité directe d’Etats participants, comme ceux d’Asie centrale, revêt une importance croissante pour l’OSCE. Nous sommes conscients que l’instabilité des zones crée des problèmes qui affectent directement la sécurité et la prospérité des Etats de l’OSCE ». Voilà donc pourquoi l’OTAN est à sa place en Afghanistan !

CONCLUSION

     L’OTAN n’est donc ni une organisation régionale, ni une organisation de défense commune au sens de la Charte des Nations Unies. Si elle l’était, comme les premiers articles du traité s’efforcent d’en donner la façade, il n’y en aurait pas besoin, car il devrait y suffire l’OSCE si elle était ramenée à son rôle. L’OTAN s’affirme de plus en plus comme organisation militaire participant d’un système global appelé à se substituer au système prévu par le Chapitre VII de la Charte avec une fonction de police mondiale dépassant largement le maintien ou le rétablissement de la paix.

D’ailleurs, ses dirigeants ne s’en cachent plus : lors du sommet de Lisbonne en novembre 2010, cette prétendue vocation mondiale a été officiellement proclamée, au mépris de tous les principes de sécurité internationale collective fondée sur les 3 composantes inséparables d’universalité-pluralisme-égalité qui constituent, aux termes de la Charte des Nations Unies, le socle du droit international contemporain, issu des leçons tirées par la conscience universelle des tragédies guerrières de la première moitié du 20ème siècle.

Cela est parfaitement en cohérence avec la volonté des puissances financières qui gouvernent le monde de substituer à l’instrument de concertation des peuples que devrait être l’ONU l’instrument d’autorité que se veut être G 20, dont l’OTAN devient le bras armé, l’instrument de police mondiale sur et contre les peuples.

Du fait qu’elle nous entraîne à des dépenses militaires coûteuses dont nous n’avons pas la maîtrise, et qu’elle nous entraîne et peut nous entraîner à tout moment dans des aventures où nous perdons des hommes et notre image internationale pour des causes qui ne sont pas les nôtres, nombreux sont ceux et celles qui y consentent difficilement. Mais ils s’y résignent en pensant que nous y sommes juridiquement obligés. Il n’est donc pas inutile de leur faire savoir que le droit non seulement ne nous y oblige pas mais devrait nous dicter de nous en retirer et d’en combattre l’existence.

Il est d’autant plus nécessaire de le savoir et de le faire savoir que le droit est un combat et que les textes n’ont de valeur qu’en fonction de ce combat. S’opposer à une intégration aggravée dans l’OTAN et œuvrer à un retrait est un combat, comme est un combat d’imposer le respect de la légalité internationale.

Quand le Préambule de la Charte des Nations Unies proclame « Nous Peuples des Nations Unies (…..) avons décidé d’unir nos efforts. En conséquence nos gouvernements ont signé la présente Charte », cela donne à l’intervention des Peuples une nouvelle dimension de citoyenneté qui, portant au niveau mondial la notion de souveraineté populaire, légitime l’action des peuples, appuyée sur les principes de la légalité internationale, et leur en donne non seulement le droit mais leur en confrère la responsabilité.

Il est donc du droit de chaque peuple d’imposer à son gouvernement de se retirer de l’OTAN plutôt que d’y aggraver son implication, alors surtout que l’article 13 du Traité lui-même en prévoit la possibilité à l’expiration d’un délai de 20 ans. Mais surtout, il est de son intérêt pour sa sécurité comme de sa responsabilité vis-à-vis des autres peuples d’en exiger la dissolution.

Monique et Roland WEYL

Paris, le 23 avril 2017

Brève notice biographique sur Roland WEYL :

Maître Roland WEYL, avocat au Barreau de Paris et docteur en droit, anime, aujourd’hui, l’association « Droit-Solidarité ». Il est très connu de tous les humanistes, épris de justice et de paix, comme un infatigable lutteur en faveur de la cause du droit et de la justice pour avoir participé, en sa qualité d’avocat, à de nombreux combats dans l’enceinte judiciaire. C’est ainsi qu’il a consacré une part importante de son activité professionnelle à la défense de militants politiques, syndicaux, notamment anticolonialistes. Depuis sa fondation, à Paris en 1946, il est le premier vice-président de l’Association Internationale des Juristes Démocrates (AIJD). Il a été aussi éditeur de la Revue de droit contemporain de 1954 à 1991.

Ses publications, nombreuses, sont toujours très engagées. Il est ainsi coauteur avec Monique WEYL (son épouse) de :

  • La Justice et les Hommes, 1961
  • La Part du Droit dans la réalité et dans l’action, 1968
  • Révolution et perspectives du droit : de la société de classes à la société sans classes, 1974
  • Divorce, libéralisme ou liberté, 1975
  • Démo-cratie, pouvoir du Peuple, Le Temps des Cerises, Paris, 1996
  • Une Robe pour un combat : souvenirs et réflexions d’un avocat engagé, Éditions Messidor, 1989
  • Se libérer de Maastricht pour une Europe des Peuples, 1999
  • Nous, peuples des Nations unies. Sortir le droit international du placard, CETIM, Genève, 2008 ;
  • « Droit, pouvoir et citoyenneté », Ed. de l’Humanité, 2017.
  • Il a contribué également au livre Quelle VIe République, Ed. Le Temps des Cerises, 2007.

 

 

 

 

 

 

 

     

    

      

          

 

 

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